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Texte à méditer :  Deviens ce que tu es.
  
Pindare
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Figures philosophiques

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Hors des sentiers battus
La volonté

  "[...] On ne peut pas dire que le choix est une impulsion, car les actes dus à l'impulsivité semblent être tout ce qu'il y a de plus étranger à ce qu'on fait par choix.
  Mais le choix n'est certainement pas non plus un souhait, bien qu'il en soit visiblement fort voisin. Il n'y a pas de choix, en effet, des choses impossibles, et si on prétendait faire porter son choix sur elles on passerait pour insensé ; au contraire il peut y avoir souhait de choses impossibles, par exemple de l'immortalité. D'autre part, le souhait peut porter ses des choses qu'on ne saurait d'aucune manière mener à bonne fin par soi-même, par exemple faire que tel acteur ou tel athlète remporte la victoire ; au contraire, le choix ne s'exerce jamais sur de pareilles choses, mais seulement sur celles qu'on pense pouvoir produire par ses propres moyens. En outre, le souhait porte plutôt surtout sur la fin, et le choix sur les moyens pour parvenir à la fin : par exemple, nous souhaitons être en bonne santé, mais nous choisissons les moyens qui nous feront être en bonne santé ; nous pouvons dire encore que nous souhaitons d'être heureux, mais il est inexact de dire que nous choisissons de l'être ; car, d'une façon générale, le choix porte, selon toute apparence, sur les choses qui dépendent de nous".

 

Aristote, Éthique à Nicomaque, III, 4, 1111 b 17-30, trad. J. Tricot, Éd. Vrin, 1997, p. 130.

 
  "[…] d'où vient ce prodige ? Quelle en est la cause ? L'âme donne des ordres au corps, et elle est obéie sur-le-champ. L'âme se donne à elle-même des ordres, et elle se heurte à des résistances. L'âme donne l'ordre à la main de se mouvoir, et c'est une opération si facile qu’à peine distingue-t-on l’ordre de son exécution. Et cependant l'âme est âme et la main est corps. L'âme donne à l'âme l'ordre de vouloir ; l'une ne se distingue point de l'autre et pourtant elle n'agit pas. D'où vient ce prodige ? quelle en est la cause ? Elle lui donne l'ordre, dis-je, de vouloir ; elle ne le donnerait pas si elle ne voulait pas, et ce qu'elle ordonne ne se fait pas.
  C'est qu'elle ne veut pas d'un vouloir total, et ainsi elle ne commande pas totalement. Elle ne commande que pour autant qu'elle veut, et pour autant elle ne veut pas, ses ordres ne reçoivent pas l'exécution, car c'est la volonté qui donne l'ordre d'être à une volonté qui n'est rien d'autre qu'elle-même. C'est pourquoi elle ne commande pas pleinement, et de là vient que ses ordres sont sans effet. Car si elle était dans sa plénitude, elle ne se commanderait pas d'être, elle serait déjà. Ce n'est donc pas un prodige de vouloir partiellement et partiellement de ne pas vouloir : c'est une maladie de l'âme. Celle-ci soulevée par la vérité, mais entraînée par le poids de l'habitude, ne peut se mettre tout à fait debout. Il y a donc deux volontés, toutes deux incomplètes et ce que l'une possède fait défaut à l'autre."

 
Augustin, Les Confessions, Livre VIII, chapitre 9, trad. Joseph Trabucco, Garnier-Flammarion, 1978, p. 169-170.

 

 "Il faut aussi distinguer l'ignorance involontaire de l'ignorance volontaire. En effet, lorsque notre ignorance dépend de nous, nous ne devons pas la regarder comme une excuse de nos fautes. C'est pourquoi ceux qui commettent de mauvaises actions, dans l'ivresse, ou dans le transport de la colère, sont considérés comme ayant agi volontairement, puisqu'ils étaient libres de ne pas s'enivrer et de ne pas se mettre en fureur, et que leur ignorance résulte de leur volonté. Ainsi, bien qu'ils aient agi dans un état d'ignorance, ils ne sont point regardés comme ayant agi par ignorance, parce que leur état dépendait de leur volonté. Ils encourent, pour cela, le blâme des gens sensés ; car ils n'auraient pas commis de fautes s'ils ne s'étaient pas abandonnés à l'ivresse, de la colère ou à celle du vin. Puis donc que leur ivresse est volontaire, leur action l'est aussi. Mais nous agissons réellement par ignorance lorsque notre ignorance est involontaire, et qu'elle est l'effet de circonstances indépendantes de nous. C'est ainsi que quelqu'un, en lançant une flèche dans un lieu où il a coutume de s'exercer, atteint son père qui passe par hasard, et le tue.
 On voit donc, par ce que nous venons de dire, que celui qui n'a pas le discernement du bien, ou qui prend le mal pour le bien, n'agit pas toujours involontairement ; puisque son ignorance peut résulter de sa perversité. C'est pourquoi il peut être blâmé avec raison, parce que les actes volontaires encourent le blâme."
 
Némésios, De la naturede l'homme, vers 400 ap. J.-C., traduit du grec par Jean-BaptisteThibault, Cambrai, 1844.

 

  "Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde ; et généralement de m'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu'après que nous avons fait notre mieux touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est au regard de nous absolument impossible.
    Et ceci seul me semblait être suffisant pour m'empêcher de rien désirer à l'avenir que je n'acquisse, et ainsi pour me rendre content : car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n'aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou de Mexique ; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d'être sains étant malades, ou d'être libres étant en prison, que nous faisons maintenant d'avoir des corps d'une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux.
    Mais j'avoue qu'il est besoin d'un long exercice et d'une méditation souvent réitérée pour s'accoutumer à regarder de ce biais toutes les choses ; et je crois que c'est principalement en ceci que consistait le secret de ces philosophes, qui ont pu autrefois se soustraire à l'empire de la fortune, et, malgré les douleurs et la pauvreté, disputer de la félicité avec leurs dieux. Car, s'occupant sans cesse à considérer les bornes qui leur étaient prescrites par la nature, ils se persuadaient si parfaitement que rien n'était en leur pouvoir que leurs pensées, que cela seul était suffisant pour les empêcher d'avoir aucune affection pour d'autres choses ; et ils disposaient d'elles si absolument, qu'ils avaient en cela quelque raison de s'estimer plus riches, et plus puissants, et plus libres, et plus heureux qu'aucun des autres hommes, qui, n'ayant point cette philosophie, tant favorisés de la nature et de la fortune qu'ils puissent être, ne disposent jamais ainsi de tout ce qu'ils veulent.

 

Descartes, Discours de la Méthode (1637), III, Garnier T. I, p. 595 596.


 
 "50. C'est pourquoi la raison que M. Descartes a alléguée, pour prouver l'indépendance de nos actions libres par un prétendu sentiment vif interne n'a point de force. Nous ne pouvons pas sentir proprement notre indépendance, et nous ne nous apercevons pas toujours des causes, souvent imperceptibles, dont notre résolution dépend. C'est comme si l'aiguille aimantée prenait plaisir de se tourner vers le nord ; car elle croirait tourner indépendamment de quelque autre cause, ne s'apercevant pas des mouvements insensibles de la matière magnétique. Cependant nous verrons plus bas en quel sens il est très-vrai que l'âme humaine est tout à fait son propre principe naturel par rapport à ses actions, dépendante d'elle-même, et indépendante de toutes les autres créatures.
   51. Pour ce qui est de la volition même, c'est quelque chose d'impropre de dire qu'elle est un objet de la volonté libre. Nous voulons agir, à parler juste ; et nous ne voulons point vouloir ; autrement nous pourrions encore dire que nous voulons avoir la volonté de vouloir, et cela irait à l'infini. Nous ne suivons pas aussi toujours le dernier jugement de l'entendement pratique, en nous déterminant à vouloir ; mais nous suivons toujours, en voulant, le résultat de toutes les inclinations qui viennent, tant du côté des raisons, que des passions ; ce qui se fait souvent sans un jugement exprès de l'entendement.
   52. Tout est donc certain et déterminé par avance dans l'homme comme partout ailleurs, et l'âme humaine est une espèce d'automate spirituel, quoique les actions contingentes en général, et les actions libres en particulier, ne soient point nécessaires pour cela d'une nécessité absolue, laquelle serait véritablement incompatible avec la contingence. Ainsi ni la futurition en elle-même, toute certaine qu'elle est, ni la prévision infaillible de Dieu, ni la prédétermination des causes, ni celle des décrets de Dieu, ne détruisent point cette contingence et cette liberté."
  
Leibniz, Essais de Théodicée, 1710, Première partie, § 50-52, GF-Flammarion, 1969, p. 131-132.

 

    "« Si l'âme est la maîtresse chez soi, dit M. Bayle, elle n'a qu'à vouloir et aussitôt ce chagrin et cette peine qui accompagnent la victoire sur les passions s'évanouiront. » Pour cet effet, il suffirait à son avis de se donner de l'indifférence pour les objets des passions. Pourquoi donc les hommes ne se donnent-ils pas cette indifférence, dit-il, s'ils sont les maîtres chez eux ? Mais cette objection est justement comme si je demandais : pourquoi un père de famille ne se donne pas de l'or quand il en a besoin ? Il en peut acquérir, mais par adresse et non pas comme du temps des fées ou du roi Midas, par un simple commandement de la volonté par un attouchement. Il ne suffirait pas d'être le maître chez soi, il faudrait être le maître de toutes choses pour se donner tout ce que l'on veut car on ne trouve pas tout chez soi. En travaillant aussi sur soi, il faut faire comme en travaillant sur autre chose : il faut connaître la constitution et les qualités de son objet et y accommoder ses opérations. Ce n'est donc pas en un moment et par un simple acte de la volonté qu'on se corrige et qu'on acquiert une meilleure volonté."

 

Leibniz, Essais de Théodicée, 1710, Troisième partie, § 328, GF-Flammarion, 1969, p. 311.


 

 "On veut que la volonté soit seule active et souveraine, et on a coutume de la concevoir comme une reine assise sur sou trône, dont l'entendement est le ministre d'État, et dont les passions sont les courtisans, ou les demoiselles favorites, qui par leur influence prévalent souvent sur le conseil du ministère. On veut que l'entendement ne parle que par ordre de cette reine, qu'elle peut balancer entre les raisons du ministre et les suggestions des favoris, et même rebuter les unes et les autres, enfin qu'elle les fait taire ou parler, et leur donne audience ou non, comme bon lui semble. Mais c'est une prosopopée ou fiction an peu mal entendue. Si la volonté doit juger, ou prendre connaissance des raisons et des inclinations que l'entendement ou les sens lui présentent, il lui faudra un autre entendement dans elle-même, pour entendre ce qu'où lui présente. La vérité est, que l'âme, ou lu substance qui pense, entend les raisons, et sent les inclinations, et se détermine selon la prévalence des représentations qui modifient sa force active, pour spécifier l'action."
 
 
Leibniz, Essais de Théodicée, 1710, "Remarques sur le livre sur l'origine du mal", GF-Flammarion, 1969, p. 402-403.

 
  "La volonté est une modification de notre cerveau par laquelle il est disposé à l'action, c'est-à-dire, à mouvoir les organes du corps de manière à se procurer ce qui le modifie d'une façon analogue à son être ou à écarter ce qui lui nuit.
  Vouloir, c'est être disposé à l'action. Les objets extérieurs ou les idées intérieures qui font naître cette disposition dans notre cerveau s'appellent motifs parce que ce sont les ressorts ou mobiles qui le déterminent à l'action, c'est-à-dire, à mettre en jeu les organes du corps. Ainsi les actions volontaires sont des mouvements du corps déterminés par les modifications du cerveau. La vue d'un fruit modifie mon cerveau d'une façon qui le dispose à faire mouvoir mon bras pour cueillir le fruit que j'ai vu et le porter à ma bouche."

Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre VIII, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 235-236.

 
    "On dit volontiers : mon vouloir a été déterminé par ces mobiles, circonstances, excitations et impulsions. La formule implique d'emblée que je me sois ici comporté de façon passive. Mais, en vérité, mon comportement n'a pas été seulement passif ; il a été actif, aussi, et de façon essentielle, car c'est mon vouloir qui a assumé telles circonstances à titre de mobiles, qui les a fait valoir comme mobiles. Il n'est ici aucune place pour la relation de causalité. Les circonstances ne jouent point le rôle de causes et mon vouloir n'est pas l'effet de ces circonstances. Dans la mesure où l'homme allègue qu'il a été entraîné par des circonstances, des excitations, etc., il entend par là rejeter, pour ainsi dire, hors de lui-même sa propre conduite, mais ainsi il se réduit tout simplement à l'état d'essence non libre ou naturelle, alors que sa conduite, en vérité, est toujours sienne, non celle d'un autre ou l'effet de quelque chose qui existe hors de lui. Les circonstances ou mobiles n'ont jamais sur les hommes que le pouvoir qu'il leur accorde lui-même."

 

Hegel, Propédeutique philosophique, 1er cours, Doctrine du droit, des devoirs et de la religion, Introduction, Éclaircissements..., §15, trad. M. de Gandillac, Gonthier, 1963, p. 26.

 

  "Le fait de désirer et de trouver que quelque chose est agréable, l'aversion, et le fait de trouver que quelque chose est pénible sont des phénomènes entièrement inséparable ou plutôt, les deux aspects du même phénomène ; en toute rigueur de langage, ce sont deux manières différentes de nommer le même phénomène psychologique : à savoir que consi­dérer un objet comme désirable (sauf quand on le désire pour ses seules conséquences) et le considérer comme agréable sont une seule et même chose ; et que désirer quelque chose, sans s'en faire une idée proportionnelle­ment agréable, est une impossibilité physique et méta­physique.
  Ces idées me semblent tellement évidentes que je ne pense pas qu'on puisse les mettre en doute ; et l'objection que l'on me fera n'est pas que le désir peut avoir pour objet quelque chose qui ne soit pas, en dernier ressort, le plaisir et l'absence de peine, mais, plu­tôt, que la volonté est différente du désir ; qu'une per­sonne dont la vertu est confirmée, ou toute autre personne dont les buts sont fixés, réalise ses buts sans jamais penser au plaisir qu'elle a à les envisager ou qu'elle espère tirer de leur réalisation ; et elle persiste à agir en vue de ces buts même si ces plaisirs sont très diminués à la suite de changements dans son caractère ou de l'affaiblissement de sa sensibilité passive ou encore si la peine que la poursuite de ces buts peut lui apporter est plus grande que le plaisir. J'admets pleine­ment toutes ces objections et je les ai mentionnées ailleurs tout aussi explicitement et sérieusement que qui­conque. La volonté, phénomène actif, est différente du désir, état de sensibilité passive, et, bien qu'à l'origine elle en soit un rejeton, elle peut, avec le temps, prendre racine et se détacher du tronc paternel ; si bien que, dans le cas d'un but poursuivi par habitude, au lieu de vouloir la chose parce que nous la désirons, souvent nous ne la désirons que parce que nous la voulons. Ce n'est là, cependant, qu'un exemple de ce fait bien connu qu'est le pouvoir de l'habitude et qui n'est pas du tout limité au cas des actions vertueuses. Il existe beaucoup de choses indifférentes que les hommes font à l'origine pour un motif quelconque et qu'il conti­nuent à faire par habitude. Parfois la chose est faite inconsciemment et l'on n'en prend conscience qu'après l'action : d'autres fois avec une volonté consciente, mai une volonté qui est devenue habituelle et qui est mise en marche par la force de l'habitude, s'opposant peut-être à la préférence délibérée, ce qui arrive sou­vent chez ceux qui ont contracté des habitudes
d'abandon à des plaisirs vicieux ou nuisibles. Troisièmement et en dernier lieu, nous avons l'exemple de l'acte de volonté qui, devenu habituel dan un cas par­ticulier, n'est pas en contradiction avec l'intention générale qui prévaut à d'autres moments, mais la réa­lise; comme dans l'exemple de la personne vertueuse et de tous ceux qui poursuivent de manière délibérée et sans failles une fin précise. Ainsi comprise, la distinction entre le désir et la volonté est un fait psycholo­gique authentique et extrêmement important ; mais ce fait consiste seulement en ce que la volonté, comme tous les autres éléments de notre constitution, est sou­mise à l'habitude et que nous pouvons vouloir par habitude une chose que nous ne désirons plus pour elle-même, ou ne désirons que parce que nous la vou­lons. Il n'en est pas moins vrai que la volonté, à l'origine, est entièrement le produit du désir ; en incluant dans ce terme la répugnance à l'égard de la peine et l'attrait pour le plaisir. Considérons, à présent, non plus la personne dont la volonté de bien agir est confirmée, mais celle en qui la volonté vertueuse est encore faible, susceptible de céder à la tentation, une volonté à laquelle on ne peut faire pleinement con­fiance ; par quels moyens peut-elle être renforcée ? Comment la volonté d'être vertueux, là où elle n'existe pas avec suffisamment de force, peut-elle être implantée ou éveillée ? C'est seulement en faisant que la personne désire la vertu – en faisant qu'elle y pense sous un jour agréable ou que son absence suggère du déplaisir. C'est en associant l'action droite (doing right) avec le plaisir, ou l'action injuste (doing wrong) avec la peine, ou en mettant en évidence, en soulignant et en faisant comprendre, dans l'expérience même de la per­sonne, le plaisir qui est tout naturellement impliqué dans la vertu ou la peine dans le vice, qu'il est possible de produire cette volonté d'être vertueux, volonté qui, lorsqu'elle est confirmée, agit sans plus penser au plai­sir ni à la peine. La volonté est l'enfant du désir et elle n'échappe à l'autorité de ses parents que pour tomber sous celle de l'habitude. Ce qui est le résultat de l'habitude n'offre aucune présomption d'être intrinsè­quement bon ; et il n'y aurait aucune raison de souhai­ter que le but de la vertu devienne indépendant du plaisir et de la peine, si ce n'est que l'influence des associations plaisantes et désagréables qui poussent à la vertu, tant que cette influence n'a pas acquis le soutien de l'habitude, n'agit pas avec l'infaillible constance qui permettrait de s'y fier. En ce qui concerne aussi bien les sentiments que la conduite c'est l'habitude qui, seule, offre la certitude ; et c'est parce que, pour les autres, il est important de pouvoir compter absolument sur les sentiments et la conduite de la personne et que, pour soi-même, il est tout aussi important de pouvoir compter sur ses propres sentiments et sa conduite, que la volonté d agir devrait être cultivée en vue de cette indépendance l'égard du plaisir et de la peine que crée l'habitude. En d'autres termes cet état de la volonté est un moyen pour parvenir au bien, ce n'est pas un bien en soi ; et cela ne contredit pas la doctrine qui soutient que rien n'est un bien pour les êtres humains qui ne soit lui-même agréable ou un moyen d'atteindre le plaisir ou d'éviter la peine."

 

John Stuart Mill, L'Utilitarisme, 1861, tr. fr. Catherine Audard et Patrick Thierry, PUF, Quadrige, 1998, p. 94-98.



  "Quand j'étais petit, et avant que j'eusse vu la mer, je croyais que les barques allaient toujours où le vent les poussait. Aussi, lorsque je vis comment l'homme de barre en usait avec les lois universelles et bridait le vent, je ne pris point coutume pour raison, il fallut comprendre. Le vrai dieu m'apparut et je le nommai volonté. En même temps se montra la puissance et le véritable usage de l'intelligence subordonnée. La rame, le moulin, la pioche, le levier, l'arc, la fronde, tous les outils et toutes les machines me ramenaient là, je voyais les idées à l'oeuvre, et la nature aveugle gouvernée par le dompteur de chevaux. C'est pourquoi je n'attends rien de ces grandes forces, aussi bien humaines, sur lesquelles danse notre barque. Il s'agit premièrement de vouloir contre les forces ; et deuxièmement, il faut observer comment elles poussent, et selon quelles invariables lois. Plus je les sens aveugles et sans dessein aucun, mieux je m'y appuie ; fortes, infatigables, bien plus puissantes que moi, elles ne me porteront que mieux là où je veux aller."

 

Alain, 4 juin 1921. n°266 dans le tome II des Propos d'Alain Pléiade (p. 388 à 390).

 

 "La force invisible et invincible, l'άυίχητον, la force des faibles, forte comme la mort, s'appelait chez Épictète volonté : nulle contrainte ne peut forcer celui qui ne nous aime pas à nous aimer ; et de la même manière aucune violence ne peut contraindre une volonté à vouloir quand cette volonté ne veut pas : la volonté sous les tortures oppose au tortionnaire la force surnaturelle de son mutisme, le Résistant barricadé dans l'inexpugnable forteresse de sa résolution meurt sans avoir parlé. Par la force le tortionnaire n'extorquera pas à la volonté les noms qu'il recherche : mais par la douceur ou par la ruse, par flatterie ou par surprise, ou par la seule tactique de la non-violence, il désarmera dans certains cas celui qu'il n'a pu vaincre de front ; une volonté qui ne peut être brisée peut être infléchie, à condition que l'on veuille d'abord comme elle et avec elle, à condition que l'on fasse en sa compagnie un bout de chemin pour mieux la dévier ensuite ; une volonté qui ne peut être forcée peut être persuadée !"
 
Vladimir Jankélévitch, L'irréversible et la nostalgie, 1974, Flammarion, Champs essais, 2011, p. 11.

 

 "[…] le vouloir de l'homme est dépassé par les conséquences invoulues de sa volition, invoulues et cependant convoulues à la chose voulue. Je n'ai pas voulu cela, soupire quelquefois l'élève-sorcier consterné, débordé par les suites d'une première décision, plus fort et plus faible que ses propres œuvres ; et en effet il voulait autre chose, le sorcier en herbe, mais il a été obligé de vouloir par accroc ce qu'il ne voulait pas, ou de vouloir par-dessus le marché plus qu'il ne voudrait ou souhaiterait. Disons que sa volonté est trop ample, qu'elle est en quelque sorte émoussée et surtout mal ajustée. D'une volonté précisément ajustée le futur époux veut la femme : d'une volonté émoussée il veut les enfants, et par surcroît les cousins, les belles-sœurs et toute la famille, et les amis de leurs amis. D'une volonté antécédente (comme dirait Leibniz) l'homme veut la fin ; d'une volonté conséquente, qui est plutôt un consentement, et parfois une résignation, il se trouve, la mort dans l'âme, vouloir le déferlement des conséquences qu'il n'avait pas expressément voulues."
 
Vladimir Jankélévitch, L'irréversible et la nostalgie, 1974, Flammarion, Champs essais, 2011, p. 331.


    "Si je sais tout d'avance, je me suis mis dans l'impossibilité de vouloir quelque chose. Car le vouloir présuppose l'hypothèse que je change quelque chose dans le monde par mon action, que, en me décidant, je tranche entre différentes possibilités et que cette décision dépend exclusivement de moi ou sort de moi. Vouloir c'est choisir et choisir n'a un sens que si le choix que je fais change quelque chose précisément parc que je le fais. Mais si je sais tout d'avance, y compris mes propres décisions, alors je ne peux plus croire changer ou décider quelque chose - tout est pour ainsi dire décidé et je suis dans le rôle d'un spectateur passif devant lequel les événements défilent comme un film et auquel même ses propres actions doivent apparaître comme une scène de cinéma, à peu près comme dans un rêve. Autrement dit, si je sais tout d'avance, il ne me reste plus de motif pour agir, et sans motif le vouloir cesse. Il faut donc conclure que le vouloir requiert une incertitude intellectuelle et qu'il devient impossible sans elle".

 

Friedrich Waismann, Volonté et motif, 1983, chapitre VII, Trad. C. Bonnet, Paris, P.U.F., 2000, p. 223.


 

     "Un problème particulier se pose quand on réfléchit à ce qui détermine une action. Le mobile qui fait faire quelque chose est appelé le motif. Mais il semble qu'un troisième terme se glisse entre le motif et l'acte : la volonté. La volonté produit l'acte et y est conduite par le motif. Mais comment se représenter à proprement parler le rapport entre les trois ? Avant de décider une action, on hésite entre plusieurs motifs qui nous poussent dans différentes directions incompatibles les unes avec les autres. On s'imagine alors que la volonté est quelque chose qui intervient dans ce conflit des motifs et aide l'un d'entre eux à triompher. Si l'on demande ce qui détermine la volonté, la réponse semble être : le motif. En effet, nous entendons ordinairement par motif ce qui met la volonté en mouvement, le mobile. Donc : la volonté choisit, détermine le motif ; mais comment le peut-elle, si elle est déterminée par le motif ? En outre : si la volonté est déterminée par autre chose, le motif, comment peut-elle alors être la volonté, ce qui meut ? La force motrice reviendrait alors au motif et la volonté serait au fond totalement superflue. Car si le motif détermine l'action, cela signifie bel et bien qu'il provoque l'action, qu'il la fait devenir réalité. Mais si le motif suffit à produire l'action - à quoi bon alors la volonté ? [...]
  Il est exact qu'il y a conflit des motifs : ceux-ci se présentent à nous, tour à tour, avec plus ou moins de force ou de faiblesse, ils font valoir leurs droits et l'un d'entre eux finit par triompher. Mais ce n'est pas tant qu'un acte singulier, à savoir l'acte de la volonté, intervienne dans ce conflit et y mette fin ; c'est bien plutôt le processus par lequel l'un de ces motifs s'impose aux dépens des autres, le fait que la balance penche d'un côté et montre de l'autre, qui constitue le vouloir. Nous voulons dans la mesure où ce conflit tend vers une décision : tant que les divers motifs équilibrent les plateaux de la balance, tant que notre attention hésite de l'un à l'autre, nous ne voulons pas ; mais plus l'un des motifs monte clairement en nous et prend de force, plus clairement nous ressentons précisément là comme un mouvement de notre volonté ; c'est pourquoi, dans le conflit des motifs, nous sentons monter en nous tantôt l'un et tantôt l'autre comme mouvements de la volonté ; et quand le conflit finit par être tranché, nous disons justement que nous avons voulu. Le vouloir consiste justement dans la décision : il n'est pas une force qui produit la décision".

 

Friedrich Waismann, Volonté et motif, 1983, chapitre XIII, Trad. C. Bonnet, Paris, P.U.F., 2000, p. 258-259.


 

 "Quand après une longue hésitation, je me décide à faire quelque chose - par exemple prendre l'avion d'Amérique en Europe - ou quand placé devant le choix de me comporter d'une manière ou d'une autre - par exemple voter pour un candidat A ou un candidat B dans une élection présidentielle - je décide de voter pour le candidat A, ce qui se passe en moi est quelque chose dont je peux établir par la voie de l'introspection, qu'il s'agit de quelque chose de différent de la pensée et du sentiment, et que je peux pour cette raison appeler « vouloir ». Si je commande à autrui de devoir se comporter de manière déterminée, je peux découvrir par introspection que ce qui se passe en moi est du même ordre que quand je décide de prendre l'avion d'Amérique en Europe ou de voter pour le candidat A, à savoir un acte de volonté. Néanmoins il y a bien une différence. Dans les deux derniers cas, en effet, mon vouloir est dirigé vers mon propre comportement, et dans le premier cas, il est dirigé vers le comportement d'autrui. Je veux me comporter d'une manière déterminée, je veux faire quelque chose ou m'abstenir de faire quelque chose ; ou je veux qu'autrui doive se comporter d'une manière déterminée. Seul le vouloir dirigé vers le comportement d'un autre (incluant l'alter ego) a la signification d'un devoir-être, c'est-à-dire d'un commandement, d'un ordre, d'une prescription, d'une norme. La signification de mon acte de volonté dirigé vers le comportement d'autrui, la signification d'un acte de commandement, peut être décrit uniquement par le mot de « devoir-être » car le comportement d'autrui, vers lequel est dirigé mon vouloir, le comportement qui - métaphoriquement - est le contenu de ma volonté, le comportement d'autrui, que je veux, n'est pas le comportement existant de cette personne. Je « veux » que ce comportement soit obligatoire, et il est obligatoire avant même d'exister, c'est-à-dire avant qu'autrui n'observe mon commandement. Ce comportement peut être, mais il peut aussi ne pas être : Autrui peut observer ou ne pas observer mon commandement. Ce comportement apparaît dans mon commandement non pas sous le mode de l'être, mais sous le mode du devoir-être."
 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre 9, § 1, 1979, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 40-41.

Date de création : 20/12/2005 @ 11:07
Dernière modification : 13/10/2019 @ 16:01
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