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Texte à méditer :  Time is money.
  
Benjamin Franklin
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Hors des sentiers battus
Art et vérité

  "Le reproche d'indignité qui s'adresse à l'art comme produisant ses effets par l'apparence et l'illusion serait fondé si l'apparence pouvait être regardée comme ce qui ne doit pas être. Mais l'apparence est essentielle à l'essence. La vérité ne serait pas si elle ne paraissait ou plutôt n'apparaissait pas, si elle n'était pas pour quelqu'un, si elle n'était pas pour elle-même aussi bien que pour l'esprit en général. Dès lors ce n'est plus sur le paraître que doit tomber le reproche, mais sur la sorte particulière d'apparence employée par l'art pour donner réalité au vrai en soi. Mais si on qualifie d'illusions ces apparences sous lesquelles l'art donne existence à ses conceptions, ce reproche a surtout du sens par comparaison avec le monde extérieur des apparences et sa matérialité immédiate, et aussi par rapport à notre propre affectivité, à notre monde intérieur et sensible : monde extérieur et monde intérieur - à tous deux, dans notre vie empirique, dans la vie de notre apparence même, nous sommes habitués à donner la dignité et le nom de réalité effective et de vérité, par opposition à l'art à qui manquent pareille réalité et pareille vérité. Mais, justement, tout cet ensemble du monde empirique intérieur et extérieur n'est pas le monde de la réalité véritable, mais on peut dire de lui, bien plus exactement que de l'art, qu'il est une simple apparence et une trompeuse illusion. C'est au-delà de l'impression immédiate et des objets perçus immédiatement qu'il faut chercher la véritable réalité. Car n'est vraiment réel que ce qui est en soi et pour soi, la substance de la nature et de l'esprit, ce qui, tout en se manifestant dans l'espace et dans le temps, continue d'exister en soi et pour soi et est ainsi véritablement réel. Or c'est précisément l'action de cette force universelle que l'art présente et fait apparaître. Sans doute cette réalité essentielle apparaît aussi dans le monde ordinaire - intérieur et extérieur - mais confondue avec le chaos des circonstances passagères, déformée par les sensations immédiates, mêlée à l'arbitraire des états d'âme, des incidents, des caractères, etc. L'art dégage des formes illusoires et mensongères de ce monde imparfait et instable la vérité contenue dans les apparences, pour la doter d'une réalité plus haute créée par l'esprit lui-même. Ainsi, bien loin d'être de simples apparences purement illusoires, les manifestations de l'art renferment une réalité plus haute et une existence plus vraie que l'existence courante".

 

  Hegel, Leçons sur l'esthétique (professées entre 1818 et 1829, publiées en 1835), trad. Bénard, in  Esthétique, choix de C. Khodoss, P.U.F., 1954, p. 8-9.



  "Le réaliste, s'il est artiste, cherchera, non pas à nous montrer la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision la plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même.
  Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d'incidents insignifiants qui emplissent notre existence.

  Un choix s'impose donc – ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité.
  La vie, en outre, est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les plus disparates; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et contradictoires qui doivent être classées au chapitre faits divers.
  Voilà pourquoi l'artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de hasards et de futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l'à-côté.
  Un exemple entre mille :
  Le nombre de gens qui meurent chaque jour par accident est considérable sur la terre. Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la tête d'un personnage principal, ou le jeter dans les roues d'une voiture, au milieu d'un récit, sous prétexte qu'il faut faire la part de l'accident ?
  La vie encore laisse tout au même plan, précipite les faits ou les traîne indéfiniment. L'art, au contraire, consiste à user de précautions et de préparations, à ménager des transitions savantes et dissimulées, à mettre en pleine lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essentiels et à donner à tous les autres le degré de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la vérité spéciale qu'on veut montrer.
  Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession.
  J'en conclus que les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt Illusionnistes."

 

Guy de Maupassant, "Le Roman", préface de Pierre et Jean, 1888.


 

    "La grandeur de l'art véritable, au contraire de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c'était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d'épaisseur et d'imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie. La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature. Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous les hommes aussi bien que chez l'artiste. Mais ils ne la voient pas parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir. Et ainsi leur passé est encombré d'innombrables clichés qui restent inutiles parce que l'intelligence ne les a pas « développés ». Notre vie ; et aussi la vie des autres car le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients de la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s'il n'y avait pas l'art, resterait le secret éternel de chacun. Par l'art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu'il peut y avoir dans la lune. Grâce à l'art, au lieu de voir un seul monde, le nôtre, nous le voyons se multiplier et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons de mondes à notre disposition, plus différents les uns des autres que ceux qui roulent dans l'infini, et bien des siècles après qu'est éteint le foyer dont il émanait, qu'il s'appelât Rembrandt ou Ver Meer, nous envoient encore leur rayon spécial.
  Ce travail de l'artiste, de chercher à apercevoir sous la matière, sous de l'expérience, sous des mots, quelque chose de différent, c'est exactement le travail inverse de celui que, à chaque minute, quand nous vivons détourné de nous-même, l'amour-propre, la passion, l'intelligence, et l'habitude aussi accomplissent en nous, quand elles amassent au-dessus de nos impressions vraies, pour nous les cacher entièrement, les nomenclatures, les buts pratiques que nous appelons faussement la vie".

 

Proust, Le Temps Retrouvé, 1927, Folio, Gallimard, 1954, p. 258, GF, p. 289-290.

 

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Date de création : 21/09/2014 @ 12:08
Dernière modification : 26/09/2014 @ 15:27
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