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Texte à méditer :   C'est croyable, parce que c'est stupide.   Tertullien
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Textes résumés sur la servitude et la soumission

  Vous résumerez le texte suivant en 100 mots (± 10%) :

 

  "Chez les nations modernes on ne donne donc le nom de tyran (et encore tout bas et en tremblant), qu'à ces princes seulement qui, sans aucune formalité, ravissent à leurs sujets, la vie, les biens et l'honneur.
  On appelle, au contraire, rois et princes, ceux qui pouvant disposer de toutes les choses à leur fantaisie, les laissent néanmoins à leurs sujets, ou ne les ravissent que sous un voile apparent de justice : on les décore même alors du titre de cléments et de justes, parce que pouvant, avec impunité, se rendre maîtres de toutes choses, il semble que l'on reçoive d'eux, comme un don, tout ce qu'ils ne veulent pas nous ravir.

  Mais la nature même des choses offre à celui qui médite, une distinction plus exacte et plus précise. Puisque le nom de tyran est le plus odieux de tous les noms, on ne doit le donner qu'à ceux des princes ou de simples citoyens qui ont acquis, n'importe comment, la faculté illimitée de nuire ; et quand même ils n'en n'abuseraient pas, le fardeau qu'ils se sont imposé est tellement absurde et contraire à la nature, qu'on ne saurait en inspirer trop d'horreur, en leur donnant un nom si odieux et si infâme.
  Le nom de roi, au contraire, étant de quelques degrés moins exécrable que celui de tyran, devrait être donné à celui qui, soumis lui-même aux lois, et beaucoup moins puissant qu'elles, n'est dans une société que le premier, le légitime et le seul exécuteur impartial des lois établies.
[…]
  On doit donner indistinctement le nom de tyrannie à toute espèce de gouvernement dans lequel celui qui est chargé de l'exécution des lois, peut les faire, les détruire, les violer, les interpréter, les empêcher, les suspendre, ou même seulement les éluder avec assurance d'impunité. Que ce violateur des lois soit héréditaire, ou électif, usurpateur ou légitime, bon ou méchant, un ou plusieurs ; quiconque, enfin, a une force effective, capable de lui donner ce pouvoir est tyran ; toute société qui l'admet est sous la tyrannie, tout peuple qui le souffre est esclave.
  Et réciproquement, on doit appeler tyrannie le gouvernement dans lequel celui qui est proposé à la création des lois, peut lui-même les faire exécuter ; et il est bon de faire remarquer ici que les lois, c'est-à-dire, le pacte social solennel, égal pour tous, ne doit être que le produit de la volonté de la majorité, recueillie par la voix des légitimes élus du peuple.
  Si donc ces élus chargés de réduire en lois la volonté de la majorité, peuvent eux-mêmes, à leur caprice les faire exécuter, ils deviennent tyrans, puisqu'il dépend d'eux de les interpréter, de les abroger, de les changer et de les exécuter mal ou point du tout.
  Il est bon d'observer encore que la différence entre la tyrannie et un gouvernement juste, ne consiste pas, comme quelques-uns l'ont prétendu, ou par stupidité ou à dessein, à ce qu'il n'y ait pas de lois établies, mais bien à ce que celui qui est chargé de les exécuter, ne puisse en aucune manière se refuser à les exécuter.
  Le gouvernement est donc tyrannique, non-seulement lorsque celui qui exécute les lois les fait, ou celui qui les fait les exécute, mais il y a parfaite tyrannie dans tout gouvernement où celui qui est préposé à l'exécution des lois, ne rend jamais compte de leur exécution à celui qui les a créées.
  Mais il y a tant d'espèces de tyrannies, qui, sous des noms différents, produisent les mêmes effets, que je ne veux pas entreprendre de les distinguer, et beaucoup moins encore d'établir la différence qui existe entre elles et tant d'autres gouvernements justes et modérés ; ces distinctions étant connues de tout le monde.
  Je ne prononcerai pas non plus sur la question très-problématique, de savoir si la tyrannie de plusieurs est plus supportable que celle d'un seul ; je la laisserai de côté pour ce moment : né et élevé sous la tyrannie d'un seul, plus commune en Europe, j'en parlerai plus volontiers, plus savamment, et peut-être avec plus d'utilité pour mes co-esclaves. J'observerai seulement, en passant, que la tyrannie de plusieurs, quoique plus durable par sa nature, ainsi que Venise nous le prouve, paraît cependant à ceux sur qui elle pèse, moins dure et moins terrible que celle d'un seul ; j'attribue la cause de cette différence à la nature même de l'homme. La haine qu'il porte à plusieurs tyrans perd sa force en se divisant sur chacun d'eux ; la crainte qu'il éprouve de plusieurs, n'égale jamais celle qu'il peut avoir à la fois d'un seul, et enfin plusieurs tyrans peuvent bien être continuellement injustes et oppresseurs de l'universalité de leurs sujets ; mais jamais, par un léger caprice, ils ne seront les persécuteurs des simples individus. Dans ces gouvernements que la corruption des temps, le changement des noms et le renversement des idées, ont fait appeler républiques, le peuple, non moins esclave que sous la mono-tyrannie, jouit cependant d'une certaine apparence de liberté, il ose en proférer le nom sans délit ; et il est malheureusement trop vrai, que lorsque le peuple est corrompu, ignorant et esclave, il se contente facilement de la seule apparence."

 

Vittorio Alfieri, De la tyrannie, 1777-1790, tr. fr. M. Merget, Molini, 1802, p. 7-8 et p. 10-13.

 

Corrigé proposé :

 

  Contrairement à ce que pensent les nations modernes, la différence entre tyrans et rois ne se fonde pas sur le / fait que celui qui gouverne spolie effectivement ou non ses sujets.
  En effet, est réellement tyrannique tout gouvernement, dans lequel / celui qui fait les lois les exécute également, sans leur être soumis, contrairement au gouvernement juste où s'exprime par / ailleurs la volonté majoritaire.
  Ajoutons que la tyrannie d'un seul apparaît plus dure que la tyrannie de plusieurs, appelée / aujourd'hui "république", car plusieurs tyrans inspirent moins la peur et ne vont jamais jusqu'à persécuter un individu seul particulier, / conférant ainsi une fausse impression de liberté.

 

107 mots


 

Vous résumerez le texte suivant en 100 mots (± 10%) :

 

  "La commission du conseil colonial de Bourbon a dit : « Le travail libre sera toujours impossible à obtenir sous les tropiques. »
  La commission du conseil colonial de la Guyane française a dit : « Le travail libre est une chimère aux colonies, parce que le climat qui énerve l'homme, favorise sa paresse en lui offrant sans effort de sa part tout ce qui peut suffire à ses besoins. »
  La commission du conseil colonial de la Guadeloupe a dit : « Le travail cessera dans les colonies, sitôt qu'il deviendra facultatif. »
  La commission du conseil colonial de la Martinique a dit : « C'est notre conviction profonde, notre foi sincère qu'il est impossible de maintenir sans l'esclavage un travail fructueux sur nos habitations. »
  Si l'on devait croire à l'infaillibilité des conseils coloniaux et à la rigidité de leurs formules, toute discussion serait inutile, il y aurait après de tels arrêts une seule chose à répondre : « Puisque l'on ne peut obtenir de sucre tropical qu'au moyen de l'esclavage, il faut renoncer au sucre tropical ; puisque les colonies ne peuvent être cultivées que par des esclaves, il faut renoncer aux colonies, à moins toutefois que vous tous partisans de la servitude vous ne consentiez à prendre la place des nègres par dévouement au sucre et aux colonies. Soumettez-vous volontairement au travail forcé, si vous le jugez utile pour fournir des marchandises d'encombrement à la marine de votre patrie ; mais n'espérez point que les honnêtes gens vous permettent plus longtemps d'y obliger des hommes qui s'inquiètent fort peu que votre marine et votre patrie aillent bien ou mal, par la raison qu'ils n'y ont aucun profit. »
  Ce n'est pas là du tout l'opinion des planteurs. Au contraire, la chaleur des Antilles et ses influences énervantes étant données, ils en tirent la conclusion que les colonies ne pouvant être cultivées volontairement, il est juste d'y appliquer les nègres par voie de contrainte. C'est quelque chose, nous l'avouons, qui dépasse la portée de notre tolérance et de notre sang-froid, qu'un raisonnement aussi sauvage. Voyez-vous ces quinze à vingt mille hommes blancs qui viennent soutenir devant le monde entier que leur prospérité est attachée à la misère et à l'avilissement de deux cent soixante mille hommes noirs !!! Celui qui prétend avoir le droit de garder des hommes en servitude, parce qu'on ne trouverait pas de bras libres pour planter des cannes, et celui qui soutiendrait qu'on a le droit de voler parce qu'on n'a pas d'argent, sont à nos yeux deux fous ou deux scélérats absolument pareils.
  Lorsque j'arrive à réduire ce droit à son expression la plus concrète, lorsque m'isolant par abstraction du monde matériel et me retirant dans le monde intellectuel, je me représente que de deux hommes, l'un se dit le maître de l'autre, de sa volonté, de son travail, de sa vie, de son cœur, cela me donne tantôt un fou rire, tantôt des vertiges de rage.
  Que l'esclavage soit ou ne soit pas utile, il faut le détruire ; une chose criminelle ne doit pas être nécessaire. La raison d'impossibilité n'a pas plus de valeur pour nous que les autres, parce qu'elle n'a pas plus de légitimité. Si l'on dit une fois que ce qui est moralement mauvais peut être politiquement bon, l'ordre social n'a plus de boussole et s'en va au gré de toutes les passions des hommes. La violence commise envers le membre le plus infime de l'espèce humaine affecte l'humanité entière ; chacun doit s'intéresser à l'innocent opprimé, sous peine d'être victime à son tour, quand viendra un plus fort que lui pour l'asservir. La liberté d'un homme est une parcelle de la liberté universelle, vous ne pouvez toucher à l'une sans compromettre tout à la fois.
  Autant que qui que [ce] soit nous apprécions la haute importance politique et industrielle des colonies, nous tenons compte des faits, nous n'ignorons pas la valeur attribuée à ce qui se passe autour de nous, et cependant c'est notre cri bien décidé, pas de colonies si elles ne peuvent exister qu'avec l'esclavage. L'esclavage viole le principe de la liberté, principe qui n'est pas seulement une convention faite entre les hommes, mais aussi une vérité naturelle parvenue à son évidence ; la liberté en effet renferme à la fois le bien matériel et le bien moral, c'est-à-dire la destinée suprême de l'homme. Liberté, c'est équité, comme a dit lord Coke, le l'Hôpital de l'Angleterre. Le principe de liberté étant donc juste sous toutes les faces, il doit être souverain, absolu, despotique. C'est pourquoi nous qui aimons mieux nous passer de sucre que d'abandonner nos sentiments d'humanité, nous le déclarons, et cela avec toute la gravité qu'un homme puisse mettre à se prononcer, nous acceptons dans son entière portée un mot célèbre, et nous disons, nous aussi : « Périssent les colonies plutôt qu'un principe. » Oui, car un principe en socialisme c'est le cerveau en physiologie, c'est l'axe en mécanisme ; sans principes respectés il n'y a plus d'ordre, plus de société, plus rien, il ne reste qu'anarchie, violence, misère, chaos et dissolution."

 

Victor Schoelcher, Des colonies françaises : abolition immédiate de l'esclavage, 1842, Chapitre XXIV, Pagnerre, p. 382-386.

 

Corrigé proposé :

 

 Les conseils coloniaux français ont tous affirmé que le travail libre était impossible dans les colonies [sous les tropiques], et que par conséquent / l'esclavage y était nécessaire.
  Si tel est le cas, alors nous devons abandonner les colonies sous peine de nous / comporter de manière criminelle. On ne saurait en effet accepter qu'un homme soit l'esclave d'un autre, car / en violant sa liberté, c'est à la liberté de tous les hommes que l'on porte atteinte. C'est / naturellement que les hommes sont libres, et le respect du principe de liberté, universel, s'impose à tous de façon / impérative.

101 mots


  Vous résumerez le texte suivant en 200 mots (± 10%) :
 

  "La forme traditionnelle du mariage est en train de se modi­fier : mais il constitue encore une oppression que les deux époux ressentent de manière diverse. À ne considérer que les droits abstraits dont ils jouissent, ils sont aujourd'hui presque des égaux ; ils se choisissent plus librement qu'autrefois, ils peuvent beaucoup plus aisément se séparer, surtout en Amé­rique où le divorce est chose courante ; il y a entre les époux moins de différence d'âge et de culture que naguère ; le mari reconnaît plus volontiers à sa femme l'autonomie qu'elle revendique ; il arrive qu'ils partagent à égalité les soins du ménage ; leurs distractions sont communes : camping, bicyclette, natation, etc. Elle ne passe pas ses journées à attendre le retour de l'époux : elle fait du sport, elle appartient à des associations, à des clubs, elle s'occupe au-dehors, elle a même parfois un petit métier qui lui rapporte un peu d'argent. Beaucoup de jeunes ménages donnent l'impression d'une parfaite égalité. Mais tant que l'homme conserve la responsa­bilité économique du couple, ce n'est qu'une illusion. C'est lui qui fixe le domicile conjugal d'après les exigences de son travail : elle le suit de la province à Paris, de Paris en pro­vince, aux colonies, à l'étranger ; le niveau de vie s'établit d'après ses gains ; le rythme des jours, des semaines, de l'année se règle sur ses occupations ; relations et amitiés dépendent le plus souvent de sa profession. Étant plus positi­vement intégré que sa femme à la société, il garde la direc­tion du couple dans les domaines intellectuels, politiques, moraux. Le divorce n'est pour la femme qu'une possibilité abstraite si elle n'a pas les moyens de gagner elle-même sa vie : si en Amérique l' « alimony » est pour l'homme une lourde charge, en France le sort de la femme, de la mère abandonnée avec une pension dérisoire est un scandale. Mais l'inégalité profonde vient de ce que l'homme s'accomplit concrètement dans le travail ou l'action tandis que pour l'épouse, en tant que telle, la liberté n'a qu'une figure néga­tive : la situation des jeunes Américaines entre autres rap­pelle celle des Romaines émancipées de la décadence. On a vu que celles-ci avaient le choix entre deux types de conduites : les unes perpétuaient le mode de vie et les vertus de leurs grand-mères ; les autres passaient leur temps dans une vaine agitation ; de même quantité d'Américaines demeurent des « femmes d'intérieur » conformes au modèle traditionnel ; les autres pour la plupart ne font que dissiper leurs forces et leur temps. En France, le mari eût-il toute la bonne volonté du monde, dès que la jeune femme est mère, les charges du foyer ne l'accablent pas moins qu'autrefois.
  C'est un lieu commun de déclarer que dans les ménages modernes, et surtout aux U.S.A., la femme a réduit l'homme en esclavage. Le fait n'est pas nouveau. Depuis les Grecs les mâles se sont plaints de la tyrannie de Xanthippe ; ce qui est vrai, c'est que la femme intervient dans des domaines qui, autrefois, lui étaient condamnés ; je connais par exemple des femmes d'étudiants qui apportent à la réussite de leur mâle un acharnement frénétique ; elles règlent son emploi du temps, son régime, elles surveillent son travail ; elles le sèvrent de toutes distractions, c'est tout juste si elles ne l'enferment pas à clef ; il est vrai aussi que l'homme est plus désarmé que naguère devant ce despotisme ; il reconnaît à la femme des droits abstraits et il comprend qu'elle ne peut les rendre concrets qu'à travers lui : c'est à ses propres dépens qu'il compensera l'impuissance, la stérilité à laquelle la femme est condamnée ; pour que se réalise dans leur associa­tion une apparente égalité, il faut que ce soit lui qui donne le plus du fait qu'il possède davantage. Mais précisément, si elle reçoit, prend, exige, c'est qu'elle est la plus pauvre. La dialec­tique du maître et de l'esclave trouve ici son application la plus concrète : en opprimant on devient opprimé. C'est par leur souveraineté même que les mâles sont enchaînés ; c'est parce qu'ils gagnent seuls de l'argent que l'épouse exige des chèques, parce que seuls ils exercent un métier qu'elle leur impose d'y réussir, parce que seuls ils incarnent la transcen­dance qu'elle veut la leur voler en faisant siens leurs projets, leurs succès. Et inversement, la tyrannie exercée par la femme ne fait que manifester sa dépendance : elle sait que la réussite du couple, son avenir, son bonheur, sa justification reposent aux mains de l'autre ; si elle cherche âprement à le soumettre à sa volonté, c'est qu'elle est aliénée en lui. C'est de sa faiblesse qu'elle se fait une arme ; mais le fait est qu'elle est faible. L'esclavage conjugal est plus quotidien et plus irritant pour le mari ; mais il est plus profond pour la femme ; la femme qui retient son mari auprès d'elle pendant des heures parce qu'elle s'ennuie le brime et lui pèse ; mais en fin de compte il peut passer d'elle bien plus facilement qu'elle de lui ; s'il la quitte, c’est elle qui aura sa vie ruinée. La grande différence c'est que chez la femme la dépendance est intériorisée : elle est esclave même quand elle se      conduit avec une apparente liberté ; tandis que l'homme est essentiellement autonome et c'est du dehors qu'il est enchaîné. S'il a l'impres­sion que c'est lui la victime, c'est que les charges qu'il sup­porte sont les plus évidentes : la femme se nourrit de lui comme un parasite ; mais un parasite n'est pas un maître triomphant. En vérité, de même que biologiquement les mâles et les femelles ne sont jamais victimes l'un de l'autre mais tous ensemble de l'espèce, de même aussi les époux subissent ensemble l'oppression d'une institution qu'ils n'ont pas créée. Si l'on dit que les hommes oppriment les femmes, le mari s'indigne ; c'est lui qui se sent opprimé : il l'est ; mais le fait est que c'est le code masculin, c'est la société élaborée par les mâles et dans leur intérêt qui a défini la condition féminine sous une forme qui est à présent pour les deux sexes une source de tourments.

  C'est dans leur intérêt commun qu'il faudrait modifier la situation en interdisant que le mariage soit pour la femme une « carrière ». Les hommes qui se déclarent antiféministes sous prétexte que « les femmes sont déjà bien assez empoi­sonnantes comme ça » raisonnent sans beaucoup de logique : c'est justement parce que le mariage en fait des « mantes religieuses », des « sangsues », des « poisons », qu'il faut trans­former le mariage et, par conséquent, la condition féminine en général. La femme pèse si lourdement sur l'homme parce qu'on lui interdit de se reposer sur soi : il se délivrera en la délivrant, c'est-à-dire en lui donnant quelque chose à faire en ce monde.
  Il y a des jeunes femmes qui déjà s'essaient à conquérir cette liberté positive ; mais rares sont celles qui persévèrent longtemps dans leurs études ou leur métier : le plus souvent elles savent que les intérêts de leur travail seront sacrifiés à la carrière de leur mari ; elles n'apporteront au foyer qu'un salaire d'appoint ; elles ne s'engagent que timidement dans une entreprise qui ne les arrache pas à la servitude conjugale. Celles mêmes qui ont un sérieux métier n'en tirent pas les mêmes bénéfices sociaux que les hommes : les femmes d'avo­cats, par exemple, ont droit à une pension à la mort de leur mari ; on a refusé aux avocates de verser symétriquement une pension à leurs époux en cas de décès. C'est dire qu'on ne considère pas que la femme qui travaille entretienne le couple à égalité avec l'homme. Il y a des femmes qui trouvent dans leur profession une véritable indépendance ; mais nombreuses sont celles pour qui le travail « au-dehors » ne repré­sente dans les cadres du mariage qu'une fatigue supplémen­taire. D'ailleurs, le plus souvent, la naissance d'un enfant les oblige à se cantonner dans leur rôle de matrone ; il est actuellement fort difficile de concilier travail et maternité."

 

Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, 1949, II, Deuxième partie, chapitre V, France Loisirs, 1990, p. 731-735.

 

Corrigé proposé :

  Malgré ses transformations, le mariage continue de contraindre inégalement les époux. Certes, l'égalité des droits entre l'homme et / la femme est désormais presque acquise, mais elle demeure formelle tant que le mari continue à pourvoir aux besoins du / ménage. Ainsi, tandis que l'homme s'accomplit socialement, la femme n'a le choix qu'entre l'enfermement domestique / et de vaines occupations.
  Pourtant, on entend dire aujourd'hui qu'au sein des couples modernes, la femme tyrannise l'homme. / Il est vrai que celui-ci est davantage soumis aux exigences de sa femme que dans le passé, mais c' / [100] est justement parce que lui seul possède les moyens d'y répondre. Si les hommes semblent opprimés, c'est donc / à cause d'un ordre masculin qui les a rendus supérieurs et autonomes, au détriment des femmes, dont la liberté / n'est qu'apparente.

  En réalité, le mariage emprisonne l'homme et la femme, et ce n'est qu'en / transformant celui-ci, et par-là même, la condition générale des femmes, qu'on les libèrera tous deux.
  Certes, certaines / femmes se sont déjà lancées sur le chemin de l'autonomie. Toutefois, elles restent fort peu nombreuses, la plupart demeurant / aliénées, et ne parvenant pas à concilier leur rôle de femme active et celui de mère.

 

216 mots


 

Vous résumerez le texte suivant en 100 mots (± 10%) :

 

  "L'homme qui ne peut qu'obéir est un esclave ; s'il ne peut que désobéir, il est un révolté (et non pas un révolutionnaire) ; il agit par colère, par désappoin­tement, par ressentiment, et non pas au nom d'une conviction ou d'un principe.
  Pour éviter une confusion de termes, il convient toutefois d'établir une distinction importante. L'obéis­sance à un individu, à une institution, à un pouvoir (obéissance hétéronome), est une attitude de soumis­sion ; elle implique l'abdication de mon autonomie et l'acceptation d'une volonté ou d'un jugement étran­gers qui se substituent aux miens. L'obéissance à ma propre raison, ou à ma propre conviction (obéissance autonome) n'est pas un acte de soumission, mais d'af­firmation. Ma conviction et mon jugement, s'ils sont authentiquement miens, font partie de moi. Si je les suis, de préférence au jugement d'autrui, je reste moi­-même. Dans ce cas, le mot obéir ne peut s'appliquer que dans un sens métaphorique, selon une acception fondamentalement différente de celle qui convient au cas de l' « obéissance hétéronome ».

  Mais cette distinction entraîne deux précisions, l'une relative au concept de la conscience, l'autre au concept de l'autorité.
  Le mot conscience sert à exprimer deux phénomènes très différents l'un de l'autre. L'un est la « conscience autoritaire », voix intériorisée d'une autorité à laquelle nous avons le vif désir de plaire, et à laquelle nous avons peur de déplaire. Cette conscience autoritaire est ce que connaissent la plupart des individus quand ils obéissent à leur conscience. Elle est aussi la cons­cience dont parle Freud, et qu'il a appelée le « sur­moi ». Ce surmoi représente les ordres et les prohibi­tions intériorisés du père, acceptés par le fils en raison de sa peur. Par ailleurs, existe la « conscience huma­niste », différente de la conscience autoritaire ; il s'agit de la voix présente en tout être humain, indépendam­ment de toute sanction, de toute récompense extérieures. La conscience humaniste est fondée sur le fait que, en tant qu'êtres humains, nous avons une connaissance intuitive de ce qui est humain et de ce qui ne l'est pas, de ce qui est favorable à la vie et de ce qui détruit la vie. Cette conscience nous permet de nous comporter en êtres humains. C'est la voix qui nous ramène à nous-mêmes, à notre humanité.
  La conscience autoritaire (le surmoi) est aussi obéis­sance à un pouvoir situé en dehors de moi, quand bien même ce pouvoir aurait été intériorisé. Consciem­ment, je crois que je suis ma conscience ; en fait, j'ai simplement intégré les principes du pouvoir ; en rai­son de la simple illusion que la conscience humaniste et le surmoi sont identiques, l'autorité intériorisée est beaucoup plus efficace que l'autorité clairement res­sentie comme ne faisant pas partie de moi. L'obéis­sance à la conscience autoritaire, comme toute obéis­sance à des pensées et à un pouvoir extérieurs, tend à affaiblir la « conscience humaniste », c'est-à-dire la faculté d'être soi-même et de se juger.
  D'autre part, l'idée que l'obéissance à un tiers est ipso facto un acte de soumission exige d'être restrein­te, en distinguant l'autorité « irrationnelle » de l'au­torité « rationnelle ». Nous trouvons un exemple d'autorité rationnelle dans la relation élève-professeur ; et d'autorité irrationnelle dans la relation esclave-maître. Ces deux relations sont fondées sur le fait que l'autorité de la personne dominante est acceptée. Dyna­miquement, cependant, elles sont de natures différen­tes. Les intérêts du maître et de l'élève, dans une situation idéale, sont orientés dans la même direction. Le maître est satisfait s'il réussit à enrichir l'élève ; s'il n'y parvient pas, l'échec est à la fois le sien et celui de l'élève. Par ailleurs, le propriétaire de l'esclave entend exploiter celui-ci au maximum ; plus il obtient de lui, plus il est satisfait. En même temps, l'esclave essaie de défendre de son mieux son droit à un mini­mum de bonheur. Les intérêts de l'esclave et du maître sont antagonistes, car ce qui avantage l'un porte pré­judice à l'autre.
  Dans chacun de ces deux cas, la supériorité du maître a des fonctions différentes ; dans le premier cas, elle est la condition de l'enrichissement de la personne soumise à l'autorité ; dans le second, elle est la condi­tion de son exploitation. Notons une distinction paral­lèle à celle-ci : l'autorité rationnelle l'est parce que l'autorité, qu'elle soit détenue par un enseignant ou par un capitaine donnant des ordres pendant le nau­frage de son navire, agit au nom de la raison qui, étant universelle, peut être acceptée sans soumission. L'autorité irrationnelle doit se servir de la force ou de la suggestion, parce qu'aucun individu ne se laisse­rait exploiter s'il était libre de l'éviter."

 

Erich Fromm, "La désobéissance, problème psychologique et moral", 1963, in De la désobéissance et autres essais, Robert Laffont, 1983, p. 14-16.

 

Corrigés proposés :

 

  Si obéir semble la condition de l'esclave, il faut cependant distinguer l'obéissance à autrui de l'obéissance à / soi-même [sa conscience], car seule la première est [constitue une véritable] soumission, tandis que la seconde est affirmation de soi.
  Toutefois, il faut pour / cela obéir à sa conscience "humaniste" et non à sa conscience "autoritaire", laquelle n'est en réalité qu'une / autorité extérieure intériorisée.

  De même, il faut distinguer l'autorité rationnelle et l'autorité irrationnelle. Dans le premier cas, l'individu / [suivant sa raison] obéit dans son intérêt, et donc volontairement, alors que dans le second, c'est par la force ou la / persuasion qu'il est soumis.
  [De même, on peut obéir volontairement à autrui s'il s'agit d'obéir à une autorité / rationnelle, tandis que l'autorité irrationnelle nécessite le recours à la force ou à la persuasion.]

105 mots [110] [106]

 

  L'obéissance n'est pas nécessairement esclavage, ni la désobéissance liberté. En effet, si obéir à autrui c'est se / soumettre, obéir à soi-même c'est s'affirmer.
  Cependant, il faut pour cela obéir à sa "conscience humaniste", garante / de notre humanité [dignité], et non à son Surmoi, lequel n'est en réalité qu'une autorité extérieure intériorisée.

  De même, / obéir à autrui peut être volontaire, si l'on obéit dans son intérêt et donc rationnellement. Ce n'est donc / que l'autorité irrationnelle qui, en s'imposant par la force ou la ruse, nous fait réellement perdre notre liberté.

100 mots


 

Vous résumerez le texte suivant en 100 mots (± 10%) :

  "Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non » ?
  Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas. » En somme, ce non affirme l'existence d'une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l'autre « exagère », qu'il étend son droit au-delà d'une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte s'appuie, en même temps, sur le refus catégorique d'une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d'un bon droit, plus exactement, l'impression, chez le révolté, qu'il est « en droit de... ». La révolte ne va pas sans le sentiment d'avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison. C'est en cela que l'esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu'il soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec entêtement, qu'il y a en lui quelque chose « qui vaut la peine de... », qui demande qu'on y prenne garde. D'une certaine manière, il oppose à l'ordre qui l'opprime une sorte de droit de ne pas être opprimé au-delà de ce qu'il peut admettre.

  En même temps que la répulsion à l'égard de l'intrus, il y a dans toute révolte une adhésion entière et instantanée de l'homme à une certaine part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de valeur, et si peu gratuit, qu'il le maintient au milieu des périls. Jusque-là il se taisait au moins, abandonné à ce désespoir où une condition, même si on la juge injuste, est acceptée. Se taire, c'est laisser croire qu'on ne juge et ne désire rien, et dans certains cas, c'est ne désirer rien en effet. Le désespoir, comme l'absurde, juge et désire tout, en général, et rien, en particulier. Le silence le traduit bien. Mais à partir du moment où il parle, même en disant non, il désire et juge. Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l'est pas. Toute valeur n'entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolte invoque tacitement une valeur. S'agit-il au moins d'une valeur ?
  Si confusément que ce soit, une prise de conscience naît du mouvement de révolte : la perception, soudain éclatante, qu'il y a dans l'homme quelque chose à quoi l'homme peut s'identifier, fût-ce pour un temps. Cette identification jusqu'ici n'était pas sentie réellement. Toutes les exactions antérieures au mouvement d'insurrection, l'esclave les souffrait. Souvent même, il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu'il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l'impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s'étendre à tout ce qui auparavant était accepté. Cet élan est presque devenu rétroactif. L'esclave, à l'instant où il rejette l'ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l'état de l'esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu'il n'était dans le simple refus. Il dépasse même la limite qu'il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en égal. Ce qui était d'abord une résistance irréductible de l'homme devient l'homme tout entier qui s'identifie à elle et s'y résume. Cette part de lui-même qu'il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie. Elle devient pour lui le bien suprême. Installé auparavant dans un compromis, l'esclave se jette d'un coup (« puisque c'est ainsi... ») dans le tout ou rien. La conscience vient au jour avec la révolte."

 

Albert Camus, L'homme révolté, 1951, I, Gallimard, nrf, 1960, p. 25-27.

 

Corrigés proposés :

 

  Un homme qui se révolte est un homme qui dit « non » tout en disant « oui ». Il refuse un traitement jugé / inacceptable car une limite a été outrepassée. Mais il se révolte aussi contre le droit imposé au nom d'un / autre droit dont il affirme au même moment l'existence inaliénable.
  Il faut désormais qu'il juge de sa situation / au regard d'une valeur plus haute, correspondant à ce qu'il lui semble désirable, souhaitable de faire, mettant fin / au silence résigné.

  La conscience de certaines valeurs humanistes, transcendantes, universalisables, naît ainsi de la révolte, balayant toute injustice passée. (100 mots)

 

  L'homme qui se révolte est un homme qui dit « non » tout en disant « oui ». En effet, tandis qu'il / refuse un traitement jugé intolérable car une limite a été outrepassée, il se révolte également au nom d'un droit / qu'il entend défendre.
  Désormais, il sort du silence pour exprimer à la fois un désir et un jugement de / valeur [axiologique], en se reconnaissant lui-même et en s'affirmant comme un égal.
  Le révolté va donc au-delà de / la simple résistance : il prend conscience que le respect de sa personne constitue un bien suprême qu'on ne saurait / aliéner. (101 mots [100])

 

Vous résumerez le texte suivant en 200 mots (± 10%) :

  "Qu'est-ce qu'un homme révolté ? Un homme qui dit non. Mais s'il refuse, il ne renonce pas : c'est aussi un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. Un esclave qui a reçu des ordres toute sa vie, juge soudain inacceptable un nouveau commandement. Quel est le contenu de ce « non » ?
  Il signifie, par exemple, « les choses ont trop duré », « jusque-là oui, au-delà non », « vous allez trop loin », et encore, « il y a une limite que vous ne dépasserez pas. » En somme, ce non affirme l'existence d'une frontière. On retrouve la même idée de limite dans ce sentiment du révolté que l'autre « exagère », qu'il étend son droit au-delà d'une frontière à partir de laquelle un autre droit lui fait face et le limite. Ainsi, le mouvement de révolte s'appuie, en même temps, sur le refus catégorique d'une intrusion jugée intolérable et sur la certitude confuse d'un bon droit, plus exactement, l'impression, chez le révolté, qu'il est « en droit de... ». La révolte ne va sans le sentiment d'avoir soi-même, en quelque façon, et quelque part, raison. C'est en cela que l'esclave révolté dit à la fois oui et non. Il affirme, en même temps que la frontière, tout ce qu'il soupçonne et veut préserver en deçà de la frontière. Il démontre, avec entêtement, qu'il y a en lui quelque chose « qui vaut la peine de... », qui demande qu'on y prenne garde. D'une certaine manière, il oppose à l'ordre qui l'opprime une sorte de droit de ne pas être opprimé au-delà de ce qu'il peut admettre.

  En même temps que la répulsion à l'égard de l'intrus, il y a dans toute révolte une adhésion entière et instantanée de l'homme à une certaine part de lui-même. Il fait donc intervenir implicitement un jugement de valeur, et si peu gratuit, qu'il le maintient au milieu des périls. Jusque-là il se taisait au moins, abandonné à ce désespoir où une condition, même si on la juge injuste, est acceptée. Se taire, c'est laissé croire qu'on ne juge et ne désire rien, et dans certains cas, c'est ne désirer rien en effet. Le désespoir, comme l'absurde, juge et désire tout, en général, et rien, en particulier. Le silence le traduit bien. Mais à partir du moment où il parle, même en disant non, il désire et juge. Le révolté, au sens étymologique, fait volte-face. Il marchait sous le fouet du maître. Le voilà qui fait face. Il oppose ce qui est préférable à ce qui ne l'est pas. Toute valeur n'entraîne pas la révolte, mais tout mouvement de révolté invoque tacitement une valeur. S'agit-il au moins d'une valeur ?
  Si confusément que ce soit, une prise de conscience naît du mouvement de révolte : la perception, soudain éclatante, qu'il y a dans l'homme quelque chose à quoi l'homme peut s'identifier, fût-ce pour un temps. Cette identification jusqu'ici n'était pas sentie réellement. Toutes les exactions antérieures au mouvement d'insurrection, l'esclave les souffrait. Souvent même, il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu'il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l'impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s'étendre à tout ce qui auparavant était accepté. Cet élan est presque devenu rétroactif. L'esclave, à l'instant où il rejette l'ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l'état de l'esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu'il n'était dans le simple refus. Il dépasse même la limite qu'il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en égal. Ce qui était d'abord une résistance irréductible de l'homme devient l'homme tout entier qui s'identifie à elle et s'y résume. Cette part de lui-même qu'il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie. Elle devient pour lui le bien suprême. Installé auparavant dans un compromis, l'esclave se jette d'un coup (« puisque c'est ainsi... ») dans le tout ou rien. La conscience vient au jour avec la révolte.
  Mais on voit qu'elle est conscience, en même temps, d'un tout, encore assez obscur, et d'un « rien » qui annonce la possibilité de sacrifice de l'homme à ce tout. Le révolté veut être tout, s'identifier totalement à ce bien dont il a soudain pris conscience et dont il veut qu'il soit, dans sa personne, reconnu et salué – ou rien, c'est-à-dire se trouver définitivement déchu par la force qui le domine. À la limite, il accepte la déchéance dernière qui est la mort, s'il doit être privé de cette consécration exclusive qu'il appellera, par exemple, sa liberté. Plutôt mourir debout que de vivre à genoux.
  La valeur, selon les bons auteurs, « représente le plus souvent un passage du fait au droit, du désiré au désirable (en général par l'intermédiaire du communément désiré) ». Le passage au droit est manifeste, nous l'avons vu, dans la révolte. De même le passage du «il faudrait que cela fût », au « je veux que cela soit ». Mais plus encore, peut-être, cette notion du dépassement de l'individu dans un bien désormais commun. Le surgissement du Tout ou Rien montre que la révolte, contrairement à l'opinion courante, et bien qu'elle naisse dans ce que l'homme a de plus strictement individuel, met en cause la notion même d'individu. Si l'individu, en effet, accepte de mourir, et meurt à l'occasion, dans le mouvement de sa révolte, il montre par là qu'il se sacrifie au bénéfice d'un bien dont il estime qu'il déborde sa propre destinée. S'il préfère la chance de la mort à la négation de ce droit qu'il défend, c'est qu'il place ce dernier au-dessus de lui-même. Il agit donc au nom d'une valeur, encore confuse, mais dont il a le sentiment, au moins, qu'elle lui est commune avec toits les hommes. On voit que l'affirmation impliquée dans tout acte de révolte s'étend à quelque chose qui déborde l'individu dans la mesure où elle le tire de sa solitude supposée et le fournit d'une raison d'agir. Mais il importe de remarquer déjà que cette valeur qui préexiste à toute action contredit les philosophies purement historiques, dans lesquelles la valeur est conquise (si elle se conquiert) au bout de l'action. L'analyse de la révolte conduit au moins au soupçon qu'il y a une nature humaine, comme le pensaient les Grecs, et contrairement aux postulats de la pensée contemporaine. Pourquoi se révolter s'il n'y a, en soi, rien de permanent à préserver ? C'est pour toutes les existence s en même temps que l'esclave se dresse, lorsqu'il juge que, par tel ordre, quelque chose en lui est nié qui ne lui appartient pas seulement, mais qui est un lieu commun où tous les hommes, même celui qui l'insulte et l'opprime, ont une communauté prête."

 

Albert Camus, L'homme révolté, 1951, I, Gallimard, nrf, 1960, p. 25-28.

 

Corrigé proposé :

 

  L'homme qui se révolte est un homme qui à la fois nie et affirme. En effet, tandis qu'il / refuse un traitement jugé intolérable car une limite intangible a été franchie, il se révolte également au nom d'un / droit qui lui appartient et qui légitime sa révolte.
  Ainsi, il sort du silence dans lequel il se trouvait jusque- / là pour exprimer à la fois un désir et un jugement de valeur sur lui-même, en se reconnaissant et / en s'affirmant comme un égal.

  Le révolté va donc au-delà de la simple résistance : il prend conscience que / le respect de sa personne constitue un bien suprême qu'on ne saurait aliéner.
  Cette conscience porte à la / fois sur une totalité : totalité de l'identification du révolté à la valeur de son être, et sur un néant : / la mort qu'il est prêt à embrasser pour que son droit devienne réalité. Dès lors, en acceptant de mourir / pour le bien qu'il défend, le révolté reconnaît que celui-ci le dépasse, qu'il ne constitue pas un / bien individuel, mais un bien commun, lequel unit tous les hommes.

191 mots

 

 


Date de création : 15/09/2016 @ 17:09
Dernière modification : 31/03/2017 @ 07:40
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