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Texte à méditer :  Aucune philosophie n'a jamais pu mettre fin à la philosophie et pourtant c'est là le voeu secret de toute philosophie.   Georges Gusdorf
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La mise à l'épreuve des théories scientifiques
  "Quiconque regarde ces faits sans préjugé approuvera, je crois, la conclusion qu'une expérience sensible unique n'exclut jamais à strictement parler un énoncé portant sur un objet matériel, au sens où la négation de p exclut p. Cela signifie qu'aucun énoncé de sense-datum s ne peut jamais entrer en conflit logique aigu avec un énoncé portant sur un objet matériel p. Autrement dit, p.~s ne représente jamais une contradiction au sens où cela est le cas pour p.~p. À la lumière de cette remarque, il ne nous est plus possible d'adhérer à l'idée que p implique s. Comment faudrait-il alors que nous formulions la « méthode de vérification » – c'est-à-dire la connexion entre une proposition p et les énoncés s1, s2sn qui servent à l'établir ? Je propose de dire que les énoncés de données s1, s2sn soutiennent la proposition p ou la mettent en doute, qu'elles la renforcent ou l'affaiblissent, ce qui ne signifie pas qu'elles la prouvent ou l'infirment strictement.
  Il y a une analogie frappante avec cela dans la relation entre une loi de la nature L et certains énoncés d'observation s1, s2sn, analogie qui peut nous aider à clarifier la situation. On dit souvent que les énoncés d'observation découlent de la loi (celle-ci étant considérée comme une sorte de prémisse universelle). Puisque l'on peut dériver d'une loi un nombre illimité de conséquences, l'idéal de vérification complète est bien sûr inatteignable, alors qu'il semble au contraire qu'une seule contre-observation suffise à renverser la loi. Cela aurait pour conséquence que bien qu'une loi ne puisse pas être strictement vérifiée, elle pourrait être strictement réfutée, ou qu'elle ne puisse être décidée que dans un sens. Mais cela n'est pas réaliste. Quel astronome abandonnerait les lois de Kepler sur la force d'une seule observation ? En fait, si on décelait une anomalie dans le comportement d'une planète, on essaierait d'abord d'expliquer le phénomène par les moyens les plus variés (par exemple par la présence de masses pesantes inconnues, de frottements avec des gaz raréfiés, etc.). c'est seulement si l'édifice d'hypothèses ainsi érigé est trop peu étayé par l'expérience, s'il devient trop complexe et artificiel, s'il ne satisfait plus notre exigence de simplicité, ou si, à nouveau, une meilleure hypothèse se présente à nous, comme la théorie d'Einstein, que nous nous résoudrions à abandonner ces lois. Et même dans ce cas, la réfutation ne serait pas définitivement valide : il pourrait toujours s'avérer qu'une certaine circonstance ait échappé à notre attention, et qu'une fois prise en considération, elle jette une lumière différente sur l'ensemble. L'histoire des sciences présente effectivement des cas (Olaf Römer, Le Verrier) où l'échec apparent d'une théorie s'est transformé par la suite en victoire totale. Qui peut dire qu'une telle situation ne se reproduira pas ?"

 

Friedrich Waismann, "La vérifiabilité", 1930, Delphine Chapuis-Schmitz et Sandra Laugier, in S. Laugier et P. Wagner (dir.), Philosophie des sciences. Théories expériences et méthodes, Vrin, 2004, p. 336-337.



   "Nous pouvons si nous le voulons distinguer quatre étapes différentes au cours desquelles pourrait être réalisée la mise à l'épreuve d'une théorie. Il y a, tout d'abord, la comparaison logique des conclusions entre elles par laquelle on éprouve la cohérence interne du système. En deuxième lieu s'effectue la recherche de la forme logique de la théorie, qui a pour objet de déterminer si elle constituerait un progrès scientifique au cas où elle survivrait à nos divers tests. Enfin, la théorie est mise à l'épreuve en procédant à des applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées. Le but de cette dernière espèce de test est de découvrir jusqu'à quel point les conséquences nouvelles de la théorie – quelle que puisse être la nouveauté de ses assertions – font face aux exigences de la pratique, surgies d'expérimentations purement scientifiques ou d'applications techniques concrètes. Ici, encore, la procédure consistant à mettre à l'épreuve est déductive. A l'aide d'autres énoncés préalablement acceptés, l'on déduit de la théorie certains énoncés singuliers que nous pouvons appeler « prédictions » et en particulier des prévisions que nous pouvons facilement contrôler ou réaliser. Parmi ces énoncés l'on choisit ceux qui sont en contradiction avec elle. Nous essayons ensuite de prendre une décision en faveur (ou à l'encontre) de ces énoncés déduits en les comparant aux résultats des applications pratiques et des expérimentations. Si cette décision est positive, c'est-à-dire si les conclusions singulières se révèlent acceptables, ou vérifiées, la théorie a provisoirement réussi son test : nous n'avons pas trouvé de raisons de l'écarter. Mais si la décision est négative ou, en d'autres termes, si, les conclusions ont été falsifiées, cette falsification falsifie également la théorie dont elle était logiquement déduite. Il faudrait noter ici qu'une décision ne peut soutenir la théorie que pour un temps car des décisions négatives peuvent toujours l'éliminer ultérieurement. Tant qu'une théorie résiste à des tests systématiques et rigoureux et qu'une autre ne la remplace pas avantageusement dans le cours de la progression scientifique, nous pouvons dire que cette théorie a « fait ses preuves » ou qu'elle est « corroborée »."
 
Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique, 1934, tr. fr. Nicole Thyseen-Rutten et Philippe Devaux, Paris, Ed. Payot, 1973, p. 29-30.

  
 "Nous pouvons distinguer trois exigences auxquelles devra satisfaire théoriquement notre système empirique. Il devra, tout d'abord, être synthétique, de manière à pouvoir représenter un monde possible, non contradictoire. En deuxième lieu, il devra satisfaire au critère de démarcation, c'est-à-dire qu'il ne devra pas être métaphysique mais devra représenter un monde de l'expérience possible. En troisième lieu, il devra constituer un système qui se distingue de quelque manière des autres systèmes du même type dans la mesure où il est le seul à représenter notre monde de l'expérience. Mais comment distinguer le système qui représente notre monde de l'expérience ? La réponse est la suivante : par le fait qu'il a été soumis à des tests et qu'il a résisté à des tests. Ceci signifie qu'il faut le distinguer en lui appliquant cette méthode déductive dont l'analyse et la description constituent mon propos. Selon cette conception, « l'expérience » apparaît comme une méthode caractéristique qui permet de distinguer un système théorique d'autres systèmes théoriques. De sorte que la science empirique semble se caractériser non seulement par sa forme logique mais aussi par la spécificité de sa méthode. [...]
 Le critère de démarcation inhérent à la logique inductive revient à la condition suivante : l'on doit pouvoir décider de manière définitive de la vérité et de la fausseté de tous les énoncés de la science empirique (ou encore tous les énoncés « pourvus de sens ») ; nous dirons qu'il doit être « possible de décider de leur vérité ou de leur fausseté de manière concluante ». Ceci signifie que leur forme doit être telle qu'il soit logiquement possible tant de les vérifier que de les falsifier. Or dans ma conception, il n'y a rien qui ressemble à de l'induction. Aussi, pour nous, est-il logiquement inadmissible d'inférer des théories à partir d'énoncés singuliers « vérifiés par l'expérience » (quoi que cela puisse vouloir dire). Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement. Si nous désirons éviter l'erreur positiviste qui consiste à exclure, en vertu de notre critère de démarcation, les systèmes théoriques de la science naturelle nous devons choisir un critère qui nous permette d'admettre également dans le domaine de la science empirique des énoncés qui ne peuvent pas être vérifiés. Toutefois, j'admettrai certainement qu'un système n'est empirique ou scientifique que s'il est susceptible d'être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c'est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d'un système, qu'il faut prendre comme critère de démarcation. En d'autres termes, je n'exigerai pas d'un système scientifique qu'il puisse être choisi, une fois pour toutes, dans une acception positive mais j'exigerai que sa forme logique soit telle qu'il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acceptation négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l'expérience. (Ainsi l'énoncé « il pleuvra ou il ne pleuvra pas ici demain » ne sera-t-il pas considéré comme empirique pour la simple raison qu'il ne peut être réfuté, alors que l'énoncé « il pleuvra ici demain » sera considéré comme empirique.)"
 
Karl Popper, La Logique de la découverte scientifique, trad. Nicole Thyssen-Rutten et Philippe Devaux, éd. Payot, 1978, p. 36-38.

 
 "1) Si ce sont des affirmations que l'on recherche, il n'est pas difficile de trouver, pour la grande majorité des théories, des confirmations ou des vérifications. 2) Il convient de ne tenir réellement compte de ces confirmations que si elles sont le résultat de prédictions qui assument un certain risque ; autrement dit, si, en l'absence de la théorie en question, nous n'avions dû escompter un événement qui n'aurait pas été compatible avec celle-ci - un événement qui l'eût réfutée. 3) Toute « bonne » théorie scientifique consiste à proscrire : à interdire à certains faits de se produire. Sa valeur est proportionnelle à l'envergure de l'interdiction. 4) Une théorie qui n'est réfutable par aucun événement qui se puisse concevoir est dépourvue de caractère scientifique. Pour les théories, l'irréfutable n'est pas (comme on l'imagine souvent) vertu mais défaut. 5) Toute mise à l'épreuve véritable d'une théorie par des tests constitue une tentative pour en démontrer la fausseté (to falsify) ou pour la réfuter. Pouvoir être testée c'est pouvoir être réfutée ; mais cette propriété comporte des degrés : certaines théories se prêtent plus aux tests, s'exposent davantage à la réfutation que les autres, elles prennent, en quelque sorte, de plus grands risques. 6) On ne devrait prendre en considération les preuves qui apportent confirmation que dans les cas où elles procèdent de tests authentiques subis par la théorie en question ; on peut donc définir celles-ci comme des tentatives sérieuses, quoique infructueuses, pour invalider telle théorie [...]. 7) Certaines théories, qui se prêtent véritablement à être testées, continuent, après qu'elles se sont révélées fausses, d'être soutenues par leurs partisans – ceux-ci leur adjoignent une quelconque hypothèse auxiliaire, à caractère ad hoc, ou bien en donnent une nouvelle interprétation ad hoc permettant de soustraire la théorie à la réfutation. Une telle démarche demeure toujours possible, mais cette opération de sauvetage a pour contrepartie de ruiner ou, dans le meilleur des cas, d'oblitérer partiellement la scientificité de la théorie [...]. On pourrait considérer ces considérations ainsi : le critère de la scientificité d'une théorie réside dans la possibilité de l'invalider, de la réfuter ou encore de la tester."
 
Karl Popper, Conjectures et réfutations, 1953, tr. fr. Michelle-Irène et Marc B. de Launay, Payot, 1994, p. 64-65.
 

Date de création : 22/04/2012 @ 17:10
Dernière modification : 15/02/2015 @ 18:16
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