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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Nature et beauté ; les beautés de la nature

"DE LA CURIOSITÉ

  Notre âme est faite pour penser, c'est-à-dire pour apercevoir : or un tel être doit avoir de la curiosité ; car, comme toutes les choses sont dans une chaîne où chaque idée en précède une et en suit une autre, on ne peut aimer à voir une chose sans désirer d'en voir une autre ; et, si nous n'avions pas de désir pour celle-ci, nous n'aurions eu aucun plaisir à celle-là. Ainsi, quand on nous montre une partie d'un tableau, nous souhaitons de voir la partie que l'on nous cache, à proportion du plaisir que nous a fait celle que nous avons vue.
  C'est donc le plaisir que nous donne un objet qui nous porte vers un autre ; c'est pour cela que l'âme cherche toujours des choses nouvelles, et ne se repose jamais.

  Ainsi, on sera toujours sûr de plaire à l'âme lorsqu'on lui fera voir beaucoup de choses, ou plus qu'elle n'avait espéré en voir.
  Par là on peut expliquer la raison pourquoi nous avons du plaisir lorsque nous voyons un jardin bien régulier, et que nous en avons encore lorsque nous voyons un lieu brut et champêtre ; c'est la même cause qui produit ces effets. Comme nous aimons à voir un grand nombre d'objets, nous voudrions étendre notre vue, être en plusieurs lieux, parcourir plus d'espace ; enfin notre âme fuit les bornes, et elle voudrait, pour ainsi dire, étendre la sphère de sa présence : ainsi c'est un plaisir pour elle de porter sa vue au loin. Mais comment le faire ? Dans les villes, notre vue est bornée par des maisons ; dans les campagnes, elle l'est par mille obstacles ; à peine pouvons-nous voir trois ou quatre arbres. L'art vient à notre secours, et nous découvre la nature qui se cache elle-même. Nous aimons l'art, et nous l'aimons mieux que la nature, c'est-à-dire la nature dérobée à nos yeux ; mais quand nous trouvons de belles situations, quand notre vue en liberté peut voir au loin des prés, des ruisseaux, des collines, et ces dispositions qui sont, pour ainsi dire, créées exprès, elle est bien autrement enchantée que lorsqu'elle voit les jardins de Le Nostre ; parce que la nature ne se copie pas, au lieu que l'art se ressemble toujours. C'est pour cela que dans la peinture nous aimons mieux un paysage que le plan du plus beau jardin du monde ; c'est que la peinture ne prend la nature que là où elle est belle, là où la vue se peut porter au loin et dans toute son étendue, là où elle est variée, là où elle peut être vue avec plaisir.
  Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c'est lorsqu'on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d'autres, et qu'on nous fait découvrir tout d'un coup ce que nous ne pouvions espérer qu'après une grande lecture."

 

Montesquieu, Essai sur le goût dans les choses de la nature et de l'art, 1757.


 

  "Si dans un tableau la vérité des lumières se joint à celle de la couleur, tout est pardonné, du moins dans le premier instant. Incorrections de dessin, manques d'expression, pauvreté de caractères, vices d'ordonnance, on oublie tout ; on demeure extasié, surpris, enchaîné, enchanté.
  S'il nous arrive de nous promener aux Tuileries, au bois de Boulogne ou dans quelque endroit écarté des Champs-Élysées sous quelques-uns de ces vieux arbres épargnés parmi tant d'autres qu'on a sacrifiés au parterre et à la vue de l'hôtel de Pompadour, sur la fin d'un beau jour, au moment où le soleil plonge ses rayons obliques à travers la masse touffue de ces arbres dont les branches entremêlées les arrêtent, les renvoient, les brisent, les rompent, les dispersent sur les troncs, sur la terre, entre les feuilles, et produisent autour de nous une variété infinie d'ombres fortes, d'ombres moins fortes, de parties obscures, moins obscures, éclairées, plus éclairées, tout à fait éclatantes ; alors les passages de l'obscurité à l'ombre, de l'ombre à la lumière de la lumière au grand éclat, sont si doux, si touchants, si merveilleux, que l'aspect d'une branche, d'une feuille arrête l'œil, et suspend la conversation au moment même le plus intéressant. Nos pas s'arrêtent involontairement ; nos regards se promènent sur la toile magique et nous nous écrions : quel tableau ! Oh que cela est beau ! Il semble que nous considérions la nature comme le résultat de l'art. Et réciproquement s'il arrive que le peintre nous répète le même enchantement sur la toile, il semble que nous regardions l'effet de l'art comme celui de la nature. Ce n'est pas au Salon, c'est dans le fond d'une forêt, parmi les montagnes que le soleil ombre et éclaire, que Loutherbourg et Verne sont grands.

  Le ciel répand une teinte générale sur les objets. La vapeur de l'atmosphère se discerne au loin ; près de nous son effet est moins sen­sible. Autour de moi les objets gardent toute la force et toute la variété de leurs couleurs, ils se ressentent moins de la teinte de l'atmosphère et du ciel ; au loin ils s'effacent, ils s'éteignent, toutes leurs couleurs se confondent ; et la distance qui produit cette confusion, cette monoto­nie, les montre tous gris, grisâtres, d'un blanc mat ou plus ou moins éclairé, selon le lieu de la lumière et l'effet du soleil. C'est le même effet que celui de la vitesse avec laquelle on tourne un globe tacheté de différentes couleurs, lorsque cette vitesse est assez grande pour lier les taches et réduire leurs sensations particulières de rouge, de blanc, de noir, de bleu, de vert, à une sensation unique et simultanée.
  Que celui qui n'a pas étudié et senti les effets de la lumière et de l'ombre dans les campagnes, au fond des forêts, sur les maisons des  hameaux, sur les toits des villes, le jour, la nuit, laisse là les pinceaux, surtout qu'il ne s'avise pas d'être paysagiste. Ce n'est pas dans la nature seulement, c'est sur les arbres, c'est sur les eaux de Vernet, c'est sur les collines de Loutherbourg que le clair de la lune est beau."

 

 Diderot, Essais sur la peinture, 1765, Chapitre III.



  "[...] C'est assez, Messieurs, parler à votre raison ; qu'il me soit permis un moment d'en appeler à vos coeurs.
  Vous êtes jeunes pour la plupart : vos âmes encore actives ne sont ni flétries par le venin d'un athéisme enraciné, ni desséchées par les calculs de l'intérêt, ni endurcie par le long usage des plaisirs ; vous êtes dans cet âge brillant où une imagination plus ardente, un coeur plus sensible et plus loyal, disposent à se laisser mieux pénétrer aux traits du sentiment et de la vérité. Eh bien ! si jamais, fermant les livres et oubliant tous les raisonnements, vous avez contemplé quelques-unes des grandes scènes de la nature, avez-vous pu vous défendre d'une émotion profonde ! n'avez-vous pas été ravis comme d'une espèce d'enchantement, et du fond de vos coeurs ne s'est-il pas échappé ce cri de vérité : Que tes oeuvres sont belles et magnifiques, Dieu tout-puissant ! Quam magnificata sunt opera tua, Domine !
  Oui, voulons-nous goûter et sentir vivement ces douces et profondes émotions qui élèvent jusqu'à la Divinité, sortons du milieu de nos cités, de nos palais, de nos dépôts de richesses littéraires, et de toutes les oeuvres de notre industrie : je ne veux chercher la nature ni dans le laboratoire du savant, ni dans le cabinet des curieux, ni dans ce qui ne fait qu'attester le pouvoir et le génie de l'homme, non, je ne vous conduirai pas auprès de cette enceinte qui renferme des animaux d'Afrique et d'Asie, ou des habitants de nos forêts, dont nous avons enchaîné la sauvage liberté. L'aigle prisonnier peut bien attirer mes regards ; mais, dans cet état de dégradation, il n'a plus rien qui me touche, et peut-être me sentirais-je ému, si je voyais le roi des airs s'élever d'un vol rapide et majestueux vers le séjour du tonnerre. Je ne vous dirai pas de vous armer de l'instrument dont s'aide l'oeil de l'observateur, et de le diriger vers le firmament ; cela même est une fatigue : je n'aime pas à ne voir qu'un point des espaces célestes ; il me faut toute la voûte des cieux, une liberté parfaite qui laisse à mon esprit toute sa force, à mon coeur toutes ses affections.
  Et où donc la trouver, cette nature qui parle à nos âmes bien mieux que toute l'éloquence humaine ? Où, Messieurs ? c'est dans ces forêts superbes et majestueuses, où la solitude, le silence, l'épaisseur des ombres semblent pénétrer l'âme d'un saint recueillement et d'une religieuse frayeur ; c'est sur les bords d'une vaste mer tout à tour paisible et courroucée, dont les ondes semblent se jouer sous la main puissante du Dieu qui les irrite ou les apaise à son gré ; c'est sur la cime de ces hautes montagnes d'où l'oeil s'égare au loin, et se perd dans un immense horizon. Là, roi de la nature, l'homme semble planer sur son empire ; et contemplant avec transport ce vaste ensemble de vallons et de coteaux, de monts et de plaines, de champs et de prairies qu'il voit à ses pieds, son âme s'élève naturellement vers l'auteur de tant de merveilles. Où faut-il étudier la nature ? C'est surtout dans les cieux, au milieu de ces nuits tranquilles et pures, quand le silence règne sur la terre et dans les airs, et que la terre, avec ses douces clartés, sembla verser sur l'univers le calme et la fraîcheur.
  Alors peut-il venir en pensée qu'il n'y a pas de Dieu ? Ah ! plutôt des sentiments consolants et doux s'insinueront dans votre âme ; quelques larmes d'admiration et d'attendrissement s'échapperont peut-être de vos yeux ; et, tombant à genoux, vous direz :
  « Dieu de l'univers, que tes oeuvres sont belles ! Dieu de mon coeur, qu'il m'est doux de croire en toi ! et comment pourrai-je te méconnaître, quand ta présence éclate de toutes parts avec tant de gloire et de magnificence ! Dieu de bonté, pardonne aux erreurs de ma jeunesse ; reçois l'enfant égaré qui se jette dans ton sein paternel et si tu fais paraître ta puissance en réglant le s des astres, montre-toi plus puissant encore en réglant mon coeur, et le soumettant pour toujours aux lois de ton adorable et suprême majesté. »"

 

Abbé Frayssinous, "L'existence de Dieu prouvée par l'ordre et les beautés de la nature" in Défense du christianisme ou Conférences sur la religion prêchées à la jeunesse française, dans l'église Saint-Sulpice, Paris, de 1803 à 1809 et de 1811 à 1822. Tome I, p. 74.


 

 

  "Il est un besoin plus noble que satisfait la nature, à savoir l'amour de la beauté.
  Les anciens appelaient le monde « cosmos » beauté. La constitution de toutes choses est telle, ou tel le pouvoir plastique de l'oeil humain, que les formes primaires, le ciel, la montagne, l'arbre, l'animal, nous procurent du plaisir en et pour elles-mêmes ; un plaisir naissant de la ligne, de la couleur, du mouvement et de l'ordre. Ceci semble dû en partie à l'oeil lui-même. L'oeil est le plus grand des artistes. Par l'action conjuguée de sa structure et des lois de la lumière se produit la perspective, qui intègre chaque masse d'objets, de quelque caractère que ce soit, en une sphère colorée et nuancée, si bien que là où les objets particuliers sont pauvres et indifférents, le paysage qu'ils composent est rond et symétrique. Et de même que l'oeil est le meilleur des agenceurs, la lumière est le premier des peintres. Il n'existe pas d'objet si répugnant qu'une lumière intense ne puisse rendre beau. L'excitation qu'elle provoque sur le sens de la vue et une sorte d'infinité qui est en elle, comme l'espace et le temps, rend gaie toute matière. Même un cadavre possède sa propre beauté. Mais à côté de cette grâce générale répandue sur toute la nature, presque toutes les formes individuelles sont agréables à l'oeil, comme le montrent nos imitations de quelques-unes d'entre elles : le gland, la vigne, la pomme de pin, l'épi de blé, l'oeuf, les ailes et la forme de nombre d'oiseaux, la griffe du lion, le serpent, le papillon, les coquillages, la flamme, les nuages, les bourgeons, les feuilles et les formes de beaucoup d'arbres, tel que le palmier par exemple...

  La nature nous comble par son charme adorable et sans aucun mélange de bénéfice physique. Je contemple le spectacle du matin depuis le sommet de la colline qui jouxte ma maison, de la pointe du jour jusqu'au lever du soleil, empli d'une émotion qu'un ange pourrait partager. De longues barres minces de nuages flottent comme des poissons dans un océan de lumière cramoisie. Depuis la terre, comme d'un rivage, je plonge mes regards dans cette mer silencieuse. Il me semble participer à ses transformations rapides ; l'envoûtant sortilège atteint ma poussière et je me dilate et m'unis au vent du matin. Comme la nature sait nous rendre pareils aux dieux avec quelques éléments communs ! Donnez-moi la santé et le jour et je rendrai la pompe des empereurs ridicule. L'aube est mon Assyrie ; le coucher du soleil et le lever de la lune ma Paphos et les royaumes inouïs de la féerie ; le vaste midi sera mon Angleterre des sens et de l'entendement, et la nuit mon Allemagne de la philosophie mystique et des rêves."

 

Ralph Waldo Emerson, La Nature, 1836, tr. fr. Patrice Oliete Loscos, Allia édition, p. 19-21.


 

  "Si l'on ne considère pas l'étude des phénomènes physiques dans ses rapports avec les besoins matériels de la vie, mais dans son influence générale sur les progrès intellectuels de l'humanité, on trouve, comme résultat le plus élevé et le plus important de cette investigation, la connaissance de la connexité des forces de la nature, le sentiment intime de leur dépendance mutuelle. C'est l'intuition de ces rapports qui agrandit les vues et ennoblit nos jouissances. Cet agrandissement des vues est l'œuvre de l'observation, de la méditation et de l'esprit du temps, dans lequel se concentrent toutes les directions de la pensée. L'histoire révèle à quiconque sait pénétrer à travers les couches des siècles antérieurs aux racines profondes de nos connaissances, comment, depuis des milliers d'années, le genre humain a travaillé à saisir, dans des mutations sans cesse renaissantes, l'invariabilité des lois de la nature, et à conquérir progressivement une grande partie du monde physique par la force de l'intelligence. Interroger les annales de l'histoire, c'est poursuivre cette trace mystérieuse par laquelle la même image du Cosmos, qui s'est révélée primitivement au sens intérieur comme un vague pressentiment de l'harmonie et de l'ordre dans l'univers, s'offre aujourd'hui à l'esprit comme le fruit de longues et sérieuses observations.
  Aux deux époques de la contemplation du monde extérieur, au premier réveil de la réflexion et à l'époque d'une civilisation avancée, correspondent deux genres de jouissances. L'une, propre à la naïveté primitive des vieux âges, naît de la divination de l'ordre qu'annoncent la succession paisible des corps célestes et le développement progressif de l'organisation. Une autre jouissance résulte de la connaissance précise des phénomènes. Dès que l'homme, en interrogeant la nature, ne se contente pas d'observer, mais qu'il fait naître des phénomènes sous des conditions déterminées ; dès qu'il recueille et enregistre les faits pour étendre l'investigation au-delà de la courte durée de son existence, la philosophie de la nature se dépouille des formes vagues et poétiques qui lui ont appartenu dès son origine ; elle adopte un caractère plus sévère, elle pèse la valeur des observations ; elle ne devine plus, elle combine et raisonne. Alors les aperçus dogmatiques des siècles antérieurs ne se conservent que dans les préjugés du peuple et des classes qui lui ressemblent par leur manque de lumières ; ils se perpétuent surtout dans quelques doctrines qui, pour cacher leur faiblesse, aiment à se couvrir d'un voile mystique. Les langues, surchargées d'expressions figurées, portent longtemps les traces de ces premières intuitions. Un petit nombre de symboles, produits d'une heureuse inspiration des temps primitifs, prennent peu à peu des formes moins vagues ; mieux interprétés, ils se conservent même dans le langage scientifique.

  La nature, considérée rationnellement, c'est-à-dire soumise dans son ensemble au travail de la pensée, est l'unité dans la diversité des phénomènes, l'harmonie entre les choses créées dissemblables par leur forme, par leur constitution propre, par les forces qui les animent ; c'est le tout (τό πάν) pénétré d'un souffle de vie. Le résultat le plus important d'une étude rationnelle de la nature est de saisir l'unité et l'harmonie dans cet immense assemblage de choses et de forces, d'embrasser avec une même ardeur ce qui est dû aux découvertes des siècles écoulés et à celles du temps où nous vivons, d'analyser le détail des phénomènes sans succomber sous leur masse. Dans cette voie, il est donné à l'homme, en se montrant digne de sa haute destinée, de comprendre la nature, de dévoiler quelques-uns de ses secrets, de soumettre aux efforts de la pensée, aux conquêtes de l'intelligence, ce qui a été recueilli par l'observation.
  En réfléchissant sur les différents degrés de jouissances que fait naître la contemplation de la nature, nous trouvons qu'au premier degré doit être placée une impression entièrement indépendante de la connaissance intime des phénomènes physiques, indépendante aussi du caractère individuel du paysage, de la physionomie de la contrée qui nous environne. Partout où, dans une plaine monotone et formant horizon, des plantes d'une même espèce (des bruyères, des cistes ou des graminées) couvrent le sol, partout où les vagues de la mer baignent le rivage et font reconnaître leurs traces par des stries verdoyantes d'ulva et de varech flottant, le sentiment de la nature grande et libre saisit notre âme et nous révèle, comme par une mystérieuse inspiration, qu'il existe des lois qui règlent les forces de l'univers. Le simple contact de l'homme avec la nature, cette influence du grand air (ou, comme disent d'autres langues par une expression plus belle, de l'air libre), exercent un pouvoir calmant : ils adoucissent la douleur et apaisent les passions quand l'âme est agitée dans ses profondeurs. Ces bienfaits, l'homme les reçoit partout, quelle que soit la zone qu'il habite, quel que soit le degré de culture intellectuelle auquel il s'est élevé. Ce que les impressions que nous signalons ici ont de grave et de solennel, elles le tiennent du pressentiment de l'ordre et des lois, qui naît à notre insu du simple contact avec la nature ; elles le tiennent du contraste qu'offrent les limites étroites de notre être avec cette image de l'infini qui se révèle partout, dans la voûte étoilée du ciel, dans une plaine qui s'étend à perte de vue, dans l'horizon brumeux de l'océan.
  Une autre jouissance est celle que produit le caractère individuel du paysage, la configuration de la surface du globe dans une région déterminée. Des impressions de ce genre sont plus vives, mieux définies, plus conformes à certaines situations de l'âme. Tantôt c'est la grandeur des masses, la lutte des éléments déchaînés ou la triste nudité des steppes qui excitent nos émotions ; tantôt, sous l'inspiration de sentiments plus doux, c'est l'aspect des champs qui portent de riches moissons, c'est l'habitation de l'homme au bord du torrent, la sauvage fécondité du sol vaincu par la charrue. Nous insistons moins ici sur les degrés de force qui distinguent les émotions que sur les différences de sensations qu'excite le caractère du paysage, et auxquelles ce caractère donne du charme et de la durée."

 

Alexander von Humboldt, Cosmos. Essai d'une description physique du monde, Introduction, tr. fr. H. Faye, 1846, Paris, p. 2-6 ; "De L'étude et de la contemplation de la nature", in Revue des Deux Mondes, T.12, 1845.

 

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Date de création : 23/04/2016 @ 08:42
Dernière modification : 23/04/2016 @ 08:42
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