* *

Texte à méditer :  C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher.
  
Descartes
* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
La vie a-t-elle un sens ?
(cet article est librement inspiré du premier chapitre du Gai savoir de Nietzsche).
 

"Si la « vie » avait un but, elle ne serait plus la vie."

Paul Valéry, Cahier B 1910.

 
"La conviction que la vie a un but est profondément ancrée dans les fibres de l'homme, elle tient à la nature humaine. Les hommes libres donnent à ce but bien des noms différents, et s'interrogent inlassablement sur sa définition : mais pour nous la question est plus simple.
Ici et maintenant, notre but c'est d'arriver au printemps. Pour le moment, nous n'avons pas d'autre souci".

Primo Lévi, Si c'est un homme.

  Comme je ne cesse de le répéter à mes élèves, il faut toujours, avant de traiter un sujet philosophique, analyser les termes du sujet, et vérifier notamment si ceux-ci n'ont pas plusieurs sens. Or, de façon amusante, il se trouve que le mot "sens" a effectivement plusieurs sens, et que suivant le sens retenu, la question : "La vie a t-elle un sens ?" change radicalement de sens (à supposer qu'elle en ait un).
On peut en effet retenir trois définitions du mot "sens" :
1. "Sens" qualifie les facultés par lesquelles l'homme et les animaux (peut-être pourrions-nous aussi y inclure les végétaux) perçoivent l'impression des objets extérieurs et corporels, ainsi que les organes par lesquels se fait cette communication (les fameux "organes des sens").
2. Le sens, c'est la signification d'une chose, son idée (générale ou non).
3. Enfin, le terme de "sens" peut renvoyer à un des côtés d'une chose ou d'un corps (mettre quelque chose dans le bon sens), ou encore à l'idée de direction (un sens unique).
Mais si maintenant nous examinons le mot "vie", nous voyons qu'il peut lui aussi se décliner de plusieurs façons.
1. Il peut renvoyer d'abord à l'état d'activité des êtres organisés et ses manifestations. En termes biologiques, c'est l'ensemble des phénomènes qui concourent à la croissance et à la conservation d'un organisme. Pour simplifier, nous dirons que la vie renvoie ici au vivant.
2. Mais la vie c'est aussi le temps qui s'écoule de la naissance à la mort. Ce que nous pourrions appeler l'existence.
  Bien entendu, il s'agit ensuite d'examiner si tous ces sens ont même importance, s'ils ont tous une pertinence quant à la question posée.
  Ici, une interprétation semble aller de soi : quand on se demande si la vie a un sens, on se demande en fait si l'existence, notre existence, possède une signification, c'est-à-dire finalement un but.
  Pourtant, ce n'est peut-être pas en attaquant la question sous cet angle que l'on parviendra le plus simplement à y répondre. Je vais en effet essayer de montrer dans la suite, que c'est parce que la vie a un sens (que le vivant a une direction) qu'elle possède un sens (que l'existence possède une signification). Malheureusement, ce dernier sens paraîtra sans doute bien pauvre à beaucoup, ce qui m'amènera à conclure, que décidément, la vie n'a peut-être pas de sens (ou qu'elle n'en a que trop, ce qui revient au même).
  Que la vie possède un sens, c'est-à-dire une direction, c'est ce dont tout le monde conviendra. Toute vie va de la naissance à la mort : sa direction suit la flèche du temps. S'il n'y avait pas de temps, il n'y aurait pas de vie, voilà un bel exemple de truisme.
  Cependant, le rapport entre la vie et le temps est plus complexe qu'il n'y paraît à première vue, ou du moins qu'il a pu paraître à une certaine époque.
En effet, si l'on considère la vie d'un point de vue plus général, celui que l'on adopte lorsque l'on parle "d'histoire de la vie", on peut constater que le vivant a bel et bien une direction : celle de l'évolution.
  Je ne discuterai pas ici pour savoir qui le premier a défendu l'idée d'une évolution des espèces. Je me contenterai de prendre pour acquis que les théories biologiques contemporaines trouvent toutes leur origine (si je puis m'exprimer ainsi) dans l'oeuvre de Darwin. C'est donc celle-ci que je vais rapidement étudier.
  C'est dans son livre L'origine des espèces, paru en 1859, que Darwin expose pour la première fois de manière claire et détaillée sa théorie évolutionniste (transformiste serait peut-être préférable). Celle-ci se fonde tout entière sur un concept central : le concept de sélection naturelle. Ce concept est lié à deux phénomènes que Darwin juge indissociables : la variabilité organique et la lutte pour l'existence (struggle for life).
  De quoi s'agit-il ? L'idée de variabilité organique signifie que tous les organismes subissent de légères variations dans leur morphologie (ce qu'aujourd'hui nous appellerions des mutations). L'idée de lutte pour l'existence signifie quant à elle que chaque organisme mène un combat avec son milieu, qu'il s'agisse du milieu physique ou de l'ensemble des autres êtres vivants. Dans ce contexte, l'apparition d'une variation d'ordre morphologique peut avoir deux effets notables : avantager l'organisme en question ou bien lui nuire. Ce fait étant établi, la logique veut que les individus porteurs d'une variation favorable aient plus de chances de survivre que les individus qui ne le sont pas, et a fortiori que les individus porteurs d'une variation défavorable. Par conséquent, une variation favorable aura tendance à préserver l'individu qui en est l'objet, et parallèlement une variation défavorable aura tendance à éliminer celui qui la subit. Puisque les variations sont transmises à la descendance par hérédité, les premières seront conservées tandis que les secondes seront écartées. Voilà donc expliqué le phénomène de l'évolution.
  Revenons cependant sur le terme de "lutte pour l'existence"? Celui-ci dénote en effet une réalité bien précise, comme l'indique lui-même Darwin :

"Je dois faire remarquer que j'emploie le terme de lutte pour l'existence dans le sens général et métaphorique, ce qui implique les relations mutuelles de dépendances des êtres organisés, et, ce qui est plus important, non seulement la vie de l'individu, mais son aptitude ou sa réussite à laisser des descendants". (L'origine des espèces)

  La "lutte pour l'existence" n'est donc pas uniquement une lutte pour la survie, mais aussi une lutte reproductive, ce qui signifie qu'un individu parfaitement adapté à son environnement n'a aucune chance d'en sortir vainqueur s'il n'est pas capable d'assurer sa descendance. Nous pouvons même dire que l'idée darwinienne de "lutte pour la vie" est tout entière comprise dans celle de "succès reproductif", la survie individuelle n'en étant qu'une condition nécessaire.
  La conclusion de tout cela, c'est que la sélection naturelle, et par-là même l'évolution, n'a pas de sens sans êtres vivants capables non seulement de se reproduire, mais ayant pour but la reproduction.
  Que recherche tout organisme ? À se reproduire, et donc à vivre. C'est comme si la vie était à elle-même sa propre fin. Attention, cela ne signifie pas qu'on ne puisse concevoir des êtres vivants non régis par cette finalité. Rien n'empêche d'ailleurs de penser que des êtres vivants aient existé, pour lesquels la reproduction n'était qu'une préoccupation secondaire. Mais on comprend bien que ceux-ci n'aient pu laisser de descendance, et que s'il en existe actuellement, ils n'en laisseront pas plus.
Les hommes, comme les autres vivants n'échappent pas à cette règle. C'est l'amer mais lucide constat que fait Nietzsche dans son Gai savoir.
  Dans le premier chapitre de celui-ci, il lance une attaque violente contre ceux qu'il appelle "les doctrinaires du but de l'existence" :

"J'ai beau considérer les hommes d'un bon ou d'un mauvais oeil, tous et chacun en particulier, je ne les vois jamais appliqués qu'à une tâche : à faire ce qui est profitable à la conversation de l'espèce. Et cela en vérité non par quelque sentiment d'amour pour cette espèce, mais simplement parce que rien n'est aussi invétéré, puissant, irréductible que cet instinct - parce que cet instinct est absolument l'essence de l'espèce grégaire que nous sommes".

  Pour Nietzsche, les hommes ne travaillent qu'à une seule chose : la préservation de l'espèce humaine. Et l'idée sans cesse rappelée (par les morales ou les religions) que la vie possède un sens participe selon lui de cette quête incessante. Croire qu'il existe un but de l'existence n'est donc qu'un moyen pour atteindre le seul véritable but : se conserver et se reproduire. C'est ce que Nietzsche appelle une "nécessité vitale" :

"L'homme est devenu peu à peu un animal fantasque, lequel, plus que tout autre animal, se trouve devoir satisfaire à une nécessité vitale : il faut que de temps en temps, l'homme croie savoir pourquoi il existe, son espèce ne saurait prospérer sans une confiance périodique dans la vie ! Sans une croyance à la raison au sein de la vie !"

  Alors quel est le sens de la vie ? Celui pointé par Darwin et Nietzsche ? Très certainement. Il suffit de regarder la joie de jeunes ou de futurs parents pour s'en convaincre. Mais est-ce tout ? Non, sûrement pas. Il existe bien un autre sens à la vie, et chacun s'il ne l'a pas encore trouvé, le cherche, assurément. Mais il ne pourra jamais s'agir DU sens de la vie, car cette idée ne signifie rien. Il s'agira de SON sens de la vie, même s'il est perçu comme étant LE sens de la vie. C'est donc à chacun de donner un sens à sa vie. Pour paraphraser la célèbre formule de Sartre, je dirais que l'existence précède le sens.
  C'est là tout le paradoxe du "sens de la vie". Il n'est rien de plus relatif, et pourtant il doit être pensé comme absolu. Il constitue ce que j'appellerais une "transcendance relative" (en reprenant un terme de Philippe Corcuff dans une sens qui n'est peut-être pas le sien à l'origine). Le transcendant, c'est ce qui nous dépasse, ce qui n'a pas de lien avec cette réalité. En ce sens le transcendant est absolu. Mais le fait est qu'ici, chacun se crée son propre absolu. Complète contradiction me direz-vous ? C'est bien la preuve qu'il n'y a pas de "raison au sein de la vie", et que tous ceux qui prétendent le contraire n'ont semble t-il rien compris (cf. le fanatisme religieux). A méditer donc.

 

Date de création : 18/06/2011 @ 14:20
Dernière modification : 25/01/2017 @ 15:23
Catégorie :
Page lue 15038 fois


Imprimer l'article Imprimer l'article

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^