"Les tailles et les aides, dans lesquelles je comprends les douanes provinciales, étant ainsi converties en dîme du vingtième des fruits de la terre à percevoir en espèce, il se trouvera encore plus de la moitié du revenu des habitants du royaume qui n'aura rien payé, ce qui serait faire une injustice manifeste aux autres : parce qu'étant tous également sujets, et sous la protection du roi et de l'État, chacun d'eux a une obligation spéciale de contribuer à ses besoins à proportion de son revenu, ce qui est le fondement de ce système. Car d'autant plus qu'une personne est élevée au-dessus des autres par sa naissance ou par sa dignité, et qu'elle possède de plus grands biens, d'autant plus a-t-elle besoin de la protection de l'État, et a-t-elle intérêt qu'il subsiste en honneur et en autorité ; ce qui ne se peut faire sans de grandes dépenses.
Il n'y a donc qu'à débrouiller le revenu de chacun, et le mettre en évidence, afin de voir comment il doit être taxé."
Sébastien Le Prestre de Vauban, Projet d'une dîme royale, 1707, p. 54-55.
"Les revenus de l'État sont une portion que chaque citoyen donne de son bien, pour avoir la sûreté de l'autre, ou pour en jouir agréablement.
Pour bien fixer ces revenus, il faut avoir égard et aux nécessités de l'État, et aux nécessités des citoyens. Il ne faut point prendre au peuple sur ses besoins réels, pour des besoins de l'État imaginaires.
Les besoins imaginaires sont ce que demandent les passions et les faiblesses de ceux qui gouvernent, le charme d'un projet extraordinaire, l'envie malade d'une vaine gloire, et une certaine impuissance d'esprit contre les fantaisies. Souvent ceux qui avec un esprit inquiet étaient sous le prince à la tête des affaires, ont pensé que les besoins de l'état étaient les besoins de leurs petites âmes.
Il n'y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler, que cette portion qu'on ôte, et cette portion qu'on laisse aux sujets.
Ce n'est point à ce que le peuple peut donner, qu'il faut mesurer les revenus publics, mais à ce qu'il doit donner ; et si on les mesure à ce qu'il peut donner, il faut que ce soit du moins à ce qu'il peut toujours donner."
Montesquieu, De l'esprit des lois, 1748, Livre XIII, chapitre I, Garnier, 1973, p. 229.
"Il faut se ressouvenir ici que le fondement du pacte social est la propriété, et sa première condition, que chacun soit maintenu dans la paisible jouissance de ce qui lui appartient. Il est vrai que par le même traité chacun s'oblige, au moins tacitement, à se cotiser dans les besoins publics ; mais cet engagement ne pouvant nuire à la loi fondamentale, et supposant l'évidence du besoin reconnue par les contribuables, on voit que pour être légitime, cette cotisation doit être volontaire, non d'une volonté particulière, comme s'il était nécessaire d'avoir le consentement de chaque citoyen, et qu'il ne dût fournir que ce qu'il lui plaît, ce qui serait directement contre l'esprit de la confédération, mais d'une volonté générale, à la pluralité des voix, et sur un tarif proportionnel qui ne laisse rien d'arbitraire à l'imposition.
Cette vérité, que les impôts ne peuvent être établis légitimement que du consentement du peuple ou de ses représentants, a été reconnue généralement de tous les philosophes et jurisconsultes qui se sont acquis quelque réputation dans les matières de droit politique, sans excepter Bodin même. Si quelques-uns ont établi des maximes contraires en apparence, outre qu'il est aisé de voir les motifs particuliers qui les y ont portés, ils y mettent tant de conditions et de restrictions, qu'au fond la chose revient exactement au même : car que le peuple puisse refuser, ou que le souverain ne doive pas exiger, cela est indifférent quant au droit; et s'il n'est question que de la force, c'est la chose la plus inutile que d'examiner ce qui est légitime ou non.
Les contributions qui se lèvent sur le peuple sont de deux sortes : les unes réelles, qui se perçoivent sur les choses ; les autres personnelles, qui se payent par tête. On donne aux unes et aux autres les noms d'impôts ou de subsides : quand le peuple fixe la somme qu'il accorde, elle s'appelle subside ; quand il accorde tout le produit d'une taxe, alors c'est un impôt. On trouve dans le livre de L'Esprit des lois, que l'imposition par tête est plus propre à la servitude, et la taxe réelle plus convenable à la liberté. Cela serait incontestable si les contingents par tête étaient égaux; car il n'y aurait rien de plus disproportionné qu'une pareille taxe, et c'est surtout dans les proportions exactement observées que consiste l'esprit de la liberté. Mais si la taxe par tête est exactement proportionnée aux moyens des particuliers, comme pourrait être celle qui porte en France le nom de capitation, et qui de cette manière est à la fois réelle et personnelle, elle est la plus équitable, et par conséquent la plus convenable à des hommes libres. Ces proportions paraissent d'abord très faciles à observer, parce qu'étant relatives à l'état que chacun tient dans le monde, les indications sont toujours publiques; mais outre que l'avarice, le crédit et la fraude savent éluder jusqu'à l'évidence, il est rare qu'on tienne compte dans ces calculs de tous les éléments qui doivent y entrer. Premièrement on doit considérer le rapport des quantités, selon lequel, toutes choses égales, celui qui a dix fois plus de bien qu'un autre doit payer dix fois plus que lui. Secondement, le rapport des usages, c'est-à-dire la distinction du nécessaire et du superflu. Celui qui n'a que le simple nécessaire, ne doit rien payer du tout; la taxe de celui qui a du superflu, peut aller au besoin jusqu'à la concurrence de tout ce qui excède son nécessaire. À cela il dira qu'eu égard à son rang, ce qui serait superflu pour un homme inférieur est nécessaire pour lui ; mais c'est un mensonge : car un Grand a deux jambes, ainsi qu'un bouvier, et n'a qu'un ventre non plus que lui. De plus, ce prétendu nécessaire est si peu nécessaire à son rang, que s'il savait y renoncer pour un sujet louable, il n'en serait que plus respecté. Le peuple se prosternerait devant un ministre qui irait au conseil à pied, pour avoir vendu ses carrosses dans un pressant besoin de l'État. Enfin la loi ne prescrit la magnificence à personne, et la bienséance n'est jamais une raison contre le droit.
Un troisième rapport qu'on ne compte jamais, et qu'on devrait toujours compter le premier, est celui des utilités que chacun retire de la confédération sociale, qui protège fortement les immenses possessions du riche, et laisse à peine un misérable jouir de la chaumière qu'il a construite de ses mains. Tous les avantages de la société ne sont-ils pas pour les puissants et les riches ? tous les emplois lucratifs ne sont-ils pas remplis par eux seuls ? toutes les grâces, toutes les exemptions ne leur sont-elles pas réservées ? et l'autorité publique n'est-elle pas en leur faveur ? Qu'un homme de considération vole ses créanciers ou fasse d'autres friponneries, n'est-il pas toujours sûr de l'impunité ? Les coups de bâton qu'il distribue, les violences qu'il commet, les meurtres mêmes et les assassinats dont il se rend coupable, ne sont-ce pas des affaires qu'on assoupit, et dont au bout de six mois il n'est plus question ? Que ce même homme soit volé, toute la police est aussitôt en mouvement, et malheur aux innocents qu'il soupçonne. Passe-t-il dans un lieu dangereux ? voilà les escortes en campagne : l'essieu de sa chaise vient-il à rompre ? tout vole à son secours : fait-on du bruit à sa porte ? il dit un mot, et tout se tait : la foule l'incommode-t-elle ? il fait un signe, et tout se range : un charretier se trouve-t-il sur son passage ? ses gens sont prêts à l'assommer; et cinquante honnêtes piétons allant à leurs affaires seraient plutôt écrasés, qu'un faquin oisif retardé dans son équipage. Tous ces égards ne lui coûtent pas un sou; ils sont le droit de l'homme riche, et non le prix de la richesse. Que le tableau du pauvre est différent! plus l'humanité lui doit, plus la société lui refuse : toutes les portes lui sont fermées, même quand il a le droit de les faire ouvrir; et si quelquefois il obtient justice, c'est avec plus de peine qu'un autre n'obtiendrait grâce : s'il y a des corvées à faire, une milice à tirer, c'est à lui qu'on donne la préférence; il porte toujours, outre sa charge, celle dont son voisin plus riche a le crédit de se faire exempter : au moindre accident qui lui arrive, chacun s'éloigne de lui : si sa pauvre charrette renverse, loin d'être aidé par personne, je le tiens heureux s'il évite en passant les avanies des gens lestes d'un jeune duc : en un mot, toute assistance gratuite le fuit au besoin, précisément parce qu'il n'a pas de quoi la payer; mais je le tiens pour un homme perdu s'il a le malheur d'avoir l'âme honnête, une fille aimable, et un puissant voisin.
Une autre attention non moins importante à faire, c'est que les pertes des pauvres sont beaucoup moins réparables que celles du riche, et que la difficulté d'acquérir croît toujours en raison du besoin. On ne fait rien avec rien ; cela est vrai dans les affaires comme en Physique : l'argent est la semence de l'argent, et la première pistole est quelquefois plus difficile à gagner que le second million. Il y a plus encore : c'est que tout ce que le pauvre paye, est à jamais perdu pour lui, et reste ou revient dans les mains du riche; et comme c'est aux seuls hommes qui ont part au gouvernement, ou à ceux qui en approchent, que passe tôt ou tard le produit des impôts, ils ont, même en payant leur contingent, un intérêt sensible à les augmenter.
Résumons en quatre mots le pacte social des deux états. Vous avez besoin de moi, car je suis riche et vous êtes pauvre ; faisons donc un accord entre nous : je permettrai que vous ayez l'honneur de me servir, a condition que vous me donnerez le peu qui vous reste pour la peine que Je prendrai de vous commander.
Si l'on combine avec soin toutes ces choses, on trouvera que, pour répartir les taxes d'une manière équitable et vraiment proportionnelle, l'imposition n'en doit pas être faite seulement en raison des biens des contribuables, mais en raison composée de la différence de leurs conditions et du superflu de leurs biens."
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'économie politique, 1755, in Du Contrat social, Folio essais, 2007, p. 91-95.
"Dans des degrés différents de fortune, la proportion entre la dépense qu'un particulier affecte à son loyer et sa dépense totale, n'est pas la même ; elle est probablement la plus forte possible dans le plus haut degré de fortune, elle va en diminuant successivement dans les degrés inférieurs, de manière qu'en général, dans le degré le plus bas de fortune, elle est la plus faible possible. Les premiers besoins de la vie font la grande dépense du pauvre. Il a de la difficulté à se procurer de la nourriture, et c'est à en avoir qu'il dépense la plus grande partie de son petit revenu. Le luxe et la vanité forment la principale dépense du riche, et un logement vaste et magnifique embellit et étale, de la manière la plus avantageuse, toutes les autres choses du luxe et de vanité qu'il possède. Aussi un impôt sur les loyers tomberait, en général, avec plus de poids sur les riches, et il n'y aurait peut-être rien de déraisonnable dans cette sorte d'inégalité. Il n'est pas très déraisonnable que les riches contribuent aux dépenses de l'État, non seulement à proportion de leur revenu, mais encore de quelque chose au-delà de cette proportion."
Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Livre V, Chapitre II, partie 2, article 2, tr. fr. Germain Garnier, 1881.
"The proportion of the expence of house-rent to the whole expence of living, is different in the different degrees of fortune. It is perhaps highest in the highest degree, and it diminishes gradually through the inferior degrees, so as in general to be lowest in the lowest degree. The necessaries of life occasion the great expence of the poor. They find it difficult to get food, and the greater part of their little revenue is spent in getting it. The luxuries and vanities of life occasion the principal expence of the rich; and a magnificent house embellishes and sets off to the best advantage all the other luxuries and vanities which they possess. A tax upon house-rents, therefore, would in general fall heaviest upon the rich; and in this sort of inequality there would not, perhaps, be any thing very unreasonable. It is not very unreasonable that the rich should contribute to the public expence, not only in proportion to their revenue, but something more than in that proportion."
Adam Smith, The Wealth of Nations, 1776, Book V, chapter II, part 2, article 2d, Bantam Classic, 2003, p.1065.
"L'impôt est cette portion des produits d'une nation, qui passe des mains des particuliers aux mains du gouvernement pour subvenir aux consommations publiques.
Quel que soit le nom qu'on lui donne, qu'on l'appelle contribution, taxe, droit, subside, ou bien don gratuit, c'est une charge imposée aux particuliers, ou à des réunions de particuliers, par le souverain, peuple ou prince, pour fournir aux consommations qu'il juge à propos de faire à leurs dépens : c'est donc un impôt.
[...]
L'impôt ne consiste pas dans la substance matérielle fournie par le contribuable et reçue par le collecteur, mais dans la valeur de cette substance. Qu'on le lève en argent, en denrées, ou en services personnels, ce sont là des circonstances accidentelles et d'un intérêt secondaire ; car on peut changer, par des achats et par des ventes, des denrées en argent ou de l'argent en denrées ; l'essentiel est la somme de richesses que l'impôt ravit au contribuable, où, si l'on veut, la valeur de ce qu'on lui demande. Telle est la mesure du sacrifice qu'on exige de lui. Du moment que cette valeur est payée par le contribuable, elle est perdue pour lui ; du moment qu'elle est consommée par le gouvernement ou par ses agents, elle est perdue pour tout le monde, et ne se reverse point dans la société. C'est ce qui a été prouvé, je pense, lorsqu'il a été question des effets généraux des consommations publiques. C'est là qu'on a vu que l'argent des contributions a beau être reversé dans la société, la valeur de ces contributions n'y est pas reversée, parce qu'elle n'est pas rendue gratuitement à la société, et que les agents du gouvernement ne lui restituent pas l'argent des contributions sans recevoir d'elle une valeur égale en échange.
Par les mêmes raisons qui nous ont démontré que la consommation improductive n'est en rien favorable à la reproduction, la levée des impositions ne saurait lui être favorable. Elle ravit au producteur un produit dont il aurait retiré une jouissance, s'il l'eût consommé improductivement ; ou un profit, s'il l'eût consacré à un emploi utile. Dans les deux cas, lever un impôt, c'est faire un tort à la société, tort qui n'est balancé par aucun avantage toutes les fois qu'on ne lui rend aucun service en échange.
Il est très vrai que la jouissance ravie au contribuable, est remplacée par celle des familles qui font leur profit de l'impôt ; mais, outre que c'est une injustice que de ravir au producteur le fruit de sa production, lorsqu'on ne lui donne rien en retour, c'est une distribution de la richesse produite beaucoup moins favorable à sa multiplication, que lorsque le producteur lui-même peut l'appliquer à ses propres consommations. On est plus excité à développer ses forces et ses moyens lorsqu'on doit en recueillir le fruit, que lorsqu'on travaille pour autrui."
Jean-Baptiste Say, Traité d'économie politique, 1803, Livre III, Chapitre IX.
"Est-il équitable que l'impôt soit levé sur cette portion des revenus que l'on consacre aux superfluités plutôt que sur celle qu'on emploie à l'achat des choses nécessaires ? On ne peut, ce me semble, hésiter sur la réponse. L'impôt est un sacrifice que l'on fait à la société, à l'ordre public ; l'ordre public ne peut exiger le sacrifice des familles. Or, c'est les sacrifier que de leur ôter le nécessaire. Qui osera soutenir qu'un père doit retrancher un morceau de pain, un vêtement chaud à ses enfants, pour fournir son contingent au faste d'une cour, ou bien au luxe des monuments publics ? De quel avantage serait pour lui l'état social, s'il lui ravissait un bien qui est le sien, qui est indispensable à son existence, pour lui offrir en échange sa part d'une satisfaction incertaine, éloignée, qu'il repousserait dès lors avec horreur ?
Mais chaque fois qu'on veut marquer la limite qui sépare le nécessaire du superflu, on est embarrassé ; les idées qu'ils réveillent ne sont point absolues : elles sont relatives aux temps, aux lieux, à l'âge, à l'état des personnes, et si l'on voulait n'asseoir l'impôt que sur le superflu, on ne viendrait pas à bout de déterminer le point où il devrait s'arrêter pour ne pas prendre sur le nécessaire. Tout ce qu'on sait, c'est que les revenus d'un homme ou d'une famille peuvent être modiques au point de ne pas suffire à leur existence, et que depuis ce point jusqu'à celui où ils peuvent satisfaire à toutes les sensualités de la vie, à toutes les jouissances du luxe et de la vanité, il y a dans les revenus une progression imperceptible, et telle qu'à chaque degré, une famille peut se procurer une satisfaction toujours un peu moins nécessaire, jusqu'aux plus futiles qu'on puisse imaginer ; tellement que si l'on voulait asseoir l'impôt de chaque famille, de manière qu'il fût d'autant plus léger qu'il portât sur un revenu plus nécessaire, il faudrait qu'il diminuât, non pas simplement proportionnellement, mais progressivement.
En effet, et en supposant l'impôt purement proportionnel au revenu, d'un dixième par exemple, il enlèverait à une famille qui possède trois cent mille francs de revenu, 30 000 francs. Cette famille en conserverait 270 000 à dépenser par an, et l'on peut croire qu'avec un pareil revenu, non seulement elle ne manquerait de rien, mais qu'elle se conserverait encore beaucoup de ces jouissances qui ne sont pas indispensables pour le bonheur ; tandis qu'une famille qui ne posséderait qu'un revenu de 300 francs, et à qui l'impôt n'en laisserait que 270, ne conserverait pas, dans nos mœurs, et au cours actuel des choses, ce qui est rigoureusement nécessaire pour exister. On voit donc qu'un impôt qui serait simplement proportionnel, serait loin cependant d'être équitable ; et c'est probablement ce qui a fait dire à Smith : « Il n'est point déraisonnable que le riche contribue aux dépenses publiques, non seulement à proportion de son revenu, mais pour quelque chose de plus [1]. »
J'irai plus loin, et je ne craindrai pas de prononcer que l'impôt progressif est le seul équitable."
Jean-Baptiste Say, Traité d'économie politique, 1803, Livre III, Chapitre IX.
[1] Richesse des nations, livre V, chap. 2. On dit à cet égard que l'impôt progressif a le fâcheux effet d'établir une prime de découragement sur les efforts et les épargnes qui favorisent la multiplication des capitaux. Mais qui ne voit que l'impôt, quel qu'il soit, ne prend jamais qu'une part, et ordinairement une part très modérée de l'accroissement qu'un particulier donne à sa fortune, et qu'il reste à chacun, pour produire, une prime d'encouragement supérieure à la prime de découragement ? Celui qui augmente son revenu de mille francs, et qui paie en conséquence 200 francs d'augmentation dans ses contributions, multiplie néanmoins ses jouissances bien plus encore que ses sacrifices.
"Pour quel motif l'égalité doit-elle être la règle en matière d'impôt ? Parce qu'elle doit être la règle sur tontes les matières de gouvernement. Comme un gouvernement ne doit faire aucune distinction de personnes et de classes, et qu'il doit reconnaître à tous un droit égal à ses services, les sacrifices qu'il leur demande doivent peser à peu près du même poids sur tous les citoyens, et il faut remarquer que c'est ainsi qu'il peut leur demander le moins de sacrifices ou somme. Si quelqu'un ne supporte pas sa part du fardeau commun, il y a quelqu'un qui supporte plus que sa part, et, toutes choses égales d'ailleurs, le dégrèvement de l'un n'est pas égal à la surcharge qui pèse sur l'autre Donc, lorsque l'on dit en politique égalité en matière d'impôt, cela signifie égalité de sacrifice : cela veut dire que la part dans laquelle chacun contribue aux dépenses du gouvernement doit être réglée de façon à ce que personne ne souffre, plus qu'un autre, de l'obligation de contribuer à ces dépenses. Cet idéal, comme tous les autres, ne peut être réalisé complètement ; mais ce qu'il faut chercher avant dans toute discussion pratique, c'est en quoi consiste la perfection.
[…]
Avant de quitter ce sujet de l'égalité en matière d'impôt, je dois remarquer qu'il y a des cas dans lesquels on peut s'en écarter sans s'éloigner de cette égale justice sur laquelle est fondé ce principe. Supposez qu'il existe une espèce de revenu qui tende constamment à augmenter, sans effort ni sacrifice de la part de ceux qui en sont propriétaires ; que ces propriétaires composent dans la société une classe que le cours naturel des choses enrichit sans qu'ils fassent rien. Dans ce cas, l'État pourrait, sans violer les principes sur lesquels la propriété privée est établie, s'approprier la totalité ou une partie de cet accroissement de richesse à mesure qu'il se produit. Ce serait à proprement parler prendre ce qui n'appartient à personne ; ce serait employer au profit de la société une augmentation de richesse créée par les circonstances au lieu de l'abandonner sans travail à une classe particulière de citoyens.
Eh bien, c'est le cas de la rente. Le mouvement ordinaire d'une société dans laquelle la richesse augmente tend toujours à augmenter le revenu des propriétaires, à leur donner une somme plus considérable et une proportion plus forte dans les richesses de la société, sans qu'ils fassent pour cela ni effort, ni dépense. Ils s'enrichissent en dormant en quelque sorte, sans travailler, sans courir de risques, sans épargner. Quel droit ont-ils, d'après les principes généraux de justice sociale, à cette augmentation de fortune ? Quel tort leur aurait-on fait si, depuis l'origine, la société s'était réservé le droit d'imposer l'accroissement spontané de la rente autant que l'auraient exigé les besoins financiers de l'État ? J'admets qu'il serait injuste de venir sur la propriété de chacun et de mettre la main sur l'augmentation de rente qui pourrait avoir eu lieu, parce qu'il n'y aurait aucun moyen de distinguer dans les cas particuliers l'accroissement qui résulte uniquement des progrès de la société, de celui qui est le fruit de l'intelligence et des améliorations faites par le propriétaire Une mesure générale serait la seule manière de procéder régulièrement. On commencerait par l'évaluation de toutes les terres du pays et les sommes auxquelles elles seraient évaluées seraient exemptes d'impôt ; mais après un intervalle de temps pendant lequel le capital et la population auraient augmenté dans la société, on pourrait estimer en gros l'accroissement de la rente depuis la première estimation."
John Stuart Mill, Principes d'économie politique, 1848, Livre V, chapitre II, tr. fr. Léon Roquet, Guilllaumin et Cie, 1894, p. 175-178.
"Je crois qu'on ne sait pas faire jouer à l'impôt le rôle bienfaisant et nouveau qu'il est appelé à remplir. L'impôt, selon les idées de Sully, et c'est aussi notre opinion, ne devrait être que la mise apportée par chaque individu dans la vie civile, pour avoir part à ses bienfaits : il voulait que cette mise fût proportionnée aux avantages que le contribuable en retirait ; qu'elle ne fût prélevée que sur ses bénéfices ; qu'elle n'entravât en aucun cas la liberté nécessaire au succès de son industrie, qu'il regardait, par le seul fait de l'impôt acquitté, comme étant placé sous la sauvegarde du gouvernement."
Émile de Girardin, "Sully", 1834, Journal des connaissances utiles, tome III, 1843, p. 4.
"Je crois qu'on ne sait pas faire jouer à l'impôt le rôle bienfaisant et nouveau qu'il remplirait presque toujours si, dans tel cas on avait l'art de le faire agir comme droit différentiel, dans tel autre comme droit prohibitif, dans tel autre enfin comme prime accordée à certaine production ou à certaine consommation. L'impôt, au point où en est venue la science économique, ne doit plus jamais être employé que comme un régulateur, un niveau. Il doit toujours être protecteur, jamais oppressif. L'impôt, selon les idées de Sully, et c'est aussi notre opinion, ne devrait être que la mise apportée par chaque individu dans la vie civile, pour avoir part à ses bienfaits : il voulait que cette mise fût proportionnée aux avantages que le contribuable en retirait ; qu'elle ne fût prélevée que sur ses bénéfices ; qu'elle n'entravât en aucun cas la liberté nécessaire au succès de son industrie, qu'il regardait, par le seul fait de l'impôt acquitté, comme étant placé sous la sauvegarde du gouvernement. L'impôt, c'est l'association sous sa forme à la fois la plus puissante et la plus simple. Un jour, l'impôt brisera la coque étroite dans laquelle la fiscalité le tient captif ; un jour, l'impôt s'élèvera au rang qu'il doit occuper parmi les cultures les plus fécondes, parmi les sciences exactes. Ce jour-là, l'impôt, base presque unique sur laquelle repose notre société, aura changé les rapports politiques de peuple à gouvernement ; bien des frottements, bien des résistances qui ont lieu aujourd'hui auront disparu."
Émile de Girardin, Le Pour et le contre, 1849, Michel Lévy Frères, p. 236-237.
"Prenons le plus odieux de tous ces privilèges, celui de l'exemption d'impôt : il est facile de voir que, depuis le quinzième siècle jusqu'à la Révolution française, celui-ci n'a cessé de croître. Il croissait par le progrès rapide des charges publiques. Quand on ne prélevait que 1.200.000 livres de taille sous Charles VII, le privilège d'en être exempt était petit ; quand on en prélevait 80 millions sous Louis XVI, c'était beaucoup. Lorsque la taille était le seul impôt de roture, l'exemption du noble était peu visible ; mais, quand les impôts de cette espèce se furent multipliés sous mille noms et sous mille formes, qu'à la taille eurent été assimilées quatre autres taxes ; que des charges inconnues au Moyen-Âge, telles que la corvée royale appliquée à tous les travaux ou services publics, la milice, etc., eurent été ajoutées à la taille et à ses accessoires, et aussi inégalement imposées, l'exemption du gentilhomme parut immense. L'inégalité, quoique grande, était, il est vrai, plus apparente encore que réelle ; car le noble était souvent atteint dans son fermier par l'impôt auquel il échappait lui-même ; mais en cette matière l'inégalité qu'on voit nuit plus que celle qu'on ressent.
Louis XIV, pressé par les nécessités financières qui l'accablèrent à la fin de son règne, avait établi deux taxes communes, la capitation et les vingtièmes. Mais, comme si l'exemption d'impôts avait été en soi un privilège si respectable qu'il fallût le consacrer dans le fait même qui lui portait atteinte, on eut soin de rendre la perception différente là où la taxe était commune. Pour les uns, elle resta dégradante et dure ; pour les autres, indulgente et honorable.
Quoique l'inégalité, en fait d'impôts, se fût établie sur tout le continent de l'Europe, il y avait très-peu de pays où elle fût devenue aussi visible et aussi constamment sentie qu'en France. Dans une grande partie de l'Allemagne, la plupart des taxes étaient indirectes. Dans l'impôt direct lui-même, le privilège du gentilhomme consistait souvent dans une participation moins grande à une charge commune. Il y avait, de plus, certaines de toutes les manières de distinguer les hommes et de marquer les classes, l'inégalité d'impôt est la plus pernicieuse et la plus propre à ajouter l'isolement à l'inégalité, et à rendre en quelque sorte l'un et l'autre incurables. Car, voyez ses effets : quand le bourgeois et le gentilhomme ne sont plus assujettis à payer la même taxe, chaque année l'assiette et la levée de l'impôt tracent à nouveau entre eux, d'un trait net et précis, la limite des classes. Tous les ans, chacun des privilégiés ressent un intérêt actuel et pressant à ne point se laisser confondre avec la masse, et fait un nouvel effort pour se ranger à l'écart.
Comme il n'y a presque pas d'affaires publiques qui ne naissent d'une taxe ou qui n'aboutissent à une taxe, du moment où les deux classes ne sont pas également assujetties à l'impôt, elles n'ont presque plus de raisons pour délibérer jamais ensemble, plus de causes pour ressentir des besoins et des sentiments communs ; on n'a plus affaire de les tenir séparées : on leur a ôté en quelque sorte l'occasion et l'envie d'agir ensemble."
Alexis de Tocqueville, L'Ancien régime et la Révolution, 1857, Folio histoire, 1985, p. 165-167.
"De la définition de l'impôt, qu'il est un échange entre les citoyens et l'État, il résulte que tout individu est présumé recevoir, directement ou indirectement, sa part des services de l'État, et conséquemment qu'il doit supporter sa part des dépenses. Rien pour rien, c'est la loi économique. [...]
Si riche que soit l'État, enfin, si considérable que soient ses domaines, comme il lui est interdit, de par sa nature et son mandat, soit d'exploiter par lui-même, soit de livrer ses produits à bénéfice, il ne peut se passer d'impôts.
D'un autre côté les fortunes, dans le développement de la société, ne restent pas égales ; il se produit des riches et des pauvres. Bien que l'inégalité des fortunes ait sa cause principale dans le jeu de cette inviolable puissance que nous avons reconnue comme l'égale de l'État, la Liberté, on ne saurait méconnaître que le hasard, les accidents de force majeure, y entrent aussi pour une forte part.
Dans ces conditions, il est clair que les services de l'État, profitant inégalement aux citoyens selon le degré de leurs fortunes respectives, et sans qu'il y ait absolument de leur faute, si l'impôt était payé par égales parts, d'après le système égalitaire de la capitation, il arriverait que les indigents recevraient moins que les riches pour une même quote-part de contribution.
Par exemple, l'un des services de l'État est d'entretenir les routes, ports et marchés. Celui qui exploite de vastes domaines, ou qui fait un grand commerce, prend une plus forte partie du service public que le simple salarié. Or, il n'est pas loisible à chacun d'exploiter de vastes domaines et de faire un grand commerce, pas plus que, du temps de Laïs, il n'était permis à tout le monde d'aller à Corinthe : il est donc juste que le plus avantagé paye davantage. En d'autres termes, l'impôt, d'après notre définition, à laquelle il faut toujours revenir, étant un échange entre les citoyens et l'État, la redevance par chacun doit être égale à sa participation.
De là l'idée que l'impôt, devant être payé par chacun, 1° en raison de sa personne, 2° en raison de ses facultés, doit être proportionnel à sa fortune : idée conforme au principe de l'échange, aux règles d'une comptabilité sévère, en un mot, aux lois de la justice.
La proportionnalité de l'impôt, telle est la formule d'après laquelle doit se répartir l'impôt, double de sa nature, c'est-à-dire à la fois personnel et réel"
Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de l'impôt, 1860, Dentu 1861, p. 127 et p. 132-134.
"Que de règles de justice encore, et combien inconciliables, auxquelles on se réfère quand on discute la répartition des impôts ! Les uns sont d'avis que le versement fait à l'État soit proportionnel aux moyens pécuniaires du contribuable. Selon d'autres, la justice exige ce qu'ils appellent un impôt progressif : un pourcentage plus élevé doit être imposé à ceux qui peuvent épargner davantage. Du point de vue de la justice naturelle, on pourrait présenter un plaidoyer fortement charpenté en faveur de la thèse suivante : il faut renoncer à tenir aucun compte des moyens pécuniaires et exiger de tous (quand la chose est possible) le paiement de la même somme; ainsi les membres d'un mess ou d'un club paient tous la même somme pour obtenir les mêmes avantages, qu'ils aient ou non pour la payer les mêmes facilités. Puisque la protection de la loi et du gouvernement (pourrait-on dire) est assurée à tous et que tous la réclament également, il n'y a aucune injustice à la faire payer par tous au même prix. On considère comme une chose juste et non comme une injustice qu'un marchand fasse payer le même prix à tous ses clients pour le même article, et non pas un prix qui varierait avec leurs ressources. Cette théorie, appliquée à l'impôt, ne trouve pas d'avocats, parce qu'elle est en trop forte opposition avec nos sentiments d'humanité et notre sentiment de l'intérêt social; mais le principe de justice qu'elle invoque est aussi vrai et aussi obligatoire que ceux qu'on peut lui opposer. Et ainsi, il exerce une influence implicite sur les moyens de défense employés en faveur d'autres modes de répartition des impôts. On se sent obligé de montrer que l'État fait plus pour le riche que pour le pauvre, quand on veut justifier la contribution supérieure exigée du riche : et pourtant, cela, en réalité, n'est pas vrai, car les riches seraient beaucoup plus capables de se protéger eux-mêmes en l'absence de loi ou de gouvernement, que les pauvres, et, même, à la vérité, réussiraient probablement à réduire ceux-ci en esclavage. D'autres encore vont si loin dans leur attachement à ce même principe de justice qu'ils soutiennent que tous devraient acquitter un impôt personnel égal pour la protection de leurs personnes (celles-ci ayant pour tous une égale valeur) et un impôt inégal pour la protection de leurs biens (qui sont inégaux). À cela d'autres répondent que l'ensemble des biens d'un homme a autant de valeur pour lui que l'ensemble des biens d'un autre. Il n'y a pas d'autre moyen d'échapper à ces confusions que de faire appel à l'utilitarisme."
John Stuart Mill, L'Utilitarisme, 1861, tr. fr. Georges Tannesse, Champs classiques, 1988, p. 146-147.
"Un des plus importants problèmes dont l'économie politique ait à chercher la solution, c'est celui de l'impôt. Dans notre époque la question fiscale est le nœud gordien de la politique. Aussi longtemps que les gouvernements ne l'ont pas dénoué habilement ou tranché par force, et quelquefois brutalement, ils ne peuvent se considérer comme établis. […]
On peut […] affirmer qu'aussi longtemps qu'il y a dans une société une classe d'individus qui, ne possédant rien, vivent d'un salaire qui tombe fatalement au niveau de ce qui leur est indispensable pour vivre, et qui ne peuvent conséquemment être soumis à l'impôt, dans cette société, l'impôt rigoureusement progressif, sans catégories et sans limite supérieure, est seul juste. La progression peut même être forte d'abord, elle diminuera naturellement à mesure que les extrêmes de la richesse se rapprocheront. Lorsqu'enfin tout citoyen possédera, si peu que ce soit, et que par cette possession du capital il sera placé au-dessus des fatalités économiques propres au prolétariat, l'impôt devra redevenir rigoureusement proportionnel, car toute progression tomberait alors, non sur l'hérédité, mais sur le travail et découragerait l'épargne."
Clémence-Auguste Royer, Théorie de l'impôt, ou La dîme sociale, 1862, Introduction et 1ère partie, chapitre V, p. VII et p. 53-54.
"La règle d'Adam Smith est que « les sujets de chaque État doivent contribuer à entretenir le gouvernement, autant que possible d'après leurs fortunes respectives ; c'est-à-dire suivant le revenu dont ils jouissent respectivement sous la protection de l'État. » Chaque taxe, continue-t-il, qui ne pèse que sur la rente, ou seulement sur les salaires, ou seulement sur l'intérêt est nécessairement inégale. L'idée générale que chacun devrait payer des impôts suivant ses moyens, ou en proportion de son revenu, est bien d'accord avec cette règle, bien que nos systèmes de tout taxer essaient vainement de l'appliquer.
Mais en tenant compte des difficultés insurmontables que présenterait cette manière de taxer chacun suivant ses moyens, il est évident qu'on ne peut pas atteindre la justice de cette manière.
La nature donne au travail et au travail seul. Dans un jardin de l'Éden même, l'homme mourrait de faim sans l'activité humaine. Voici deux hommes ayant des revenus égaux, ceux de l'un venant de l'exercice de son travail, ceux de l'autre venant de la rente de la terre. Est-il juste qu'ils contribuent également aux dépenses de l'État ? Évidemment non. Le revenu de l'un représente la richesse qu'il crée et qu'il ajoute à la richesse générale de l'État ; le revenu de l'autre représente simplement la richesse qu'il prend au stock général sans rien donner en retour. Le droit de l'un à la jouissance de son revenu repose sur la garantie de la nature, qui donne de la richesse au travail ; le droit de l'autre à la jouissance de son revenu est un simple droit fictif, création d'une réglementation municipale, qui est inconnu et non reconnu de la nature. Le père auquel on dit qu'avec son travail il doit élever ses enfants, doit acquiescer car tel est le décret naturel ; mais il peut demander avec justice qu'on n'enlève pas un centime au revenu gagné par son travail, aussi longtemps qu'il reste un centime des revenus qui sont les gains du monopole des substances et forces que la nature offre impartialement à tous, et auxquels ses enfants ont, par droit de naissance, droit à une part égale.
Adam Smith dit des revenus qu'on en a « la jouissance sous la protection de l'État ; » et c'est le terrain sur lequel on se place généralement pour insister sur l'imposition égale de toutes les espèces de propriété — elles sont également protégées par l'État. La base de cette idée est évidemment que la jouissance de la propriété est rendue possible par l'État, qu'il y a une valeur créée et maintenue par la communauté, valeur à laquelle on doit justement faire appel pour parer aux dépenses de la communauté. De quelles valeurs ceci est-il vrai ? Seulement de la valeur foncière. Celle-ci ne naît que lorsque la communauté est formée, et dissemblable en cela des autres valeurs, elle croît avec la communauté. Elle existe seulement si la communauté existe. Éparpillez à nouveau la plus grande communauté, et la terre qui aujourd'hui a tant de valeur, n'aura plus aucune valeur. La valeur de la terre monte avec chaque accroissement de population ; elle tombe avec chaque diminution. Ceci n'est vrai que des choses qui, comme la propriété de la terre, sont par nature des monopoles.
L'impôt sur les valeurs foncières est donc le plus juste et le plus équitable des impôts. Il pèse seulement sur ceux qui reçoivent de la société un avantage particulier et de valeur, et sur eux en proportion de l'avantage qu'ils reçoivent. C'est la prise par la communauté, pour l'usage de la communauté, de cette valeur qui est la création de la communauté. C'est l'application de la propriété commune à des usages communs. Quand toute la rente sera prise par l'impôt pour les besoins de la communauté, l'égalité ordonnée par la nature sera atteinte. Aucun citoyen n'aura d'avantage sur un autre sauf celui que lui donnera son travail, son adresse, son intelligence ; et chacun obtiendra ce qu'il gagne vraiment. Alors seulement le travail recevra sa pleine récompense, et le capital son revenu naturel."
Henry George, Progrès et pauvreté, 1879, Livre VIII, chapitre III, IV, tr. fr. P. L. Le Monnier, Guillaumin et Cie, 1887 p. 397-400.
"Adam Smith’s canon is, that “The subjects of every state ought to contribute toward the support of the government as nearly as possible in proportion to their respective abilities; that is, in proportion to the revenue which they respectively enjoy under the protection of the state.” Every tax, he goes on to say, which falls only upon rent, or only upon wages, or only upon interest, is necessarily unequal. In accordance with this is the common idea which our systems of taxing everything vainly attempt to carry out—that every one should pay taxes in proportion to his means, or in proportion to his income.
But, waiving all the insuperable practical difficulties in the way of taxing every one according to his means, it is evident that justice cannot be thus attained.
Here, for instance, are two men of equal means, or equal incomes, one having a large family, the other having no one to support but himself. Upon these two men indirect taxes fall very unequally, as the one cannot avoid the taxes on the food, clothing, etc., consumed by his family, while the other need pay only upon the necessaries consumed by himself. But, supposing taxes levied directly, so that each pays the same amount. Still there is injustice. The income of the one is charged with the support of six, eight, or ten persons; the income of the other with that of but a single person. And unless the Malthusian doctrine be carried to the extent of regarding the rearing of a new citizen as an injury to the state, here is a gross injustice.
But it may be said that this is a difficulty which cannot be got over; that it is Nature herself that brings human beings helpless into the world and devolves their support upon the parents, providing in compensation therefor her own sweet and great rewards. Very well, then, let us turn to Nature, and read the mandates of justice in her law.
Nature gives to labor; and to labor alone. In a very Garden of Eden a man would starve but for human exertion. Now, here are two men of equal incomes—that of the one derived from the exertion of his labor, that of the other from the rent of land. Is it just that they should equally contribute to the expenses of the state? Evidently not. The income of the one represents wealth he creates and adds to the general wealth of the state; the income of the other represents merely wealth that he takes from the general stock, returning nothing. The right of the one to the enjoyment of his income rests on the warrant of nature, which returns wealth to labor; the right of the other to the enjoyment of his income is a mere fictitious right, the creation of municipal regulation, which is unknown and unrecognized by nature. The father who is told that from his labor he must support his children must acquiesce, for such is the natural decree; but he may justly demand that from the income gained by his labor not one penny shall be taken, so long as a penny remains of incomes which are gained by a monopoly of the natural opportunities which Nature offers impartially to all, and in which his children have as their birthright an equal share.
Adam Smith speaks of incomes as ”enjoyed under the protection of the state;“ and this is the ground upon which the equal taxation of all species of property is commonly insisted upon—that it is equally protected by the state. The basis of this idea is evidently that the enjoyment of property is made possible by the state—that there is a value created and maintained by the community, which is justly called upon to meet community expenses. Now, of what values is this true? Only of the value of land. This is a value that does not arise until a community is formed, and that, unlike other values, grows with the growth of the community. It exists only as the community exists. Scatter again the largest community, and land, now so valuable, would have no value at all. With every increase of population the value of land rises; with every decrease It falls. This is true of nothing else save of things which, like the ownership of land, are in their nature monopolies.
The tax upon land values is, therefore, the most just and equal of all taxes. It falls only upon those who receive from society a peculiar and valuable benefit, and upon them in proportion to the benefit they receive. It is the taking by the community, for the use of the community, of that value which is the creation of the community. It is the application of the common property to common uses. When all rent is taken by taxation for the needs of the community, then will the equality ordained by Nature be attained. No citizen will have an advantage over any other citizen save as is given by his industry, skill, and intelligence; and each will obtain what he fairly earns. Then, but not till then, will labor get its full reward, and capital its natural return."
Henry George, Progress and poverty, 1879, Book VIII, chapter III, IV, Robert Schalkenbach Foundation, 1935, pp. 418-421.
"Les impôts sont nécessaires. Mais le système de fiscalité discriminatoire universellement accepté, sous le nom trompeur d'impôt progressif sur les revenus et successions, n'est pas un système vraiment fiscal. C'est plutôt un mode déguisé d'expropriation des capitalistes et entrepreneurs efficaces. Quoi que prétendent les satellites gouvernementaux, cela est incompatible avec le maintien d'une économie de marché. Au mieux, peut-on le considérer comme un moyen d'instaurer le socialisme. En regardant en arrière l'évolution des taux de l'impôt sur le revenu depuis la création de l'impôt fédéral sur le revenu en 1913 jusqu'à notre époque, l'on a peine à croire que l'impôt ne finira pas par absorber bientôt cent pour cent de tout ce qui dépasse le niveau moyen du salaire de l'homme ordinaire.
La science économique ne s'intéresse pas aux doctrines métaphysiques illégitimes que l'on avance à l'appui de l'impôt progressif, mais à ses répercussions sur le fonctionnement de l'économie de marché. Les auteurs interventionnistes et les politiciens de même bord voient le problème sous l'angle de leurs opinions arbitraires sur ce qui est « socialement désirable ». A ce qu'ils disent, « le but de la fiscalité n'est jamais de lever des fonds », puisque le gouvernement « peut s'en procurer la totalité nécessaire en imprimant de la monnaie ». Le véritable but de la fiscalité est « d'en laisser moins aux mains du contribuable ».
Les économistes abordent la question sous un angle différent. Ils demandent d'abord : quels sont les effets d'une fiscalité spoliatrice sur la formation du capital ? La majeure partie de cette portion des revenus élevés qui est confisquée, aurait été employée à rassembler du capital supplémentaire. Si le Trésor emploie cette recette pour ses dépenses courantes, il en résulte une baisse dans le montant des capitaux en formation. La même chose vaut, et même à plus forte raison, pour l'impôt sur les successions. Il force les héritiers à vendre une partie considérable des biens du testateur. Ce capital n'est pas détruit, c'est vrai ; il change seulement de propriétaire. Mais les épargnes des acquéreurs, dépensées pour payer les biens vendus par les héritiers, auraient constitué un supplément de capital disponible. Ainsi l'accumulation de capital neuf se trouve ralentie. La mise en service des améliorations techniques est entravée, le quota de capital investi par travailleur employé est réduit ; un frein est opposé à l'élévation de la productivité marginale de la main-d'œuvre et à la hausse concomitante des taux de salaire réel. Il est évident que la croyance populaire d'après laquelle ce genre de fiscalité spoliatrice ne nuit qu'à ses victimes immédiates, les riches, est fausse.
Si les capitalistes sont confrontés à la perspective que l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les successions atteindront 100 %, ils préféreront consommer leurs fonds plutôt que de les réserver au percepteur.
Une fiscalité spoliatrice conduit à bloquer le progrès économique et l'amélioration correspondante, mais pas seulement par son effet sur la formation de capitaux. Elle provoque une tendance générale vers la stagnation et la perpétuation de méthodes qui ne pourraient se maintenir dans les conditions concurrentielles de l'économie de marché non entravée.
C'est un trait inhérent au capitalisme, de n'avoir aucun respect pour les situations acquises et de forcer chaque capitaliste ou entrepreneur à conformer sa conduite des affaires, de jour en jour, à la structure changeante du marché. Capitalistes et entrepreneurs n'ont jamais loisir de se laisser aller. Aussi longtemps qu'ils restent dans les affaires, jamais ils ne jouissent du privilège de profiter en paix des fruits de leur succès ou du succès de leurs ancêtres, en se contentant de la routine apprise. S'ils oublient que leur tâche est de servir les consommateurs du mieux qu'ils le peuvent, ils seront promptement évincés de leur position éminente et repoussés dans les rangs des gens ordinaires. Leur rôle de conducteurs et leurs ressources sont constamment remis en question par des nouveaux venus.
Tout individu d'esprit inventif est libre de lancer de nouveaux projets d'affaires. Il peut être pauvre, ses fonds peuvent être modestes et pour la plupart empruntés. Mais s'il répond aux demandes des consommateurs de la façon la meilleure et la moins coûteuse, le succès lui viendra par le canal de profits « excessifs ». En bon laboureur qui nourrit sa terre, il réinvestit la majeure partie de ses profits dans son affaire, la faisant ainsi s'étendre rapidement. C'est l'activité de ces parvenus entreprenants qui fournit au marché son « dynamisme ». Ces nouveaux riches sont les fourriers des améliorations économiques. La menace de leur concurrence oblige les firmes anciennes et les grandes entreprises à ajuster leur gestion au meilleur service possible du public, ou à fermer boutique.
Mais aujourd'hui, les impôts absorbent la plus grande part des profits « excessifs » du nouveau venu. Il ne peut accumuler du capital ; il ne peut étendre sa propre affaire ; il ne deviendra jamais une grande affaire et le rival des situations établies. Les firmes anciennes n'ont pas à redouter sa concurrence, elles sont abritées par le percepteur. Elles peuvent sans danger rester dans la routine, se moquer des désirs du public et refuser le changement. Il est vrai que le percepteur les empêche, elles aussi, d'accumuler du capital neuf. Mais le plus important pour elles est que le dangereux nouveau venu ne puisse pas accumuler de capitaux. Elles sont virtuellement privilégiées par le régime fiscal. En ce sens, la fiscalité progressive entrave le progrès économique et favorise la rigidité sociale. Alors que dans l'économie de marché non entravée la possession d'un capital est une source d'obligation forçant le possesseur à servir les consommateurs, les méthodes modernes de fiscalité la transforment en privilège."
Ludwig von Mises, L'Action humaine, 1949, Sixième partie, chapitre XXXII, tr. fr. Raoul Audouin, PUF, 1985.
"Taxes are necessary. But the system of discriminatory taxation universally accepted under the misleading name of progressive taxation of income and inheritance is not a mode of taxation. It is rather a mode of disguised expropriation of the successful capitalists and entrepreneurs. Whatever the governments’ satellites may advance in its favor, it is incompatible with the preservation of the market economy. It can at best be considered a means of bringing about socialism. Looking backward on the evolution of income tax rates from the beginning of the Federal income tax in 1913 until the present day, one can hardly believe that the tax will not soon absorb 100 per cent of all the surplus above the average height of the common man’s wages.
Economics is not concerned with the spurious metaphysical doctrines advanced in favor of tax progression, but with its repercussions on the operation of the market economy. The interventionist authors and politicians look at the problems involved from the angle of their arbitrary notions of what is “socially desirable.” As they see it, “the purpose of taxation is never to raise money,” since the government “can raise all the money it needs by printing it.” The true purpose of taxation is “to leave less in the hands of the taxpayer.”
Economists approach the issue from a different angle. They ask first: what are the effects of confiscatory taxation on capital accumulation? The greater part of that portion of the higher incomes which is taxed away would have been used for the accumulation of additional capital. If the treasury employs the proceeds for current expenditure, the result is a drop in the amount of capital accumulation. The same is valid, even to a greater extent, for death taxes. They force the heirs to sell a considerable part of the testator’s estate. This capital is, of course, not destroyed; it merely changes ownership. But the savings of the purchasers, which are spent for the acquisition of the capital sold by the heirs, would have constituted a net increment in capital available. Thus the accumulation of new capital is slowed down. The realization of technological improvement is impaired; the quota of capital invested per worker employed is reduced; a check is placed upon the rise in the marginal productivity of labor and upon the concomitant rise in real wage rates. It is obvious that the popular belief that this mode of confiscatory taxation harms only the immediate victims, the rich, is false.
If capitalists are faced with the likelihood that the income tax or the estate tax will rise to 100 per cent, they will prefer to consume their capital funds rather than to preserve them for the tax collector.
Confiscatory taxation results in checking economic progress and improvement not only by its effect upon capital accumulation. It brings about a general trend toward stagnation and the preservation of business practices which could not last under the competitive conditions of the unhampered market economy.
It is an inherent feature of capitalism that it is no respecter of vested interests and forces every capitalist and entrepreneur to adjust his conduct of business anew each day to the changing structure of the market. Capitalists and entrepreneurs are never free to relax. As long as they remain in business they are never granted the privilege of quietly enjoying the fruits of their ancestors’ and their own achievements and of lapsing into a routine. If they forget that their task is to serve the consumers to the best of their abilities, they will very soon forfeit their eminent position and will be thrown back into the ranks of the common man. Their leadership and their funds are continually challenged by newcomers.
Every ingenious man is free to start new business projects. He may be poor, his funds may be modest and most of them may be borrowed. But if he fills the wants of consumers in the best and cheapest way, he will succeed by means of “excessive” profits. He ploughs back the greater part of his profits into his business, thus making it grow rapidly. It is the activity of such enterprising parvenus that provides the market economy with its “dynamism.” These nouveaux riches are the harbingers of economic improvement. Their threatening competition forces the old firms and big corporations either to adjust their conduct to the best possible service of the public or to go out of business.
But today taxes often absorb the greater part of the newcomer’s “excessive” profits. He cannot accumulate capital; he cannot expand his own business; he will never become big business and a match for the vested interests. The old firms do not need to fear his competition; they are sheltered by the tax collector. They may with impunity indulge in routine, they may defy the wishes of the public and become conservative. It is true, the income tax prevents them, too, from accumulating new capital. But what is more important for them is that it prevents the dangerous newcomer from accumulating any capital. They are virtually privileged by the tax system. In this sense progressive taxation checks economic progress and makes for rigidity. While under unhampered capitalism the ownership of capital is a liability forcing the owner to serve the consumers, modern methods of taxation transform it into a privilege."
Ludwig von Mises, Human action, 1949, Part six, chapter XXXII.
"Du point de vue de [ma] théorie de l'habilitation, la redistribution est un sujet très important, impliquant la violation des droits des gens. […]
L'imposition sur les biens provenant du travail se retrouve sur un pied d'égalité avec les travaux forcés. Certaines personnes trouvent que cette thèse est de toute évidence vraie : le fait de prendre les gains de n heures de travail revient à prendre n heures de cette personne ; c'est comme si l'on forçait cette personne à travailler n heures pour quelqu'un d'autre. D'autres trouvent que cette thèse est absurde. Et même ceux-là, s'ils font objection à l'évocation de travaux forcés, s'opposeraient à forcer des hippies au chômage à travailler au bénéfice de ceux qui sont dans le besoin.
Et ces mêmes personnes s'opposeraient également à forcer chaque personne à travailler cinq heures supplémentaires par semaine pour le bénéfice de ceux qui sont dans le besoin. Mais un système qui prend le salaire de cinq heures de travail en impôt ne leur paraît pas ressembler à quelqu'un qui force quelqu'un d'autre à travailler cinq heures, puisque cela offre à la personne forcée un plus large éventail de choix dans ses activités que ne le fait l'impôt en nature avec le travail particulier spécifié. […]
L'homme qui choisit de travailler plus longtemps pour gagner un revenu plus que suffisant pour ses besoins fondamentaux, préfère certains biens supplémentaires ou des services pour ses loisirs et des activités qu'il pourrait accomplir au cours des heures où il n'est pas possible de travailler ; tandis que l'homme qui choisit de ne pas travailler en heures supplémentaires préfères des activités de loisirs aux biens supplémentaires ou aux services qu'il pourrait acquérir en travaillant plus. Compte tenu de ceci, s'il était illégitime pour un système d'impôts de saisir une partie des loisirs d'un homme (les travaux forcés) dans le but de rendre service à ceux qui sont dans le besoin, comment peut-il être légitime pour un système d'impôts de se saisir des biens d'un homme pour ce même dessein ? Pourquoi devrions-nous traiter cet homme, dont le bonheur requiert certains besoins matériels ou services, de façon différente d'un homme dont les préférences et les désirs ne rendent pas nécessaires de tels biens pour son bonheur ? Pourquoi l'homme qui préfère voir un film (et qui doit gagner l'argent pour se payer le billet d'entrée) devrait-il être ouvert à l'appel requis pour aider les nécessiteux, alors que la personne qui préfère regarder le coucher du soleil (et donc n'a aucun besoin de gagner de l'argent supplémentaire) ne l'est pas ? En vérité, n'est-il pas surprenant que les gens qui font la redistribution choisissent de laisser de côté l'homme dont les loisirs peuvent être atteints avec tant de facilité, sans faire d'heures supplémentaires, alors qu'ils ajoutent encore un poids supplémentaire au malheureux qui doit travailler pour ses plaisirs ?"
Robert Nozick, Anarchie, État et utopie, 1974, chapitre 7, tr. fr. Évelyne d'Auzac de Lamartine, PUF, 2003, p. 210-213.
Date de création : 02/07/2012 @ 15:06
Dernière modification : 11/10/2025 @ 15:40
Catégorie :
Page lue 7213 fois
Imprimer l'article
|