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Texte à méditer :  Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes.  Heinrich Heine
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Hors des sentiers battus
L'impossible satisfaction des désirs ; l'insatiabilité du désir

  "On peut se demander comment l'homme [Moïse] à qui tant de manifestations divines ont rendu Dieu clairement visible – Dieu s'entretenait avec Moïse face à face, comme un ami parle à son ami atteste l'écriture –, comment donc l'homme qui a fait de telles expériences […] peut-il prier Dieu de se montrer à lui, comme si ce Dieu qui ne cesse de se manifester ne s'était pas encore laissé voir ? [...] C'est que l'âme délivrée de ses attaches terrestres s'élance vive et rapide vers les hauteurs, prenant son essor des degrés inférieurs vers les supérieurs. Et comme, d'en haut, rien ne vient couper son élan, [...] elle s'élève toujours davantage au-dessus d'elle-même, tendue par le désir des réalités célestes vers ce qui est en avant, selon la parole de l'Apôtre (Phil 3, 13) ; ainsi, elle poursuit son vol tou­jours plus haut. Ce qu'elle a déjà saisi la rend impatiente d'atteindre les sommets qui sont au-dessus d'elle et lui interdit toute relâche dans son mouvement ascensionnel. Dans le chemin parcouru elle trouve sans cesse un élan renouvelé pour voler plus haut. Seule en effet l'activité spirituelle a la propriété de nourrir son dynamisme en le mettant à l'œuvre et, bien loin de perdre son tonus, de l'augmenter en le dépensant.
  Tel est à nos yeux le grand Moïse : s'avançant toujours plus haut, il n'arrête nulle part son ascension ni ne se fixe de limites dans son mouvement vers les sommets. Une fois qu'il a mis le pied à l'échelle où Dieu se tenait, comme dit Jacob (Gen 28, 12) il monte sans esse au degré supérieur et ne cesse pas de s'élever car chaque foi qu'il gravit un échelon, toujours il en trouve un, au-delà. [...]

  S'étant haussé sur les sommets, il est encore soulevé de désir, insatiable d'avoir davantage ; il a encore soif de ce dont il s'est déjà gorgé à satiété. Comme s'il n'en avait pas encore eu sa part il cherche à l'obtenir ; il supplie Dieu de se manifester à lui, non dans la mesure où il peut participer à la divinité, mais tel que Dieu est en lui-même.
  C'est bien, me semble-t-il ce qu'éprouve une âme passionnée d'amour pour la Beauté essentielle, une âme que l'espérance entraîne dans ce de la beauté qu'elle a vue à celle qui est au-delà, une âme qui allume continuellement le désir de ce qui lui reste encore caché à cela même qu'elle ne cesse de saisir. [...] La demande audacieuse de cette âme dépasse les limites du désir : elle aspire à jouir de la Beauté face à face, non à travers miroirs ou reflets.  La voix divine lui donne ce qu'elle demande par son refus même qui lui offre en quelques mots un abîme incommensurable de pensées. Car la munificence divine qui lui accorde l'accomplissement de son désir ne lui promet pas que ce désir disparaîtra ni qu'il connaîtra la satiété.
  En effet, Dieu ne se serait pas montré lui-même a son ser­viteur si cette vision avait dû faire cesser le désir du voyant, car en ceci consiste la véritable vision de Dieu : celui qui lève les eux vers lui ne met jamais fin à son désir. C'est pourquoi Dieu dit à Moise : Tu ne pourras pas voir mort visage. En effet nul homme ne peut voir mon visage et demeurer en vie. [...]
  Voir Dieu réellement c'est donc ne jamais trouver de satiété à son désir. Il faut plutôt, en regardant toujours, se laisser enflammer par ce qu il est déjà possible de voir, du désir de voir davantage. Ainsi nulle borne ne peut bri­ser le progrès de montée vers Dieu puisque d'un côté il ne trouve pas de limite à sa Beauté et que, de l'au­tre, aucune satiété ne s'oppose a la progression du désir tendu vers elle."

 

Saint Grégoire de Nysse, La Vie de Moïse, IVe siècle, Deuxième partie, § 219-239.



  "Les riches qui possèdent de nombreux biens et propriétés ajoutent encore chaque jour champ à champ (Isaïe, V, 8) et élargissent les limites de ceux-ci avec une cupidité incroyable... Ceux qui habitent des maisons royales et de vastes palais ajoutent cependant, chaque jour, maison à maison, construis­ent ou démolissent, changent ce qui est carré en forme arrondie... Dès lors, faut-il s'étonner que celui qui ne peut s'arrêter, tant qu'il ne possède pas ce qu'il y a de plus grand et de plus excellent, ne soit jamais satisfait de ce qui est moins bon et moins élevé ? Mais c'est une sottise et le signe d'une extrême folie de désirer toujours ce qui jamais, je ne dis pas rassasie, mais amortit la convoitise : quoi qu'on ait obtenu, on n'en désire pas moins ce qu'on ne possède pas encore et toujours on s'inquiète à rechercher ce qui manque. Et il arrive ainsi que l'esprit vagabond parcoure les attraits variés et trompeurs du monde et se fatigue, par ce vain travail, sans jamais être rassasié."

 

Bernard de Clairvaux, De diligendo Deo [De l'amour de Dieu], 1126, VII, 18, c, 985c.



  " […] nous devons considérer que la félicité en cette vie ne consiste pas dans le repos d'une âme satisfaite. En effet, il n'existe rien de tel que cette finis ultimus (fin dernière), ou ce summum bonum (bien suprême), comme on le dit dans les livres de la morale vieillie des philosophes. Nul ne peut vivre non plus si ses désirs touchent à leur fin, non plus que si ses sensations et son imagination s'arrêtent. La félicité est une progression ininterrompue du désir allant d'un objet à un autre, de telle sorte que parvenir au premier n'est jamais que la voie menant au second. La cause en est que l'objet du désir humain n'est pas de jouir une fois seulement, et pendant un instant, mais de ménager pour toujours la voie de son désir futur. Et donc, les actions volontaires et les penchants humains ne visent pas seulement à procurer une vie heureuse, mais encore à la garantir ; et ils diffèrent seulement dans la voie qu'ils suivent. […]
  C'est pourquoi je place au premier rang, à titre de penchant universel de tout le genre humain, un désir inquiet d'acquérir puissance après puissance, désir qui ne cesse seulement qu'à la mort. Et la cause de cela n'est pas toujours que l'on espère une jouissance plus grande que celle qu'on vient déjà d'atteindre, ou qu'on ne peut se contenter d'une faible puissance, mais qu'on ne peut garantir la puissance et les moyens de vivre bien dont on dispose dans le présent sans en acquérir plus. C'est ce qui fait que les rois dont la puissance est la plus grande orientent leurs efforts en vue de la garantir, à l'intérieur par les lois, et à l'extérieur par les guerres. Et, quand cela est accompli, un nouveau désir succède à l'ancien : pour les uns, c'est le désir de gloire acquise lors d'une conquête ; pour les autres c'est le désir d'une vie facile et de plaisirs sensuels ; chez d'autres encore, c'est le désir d'être admirés ou flattés pour leur excellence dans tel ou tel art ou pour une autre aptitude de l'esprit".

 

Hobbes, Léviathan, 1651, I, 11, tr. fr. Gérard Mairet,  Folio Essais, p. 186-188.



  "Entre les désirs et leurs réalisations s'écoule toute la vie humaine. le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. Quant le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l'un et de l'autre, descend à son minimum; et c 'est là la plus heureuse vie. Car il est bien d'autres moments, qu'on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu'on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde ; c'est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes bien rares ; elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe; au reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure, qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du vulgaire plus grossier, et fait d'eux, en somme, des solitaires au milieu d'une foule toute différente d'eux ; ainsi se rétablit l'équilibre. Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressés le dépasse ; ils sont réduits au simple vouloir."

 

Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, 1819, Livre IV, § 57, tr. fr. A. Burdeau revue par R. Roos, PUF Quadrige, 2003, p. 396-397.

 

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Date de création : 10/12/2016 @ 09:17
Dernière modification : 17/02/2020 @ 13:17
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