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Texte à méditer :  La solution du problème de la vie, c'est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème.  Wittgenstein
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Hors des sentiers battus
Le rapport homme/femme

  "L'homme a réussi à asservir la femme ; mais dans cette mesure il l'a dépouillée de ce qui en rendait la possession désirable. Intégrée à la famille et à la société, la magie de la femme, plutôt qu'elle ne se transfigure, se dissipe ; réduite à la condition de servante, elle n'est plus cette proie indomptée où s'incarnaient tous les trésors de la nature. Depuis la naissance de l'amour courtois, c'est un lieu commun que le mariage tue l'amour. Trop méprisée ou trop respectée, trop quotidienne, l'épouse n'est plus un objet érotique. Les rites du mariage sont primitivement destinés à défendre l'homme contre la femme ; elle devient sa propriété : mais tout ce que nous possédons en retour nous possède : le mariage est pour l'homme aussi une servitude ; c'est alors qu'il est pris au piège tendu par la nature : pour avoir désiré une fraîche jeune fille, le mâle doit pendant toute sa vie nourrir une épaisse matrone, une vieillarde desséchée ; le délicat joyau destiné à embellir son existence devient un odieux fardeau : Xanthippe[1] est un des types féminins dont les hommes ont toujours parlé avec le plus d'horreur. Mais lors même que la femme est jeune il y a dans le mariage une mystification puisque, prétendant socialiser l'érotisme, il n'a réussi qu'à le tuer. C'est que l'érotisme implique une revendication de l'instant contre le temps, de l'individu contre la collectivité ; il affirme la séparation contre la communication ; il est rebelle à toute réglementation ; il contient un principe hostile à la société. Jamais les mœurs ne sont pliées à la rigueur des institutions et de lois : c'est contre elles que l'amour s'est de tout temps affirmé. Sous sa figure sensuelle, il s'adresse en Grèce et à Rome à des jeunes gens ou à des courtisanes ; charnel et platonique à la fois, l'amour courtois est toujours destiné à l'épouse d'un autre. Tristan est l'épopée de l'adultère. L'époque qui crée à neuf, autour de 1900, le mythe de la femme est celle où l'adultère devient le thème de toute la littérature. Certains écrivains, tel Bernstein, dans une suprême défense des institutions bourgeoises, s'efforcent de réintégrer dans le mariage l'érotisme et l'amour ; mais il y a plus de vérité dans Amoureuse, de Porto-Riche, qui montre l'incompatibilité de ces deux ordres de valeurs. L'adultère ne peut disparaître qu'avec le mariage même. Car le but du mariage est en quelque sorte d'immuniser l'homme contre la femme : mais les autres femmes conservent à ses yeux leur vertigineux attrait ; c'est vers elles qu'il se tournera. Les femmes se font complices. Car elles se rebellent contre un ordre qui prétend les priver de toutes leurs armes. Pour arracher la femme à la Nature, pour l'asservir à l'homme par des cérémonies et des contrats, on l'a élevée à la dignité d'une personne humaine, on l'a douée de liberté. Mais la liberté est précisément ce qui échappe à toute servitude ; et si on l'accorde à un être originellement habité par des puissances maléfiques, elle devient dangereuse. Elle le devient d'autant plus que l'homme s'est arrêté à des demi-mesures ; il n'a accepté la femme dans le monde masculin qu'en faisant d'elle une servante, en la frustrant de sa transcendance ; la liberté dont on l'a dotée ne saurait avoir d'autre usage que négatif ; elle s'emploie à se refuser. La femme n'est devenue libre qu'en devenant captive ; elle renonce à ce privilège humain pour retrouver sa puissance d'objet naturel. Le jour, elle joue perfidement son rôle de servante docile, mais la nuit elle se change en chatte, en biche; elle se glisse à nouveau dans sa peau de sirène ou, chevauchant un balai, elle s'enfuit vers des rondes sataniques. "

 

Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, 1949, I, Troisième partie, Chapitre I, Édition du Club France Loisirs, La Bibliothèque du XXe siècle, 1990, p. 314-315.


[1] Xanthippe était l’épouse du philosophe grec Socrate, dont le caractère acariâtre était reconnu à Athènes ; dans le Banquet, Xénophon fait dire à Socrate qu'il l'avait épousée pour s'exercer à la supporter.

 

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Date de création : 12/05/2014 @ 09:17
Dernière modification : 12/05/2014 @ 09:17
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