"RÉFLEXION IV : De la conversation
Ce qui fait que si peu de personnes sont agréables dans la conversation, c'est que chacun songe plus à ce qu'il veut dire qu'à ce que les autres disent. Il faut écouter ceux qui parlent, si on en veut être écouté ; il faut leur laisser la liberté de se faire entendre, et même de dire des choses inutiles. Au lieu de les contredire ou de les interrompre, comme on fait souvent, on doit, au contraire, entrer dans leur esprit et dans leur goût, montrer qu'on les entend, leur parler de ce qui les touche, louer ce qu'ils disent autant qu'il mérite d'être loué, et faire voir que c'est plus par choix qu'on le loue que par complaisance. Il faut éviter de contester sur des choses indifférentes, faire rarement des questions inutiles, ne laisser jamais croire qu'on prétend avoir plus de raison que les autres, et céder aisément l'avantage de décider.
On doit dire des choses naturelles, faciles et plus ou moins sérieuses, selon l'humeur et l'inclinaison des personnes que l'on entretient, ne les presser pas d'approuver ce qu'on dit, ni même d'y répondre. Quand on a satisfait de cette sorte aux devoirs de la politesse, on peut dire ses sentiments, sans prévention et sans opiniâtreté, en faisant paraître qu'on cherche à les appuyer de l'avis de ceux qui écoutent.
Il faut éviter de parler longtemps de soi-même, et de se donner souvent pour exemple. On ne saurait avoir trop d'application à connaître la pente et la portée de ceux à qui on parle, pour se joindre à l'esprit de celui qui en a le plus, et pour ajouter ses pensées aux siennes, en lui faisant croire, autant qu'il est possible, que c'est de lui qu'on les prend. Il y a de l'habileté à n'épuiser pas les sujets qu'on traite, et à laisser toujours aux autres quelque chose à penser et à dire.
On ne doit jamais parler avec des airs d'autorité, ni se servir de paroles et de termes plus grands que les choses. On peut conserver ses opinions, si elles sont raisonnables ; mais en les conservant, il ne faut jamais blesser les sentiments des autres, ni paraître choqué de ce qu'ils ont dit. Il est dangereux de vouloir être toujours le maître de la conversation, et de parler trop souvent d'une même chose ; on doit entrer indifféremment sur tous les sujets agréables qui se présentent, et ne faire jamais voir qu'on veut entraîner la conversation sur ce qu'on a envie de dire.
Il est nécessaire d'observer que toute sorte de conversation, quelque honnête et quelque spirituelle qu'elle soit, n'est pas également propre à toute sorte d'honnêtes gens : il faut choisir ce qui convient à chacun, et choisir même le temps de le dire ; mais s'il y a beaucoup d'art à parler, il n'y en a pas moins à se taire. Il y a un silence éloquent: il sert quelquefois à approuver et à condamner; il y a un silence moqueur ; il y a un silence respectueux; il y a des airs, des tours et des manières qui font souvent ce qu'il y a d'agréable ou de désagréable, de délicat ou de choquant dans la conversation. Le secret de s'en bien servir est donné à peu de personnes ; ceux mêmes qui en font des règles s'y méprennent quelquefois ; la plus sûre, à mon avis, c'est de n'en point avoir qu'on ne puisse changer, de laisser plutôt voir des négligences dans ce qu'on dit que de l'affectation, d'écouter, de ne parler guère, et de ne se forcer jamais à parler."
François de La Rochefoucauld, Maximes et réflexions morales, 1664, "IV. De la conversation."
"Il n'y a précisément pas, entre la façon d'utiliser nos mots dans la langue et un calcul, une pure et simple analogie ; bien plutôt je peux effectivement prendre le concept de calcul de façon à ce que l'usage des mots tombe sous ce concept. Je vais tout de suite expliquer comment je l'entends. J'ai ici un flacon de benzine. À quoi cela me sert-il ? Eh bien, à nettoyer. Maintenant, il y a là, collée, une étiquette avec l'inscription « Benzine ». Eh bien, pourquoi cette inscription est-elle là ? Je nettoie bien avec la benzine, mais pas avec l'inscription. (Il est clair, naturellement, qu'à la place de cette inscription, on pourrait avoir n'importe quelle autre.) Eh bien, cette inscription est un point d'application pour un calcul, à savoir pour l'usage. Je peux vous dire en effet : « Allez chercher la benzine ! » Et, au moyen de cette étiquette, il y a une règle conformément à laquelle vous pouvez procéder. Quand vous allez chercher la benzine, c'est encore un pas dans ce même calcul qui est déterminé au moyen de ces règles. J'appelle le tout un calcul parce qu'il y a présentement deux possibilités : ou bien vous procédez conformément à la règle ou bien vous procédez non conformément à la règle ; en ce cas je suis en position de dire quelque chose comme : « Non, ce que vous êtes allé chercher n'était certainement pas de la benzine ! »
Les noms dont nous nous servons dans la vie quotidienne sont toujours de petits écriteaux de ce genre que nous accrochons sur les choses et dont nous nous servons comme points d'application d'un calcul. Je peux par exemple accrocher sur moi un petit écriteau avec le nom « Wittgenstein », sur vous, un autre avec l'inscription « Waismann ». Je peux aussi à la place faire quelque chose d'autre : je désigne avec le bras successivement cette direction, celle-là, puis celle-là, et je dis : Monsieur Müller, Monsieur Waismann, Monsieur Meier. J'ai produit ce faisant à nouveau des points d'application pour un calcul. Je peux par exemple dire : Monsieur Waismann, allez Fruchtgasse ! Qu'est-ce que cela veut dire ? Est accroché ici à nouveau un petit écriteau avec l'inscription « Fruchtgasse ». C'est seulement par ce moyen que je peux déterminer si ce que vous faites est correct ou non."
Ludwig Wittgenstein, "Intention, vouloir dire, signifier", 1931, in Manifeste du cercle de Vienne et autres écrits, dir. A. Soulez. trad. B. Cassin, C. Chauviré, A. Guitard, J. Sebestik. A. Soulez. J. Vickers, PCF. coll. "Philosophie d'aujourd'hui", 1985, p. 277.
"[…] supposons qu’on prétende que certains indigènes sont disposés à accepter comme vraies certaines phrases traduisibles dans la forme‘p et non-p’. Cette supposition est absurde au regard de nos critères sémantiques. Et, pour ne pas tomber dans le dogmatisme, quels critères de rechange pourrions-nous préférer ? Une traduction malicieuse peut rendre les locutions indigènes aussi étranges que l’on veut. Une meilleure traduction leur imposera notre logique, et trancherait au prix d'une pétition de principe la question de la prélogicité, s'il y avait à poser une pareille question. […]
Qu'une bonne traduction préserve les lois logiques, cela est implicite partout où, pour nous exprimer paradoxalement, aucune langue étrangère n’entre en scène. Ainsi lorsqu’à nos questions concernant une phrase française un locuteur français répond “Oui et non”, nous présumons que la phrase qui fait l’objet de la question est comprise différemment pour l’affirmation et pour la négation ; cela plutôt que de croire que le locuteur est assez stupide pour affirmer et nier la même chose. [...]
La maxime de traduction qui est à la base de tout ceci, c'est qu'il est probable que les assertions manifestement fausses à simple vue fassent jouer des différences cachées de langage. […]
La vérité de bon sens qu'il y a derrière cette maxime, c'est que la stupidité de notre interlocuteur, au-delà d'un certain point, est moins probable qu'une mauvaise traduction – ou, dans le cas domestique, qu’une divergence linguistique."
Quine, Le Mot et la chose, 1960, tr. fr. Joseph Dopp et Paul Gochet, Champs Flammarion, 1999, p. 99-101.
"Ce qui suit va nous fournir la première approximation d'un principe général. Nos échanges de paroles ne se réduisent pas en temps normal à une suite de remarques décousues, et ne seraient pas rationnels si tel était le cas. Ils sont le résultat, jusqu'à un certain point au moins, d'efforts de coopération ; et chaque participant reconnaît dans ces échanges (toujours jusqu'à un certain point) un but commun ou un ensemble de buts, ou au moins une direction acceptée par tous. Ce but ou cette direction peuvent être fixés dès le départ (par exemple par la proposition initiale de soumettre une question à la discussion), ou bien peuvent apparaître au cours de l'échange ; ils peuvent être relativement bien définis, ou assez vagues pour laisser une latitude considérable aux participants (comme c'est le cas dans les conversations ordinaires et fortuites). Mais à chaque stade certaines manœuvres conversationnelles possibles seraient en fait rejetées comme inappropriées du point de vue conversationnel. Nous pourrions ainsi formuler en première approximation un principe général qu'on s'attendra à voir respecté par tous les participants : que votre contribution conversationnelle corresponde à ce qui est exigé de vous, au stade atteint par celle-ci, par le but ou la direction acceptés de l'échange parlé dans lequel vous êtes engagé. Ce qu'on pourrait appeler PRINCIPE DE COOPÉRATION (cooperative principle), abrégé en PC.
En supposant qu'un principe général de ce genre est acceptable, peut-être peut-on distinguer quatre catégories entre lesquelles se répartissent des règles et sous-règles plus spécifiques, dont les effets doivent, en général, s'accorder au PC. En écho à Kant, j'appellerai ces catégories Quantité, Qualité, Relation et Modalité.
La catégorie de QUANTITÉ concerne la quantité d'information qui doit être fournie, et on peut y rattacher les règles suivantes :
1. Que votre contribution contienne autant d'information qu'il est requis (pour les visées conjoncturelles de l'échange).
2. Que votre contribution ne contienne pas plus d'information qu'il n'est requis.
(Cette seconde règle est contestable : on pourrait penser que fournir trop d'information n'est pas une violation du PC, mais une simple perte de temps. Quoiqu'il en soit, on pourrait répondre à cette objection en faisant remarquer qu'un tel excès d'information peut être déroutant parce qu'il est susceptible de faire dévier l'échange vers des points de détail ; et il peut aussi avoir un effet indirect, en ce que les interlocuteurs peuvent l'interpréter à tort, en pensant par exemple qu'il y a une raison particulière à un tel excès d'information. On peut encore hésiter à admettre cette règle pour une autre raison : en fait, sa fonction va être remplie par une autre règle, la règle de pertinence, que nous allons évoquer.)
À la catégorie de QUALITÉ on peut rattacher la règle primordiale : « Que votre contribution soit véridique », et deux règles plus spécifiques :
1. N'affirmez pas ce que vous croyez être faux.
2. N'affirmez pas ce pour quoi vous manquez de preuves.
À la qualité de RELATION, je ne rattache qu'une seule règle : « Soyez pertinents » (be relevant). Dans sa concision cette règle dissimule bon nombre de problèmes préoccupants : quels sont les différents genres et centres de pertinence possibles, comment se modifient-ils au cours d'un échange parlé, quelles sont les procédures normales qui servent à changer avec quelque légitimité le sujet de la conversation, etc. Ces questions sont à mon avis excessivement difficiles, et je pense y revenir dans un prochain travail.
Enfin, à la catégorie de MODALITÉ, qui ne concerne pas, contrairement aux précédentes, ce qui est dit, mais plutôt comment on doit dire ce que l'on dit, je rattache la règle essentielle : « Soyez clair » (perspicuous) ainsi que les maximes :
1. Évitez de vous exprimer avec obscurité.
2. Évitez d'être ambigu.
3. Soyez bref (ne soyez pas plus prolixe qu'il n'est nécessaire).
4. Soyez méthodique.
Et on pourrait en ajouter d'autres.
Évidemment, il est bien plus nécessaire d'observer certaines de ces règles que d'autres ; un homme qui a parlé trop longtemps sans raison serait en général moins critiqué que celui qui a affirmé quelque chose qu'il savait être faux. En fait, on peut penser que l'importance de la première règle de Qualité est telle qu'on ne devrait pas l'inclure dans ce genre de construction ; certaines des autres règles ne deviennent opératoires qu'à la condition expresse que cette première règle de Qualité ait été respectée. Même si cela est vrai, il n'en demeure pas moins que si l'on considère la manière dont les implicitations [implicatures] sont produites, cette règle ne semble pas jouer un rôle tellement différent des autres, et pour le moment au moins, il sera fonctionnel de la traiter comme une règle du même type que les autres.
Il y a aussi bien sûr toutes sortes d'autres règles (esthétiques, sociales ou morales), du genre « Soyez poli », que les participants observent normalement dans les échanges parlés, et qui peuvent donner lieu à des implicitations non conventionnelles. Toutefois, les règles conversationnelles, et les implicitations qui leur sont attachées, sont plus spécialement accordées, je le pense, aux buts particuliers pour lesquels la parole (et donc les échanges de parole) est faite et d'abord employée. J'ai énoncé ces règles en supposant que le but recherché soit une efficacité maximale de l'échange d'information ; cette définition est bien sûr trop étroite, et il faudrait généraliser ce schéma de règles de façon à pouvoir tenir compte de buts aussi généraux que le désir d'influencer ou de mener les autres. Comme j'ai l'intention de montrer que la conversation n'est qu'un cas particulier, ou une variété, de conduite intentionnelle, voire rationnelle, il vaut peut-être d'être remarqué que les résultats ou hypothèses attendus de certaines au moins des règles que je viens d'énoncer trouvent leurs équivalents dans la sphère des transactions autres que l'échange parlé. Je donne rapidement un équivalent pour chacune des catégories :
1. Quantité : Si quelqu'un m'aide à réparer une voiture, je m'attends que sa contribution ne corresponde ni plus ni moins qu'à ce qui est demandé ; si par exemple à un moment donné, il me faut quatre vis, j'attends de lui qu'il m'en donne quatre, et non pas six ou deux.
2. Qualité : j'attends une aide véritable, pas un semblant d'aide. S'il me faut du sucre pour un gâteau que quelqu'un m'aide à faire, j'espère bien qu'il ne me tendra pas le sel; s'il me faut une cuiller, je veux croire que ce ne sera pas une attrape en caoutchouc.
3. Relation : je compte sur une aide de mon associé ajustée aux besoins immédiats de chaque stade de la transaction ; si je mélange des ingrédients pour faire un gâteau, je ne m'attends pas qu'on me tende un bon livre, ni même une pelle à tarte (même si peut-être cette contribution peut devenir opportune à un stade ultérieur).
4. Modalité : je compte que mon partenaire élucide pour moi la nature de sa contribution et qu'il l'accomplisse en un temps raisonnable."
Paul Grice, "Logique et conversation", 1967, tr. fr. F. Berther et M. Bozon, in Communications, 30, 1979, p. 57-72.
"The following may provide a first approximation to a general principle. Our talk exchanges do not normally consist of a succession of disconnected remarks, and would not be rational if they did. They are characteristically, to some degree at least, cooperative efforts; and each participant recognizes in them, to some extent, a common purpose or set of purposes, or at least a mutually accepted direction. This purpose or direction may be fixed from the start (e.g., by an initial proposal of a question for discussion), or it may evolve during the exchange; it may be fairly definite, or it may be so indefinite as to leave very considerable latitude to the participants (as in a casual conversation). But at each stage, some possible conversational moves would be excluded as conversationally unsuitable. We might then formulate a rough general principle which participants will be expected (ceteris paribus) to observe, namely: Make your conversational contribution such as is required, at the stage at which it occurs, by the accepted purpose or direction of the talk exchange in which you are engaged. One might label this the COOPERATIVE PRINCIPLE.
On the assumption that some such general principle as this is acceptable, one may perhaps distinguish four categories under one or another of which will fall certain more specific maxims and submaxims, the following of which will, in general, yield results in accordance with the Cooperative Principle. Echoing Kant, I call these categories Quantity, Quality, Relation, and Manner. The category of QUANTITY relates to the quantity of information to be provided, and under it fall the following maxims:
1. Make your contribution as informative as is required (for the current purposes of the exchange).
2. Do not make your contribution more informative than is required.
(The second maxim is disputable; it might be said that to be overinformative is not a transgression of the CP but merely a waste of time. However, it might be answered that such overinformativeness may be confusing in that it is liable to raise side issues; and there may also be an indirect effect, in that the hearers may be misled as a result of thinking that there is some particular POINT in the provision of the excess of information. However this may be, there is perhaps a different reason for doubt about the admission of this second maxim, namely, that its effect will be secured by a later maxim, which concerns relevance.)
Under the category of QUALITY falls a supermaxim –‘Try to make your contribution one that is true’ – and two more specific maxims:
1. Do not say what you believe to be false.
2. Do not say that for which you lack adequate evidence.
Under the category of RELATION I place a single maxim, namely, ‘Be relevant.’ Though the maxim itself is terse, its formulation conceals a number of problems that exercise me a good deal: questions about what different kinds and focuses of relevance there may be, how these shift in the course of a talk exchange, how to allow for the fact that subjects of conversation are legitimately changed, and so on. I find the treatment of such questions exceedingly difficult, and I hope to revert to them in a later work.
Finally, under the category of MANNER, which I understand as relating not (like the previous categories) to what is said but, rather, to how what is said is to be said, I include the supermaxim – ‘Be perspicuous’ – and various maxims such as:
1. Avoid obscurity of expression.
2. Avoid ambiguity.
3. Be brief (avoid unnecessary prolixity).
4. Be orderly.
And one might need others.
It is obvious that the observance of some of these maxims is a matter of less urgency than is the observance of others; a man who has expressed himself with undue prolixity would, in general, be open to milder comment than would a man who has said something he believes to be false. Indeed, it might be felt that the importance of at least the first maxim of Quality is such that it should not be included in a scheme of the kind I am constructing; other maxims come into operation only on the assumption that this maxim of Quality is satisfied. While this may be correct, so far as the generation of implicatures is concerned it seems to play a role not totally different from the other maxims, and it will be convenient, for the present at least, to treat it as a member of the list of maxims.
There are, of course, all sorts of other maxims (aesthetic, social, or moral in character), such as ‘Be polite’, that are also normally observed by participants in talk exchanges, and these may also generate nonconventional implicatures. The conversational maxims, however, and the conversational implicatures connected with them, are specially connected (I hope) with the particular purposes that talk (and so, talk exchange) is adapted to serve and is primarily employed to serve. I have stated my maxims as if this purpose were a maximally effective exchange of information; this specification is, of course, too narrow, and the scheme needs to be generalized to allow for such general purposes as influencing or directing the actions of others.
As one of my avowed aims is to see talking as a special case or variety of purposive, indeed rational, behavior, it may be worth noting that the specific expectations or presumptions connected with at least some of the foregoing maxims have their analogues in the sphere of transactions that are not talk exchanges. I list briefly one such analog for each conversational category.
1. Quantity. If you are assisting me to mend a car, I expect your contribution to be neither more nor less than is required. If, for example, at a particular stage I need four screws, I expect you to hand me four, rather than two or six.
2. Quality. I expect your contributions to be genuine and not spurious. If I need sugar as an ingredient in the cake you are assisting me to make, I do not expect you to hand me salt; if I need a spoon, I do not expect a trick spoon made of rubber.
3. Relation. I expect a partner's contribution to be appropriate to the immediate needs at each stage of the transaction. If I am mixing ingredients for a cake, I do not expect to be handed a good book or even an oven cloth (though this might be an appropriate contribution at a later stage).
4. Manner. I expect a partner to make it clear what contribution he is making and to execute his performance with reasonable dispatch."
Paul Grice, "Logic and Conversation", 1967, in Studies in the Way of Words, Harvard University Press, 1991, 26-28.
"On a bien fréquemment besoin, à la fois de dire certaines choses, et de pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de le dire mais de façon telle qu'on puisse en refuser la responsabilité. Il n'est pas dans notre objet, ici, de faire une psychologie ou une sociologie de l'implicite, et d'analyser en détail la fonction de l'implicite dans les relations sociales. Il nous suffit d'en faire voir la nécessité – à laquelle on peut attribuer au moins deux origines théoriquement distinctes. Elle tient d'abord au fait qu'il y a, dans toute collectivité, même dans la plus apparemment libérale, voire libre, un ensemble non négligeable de tabous linguistiques. On n'entendra pas seulement par à qu'il y a des mots – au sens lexicographique du terme – qui ne doivent pas être prononcés, ou qui ne le peuvent que dans certaines circonstances strictement finies. Ce qui importe davantage, vu notre propos, c'est qu'il y a des thèmes entiers qui sont frappés d'interdit et protégés par une sorte de loi du silence (il y a des formes d'activité, des sentiments, des événements dont on ne parle pas). Bien plus, il y a, pour chaque locuteur, dans chaque situation particulière, différents types d'informations qu'il n'a pas le droit de donner, non qu'elles soient en elles-mêmes objets d'une prohibition, mais parce que l'acte de les donner constituerait une attitude considérée comme répréhensible. Pour telle personne, à tel moment, dire telle chose, ce serait se vanter, se plaindre, s'humilier, humilier l'interlocuteur, le blesser, le provoquer, etc. Dans la mesure où, malgré tout, il peut y avoir des raisons urgentes de parler de ces choses, il devient nécessaire d'avoir à sa disposition des modes d'expression implicites, qui permettent de laisser entendre sans encourir la responsabilité d'avoir dit."
Oswald Ducrot, Dire et ne pas dire. Principes de sémantique, 1972, Hermann, 1991, p. 5-6.
"Si le respect de ces « lois » est nécessaire à la bonne marche de la conversation, il n'est pas suffisant […] pour que se déploie le plaisir d'être à plusieurs. Aborder une conversation en partant du principe qu'il faut bien accepter d'écouter si l'on veut bénéficier à son tour du droit de parler, cela reste une approche légaliste et contractuelle. Dans les situations où l'échange de paroles répond à un objectif pédagogique, professionnel ou politique, on se contente généralement de ce légalisme. Mais dans la conversation que l'on a pour le plaisir, il doit être dépassé. […] Le profit premier que l'on tire d'une conversation agréable, c'est la manière d'exister qu'elle apporte. Quant au profit que l'on peut tirer des choses qui s'y disent, il dépend lui aussi de cette manière d'être à plusieurs, car c'est celle-ci qui permet de dire ce que l'on n’aurait pas dit dans le cadre d'une autre manière d'être. Le profit intellectuel ne vient pas seulement de ce que les autres nous communiquent leurs pensées ; il provient aussi de ce que, stimulés par la conversation, ceux qui y participent ne pensent pas de la même manière que lorsqu'ils sont seuls. De sorte qu'ils sont parfois conduits à dire quelque chose qu'ils ne pensaient pas encore ou qu'ils ne savaient pas qu'ils pensaient.
Le fait que le respect des principes de morale que j'ai énoncés plus haut soit nécessaire à la vie de la conversation mais non suffisant a des conséquences philosophiques non négligeables.
D'abord, en effet, nous sommes habitués à penser que si la morale pouvait l'emporter sur l'intérêt, les relations entre les humains seraient les meilleures qu'elles puissent être. L'observation des faits de conversation ne confirme pas cette conception : nous avons vu que, pour que la mayonnaise de la conversation prenne, faire ce qui dépend de notre volonté ne suffit pas ; il faut aussi que nous entrions dans un rapport favorable avec des ressources qui ne dépendent pas de notre volonté (ce surcroît qui ne peut être atteint que s'il n'est pas visé).
Ensuite, il est facile de constater que la bonne volonté et l'effort moral ne suffisent pas pour que chacun se conforme aux règles dont j'ai parlé. Souvent, à propos du comportement de quelqu'un dans la conversation, nous disons qu'il (elle) ne peut pas s'empêcher de..., que c'est plus fort que lui (elle), etc. Autrement dit, nous constatons quotidiennement (sinon sur nous-mêmes, en tout cas chez les autres) que la propension à trop parler, à vouloir avoir raison ou à tirer vers soi le terrain de la conversation s'exerce non seulement spontanément, mais inconsciemment. De sorte que la volonté délibérée de respecter les principes moraux de la conversation ne nous permet même pas de prendre conscience de la propension que nous pouvons avoir à les transgresser. A fortiori ne suffit-elle pas à nous en corriger. »
"Une manière d'être à plusieurs", in La Conversation, dir. Gérald Cahen, Autrement, coll. « Mutation », 1999, p. 77-78.
"Dans les situations sociales décontractées comme la conversation entre amis, nous n'avons pas conscience que notre comportement est fortement contraint. Nous avons le sentiment de pouvoir dire ce qui nous passe par la tête, sans trop réfléchir avant de parler. Lors d'une discussion tendue dans un cadre professionnel, par exemple si l'enjeu est la signature d'un contrat qui engage en partie notre avenir, nous essayons de peser chacune de nos paroles. Nous sommes bien loin de cette situation dans la conversation. Converser est, pour la plupart des gens, un plaisir. Nous parlons sans presque réfléchir et les contenus de nos interventions nous viennent naturellement. Pourtant, il semble que nous soyons soumis, sans en avoir conscience la plupart du temps, à des contraintes sévères. L'une de ces contraintes est bien connue : on ne peut pas, comme on dit, sauter du coq à l'âne. Mais s'il existe une contrainte bien plus stricte qui limite notre liberté conversationnelle, c'est bien la contrainte de pertinence. À tout moment, certaines choses peuvent être dites, d'autres non. Même si l'éventail des interventions pertinentes qu'il est possible de faire à un moment donné est large. il est négligeable par rapport au nombre gigantesque des interventions imaginable. […]
La pertinence est une exigence omniprésente et incontournable de la conversation. Pour prendre un cas extrême, un individu qui ne produit plus d'énoncés pertinents est vite considéré comme un malade mental. Lorsque nous prenons la parole dans une conversation, nous poursuivons sans doute plusieurs objectifs plus ou moins conscients : établir un lien social, passer le temps, éprouver le plaisir de parler, répondre à une question, essayer de se présenter sous notre meilleur jour, etc. Parmi ces objectifs, cependant, le souci de dire quelque chose de pertinent figure en bonne place : au mieux, l'intérêt des interlocuteurs sera éveillé, mais au minimum, nous voulons passer pour des personnes sensées, capables de converser. Ainsi, nous ne dirons pas, dans la plupart des situations, quelque chose comme « J'ai une cousine dont l'amie possède un vélo », même si cela est vrai."
Jean-Louis Dessalles, Les origines du langage, une histoire naturelle de la parole, 2000, Hermes Sciences publications, p. 259-260.
Retour au menu sur le langage
Retour au menu sur la parole
Date de création : 20/10/2012 @ 18:05
Dernière modification : 10/01/2017 @ 09:24
Catégorie :
Page lue 5609 fois
|