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Texte à méditer :  

Car quoi de plus excusable que la violence pour faire triompher la cause opprimée du droit ?   Alexis de Tocqueville


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La foi

   "Quand l'âme croit fermement la parole de Dieu, elle le tient pour véridique, juste et droit et lui rend par là le plus grand honneur que l'on puisse lui rendre, car elle lui donne alors raison, elle reconnaît qu'il a raison, elle honore son nom et le laisse agir sur elle comme il entend le faire, car elle ne doute pas qu'il soit juste et véridique dans toutes ses paroles. Inversement, on ne peut pas faire à Dieu de plus grave affront que de ne pas le croire ; en agissant de la sorte, l'âme le tient pour un être sur lequel on ne peut faire fond, pour un menteur sans scrupules, et, pour ce qui est d'elle, elle renie Dieu par un pareil manque de foi et, dans son cœur, elle dresse en face de Dieu, telle une idole, sa propre raison, comme si elle se prétendait plus savante que lui. Quand Dieu voit que l'âme reconnaît sa véracité et l'honore de sa foi, il l'honore en retour et la tient pour juste et véridique et elle est aussi juste et véridique du fait de cette foi, car il est conforme à la vérité et juste de reconnaître à Dieu l'esprit de vérité et de justice, et cela rend juste et véridique puisqu'il est véritable et juste de reconnaître à Dieu l'esprit de vérité. C'est ce que ne font pas ceux qui ne croient pas, quand bien même ils se multiplient et se dépensent en bonnes œuvres.
  Douzièmement. Non seulement la foi obtient que l'âme, à l'image de la parole divine, soit comblée de toutes les grâces, libre et bienheureuse, mais elle unit encore l'âme au Christ, comme une épouse est unie à l'époux. La conséquence de ce mariage est, comme dit saint Paul [Ephésiens 5, 30], que le Christ et l'âme ne font plus qu'une seule chair, les biens des deux conjoints sont aussi mis en commun, leur chance et leur malchance et toutes choses ; ce qu'a le Christ est la propriété de l'âme croyante, ce qu'a l'âme devient la propriété du Christ. Ainsi le Christ est possesseur de tout bien et de toute félicité, l'âme en a la propriété. Ainsi l'âme ne détient que mal et que péché : ils deviennent propriété du Christ. Alors s'instituent cette joute et cet échange joyeux : puisque le Christ, Dieu et homme, n'a encore jamais péché et que sa justice est invincible, éternelle et toute-puissante, il s'approprie les péchés de l'âme croyante, grâce à l'anneau nuptial de celle-ci (c'est-à-dire grâce à sa foi) et tout se passe comme s'il les avait commis, c'est-à-dire que les péchés doivent s'engloutir et se noyer en lui. Car aucun péché ne peut résister à la puissance invincible de ce juste ; ainsi l'âme est débarrassée et libérée de tous ses péchés par la seule grâce de son trésor nuptial, c'est-à-dire à cause de sa foi, et reçoit en présent du Christ, son époux, le don d'être éternellement juste. N'est-ce pas un heureux ménage qui se fonde, quand le fiancé riche, noble, juste, prend pour épouse la malheureuse et mauvaise petite prostituée que l'on méprise, la délivre de tout mal et l'orne de tout bien ? Ainsi il n'est pas possible que ses péchés la condamnent car ils reposent maintenant sur le Christ et sont engloutis en lui ; elle est en son époux si abondamment juste qu'elle est une fois encore capable de résister à tous les péchés quand même ils reposeraient sur elle. C'est ce que dit saint Paul (I Corinthiens, 15 [57]) : « Grâces soient rendues à Dieu qui nous a donné la victoire en Jésus-Christ en qui s'est engloutie la mort avec le péché. »

  Treizièmement. Mais vous voyez à présent pour quelles raisons à bon droit on attribue à la foi un pouvoir assez grand pour qu'elle puisse satisfaire aux exigences de tous les commandements et qu'elle nous justifie sans le concours d'aucune bonne œuvre. Car vous voyez à présent qu'elle satisfait aux exigences du premier commandement qui prescrit : « Tu honoreras un seul Dieu. » Quand vous ne seriez que bonnes œuvres des pieds à la tête, vous ne seriez quand même pas juste, vous n'honoreriez encore nullement Dieu et vous ne satisferiez pas aux exigences du tout premier d'entre les commandements. Car il n'est pas possible d'honorer Dieu sans lui reconnaître la véracité et toutes les qualités, comme il les possède d'ailleurs vraiment. C'est ce que ne fait aucune bonne œuvre, mais seule le fait la foi du cœur.
  Aussi est-ce en elle seule que l'homme devient juste et satisfait aux exigences de tous les commandements. Car celui qui satisfait aux exigences du premier et du plus important d'entre les commandements satisfera sûrement et aisément aux exigences de tous les autres commandements. Les œuvres, par contre, sont choses mortes, elles ne pourraient honorer ni louer Dieu, encore qu'on puisse y recourir et en user pour l'honneur et la gloire de Dieu, mais nous cherchons ici non pas celui qui est mis en action, comme sont les œuvres, mais celui qui agit par lui-même et le maître d'œuvre qui honore Dieu et accomplit les œuvres. Il n'est autre que la foi du cœur, principe et substance même de la justice, aussi répand-on une doctrine dangereuse et absurde quand on enseigne que c'est par les œuvres qu'il faut accomplir les commandements, alors qu'avant de pratiquer les œuvres, il faut satisfaire par la foi à ces exigences et les œuvres viendront après l'accomplissement des commandements, ainsi que nous l'apprendrons."

 

 Martin Luther, De la liberté du chrétien, 1520, Trad. Maurice Gravier, Paris, Aubier Montaigne, 1969, p. 56-60.



  "FOI. La foi, c'est la certitude de l'être qui est dans l'amour, lorsqu'elle devient explicitement consciente.
  La foi est en outre la certitude de l'être devenant active dans l'action inconditionnelle. [...]

  La foi [...] n'est pas voulue, je veux à partir d'elle. Elle n'est pas prouvée, mais elle se conçoit à chaque fois selon une objectivité spécifique de pensée ou d'image ; si elle s'éclaire, elle se trouve sur la voie d'une généralité[1].
  Il faut interroger la foi sur ce qu'elle croit et ce à quoi elle croit. Subjectivement, la foi est la façon dont l'âme est certaine de son être, de son origine et de sa fin sans posséder des concepts suffisants. Objectivement, la foi énonce un contenu, qui reste en tant que tel incompréhensible en lui-même et qui, réduit à son objectivité, disparaît.
  a) Ce à quoi l'on croit. Dans sa manifestation, la foi ne croit pas quelque chose, mais à quelque chose. Elle n'a pas de connaissance incertaine d'un objet, comme par exemple l'idée qu'il y aurait quelque chose qui ne serait pas visible ; elle est bien plutôt la certitude de l'être dans la vie présente [...] Loin de se fier à un savoir incertain pour abandonner ce monde au profit d'un au-delà, elle reste dans le monde où elle perçoit ce à quoi elle peut croire en relation avec la transcendance. C'est ainsi que je crois en un être humain et à des données objectives qui sont à mes yeux la manifestation d'une idée à laquelle je participe : patrie, mariage, science, profession. [...] Dans un monde en train de sombrer, il reste l'amour d'existence à existence, pauvre parce que sans espace dans la réalité empirique, mais puissant parce qu'il est toujours origine de la certitude de l'être. [...]
  Sur le fond de la foi dans l'idée et dans l'existence se développe la foi dans la transcendance. […]
  b) Ce qu'est la foi. La foi m'échappe lorsqu'elle devient rationnellement certaine et contraignante. Si j'ai un savoir fondé sur des raisons, je ne crois pas. […] La foi n'est donc pas authentique lorsqu'elle se présente comme objectivement certaine. […] La foi s'accomplit en faisant ses preuves en tant que force de l'existence.
  Ce que je crois, et qui me parle en termes objectifs, je le suis par mon être-moi, ni passivement, ni objectivement, ni uniquement comme quelque chose que je reçois, mais comme étant mon essence dont je me sais responsable, bien que je ne puisse pas me forcer à croire par la volonté ou l'entendement.
  La vérité de ma foi dans son objectivation, ma conscience morale la met à l'épreuve en fonction de la situation historique […]
  La foi est confiance en tant qu'espoir indestructible. En elle la conscience de l'incertitude de toute chose dans le monde phénoménal se dissout dans la confiance qu'elle met dans le fondement de l'être. La certitude de l'être qui s'accomplit en elle se sait face à la transcendance, sans qu'aucun lien sensible, empirique, avec elle puisse prétendre à la vérité.
  c) Foi active. En tant que certitude de l'être, elle est à l'origine de l'action inconditionnelle, elle est historicité.
  Dans l'action, [...], la foi, c'est être prêt à tout supporter, en elle, l'activité orientée vers des buts précis peut ne faire qu'un avec la certitude de faire ce qui est vrai, même si tout échoue. L'impossibilité de connaître scientifiquement la divinité me donne la paix et m'incite à faire tout ce que je peux, tant que c'est possible."

 

Karl Jaspers, Philosophie, 1932, Springer Verlag, 1986, p. 482-483.


[1] L'élucidation des supports imagés, ou narratifs de la foi (récits bibliques, symboles, paraboles) débouche sur l'intelligence philosophique qui substitue le concept (généralité) à l'image.


 

 

  "Il faut distinguer la foi rationnelle de la foi irrationnelle. Par foi irrationnelle, j'entends la croyance (en une personne ou en une idée) qui se fonde sur la soumission à une autorité irration­nelle. Au contraire, la foi rationnelle est une conviction qui s'enracine dans notre propre expérience de pensée et de sentiment – elle n'est pas d'abord une croyance en quelque chose, mais la qualité de certitude et de fermeté qui marque nos convictions. En ce sens, plutôt qu'une croyance spécifique, la foi est un trait de caractère qui anime la personnalité entière.
  La foi rationnelle s'enracine dans une activité produc­tive à laquelle participent l'intelligence et l'affectivité. Dans la pensée rationnelle, dont on suppose que la foi est exclue, la foi rationnelle est une composante importante. Comment l'homme de science, par exemple, arrive-t-il à une découverte ? Se met-il à faire expérience après expérience, à rassembler un fait après l'autre, sans avoir la vision de ce qu'il s'attend à découvrir ? Il est rare qu'une découverte réellement importante ait jamais été faite de cette manière, comme il est rare que les gens aboutissent à d'importantes conclusions lorsqu'ils se contentent de pourchasser des fantasmes. La démarche d'une pensée créatrice dans tout champ d'activité humaine commence souvent par ce qu'on peut appeler une « vision rationnelle », celle-ci prenant appui sur une étude préalable extensive, sur la réflexion et sur l'obser­vation. Quand l'homme de science réussit à rassembler un assez grand nombre de données, ou à élaborer une formulation mathématique qui rend hautement plausi­ble sa vision de départ, on peut dire qu'il est parvenu à une hypothèse expérimentale. Une analyse soigneuse de cette hypothèse pour en tirer toutes les conséquences, et l'accumulation de données qui la soutiennent condui­sent à une hypothèse plus adéquate et finalement peut-­être à son inclusion dans une théorie de grande portée. L'histoire de la science abonde en exemples de foi dans la raison et dans la vision d'une vérité. Copernic, Kepler, Galilée et Newton étaient tous pénétrés d'une foi inébranlable dans la raison, foi qui valut à Bruno d'être brûlé sur un bûcher et à Spinoza d'être excommunié. À chaque étape, en partant de la conception d'une vision rationnelle jusqu'à la formulation d'une théorie, la foi est nécessaire : foi dans la vision comme objectif rationnellement valable à poursuivre, foi dans l'hypothèse comme proposition vraisemblable et plausible, et foi dans la théorie finale, au moins jusqu'à ce qu'un consensus général sur sa validité ait été obtenu. Cette foi s'enra­cine dans l'expérience propre de chacun, dans la confiance qu'il a en son pouvoir de pensée, d'observa­tion et de jugement. Alors que la foi irrationnelle est l'acceptation de quelque chose comme vrai parce qu'une autorité ou la majorité l'affirme ainsi, et uniquement pour cela, la foi rationnelle s'enracine dans une convic­tion autonome, fondée sur l'observation et sur la pro­ductivité d'une pensée personnelle, en dépit de l'opinion de la majorité."

 

Erich Fromm, L'Art d'aimer, 1956, 4e partie, tr. fr. J.-L. Laroche et Françoise Tcheng, Desclée de Brouwer, 1995, p. 142-143.
 

 

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Date de création : 28/10/2013 @ 10:23
Dernière modification : 28/03/2022 @ 09:11
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