"Nos pensées, nos sentiments, les idées forgées par notre imagination n'existent pas hors de l'intelligence, chacun l'accordera. Il me semble non moins évident que les sensations variées ou idées imprimées dans les sens, quel que soit leur mélange ou leur combinaison (c'est-à-dire, quelques objets qu'elles composent) ne peuvent exister autrement que dans une intelligence qui les perçoit. On peut, je pense, obtenir de ce fait une connaissance intuitive, si l'on porte attention au sens du mot exister quand on l'applique aux choses sensibles. La table sur laquelle j'écris, je dis qu'elle existe ; c'est-à-dire, je la vois et je la touche ; si j'étais sorti de mon bureau, je dirais qu'elle existe ; j'entendrais par ces mots que si j'étais dans mon bureau, je la percevrais ou qu'un autre esprit la perçoit actuellement. Il y avait une odeur, c'est-à-dire on odorait ; il y avait un son, c'est-à-dire on entendait ; une couleur ou une forme, on percevait par la vue ou le toucher. C'est tout ce que je peux entendre par ces expressions et les expressions analogues. Car ce que l'on dit de l'existence absolue de choses non pensantes, sans rapport à une perception qu'on en prendrait, c'est pour moi complètement inintelligible. Leur existence c'est d'être perçues ; il est impossible qu'elles aient une existence hors des intelligences ou choses pensantes qui les perçoivent."
Berkeley, Traité sur les principes de la connaissance humaine, 1710, §3, trad. A. Leroy, Aubier Montaigne, t 1, p. 209.
"Je vois cette cerise, je la touche, je la goûte, je suis sûr que le néant ne peut être vu, touché ou goûté : la cerise est donc réelle. Enlevez les sensations de souplesse, d'humidité, de rougeur, d'acidité et vous enlevez la cerise, puisqu'elle n'existe pas à part des sensations. Une cerise, dis-je, n'est rien qu'un assemblage de qualités sensibles et d'idées perçues par divers sens : ces idées sont unies en une seule chose (on leur donne un seul nom) par l'intelligence parce que celle-ci remarque qu'elles s'accompagnent les unes les autres. Ainsi quand le palais est affecté de telle saveur particulière, la vue est affectée d'une couleur rouge et le toucher d'une rondeur et d'une souplesse, etc. Aussi quand je vois, touche et goûte de ces diverses manières, je suis sûr que la cerise existe, qu'elle est réelle : car, à mon avis, sa réalité n'est rien si on l'abstrait de ces sensations. Mais si par le mot cerise vous entendez une nature inconnue, distincte, quelque chose de distinct de la perception qu'on en a, alors certes, je le déclare, ni vous, ni moi, ni aucun autre homme, nous ne pouvons être sûrs de son existence."
Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et Philonous, 1713, Troisième dialogue, p. 131 dans le tome II des Oeuvres de Berkeley aux P.U.F.
"Le bois, les pierres, le feu, l'eau, la chair, le fer, et les choses semblables que je nomme et dont je parle, sont des choses que je connais. Et je ne les aurais pas connues si je ne les percevais pas par mes sens ; et les choses perçues par les sens sont perçues immédiatement ; et les choses perçues immédiatement sont des idées ; et les idées ne peuvent exister en dehors de l'intelligence : leur existence consiste donc dans la perception qu'on en a ; quand donc elles sont perçues actuellement, il n'y a pas moyen de douter de leur existence. Loin de nous tout ce scepticisme, tous ces doutes ridicules de la philosophie ! Quelle plaisanterie, qu'un philosophe mette en question l'existence des choses sensibles jusqu'à ce qu'elle lui ait été prouvée par la véracité de Dieu ; ou qu'il prétende que notre connaissance sur ce point n'atteint point à la certitude de l'intuition ou de la démonstration ! Je pourrais aussi bien douter de ma propre existence, que de l'existence de ces choses que je vois et que je touche actuellement."
Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et Philonous, 1713, trad. G. Beauvalon in Berkeley, Seghers, p.131-132.
"Si nous avons la certitude – et c'est là, comme nous l'avons vu, une donnée immédiate et élémentaire – que ce que nous voyons ou entendons est accessible dans la même mesure à nos semblables, nous savons en même temps que nous épuisons par nos perceptions, en ce qu'elle a de perceptible, la tranche de la réalité que nous percevons. Cette tranche forme un tout ; un caractère de plénitude s'en dégage ; en d'autres termes, elle ne saurait contenir aucun objet qui échapperait à notre vue, aucun son qui échapperait à notre ouïe, rien, en un mot, qui soit perceptible pour autrui et qui ne le soit en même temps pour nous, rien, non plus, qui soit perceptible d'une autre manière que celle qui caractérise justement notre faculté de percevoir. Elle ne contient aucun « mystère » pour nos sens ; rien ne s'y dissimule derrière ce que nous y percevons ; tout y est, par la nature des choses, à notre portée. Nous nous sentons sûrs de nous-mêmes, nous nous sentons « d'aplomb », par rapport à elle."
Eugène Minkowski, Le temps vécu, 1933, PUF, 1995, p. 388.
Retour au menu sur la perception
Date de création : 22/12/2005 @ 13:00
Dernière modification : 10/06/2013 @ 18:50
Catégorie :
Page lue 6316 fois
Imprimer l'article
|