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Texte à méditer :  Soyez philosophe ; mais, au milieu de toute votre philosophie, soyez toujours un homme.  David Hume
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Hors des sentiers battus
La dimension sociale du temps
  "Il est sûr que les horloges remplissent la même fonction dans la société que des phénomènes naturels, celle de moyens d'orientation pour des hommes insérés dans une succession de processus sociaux et physiques. Elles leur servent en même temps, de multiples manières, à harmoniser leurs comportements les uns envers les autres et à les ajuster à des phénomènes naturels, c'est-à-dire non élaborés par l'homme.
  Lorsque, à des stades précoces de la société, la nécessité se fit sentir de situer les événements et d'évaluer la durée de certains processus au sein du devenir, on prit l'habitude de choisir comme norme un certain type de processus physiques. On s'en tint à des phénomènes naturels, uniques, comme tout ce qui relève du devenir, mais dont la réapparition ultérieure se conformait à un modèle semblable, sinon identique. Ces séquences récurrentes comme le rythme des marées, le battement du pouls ou les levers et couchers du soleil des hommes et pour les ajuster à des processus extérieurs à eux, de la même manière que le furent à des stades ultérieurs les symboles récurrents sur le cadran de nos horloges."
 
Norbert Elias, Du temps, 1984, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, 1999, p. 8-9.

 
  "Les problèmes que les hommes cherchent à résoudre en mesurant la « durée » renvoient au fait que les groupes humains se trouvent placés à l'intérieur d'un plus vaste ensemble que celui qu'ils forment, l'univers naturel. Partout où l'on opère avec le « temps » sont impliqués des hommes avec leur environnement, donc des processus physiques et sociaux. En un mot, [se] pose la question très générale de savoir dans quel but les hommes ont besoin de déterminer le temps.
  La réponse n'est pas simple. On peut commencer par dire : parce que les positions et les séquences d'événements qui prennent place dans le flot ininterrompu du devenir se succèdent et ne se laissent ni juxtaposer ni comparer directement. Lors donc que, pour une raison quelconque, les membres d'une société tiennent à définir des positions et des trajectoires qui se présentent l'une après l'autre, ils ont besoin d'une seconde succession d'événements dans laquelle les changements individuels, tout en obéissant à la même loi d'irréversibilité, sont marqués par la réapparition régulière de certains modèles séquentiels. Ces modèles qui incluent le retour de séquences élémentaires semblables, sinon identiques, servent alors de références standardisées qui permettent de comparer indirectement les séquences de la première succession d'événements. Le mouvement apparent du soleil d'un point de l'horizon à un autre, le mouvement des aiguilles d'une montre d'un point du cadran à un autre sont des exemples de séquences récurrentes qui peuvent tenir lieu d'unités de référence et de moyens de comparaison pour des segments de processus appartenant à une autre série et qui ne peuvent être mis directement en relation en raison de leur caractère successif. En leur qualité de symboles régulatifs et cognitifs, ces unités de référence acquièrent la signification d'unités de temps.
  L'expression « temps » renvoie à cette mise en relation de positions ou de segments appartenant à deux ou plusieurs séquences d'événements en évolution continue. Si les séquences elles-mêmes sont perceptibles, leur mise en relation représente l'élaboration de ces perceptions par le savoir humain. Elle trouve son expression dans un symbole social communicable, la notion de « temps » qui, à l'intérieur d'une société, permet de transmettre d'un être humain à un autre des images mémorielles qui donnent lieu à une expérience mais qui ne peuvent être perçues par les sens non perceptifs.
 Dans le droit fil de l'ancienne théorie de la connaissance, l'idée pourrait ici surgir que le temps se trouve ainsi ramené à une relation établie par un être humain, une relation dépourvue de toute existence objective en dehors de celui-ci. Ce serait là une conclusion erronée dérivant de ce que l'on identifie le sujet de la connaissance à une personne individuelle. Or l'individu n'a pas la capacité de forger à lui tout seul le concept de temps. Celui-ci, tout comme l'institution sociale qui en est inséparable, est assimilé par l'enfant au fur et à mesure qu'il grandit dans une société où l'un et l'autre vont de soi. Dans une telle société, le concept de temps ne fait pas l'objet d'un apprentissage en sa seule qualité d'instrument d'une réflexion destinée à trouver son aboutissement dans des traités de philosophie ; chaque enfant en grandissant devient en effet vite familier du « temps » en tant que symbole d'une institution sociale dont il éprouve très tôt le caractère contraignant. Si, au cours des dix premières années de son existence, il n'apprend pas à développer un système d'autodiscipline conforme à cette institution, s'il n'apprend pas à se conduire et à modeler sa sensibilité en fonction du temps, il lui sera très difficile, sinon impossible, de jouer le rôle d'un adulte à l'intérieur de cette société.
  La transformation de la contrainte exercée de l'extérieur par l'institution sociale du temps en un système d'autodiscipline embrassant toute l'existence d'un individu illustre de façon saisissante la manière dont le processus de civilisation contribue à former les habitus sociaux qui sont partie intégrante de toute structure de personnalité. Cette transformation de la contrainte externe, exercée par l'institution sociale du temps, en un certain type de conscience du temps propre à l'individu n'est pas toujours aisée, comme en témoignent les cas de refus compulsifs de la ponctualité. Elle aide cependant à comprendre le point de vue selon lequel ce serait en vertu d'un trait inné de notre conscience que nous nous sentirions contraints d'insérer tout événement dans le cours du temps. C'est une particularité de nos habitus sociaux qui, dans la réflexion, se présente comme une particularité de notre nature et, donc, de la nature humaine en général."
 
Norbert Elias, Du temps, 1984, Introduction, tr. fr. Michèle Hulin, Fayard, p. 15-17.

 

Date de création : 14/06/2013 @ 10:56
Dernière modification : 14/04/2020 @ 15:24
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