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Texte à méditer :  

Là où se lève l'aube du bien, des enfants et des vieillards périssent, le sang coule.   Vassili Grossman


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Hors des sentiers battus
La société comme facteur d'individualisation

  "L'enfant n'est pas seulement plus influençable que l'adulte. Il a besoin de l'influence des autres, il a besoin la société pour accéder à la maturité psychique. Chez l'enfant, ce ne sont pas uniquement les pensées, ni les comportements commandés par la conscience qui se forment et se transforment perpétuellement dans et par la relation avec les autres, ce sont aussi les orientations de l'instinct et les comportements commandés par l'instinct. Certes, les schémas instinctifs qui se dégagent progressivement chez le nouveau-né ne sont pas le simple reflet de ce que les autres font ou ne font pas à son égard. Il est tout à fait lui-même. C'est sa réponse à la façon dont ses instincts et ses émotions, par nature tournés vers les autres, cherchent auprès des autres leur réponse et leur satisfaction.
  Seul ce perpétuel échange instinctif avec les autres confère aux pulsions instinctives élémentaires et non dégrossies du petit enfant une orientation bien définie, une structure précisément délimitée ; seul ce type d'échange permet que se constitue chez l'enfant ce système psychique autonome bien différencié qui distingue l'homme de tous les autres êtres vivants : une personnalité plus ou moins individuelle. Pour devenir psychologiquement adulte, pour devenir un individu humain, l'enfant ne peut pas se passer de la relation avec d'autres plus âgés et plus puissants. Sans l'assimilation de schémas sociaux préétablis, d'éléments et de produits de ces êtres plus puissants, sans la marque qu'ils impriment à ses fonctions psychiques, le petit enfant n'est rien de plus qu'un animal, on ne saurait trop le répéter. Et c'est justement parce que l'enfant démuni a besoin de l'empreinte sociale pour devenir un être plus fortement individualisé et distinct des autres, que l'individualité de l'adulte se définit uniquement à partir de son destin relationnel, uniquement dans le contexte de la structure de la société où l'individu a grandi. S'il est sûr que tout être humain représente une totalité en soi, un individu, qui se dirige et que nul autre ne saurait diriger s'il ne se dirige pas lui-même, il n'est pas moins sûr que toute la forme de cette direction autonome, consciente et inconsciente, est un produit d'interaction qui s'est élaboré dans un va-et-vient continu de relations avec les autres, et que la forme individuelle de l'adulte est une forme spécifiquement sociale."

 

Norbert Elias, "La société des individus", 1939, in La société des individus, tr. fr. Jeanne Étoré, Pocket, 1997, p. 63-64.


 

  "L'individu humain n'est pas un commencement, et ses relations avec les autres n'ont pas de commencement. De même que dans une conversation ininterrompue les questions de l'un entraînent les réponses de l'autre et vice versa, et de même que chaque élément de la conversation n'est issu ni de l'un ni de l'autre des interlocuteurs pris isolément, mais naît précisément du rapport entre les deux et veut être compris ainsi, de même chaque geste, chaque comportement du nourrisson n'est ni le produit de son « intériorité » ni le produit d'un « environnement », ou le produit d'une interaction entre son « intériorité » et son « environnement » qui existeraient à l'origine séparément l'une de l'autre ; chaque geste du mouvement est fonction et répercussion de relations – comme la forme du fil à l'intérieur d'un filet – ne pouvant s'expliquer que dans l'ensemble du réseau. Ainsi le langage des autres fait-il naître aussi chez le sujet qui grandit quelque chose qui lui appartient entièrement en propre, qui est sa langue et qui en même temps le produit de ses relations avec les autres, l'expression du réseau de relations humaines dans lequel il vit ; ainsi le commerce des autres fait-il naître chez l'individu des pensées, des convictions, des réactions affectives, des besoins et des traits de caractère, qui lui sont tout à fait personnels, qui constituent son « véritable » moi, et au travers desquels s'exprime donc en même temps le tissu de relations dont il est issu et dans lequel il s'inscrit. Ainsi ce « moi », ce moi le plus intime et le plus personnel, se forme-t-il dans un réseau permanent de besoins, une perpétuelle alternance de désir et de satisfaction, de prendre et de donner.
  Et c'est l'ordre de ce réseau permanent qui ne commence nulle part, c'est l'histoire de ses relations qui font la nature et la forme de la personne individuelle. Même la nature et la forme de sa solitude, même ce que l'individu ressent comme son « intériorité » reçoivent l'empreinte de cette histoire –  l'empreinte du filet de relations humaines dont il est l'un des nœuds et au sein duquel il vit et accède à son individualité."

 

Norbert Elias, "La société des individus", 1939, in La Société des individus, tr. fr. Jeanne Étoré, Pocket, 1997, p. 71-72.

 

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Date de création : 08/06/2016 @ 08:50
Dernière modification : 15/04/2024 @ 15:59
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