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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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La nature de l'art

    "On distinguera l'art de la nature, comme le faire (facere) est distingué de l'agir ou de l'effectuer en général (agere), et les productions ou les résultats de l'art, considérés en tant qu'œuvres (opus), seront distincts des produits de la nature, considérés en tant qu'effets (effectus). En toute rectitude, on ne devrait appeler art que la production qui fait intervenir la liberté, i.e., un libre arbitre dont les actions ont pour principe la raison. Car, bien qu'on se plaise à qualifier d'œuvre d'art le produit des abeilles (les gâteaux de cire construits avec régularité), ce n'est que par analogie avec l'art ; dès qu'on a compris en effet que le travail des abeilles n'est fondé sur aucune réflexion rationnelle qui leur serait propre, on accorde aussitôt qu'il s'agit d'un produit de leur nature (de l'instinct), et c'est seulement à leur créateur qu'on l'attribue en tant qu'art. Lorsqu'en faisant des fouilles dans un marécage, comme c'est arrivé parfois, on trouve un morceau de bois taillé, on dira qu'il s'agit, non d'un produit de la nature, mais de l'art ; sa cause efficiente s'est accompagnée de la pensée d'un but auquel l'objet doit sa forme. D'autre part, on verra aussi de l'art dans tout ce qui est constitué de telle manière qu'une représentation a dû dans sa cause en précéder la réalité (même chez les abeilles), sans pour autant que la cause ait pu penser l'effet ; mais, lorsqu'on qualifie quelque chose d'œuvre d'art absolument parlant pour la distinguer d'un effet produit par la nature, on entend toujours par là une œuvre humaine".


Kant, Critique de la faculté de juger, 1790, §43 , "De l'art en général".


 


  "L'artiste crée la beauté.
  L'art a pour but de révéler l'art. Il laisse l'artiste dans l'ombre.
  Le critique doit être capable de traduire son sens de la beauté d'une manière différente ou en éléments nouveaux.
  La forme de la critique la plus haute, comme la plus basse, est une sorte d'autobiographie.
  Trouver une signification vile à la beauté est une espèce de corruption dénuée de charme, une faute.
  Trouver une signification qui soit belle à la beauté est le propre des esprits nobles et il n'y a d'espoir que pour eux.
Ils sont les élus pour qui la beauté n'a d'autre sens que la beauté même.
Il n'y a pas de livres moraux ou immoraux. Un livre est bien ou mal écrit. C'est tout.
  L'aversion du dix-neuvième siècle pour le romantisme, c'est la fureur de Caliban privé de cette image.
  La vie morale de l'homme est un des thèmes de l'artiste, mais la moralité de l'art consiste à utiliser de façon parfaite un moyen imparfait. Aucun artiste ne désire prouver quoi que ce soit. On peut même prouver ce qui est vrai.
  L'artiste n'a pas de préférences morales. Une préférence morale serait chez lui un impardonnable maniérisme de style.
  L'artiste n'est jamais morbide. Il peut tout exprimer. La pensée et le langage sont pour lui les instruments de l'art. Le vice et la vertu en sont la matière.
  Au point de vue de la forme, la musique est le modèle de tous les arts. Au point de vue du sentiment, c'est le talent de l'acteur.
  Tout art est à la fois surface et symbole.
  Il est dangereux d'approfondir. Il est dangereux de tenter de déchiffrer le symbole.
  L'art reflète l'image du spectateur, et non pas celle de la vie. Les divergences d'opinion sur une 
œuvre d'art sont la preuve de sa nouveauté, de sa richesse, de sa vie.
  Tandis que les critiques s'opposent, l'artiste est en accord parfait avec lui-même.
  On peut pardonner à un homme l'utilité de son 
œuvre tant qu'il ne l'admire pas.
  La seule excuse d'une 
œuvre utile est l'admiration infinie qu'on lui porte.
Tout art est parfaitement inutile."

 

Oscar Wilde, Préface au Portait de Dorian Gray, 1891.


    "Descartes ne voulait pas qu'on supposât de l'esprit aux bêtes. Cette même vue éclaire l'homme aussi. Ce n'est pas que la forme humaine, le geste, le regard, la couleur du sang ne puissent exprimer beaucoup. Je regrette de n'avoir pas vu Descartes parlant ; mais est-ce vrai que je le regrette ? Et, si je le regrette, est-ce raisonnable ? Dans le fait l'humanité vit de discours sans gestes, de discours sans yeux. Homère ne manque pas à ses poèmes, ni Descartes à ses œuvres. Il n'est pas sûr que Shakespeare et Molière aient mieux joué dans leurs propres œuvres que n'importe quel acteur de bonne mine et parlant clair. Les Grecs couvraient d'un masque le visage de l'acteur ; et les grands acteurs, à ce que je crois, ont plus d'une manière de rabattre les signes de nature. Même dans la voix, le tragédien garde quelque chose d'impassible ; et c'est à quoi la poésie l'invite. L'acteur comique aussi cherche le style en ses mouvements, en ses gestes, en son débit. On remarque la même simplification dans l'orateur véritable. Mais il est vrai aussi que les ressources de ces arts, et de tous les arts, sont bien cachées. Peu savent que l'expression obscurcit le discours. Au reste la politesse exige toujours une grande économie des signes, d'après une longue expérience des méprises qui sont l'effet ordinaire de l'expression naturelle. Peut-être n'y a-t-il rien de plus à comprendre dans les yeux d'un homme que dans ceux d'un chat. Nous savons très bien revenir des œuvres de Beethoven au regard que jette le portrait de Beethoven ; mais le portrait est déjà composé ; si Beethoven vivait, il ferait sans doute énigme. Toujours est-il que la démarche inverse, qui irait de la forme d'un homme aux pensées qu'il n'a pas encore dites et aux œuvres qu'il n'a pas encore faites, est tout à fait aventureuse. Au vrai ce n'est point le discours ou l'œuvre qui est éclairé par le visage, mais au contraire c'est le visage qui prend un sens par le discours et l'œuvre. Et cette formule même explique assez bien comment l'homme, en chacun, civilise l'animal. Car l'homme commence par signifier tout ensemble, et ces arabesques de signes, de même que ce ramage de nature, ne sont pas plus lisibles que le balancement des arbres ou le bruit du vent."

 

Alain, Les Idées et les âges, 1927, Livre IX, chapitre I, nrf, p. 382.

 

  "Claude LÉVI-STRAUSS. - L'idée que l'art soit un langage peut exister de façon tout à fait littérale. Il n'y a qu'à penser à ces écritures pictographiques [1], d'abord [...] qui sont à mi-chemin entre l'écriture, c'est-à-dire le langage, et l'œuvre d'art ; et surtout, à cette richesse symbolique que nous discernons dans les œuvres, je ne dirai pas de toutes les populations qu'on appelle primitives, mais au moins d'un bon nombre d'entre elles.

  Pour me limiter à un exemple choisi parmi les plus simples, chez certaines populations africaines, il n'est pas d'usage que la femme et le mari prennent leurs repas ensemble et, moins encore, qu'ils conversent à cette occasion [...] lorsque la femme veut adresser des remontrances à son mari, elle commande à un sculpteur sur bois ce que nous pouvons appeler, pour abréger, un couvercle de soupière, orné de motifs symboliques qui, en général, se rapportent aux proverbes courant [...]. Et c'est, par conséquent, le plat même qui constitue en même temps un message, déchiffré par le destinataire seul, ou aidé par un spécialiste appelé en consultation.

  Georges CHARBONNIER. - Direz-vous que l'art est toujours un langage? qu'il constitue un langage?

  Claude LÉVI-STRAUSS. - Certainement. Mais pas n'importe quel langage. Nous avons déjà parlé de ce caractère artisanal qui est peut-être le commun dénominateur de toutes les manifestations esthétiques ; le fait est que, dans l'art, l'artiste ne soit jamais intégralement capable de dominer les matériaux et les procédés techniques qu'il emploie [...].

  [...] S'il en était capable, il arriverait à une imitation absolue de la nature. Il y aurait identité entre le modèle et l'œuvre d'art et, par conséquent, il y aurait reproduction de la nature et non plus création d'une œuvre proprement culturelle ; mais d'autre part, [...] s'il ne devait y avoir aucune relation entre l'œuvre et l'objet qui l'a inspirée, nous nous trouverions en face non plus d'une œuvre d'art, mais d'un objet d'ordre linguistique. Le propre du langage est d'être un système de signes sans rapports matériels avec ce qu'ils ont pour mission de signifier. Si l'art était une imitation complète de l'objet, il n'aurait plus ce caractère de signe. Si bien que nous pouvons concevoir l'art comme un système significatif, mais qui reste toujours à mi-chemin entre le langage et l'objet [...].

[...] Mais l'utilisation du terme « langage » me paraît non pas dangereuse puisque nous venons de dire que tout art est langage, mais souvent faite à contresens, et pour découvrir un langage ou un message là, où, en réalité, il n'y en a pas. Si tout art est langage, ce n'est certainement pas sur le plan de la pensée consciente. [...].

Dans le cas de la poésie, il faut modifier, sinon le fond de la définition que je proposais il y a un instant, mais au moins son expression ; je disais que l'art est à mi-chemin entre l'objet et le langage ; je dirai maintenant que la poésie est à mi-chemin entre le langage, et l'art pris dans son acception la plus générale. Le poète est en face du langage comme le peintre est en face de l'objet. Le langage devient sa matière première, et c'est cette matière première qu'il se propose de signifier - non pas exactement les idées ou les concepts que nous pouvons essayer de transmettre par le discours, mais ces gros objets linguistiques que constituent des ensembles ou des morceaux du discours."

 

Georges Charbonnier, Entretiens avec Claude Lévi-Strauss, 1969, Librairie Plon, Paris, p. 113 à 117.



[1] Écriture qui suggère l'idée par un dessin (un dessin pour une phrase ou un dessein pour chaque mot).

 

 

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Date de création : 06/12/2005 @ 13:15
Dernière modification : 15/02/2024 @ 19:21
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