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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Hors des sentiers battus
La nature n'est pas morale ; la critique des éthiques naturalistes

  "Si le cours naturel des choses était parfaitement bon et satisfaisant, toute action serait une ingérence inutile qui, ne pouvant améliorer les choses, ne pourrait que les rendre pires. Ou, si tant est qu'une action puisse être justifiée, ce serait uniquement quand elle obéit directement aux instincts, puisqu'on pourrait éventuellement considérer qu'ils font partie de l'ordre spontané de la nature ; mais tout ce qu'on ferait de façon préméditée et intentionnelle serait une violation de cet ordre parfait. Si l'artificiel ne vaut pas mieux que le naturel, à quoi servent les arts de la vie ? Bêcher, labourer, bâtir, porter des vêtements sont des infractions directes au commandement de suivre la nature.
  [...] Tout le monde déclare approuver et admirer nombre de grandes victoires de l'art sur la nature : joindre par des ponts des rives que la nature avait séparées, assécher des marais naturels, creuser des puits, amener à la lumière du jour ce que la nature avait enfoui à des profondeurs immenses dans la terre, détourner sa foudre par des paratonnerres, ses inondations par des digues, son océan par des jetées. Mais louer ces exploits et d'autres similaires, c'est admettre qu'il faut soumettre les voies de la nature et non pas leur obéir ; c'est reconnaître que les puissances de la nature sont souvent en position d'ennemi face à l'homme, qui doit user de force et d'ingéniosité afin de lui arracher pour son propre usage le peu dont il est capable, et c'est avouer que l'homme mérite d'être applaudi quand ce peu qu'il obtient dépasse ce qu'on pouvait espérer de sa faiblesse physique comparée à ces forces gigantesques. Tout éloge de la civilisation, de l'art ou de l'invention revient à critiquer la nature, à admettre qu'elle comporte des imperfections, et que la tâche et le mérite de l'homme sont de chercher en permanence à les corriger ou les atténuer."


John Stuart Mill, "La Nature", 1858, in Essais sur la religion, tr. fr. M. E. Cazelles, Paris, Germer Baillière, 1875, p. 17-18.



  "Le mot nature a deux sens principaux : ou bien il dénote le système total des choses avec l'agrégat de toutes leurs propriétés, ou il dénote les choses comme elles devraient être indépendamment de toute intervention humaine.
  Dans le premier sens la doctrine qui veut que l'homme suive la nature est absurde, puisque l'homme ne peut faire autrement que de suivre la nature, et que toutes ses actions se font par le jeu d'une loi ou de plusieurs lois de la nature, lois d'ordre physique ou mental, et en obéissant à ces lois.
  Dans l'autre sens du mot, la doctrine que l'homme doit suivre la nature, ou en d'autres termes doit faire du cours spontané des choses le modèle de ses propres actions volontaires, est également irrationnelle et immorale :
  Irrationnelle, parce que toute action humaine quelle qu'elle soit consiste à changer le cours de la nature, et toute action utile à l'améliorer ;
  Immorale, parce que le cours des phénomènes naturels est rempli d'événements qui, lorsqu'ils sont l'effet de la volonté de l'homme, sont dignes d'exécration, et que quiconque s'efforcerait dans ses actes d'imiter le cours naturel des choses serait universellement considéré comme le plus méchant des hommes.
  Le système de la nature considéré dans son ensemble, ne peut avoir eu pour objet unique ou même principal le bien des hommes, ou même des autres êtres sensibles. Le bien que la nature leur fait est principalement le résultat de leurs propres efforts. Tout ce qui, dans la nature, fournit une indication d'un dessein bienfaisant prouve que la bienfaisance de l'être qui l'a conçu ne dispose que d'une puissance limitée, et que le devoir de l'homme est de coopérer avec les puissances bienfaisantes, non pas en imitant le cours de la nature, mais en faisant des efforts perpétuels pour l'amender, et pour rapprocher de plus en plus d'un type élevé de justice et de bonté, cette partie de la nature sur laquelle nous pouvons étendre notre puissance."

 

John Stuart Mill, "La Nature", 1858, in Essais sur la religion, tr. fr. M. E. Cazelles, Paris, Germer Baillière, 1875, p. 61-62.


 

  "Sont […] « naturalistes » les théories de l'éthique qui déclarent que le seul bien consiste en une certaine propriété unique des choses, propriété existant dans le temps ; et ce, parce que ces théories suppo­sent possible de définir le « bien » en soi par référence à cette propriété.
  […] considérons l'une des maximes éthiques les plus célèbres, celle qui recommande de « vivre selon la nature ». C'était le principe de l'éthique stoïcienne ; mais, puisque celle-ci a quelque prétention à être appelée « métaphysique », je n'entreprendrai pas d'en parler maintenant. Il reste que la même expression réapparaît chez Rousseau ; et il n'est pas rare, même aujourd'hui, d'entendre dire que ce que nous avons le devoir de faire, c'est de vivre naturellement. Exa­minons cette affirmation sous sa forme générale. À l'évidence, nous ne pouvons pas dire, en premier lieu, que tout ce qui est naturel est bon, sauf peut-être en vertu de quelque théorie métaphysique […]. Si tout ce qui est naturel est également bon, alors il est certain que l'éthique, telle qu'on l'entend ordinairement, disparaît : car rien n'est plus certain, d'un point de vue éthique, que le fait que certaines choses sont mauvaises et d'autres bonnes ; l'objet de l'éthique est en vérité principalement de fournir des règles générales grâce auxquelles il est possible d'éviter les unes et obtenir les autres. Alors, que veut dire « naturel », dans cette recommandation de « vivre naturellement », puisque celle-ci ne peut évidemment pas s'appliquer à tout ce qui est naturel ?

  Ce que cette expression semble désigner, c'est l'idée vague selon laquelle il existerait quelque chose qui serait le bien naturel ; la croyance selon laquelle on pourrait dire que la nature fixe et com­mande ce qui doit être bon, tout comme elle fixe et commande ce qui doit exister. Par exemple, on peut supposer que la « santé » est à même d'être définie naturellement, que la nature a fixé ce que doit être la santé : et la santé, peut-on dire, est évidemment bonne ; donc, dans ce cas, c'est la nature qui a décidé ; nous n'avons qu'à nous tourner vers elle, et lui demander ce qu'est la santé, et nous saurons ce qu'est le bien : nous aurons fondé une éthique sur la science. Mais quelle est la définition naturelle de la santé ? Tout ce que je puis concevoir, c'est que la santé devrait être définie en termes naturels comme l'état normal d'un organisme ; car, sans aucun doute, la maladie aussi est un produit naturel. Dire que la santé est ce qui est préservé par l'évolution, et ce qui soi-même tend à préserver, dans la lutte pour la survie, l'orga­nisme qui la possède, cela conduit à la même difficulté. Car l'intérêt du concept d'évolution, c'est qu'il prétend donner une explication causale en réponse à la question : pourquoi certaines formes de la vie sont-elles normales et d'autres anormales ? – il explique l'origine des espèces. Donc, lorsqu'on nous dit que la santé est naturelle, on peut supposer que cela veut dire qu'elle est normale ; et que lorsque l'on nous dit de rechercher la santé comme une fin naturelle, le contenu de ce conseil, c'est que ce qui est normal doit être un bien. Mais est-il si évident que le normal doive être un bien ? Est-il réellement évident que la santé, par exemple est un bien ? L'excellence de Socrate ou Sha­kespeare était-elle normale ? N'était-elle pas plutôt anormale, extra­ordinaire ? En premier lieu, il est, je pense, évident que tout ce qui est un bien n'est pas nécessairement normal ; et qu'au contraire, l'anormal est souvent un plus grand bien que le normal : une particulière excellence, autant qu'une particulière méchanceté doivent de toute évidence être, non pas normale, mais anormales. On peut dire que le normal est néanmoins un bien ; et moi-même je ne suis pas prêt à nier que la santé ne soit un bien. Ce que je maintiens, c'est qu'il ne faut pas prendre cette définition pour une évidence ; qu'il faut la considérer comme une question ouverte. Déclarer que c'est une évidence suggère la présence du sophisme naturaliste : de même que, dans quelques ouvrages récents, on a pu utiliser la preuve que le génie est d'ordre pathologique, anormal, pour laisser entendre qu'il ne faut pas encou­rager le génie. C'est un raisonnement erroné, et d'une façon dange­reuse. Le fait est que dans les termes même de « santé » et « maladie » nous incluons communément l'idée que l'une est un bien et l'autre un mal. Mais, lorsque l'on tente d'en donner une définition prétendu­ment scientifique, définition en termes naturels, la seule possible est celle qui se sert des notions de « normal » et « anormal ». Or il est facile de prouver que certaines choses que l'on estime généralement excel­lentes sont anormales ; et il s'ensuit qu'elles sont pathologiques. Mais il ne s'ensuit pas, sauf en vertu du sophisme naturaliste, que ces choses-là que l'on estime généralement bonnes, sont de ce fait mauvaises. Tout ce que l'on a réellement montré, c'est qu'en certains cas, il y a un conflit entre deux jugements communs, le premier disant que le génie est un bien, et le second que la santé est un bien. Que la vérité de ce dernier jugement ne soit en rien mieux justifiée que celle du premier, qu'il s'agisse là de questions parfaitement ouvertes, ce sont là des faits qui ne sont pas suffisamment reconnus. En effet, il est peut-être vrai que par « sain », nous impliquons communément « bon » ; mais la seule chose que cela prouve, tout simplement, c'est que dans cet emploi du terme, nous ne voulons pas faire dire au terme « sain » la même chose que ce qu'il signifie dans son emploi médical. Le fait que la santé, quand on utilise ce mot pour désigner quelque chose de bon, est un bien, cela ne contribue en rien à prouver que la santé, quand on utilise ce mot pour désigner quelque chose de normal, est également un bien. Nous pourrions tout aussi bien dire que, parce qu'en anglais le même mot désigne une plaisanterie irlandaise et un certain animal, la plaisanterie et l'animal doivent être la même chose. Nous ne devons donc pas craindre que le fait d'affirmer qu'une chose est naturelle nous conduise à admettre qu'elle est bonne ; mais le bien ne signifie pas par définition ce qui est naturel ; et c'est donc toujours une question ouverte que de savoir si une chose qui est naturelle est bonne."

 

G. E. Moore, Principia ethica, 1903, tr. fr. Michel Gouverneur revue par Ruwen Ogien, PUF, 1998, p. 88-91.

 

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Date de création : 11/03/2016 @ 16:05
Dernière modification : 18/10/2023 @ 08:20
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