"Le paradoxe de l'idée d'identification symbolique, au sens psychanalytique du terme, tient au fait qu'elle est par définition une identification ratée, une identification à la façon dont l'Autre me méconnaît. Prenons un exemple des plus simples : je suis père et suis par ailleurs un fieffé couard ; mais en même temps, je ne veux pas décevoir mon fils qui voit en moi ce que je ne suis pas, à savoir un homme d'honneur et de principes, prêt à prendre des risques pour la bonne cause. C'est ainsi que je m'identifie à cette méconnaissance de moi et que je deviens « vraiment moi-même », lorsque, en effet, je commence à agir selon cette méconnaissance (honteux de pouvoir apparaître aux yeux de mon fils pour l'homme que je suis, je me mets vraiment à devenir héroïque). Pour le dire autrement, il ne suffit pas de convoquer la différence entre la manière dont j'apparais aux autres et ce que je suis réellement pour rendre compte de l'identification symbolique : l'identification symbolique se produit lorsque la manière dont j'apparais aux autres devient plus importante à mes yeux que la réalité psychologique « sous le masque social », et me force à faire des choses que « de moi-même » je n'aurais jamais été capable d'accomplir."
Slavoj Žižek, Fragile absolu. Pourquoi l'héritage chrétien vaut-il d'être défendu ?, 2000, tr. fr. François Théron, Champs essais, 2010, p. 74-75.