"Voici bien l'un des caractères les plus surprenants de la vie mentale nous ne percevons que la minime partie des impressions dont nous assiège constamment toute notre périphérie sensorielle. Jamais leur somme ne pénètre intégralement dans notre expérience, j'entends dans notre expérience consciente, qui se creuse un lit à travers cette multitude comme ferait un petit ruisseau à travers une large prairie émaillée de fleurs. Cependant les impressions physiques qui ne comptent pas nous sont aussi présentes que celles qui comptent ; elles affectent nos sens avec une égale énergie. Pourquoi ne percent‑elles pas jusqu'à la conscience ? C'est là le mystère, que l'on nomme mais que l'on n'explique pas en invoquant l'« étroitesse de la conscience » (die Enge des Bewusstseins) comme son fondement".
William James, Précis de psychologie, Marcel Rivière, 1946. p. 281.
"Si les sens et la conscience avaient une portée illimitée, si, dans la double direction de la matière et de l'esprit, la faculté de percevoir était indéfinie, on n'aurait pas besoin de concevoir, non plus que de raisonner. Concevoir est un pis aller quand il n'est pas donné de percevoir, et le raisonnement est fait pour combler les vides de la perception ou pour en étendre la portée. Je ne nie pas l'utilité des idées abstraites et générales, – pas plus que je ne conteste la valeur des billets de banque. Mais de même que le billet n'est qu'une promesse d'or, ainsi une conception ne vaut que par les perceptions éventuelles qu'elle représente. Il ne s'agit pas seulement, bien entendu, de la perception d'une chose, ou d'une qualité, ou d'un état. On peut concevoir un ordre, une harmonie, et plus généralement une vérité, qui devient alors une réalité. Je dis qu'on est d'accord sur ce point. Tout le monde a pu constater, en effet, que les conceptions le plus ingénieusement assemblées et les raisonnements le plus savamment échafaudés s'écroulent comme des châteaux de cartes le jour où un fait – un seul fait réellement aperçu – vient heurter ces conceptions et ces raisonnements. Il n'y a d'ailleurs pas un métaphysicien, pas un théologien, qui ne soit prêt à affirmer qu'un être parfait est celui qui connaît toutes choses intuitivement, sans avoir à passer par le raisonnement, l'abstraction et la généralisation."
Bergson, "La perception du changement", 1911, in La Pensée et le Mouvant, P.U.F., 1998, p. 145-146.
Date de création : 02/11/2011 @ 13:37
Dernière modification : 30/06/2013 @ 14:20
Catégorie :
Page lue 5980 fois
|