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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Figures philosophiques

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Textes à résumer sur l'aventure

  Vous résumerez le texte en 100 mots (± 10 %) en ne vous attachant qu'aux grands mouvements de la pensée.

 

  "On admettra volontiers que l'aventure, véritable mise à l'épreuve de la ruse et de l'intelligence du héros, n'est pas un thème littéraire nouveau. Qu'ils soient relations de découvertes, d'explorations ou de conquêtes coloniales, les récits auxquels elle donne lieu furent, de tout temps, investis d'une valeur humaine exemplaire et considérés comme des lectures vivement recommandées à la jeunesse des élites. Ce type de narration, qui possède ses structures invariantes, renoue avec d'antiques quêtes initiatiques et aussi, sans doute, avec d'anciens sacrifices de conjuration. Mais il connaît également, selon les cultures et les époques, certaines reformulations pertinentes. L'aventure moderne s'inscrit en effet dans un contexte original caractérisé, en période de crise, par une situation sociale et psychologique difficile où se trouve la jeunesse, et par le statut fondamentalement ambivalent que lui confèrent les adultes. On peut y voir à l'œuvre une sorte de célébration des vertus de la jeunesse – à laquelle, par un processus inédit d'inversion, on emprunte volontiers ses modèles – et, en même temps, l'expression d'une menace qu'elle ferait confusément peser sur les adultes socialement intégrés.
  Mais, à travers les changements actuels de leurs formes, on voit d'abord que la littérature d'aventures et les récits de voyages cèdent le pas devant les images-marchandises, et que le spectacle se substitue de plus en plus à la pratique. Que le marin devienne un skipper, que l'aventure africaine se réduise au raid Paris-Dakar, un tel glissement n'est pas insignifiant. Pour l'évasion, l'imagination en appelle au réalisme télévisuel des exploits, et l'émotion, pour s'exalter, exige des événements exceptionnels réalisés – et retransmis – en décors naturels.

  On peut par ailleurs s'étonner devant cet investissement incongru de la planète par des sportifs qui la prennent pour un gigantesque terrain d'aventures ou pour une sorte de parc récréatif. Les voici partant solitaires ou par petites escouades, mais armés des derniers perfectionnements technologiques, afin d'y réaliser des performances athlétiques ou acrobatiques. Dans ces expéditions qui tiennent de l'acte gratuit, ils n'ont d'autre but avéré que de mettre leur vie en péril – en ces lieux où l'homme est absent et où la nature est photogénique – avant de célébrer leurs prouesses à travers les images dramatisées de leur « survie ». Ce que l'on destine au grand public, sous couvert de lui faire partager le goût de l'aventure, c'est donc moins en fin de compte la profondeur d'une quête, l'émotion partagée, la rencontre avec l'Autre, que l'impact télé-émotionnel des images. Dans notre imaginaire, la figure du baroudeur explorant l'Orénoque le dispute désormais aux figures publicitaires de jeunes survivants regroupés en une horde errant dans un décor désertique et calciné de catastrophe postatomique. Entre l'imagerie insistante du Camel Trophy et celle des Gauloises blondes s'étend le registre sémiologique de l'aventure.
  On l'a dit, les livres d'images, les romans ou les récits d'explorations, d'aventures maritimes ou d'épopées coloniales furent considérés comme les lectures les plus éminemment édifiantes pour les enfants et les adolescents des classes entreprenantes. Avant Tintin, ce sont Ulysse, Télémaque ou Robinson, les personnages de Jules Verne ou de Joseph Conrad, Francis Garnier ou Savorgnan de Brazza, Mermoz ou Saint-Exupéry qui en furent les figures classiques et les héros renouvelés. […]
    Quelles qu'en soient les adaptations romanesques ou narratives, le mythe de l'aventure conserve des dimensions invariantes repérables. Dans la structure de ces récits, on relève toujours l'engagement dans l'inconnu, le passage difficile – parfois accidentel – d'un monde familier à un monde étranger et l'exposition à des risques mortels au cours d'épreuve, qui ponctuent le voyage. Dans l'aventure solitaire où l'on est soumis à sa seule volonté, il n'y a d'autres lois ou discipline que celles que l'on s'impose à soi-même. C'est là l'expression de l'autonomie fondamentalement recherchée du voyageur. Mais, face aux forces extérieures, écrasantes et indomptables de la nature, on est menacé, en permanence, de la sanction immanente : dans la série ininterrompue des choix décisifs, chaque erreur commise se paie immédiatement et au prix fort. Dans tous ces actes et récits, on trouve ainsi des transpositions parfaites de rituels d'initiation comportant souffrance et risques, suppression symbolique du père et transgression de ses interdits, convocations de son destin et défi à la mort aboutissant à une forme de renaissance. Le mythe de l'aventure a reproduit, sur différents registres de modes d'expression de la culture occidentale, l'épopée solitaire d'un héros avec sa métamorphose, ses conduites ordaliques, ses vicissitudes, ses gloires et ses tragédies.
  Les années 1980 furent ainsi la décennie tragique des sportifs aventuriers qui ne revinrent pas. Commencée avec les disparitions de Thierry Sabine, Philippe de Dieuleveult et Arnaud de Rosnay, l'hécatombe ne s'est pas achevée avec la mort de Jean-Marc Boivin lors d'un exercice à hauts risques réalisé, en exclusivité, pour l'émission « Ushuaia ». L'impact de ces morts exemplaires, longuement relatées par les médias à sensations, pose la question de leur signification profonde. Celles-ci ne sont réductibles ni à la fatalité – toujours invoquée en la circonstance –, ni à la « rapacité » des commanditaires, ni à l'inconscience de leurs victimes. On doit retenir également que certaines de ces perditions aventureuses – qui excitent l'imagination – furent enregistrées et sont désormais stockées dans les archives de la télévision comme témoignages de notre temps. On pourrait assimiler tous ces sportifs disparus en service commandés de l'aventure à des héros valeureux sacrifiés sur l'autel des exploits aventureux vécus par procuration."

 

Christian Pociello, "L'aventure : pratiques et représentations", Universalia, Encyclopédie Universalis, 1992, p. 347-348.

 

Corrigé proposé :

  Ancestral, le mythe de l'aventure a néanmoins évolué avec le contexte social propre à chaque époque, et en particulier / avec la place occupée par la jeunesse, auquel il s'adresse en premier lieu.

  De façon invariante, l'aventure implique / le voyage dans l'inconnu, l'affrontement de dangers mortels par un héros qui, seul face à son destin, est / transformé par les épreuves.

  Toutefois, aujourd'hui, l'aventure a perdu son sens profond et son caractère édifiant pour devenir un / spectacle, où des sportifs mettent en scène leur survie. Nombreux sont ainsi ceux qui sont morts "en direct", pour satisfaire / l'imaginaire d'un public en quête de sensationnel.

109 mots

 

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  Résumer en 200 mots le texte suivant. Un écart de 10% en plus ou en moins sera accepté. Indiquer par une barre bien nette chaque cinquantaine de mots, puis, à la fin du résumé, le total exact.

 

  "La forme la plus générale de l'aventure est celle qu'elle revêt par le fait de s'isoler en quelque sorte de l'ensemble de la vie. Nous comprenons par cet ensemble le résultat de la participa­tion des contenus de la vie – quelque irréconciliables et opposés qu'ils soient – à un processus de vie unique qui circulerait en quelque sorte à travers eux. Et c'est à cet entrelacement des niveaux de la vie, à ce sentiment que malgré tous les contre-c­ourants, tous les détours, tous les obstacles, il y a cependant un courant qui continue sa course à travers tout, que s'oppose ce que nous appelons aventure. Celle-ci forme bien une partie de notre existence à laquelle d'autres parties viennent se juxtaposer, soit avant, soit après elle, mais cependant par son sens le plus profond elle se passe en dehors de la continuité générale de la vie. Néanmoins elle diffère encore de tout ce qui est sim­plement dû au hasard dans notre vie, de tout ce qui est étranger et n'en touche que l'épiderme. Tandis qu'elle s'isole de l'en­semble de la vie, elle s'y réintègre pour ainsi dire par le même mouvement ; tout en étant un corps étranger à notre existence, elle est cependant reliée au centre d'une façon quelconque.
  D'une façon beaucoup plus tranchée que nous n'avons cou­tume de le dire des autres contenus de notre vie, l'aventure a un commencement et une fin. En ce qui concerne les événements du jour ou de l'année nous voyons généralement que l'un d'eux a pris fin tandis que, ou parce que, un autre événement com­mence ; ils se délimitent l'un par l'autre, et c'est ainsi que se forme ou que s'exprime l'unité de l'ensemble de la vie. L'aven­ture, au contraire, est, en tant qu'aventure, indépendante d'un avant ou d'un après, elle détermine ses limites sans égard pour l'un ou pour l'autre d'entre eux. Là où la participation à la continuité de la vie est déclinée, ou plutôt là où il n'est pas à proprement parler nécessaire de décliner cette participation, parce qu'il y a de prime abord un sentiment d'étrangeté, d'isolation, de détachement, nous disons qu'il nous arrive une aventure. Il manque à celle-ci ces phénomènes d'endosmose[1] et d'exosmose[2] avec les parties qui sont ses voisines dans la vie, et par lesquels la vie acquiert une unité. Cette délimitation par laquelle l'aventure se détache du cours total d'une destinée n'est pas mécanique, elle est au contraire organique : de même qu'un organisme ne détermine pas sa forme dans l'espace par le fait qu'il y a des obstacles qui le compriment de tous côtés, mais parce que l'impulsion de sa vie lui donne une forme par l'intérieur, de même l'aventure n'est pas terminée parce qu'il y a quelque chose d'autre qui commence, mais bien parce que le temps qu'elle occupe, la limite radicale, correspond à une détermination de son sens intérieur, c'est en cela que réside d'abord la relation profonde existant entre l'aventurier et l'artiste, et que s'explique peut-être aussi l'attraction que l'artiste éprouve pour l'aventure, car il est bien de l'essence de l'œuvre ­d'art de découper un morceau des séries infiniment continues du monde ou de la vie, de le libérer des ensembles qu'il forme avec tout ce qui est au-delà ou en deçà de lui et de lui donner une forme qui se suffit à elle-même et qui est maintenue comme par un centre intérieur. Tandis qu'une partie de l'existence, qui est tissée dans la continuité de celle-ci, est cependant éprouvée comme formant une unité repliée sur elle-même, la forme qui est commune à l'œuvre d'art et à l'aventure se trouve être créée.
  Le fait qu'un événement isolé et dû au hasard puisse impli­quer un sens et une nécessité détermine la notion d'aventure, dans son opposition avec toutes les parties de la vie que le destin place dans sa périphérie. Un événement n'est aventure qu'à la condition d'être défini par cette double détermination : il faut d'abord qu'il possède un sens caractéristique dont la réalisation soit renfermée entre un commencement et une fin, et ensuite, il faut que malgré toute sa contingence, malgré le fait qu'il est banni de la continuité de la vie, il fasse partie intégrale de la nature et de la détermination de l'individu qui vit cette vie, et cela en vertu d'une nécessité secrète dont le sens dépasse de beaucoup celui des séries plus rationnelles de la vie. C'est ici que l'on peut voir la relation qu'il y a entre l'aventurier et le joueur. Le joueur est, il est vrai, en proie à toutes les vicissitudes du hasard, mais par le fait qu'il compte sur les faveurs de la fortune, et qu'il considère la vie conditionnée par le hasard comme étant possible, bien plus, par le fait qu'il vit cette vie, le hasard acquiert pour lui une rationalité voilée. La superstition, qui est typique pour le joueur, n'est rien d'autre que la mani­festation palpable et par conséquent puérile de ce schéma qui pénètre et enveloppe toute sa vie : il y a dans le hasard un sens, une signification qui implique une nécessité de quelque façon que ce soit, même si cette nécessité ne découle pas de la logique rationnelle. S'abandonnant à la superstition par laquelle il essaye, grâce à des signes et à des moyens cabalistiques, d'attirer le hasard dans son système final, le joueur rompt le charme qui isolait ce hasard et le rendait inaccessible, il cherche en lui une soumission à un ordre régi par des lois qui, bien que fantasti­ques, n'en sont pas moins des lois. Et c'est ainsi que l'aventurier permet au hasard, qui se trouve en dehors d'une série vitale, d'être néanmoins englobé en quelque sorte par le sens qui détermine cette série. Il parvient à un nouveau sentiment de vie caractérisé par l'excentricité de l'aventure, sentiment qui établit une nécessité nouvelle et importante dans sa vie, précisément par la grandeur de l'écart qu'il y a entre un contenu dû au hasard et venu du dehors, et entre le centre qui maintient et donne un sens à son existence. Il y a un conflit inconciliable en nous entre le hasard et la nécessité, entre la donnée fragmentaire venue de l'extérieur et le sens global d'une vie qui se développe par l'intérieur. Aussi, les grandes formes par lesquelles nous revêtons les contenus de la vie sont les synthèses, les antagonismes ou les compromis de ces deux aspects fondamentaux. L'aventure est une de ces formes. Lorsque l'aventurier de profession fait de l'absence de tout système dans sa vie un système en soi, lorsqu'il cherche à prouver que des événements extérieurs dus au pur hasard font cependant partie de sa nécessité intérieure, il ne fait en somme que rendre évidente d'une façon pour ainsi dire macroscopique la forme essentielle de toute « aventure », y compris celle de l'individu qui n'est pas un aventurier. Car par le terme aventure nous tenons toujours à désigner un événement qui est aussi bien au-delà de l'événement purement brutal dont le sens nous reste extérieur, qu'il ne l'est de la série vitale et continue dans laquelle chaque chaîne contribue à donner au chaînon qui le suit un sens global.
  Et il arrive parfois que ce rapport prenne une signification encore bien plus profonde. Bien que l'aventure semble reposer sur des divergences qui se manifestent au sein de la vie même, il se peut que la vie, dans son ensemble apparaisse comme une aventure. Il n'est pas nécessaire pour cela d'être un aventurier, d'avoir vécu beaucoup d'aventures particulières. Celui qui a cette attitude spéciale devant la vie doit sentir que celle-ci, dans son ensemble, est dominée par une unité supérieure, laquelle s'élève au-dessus de la totalité immédiate de la vie, comme elle à son tour, s'élève au-dessus des épisodes particuliers, qui constituent nos aventures quotidiennes. Il se peut que nous soyons soumis à un ordre métaphysique, il se peut que notre âme vive une existence transcendante et que notre vie consciente sur terre ne soit qu'un morceau détaché de l'ensemble inexprimable d'une existence qui s'accomplit au-dessus d'elle. Le mythe de la transmigration des âmes est peut-être une tentative informe pour exprimer le caractère segmentaire de chaque vie donnée. À celui qui sent à travers toute la vie réelle une existence secrète et spirituelle de l'âme, à celui pour qui l'âme n'est liée aux réalités que dans un lointain pour ainsi dire effacé, la vie dans sa totalité donnée et limitée apparaîtra – par opposition à ce destin transcendant et continu en soi, – comme une aventure."

 

Georg Simmel, "La philosophie de l'aventure", in Französich- und italienischsprachige Veröffentlichungen. Mélanges de philosophie relativiste, 1912, Suhrkamp, 2002, p. 260-264.


[1] Endosmose : osmose entre deux liquides de densité différente et qui va du dehors en dedans.
[2] Exosmose : courant qui s’établit entre deux liquides de densité différente, séparés par une cloison membraneuse jusqu’à ce qu’ils soient parfaitement mêlés ensemble, et qui va du dedans au-dehors.

 

Corrigé proposé :

  Toute aventure possède une double caractérisation : d'une part elle est opposée au cours continu de la vie, et d' / autre part elle fait corps avec celui-ci.

  En effet, l'aventure, d'abord contenue comme tout événement entre un / commencement et une fin, contient, contrairement aux autres événements, un sens qui lui est propre et forme une unité organique. / Elle se détache ainsi de ce qui la précède et de ce qui la suit, s'isolant dès lors du / cours de l'existence. De ce point de vue, l'aventurier peut être comparé à l'artiste, lequel crée une / [100] œuvre qui elle aussi se sépare de la continuité du monde et possède [est dotée d'] une forme autonome.

  Cependant, le sens dont / l'aventure est porteuse répond au sens global de la vie. À l'instar du joueur, l'aventurier, en voyant / l'événement dû au hasard comme un élément de l'accomplissement de son destin, transforme le hasard en nécessité, et / fait de l'aventure une synthèse de ces deux contraires.

  Dès lors, la vie dans son ensemble peut être vue / comme une aventure, dans la mesure où elle apparaît comme un épisode d'une totalité plus grande, qui la transcende [et lui donne sens].

200 mots [206]

 

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  Vous résumerez le texte en 100 mots (± 10 %).


  "Aujourd'hui comme autrefois, tout être porte en lui le démon de l'aventure. Or, bien peu sont en état de la vivre ; l'immense majorité se contente de la rêver. Manque d'audace ? D'occasion ? Timidité ? Lâcheté ? Esprit casanier ? Certes. Mais pourquoi affronter corporellement les risques ? Il y a les livres, les revues, les spectacles qui, sollicitant l'imagination, donnent, presque chaque jour, le sentiment exaltant d'une insécurité permanente. Romans policiers, romans d'espionnage, feuilletons télévisés, westerns, films d'action... L'enfant au retour de l'école, l'ouvrier sortant de l'usine, le commerçant après la fermeture de sa boutique, la vendeuse libérée de son magasin, l'intellectuel même, son travail fini, sacrifient, sans le savoir, à l'instinct primitif de l'aventure, indirectement, en restant assis, par l'intermédiaire d'un cinéma de quartier ou des boulevards, du livre de poche, [de la télévision]. Selon leur âge, ils sont shérifs ou hors-la-loi, Maigret, James Bond, San Antonio – pour quelques francs lourds, deux heures d'affilée. Les Montagnes Rocheuses et leurs Peaux Rouges, les agents secrets et leur double vie, les gangsters, les trafiquants, ceux qui les traquent... quelle compensation à la monotonie de leur existence ! Les barons du XIIe siècle ne procédaient pas autrement. Ils n'étaient pas toujours à la guerre, à la croisade. La plupart du temps, ils restaient inactifs, dans leur donjon, réduits aux dangers limités par des chasses et des tournois... Un trouvère survenait-il, déclamant quelque geste ? Pendant la durée de la récitation au son du rebec, le seigneur pourfendait les Sarrasins, se rebellait contre Charles le Grand, gagnait des cités, des batailles.
  Aujourd'hui cette évasion dans l'aventure rêvée – précédemment réservée aux bambins et aux poètes – est un besoin d'autant plus vif que notre époque, plus que jamais, semble impropre à l'aventure.

  Notre terre est de mieux en mieux connue. Plus de zone mystérieuse, l'Amazonie exceptée, que l'on puisse explorer en risquant sa vie, où l'on puisse vivre librement, sans se soucier des lois et des usages. Les Américains ont installé un aéroport au Pôle ; on cultive la canne à sucre dans les îles que hantaient les flibustiers ; les atolls du Pacifique sont le théâtre d'expériences nucléaires. La vie policée, réglée par la police, s'est insinuée partout. Plus d'endroits non civilisés où l'on serait naufragé, contrebandier, chercheur d'or et de bagarres. Qu'est devenu le domaine privilégié de l'aventure ? Chaque week-end, à l'usage des touristes, les Indiens du Colorado organisent des spectacles folkloriques avec plumes, peintures de guerre, danse du scalp.
  La vie quotidienne est strictement réglementée, frustrée et pittoresque, de diversité, de fantaisie. En Alaska comme en Patagonie, l'individu, dès sa naissance est recensé, fiché, voué à tenir un rôle social. S'il ne veut pas encourir les foudres du pouvoir, il doit se faire « une situation », mot suintant la stabilité, le conformisme, l'immobilité et donc l'immobilisme. Personne n'a plus les coudées franches. Peu de gens donnent forme à leur vie selon leur désir. [...] La civilisation dite moderne est l'ennemie de l'aventure. Elle prétend organiser un monde aussi minutieusement et implacablement agencé qu'une mécanique de précision. Que deviennent alors l'esprit d'indépendance, la fantaisie, le rêve, ferments de l'esprit d'aventure ? « Métro, boulot, dodo », lit-on sur les murs.
  Or, chaque être, si primaire soit-il, se lasse d'une sécurité qui l'abrutit. Aspirer à l'incertain qui romprait la monotonie des jours est une nécessité vitale. Comme l'aventure est impossible à l'ère de l'atome et des forces de l'ordre, on la vit par la pensée. Les jeunes et les moins jeunes, s'ils sont particulièrement impulsifs, se défoulent, en chahutant leur maître, en braillant des slogans, en manifestant, quelquefois en dépavant les rues... Piètre aventurier que nous offrent les temps modernes, aventu­rier refoulé, un peu caricatural. Il lui est difficile de servir de modèle littéraire. Aussi le livre d'aventures, aujourd'hui (à l'ex­ception des romans d'espionnage) ne parle guère de l'actualité.
  Sauf exception. Car il existe encore des aventuriers authen­tiques, les derniers à courir, comme dans les temps anciens, l'aventure de violence et de sang. Les uns défendent une cause, maquisards du Viet Minh et d'ailleurs, fedayin du Jourdain ; d'autres sont des mercenaires qui louent leurs services aux mino­rités africaines en révolte. Ces irréguliers, ces nostalgiques des époques de licence, mal famés, condamnés par les pouvoirs officiels, pourraient inspirer un romancier, un poète : ils offrent toutes les garanties exigées par les ouvrages consacrés à l'aventure.

  Survivances anachroniques. Aujourd'hui, l'aventurier – les gangsters et les trafiquants de drogue exceptés – a prati­quement disparu de la vie réelle. L'irrégulier à l'esprit mercant­ile, besogneux, souvent couard, a perdu son panache. Est-ce la raison pour laquelle le thème de l'aventure est en déclin ? Sans doute. Il ne plonge plus ses racines dans la vie réelle ; n'est plus fécondé par elle. Il devient un simple produit que l'on consomme, distribué par le livre, le journal ou le film, comme du chewing-gum ou une cigarette. Passe-temps, machinalement recherché qui ne concerne plus les profondeurs de notre être."

 

Roger Mathé, L'Aventure, 1972, Bordas, 1985, p. 180-182.

Corrigé proposé :

 

  Les hommes ont toujours été tentés par l'aventure. Cependant, la majorité d'entre eux doit se contenter, à défaut / d'une aventure réelle, d'une aventure rêvée, en s'identifiant aux héros des récits dans lesquels ils se plongent. / 40
  Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui, où notre monde semble se refuser à l'aventure, monde normalisé, sécurisé, ayant / perdu tout son mystère. 24

  L'appel de l'aventure demeure toutefois, et pour échapper à l'ennui, on la parodie / ou on la vit par procuration, mais rares sont les vrais aventuriers, qu'ils soient rebelles ou criminels. Avec eux, / c'est l'aventure authentique, vécue charnellement, qui disparaît. 45

109 mots

 

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Vous résumerez le texte en 100 mots (± 10 %).

  "L'aventure ne cadre pas avec le style de vie de la vieillesse. L'aventure, d'après la nature et le charme qui lui est spécifique, est une forme qui doit être vécue. La réalisation d'un contenu propre à une aventure ne constitue pas encore une aventure. Le fait d'avoir encouru un danger de mort ou d'avoir conquis une femme pour un bonheur éphémère, le fait que des facteurs inconnus, qui ont été mis en jeu, ont apporté un gain surprenant ou une perte inattendue, le fait de se rendre sous un déguisement physique ou psychique dans des sphères de la vie, d'où l'on retourne dans sa sphère habituelle, comme si l'on revenait d'un pays étranger, tout cela ne constitue pas encore nécessairement une aventure et ne le devient que par une certaine tension du sentiment vital dans la réalisation de pareils contenus. Ce n'est que lorsqu'un courant, allant et venant entre les données extrinsèques à la vie et la source centrale de force vitale entraîne ces données, ce n'est que lorsque cette coloration, cette température, cette rythmique spéciale du processus de vie, constituent ce qu'il y a de plus caractéristique, ce qui en quelque sorte domine le contenu d'un événement, c'est alors seulement que le fait vécu devient à proprement parler une aventure. Or ce principe d'accentuation est étranger à la vieillesse. C'est la jeunesse, en général, qui seule connaît une telle prépondérance du processus de vie sur les contenus de vie, tandis que pour la vieillesse, chez laquelle ce processus commence à ralentir et à se cristalliser, ce sont les contenus qui l'emportent, ces contenus qui persistent, en quelque sorte d'une façon intemporelle et indifférente, vis-à-vis de la passion et du rythme qui les animent lorsqu'ils se réalisent. Dans la vieillesse, deux cas peuvent se présenter : ou bien le vieillard vit replié sur lui-même, les intérêts périphériques se sont détachés de lui, ils ne se rattachent plus au centre de sa vie et aux nécessités qui la gouvernent ; ou bien le centre de sa vie s'atrophie, s'éparpille, les morceaux de sa vie s'isolent, son existence ne se passe plus qu'à accentuer ce qui est purement extérieur ou accidentel. Dans aucun des deux cas le rapport qui relie le destin extérieur aux sources de vie intérieure – rapport propre à engendrer l'aventure – n'est possible ; dans aucun des deux cas il n'y a cette sensation du contraste inhérent à l'aventure, contraste provenant de ce fait que toute la force et toute l'intensité de la vie coulent à grands flots dans une action qui est cependant complètement arrachée de l'ensemble de la vie. Ce déplacement dans l'accent fait disparaître toute la présupposition dynamique de l'aventure. Ce qui forme l'atmosphère de l'aventure, c'est justement ce fait de s'imposer d'une façon absolue, le processus de la vie s'accélère jusqu'au point d'effacer passé et futur, et de concentrer ainsi la vie avec une intensité telle que le contenu vécu devient relativement indifférent. De même que pour le vrai joueur, ce n'est pas le gain d'une somme quelconque d'argent qui est le motif décisif, mais bien le jeu en lui-même, la violence du sentiment constamment balancé entre le bonheur et le déses­poir, la proximité presque palpable de puissances démoniaques qui décideront de l'un ou de l'autre, – de même le charme de l'aventure réside presque toujours dans l'intensité de la tension avec laquelle elle nous fait ressentir la vie. C'est cela précisé­ment qui forme ce lien qui relie la jeunesse et l'aventure. Ce qu'on appelle la subjectivité de la jeunesse, c'est tout simple­ment le fait que les matériaux de la vie, dans leur signification objective, le cèdent en importance au processus qui les entraîne, à la vie même. La vieillesse est « objective », elle fait avec les contenus, que la vie a quittés et laissés subsister dans un état en quelque sorte intemporel, une nouvelle formation ; elle vit dans la contemplation, dans l'objectivité des considérations, et libé­rée de l'inquiétude qui donne à la vie le caractère du présent. Tout cela rend l'aventure étrangère à la vieillesse, tout cela fait du vieil aventurier un être antipathique, presque une caricature, et il ne serait pas difficile d'expliquer toute la nature de l'aven­ture, en prouvant qu'elle est par excellence la forme de vie qui convient le moins à la vieillesse."

 

Georg Simmel, "La philosophie de l'aventure", in Französich- und italienischsprachige Veröffentlichungen. Mélanges de philosophie relativiste, 1912, Suhrkamp, 2002, p. 268-270.

 

Corrigé proposé :

  L'aventure ne s'accorde pas avec la vieillesse. En effet, l'essence de l'aventure ne réside pas dans / son contenu, mais dans la manière de la vivre. 29
  L'action aventureuse, bien que détachée du reste de la vie, / est animée par une force vitale. Ainsi, pour l'aventurier comme pour le joueur, ce qui compte c'est l' / intensité avec laquelle les choses sont vécues. 38

  Or, tandis que la jeunesse se vit au présent et est donc par / excellence cette période où le processus de vie l'emporte sur ce qui est vécu, la vieillesse ne cesse de / séparer les deux, rendant ainsi l'aventure impossible.

 

108 mots

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Date de création : 19/09/2017 @ 12:20
Dernière modification : 06/02/2018 @ 10:10
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