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Là où se lève l'aube du bien, des enfants et des vieillards périssent, le sang coule.   Vassili Grossman


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Hors des sentiers battus
Mémoire naturelle et mémoire artificielle

  "Passons maintenant au coffre-fort de toutes les idées fournies par l'invention, au dépositaire de toutes les parties de la rhétorique, la mémoire. La mémoire doit-elle quelque chose à l'art, ou vient-elle toute de la nature, c'est ce que nous aurons une occasion plus favorable d'expliquer. Nous admettrons comme prouvé que la théorie et ses règles y sont d'un grand secours et nous en parlerons en conséquence. En effet, mon opinion est qu'il existe un art de la mémoire. Sur quoi je la fonde, je l'expliquerai ailleurs ; pour l'instant, je ferai voir ce qu'est la mémoire.
  Il y a donc deux sortes de mémoire, l'une naturelle, l'autre artificielle. La mémoire naturelle est celle qui est innée dans nos âmes et qui est née en même temps que la faculté de réfléchir. La mémoire artificielle est celle que renforce une sorte d'entraînement de l'esprit et des préceptes rationnels. Mais, de même qu'en toute autre matière, d'excellentes qualités naturelles rivalisent souvent avec la science théorique, tandis que, d'autre part, l'art renforce et développe les avantages naturels, de même, ici, il arrive que parfois une mémoire naturelle, si elle est excellente, soit parfois semblable à la méthode artificielle dont je parle ici, et que, par contre, cette mémoire artificielle dont je parle conserve et développe les avantages naturels grâce à une méthode rationnelle.

  Donc la mémoire naturelle doit être fortifiée par les préceptes, pour devenir excellente, et celle dont je viens de parler, que donne la théorie, a besoin des dispositions naturelles. il en est donc ici exactement comme dans les arts, où les qualités innées brillent grâce à la science et la nature grâce aux règles. Aussi les hommes doués naturellement d'une heureuse mémoire pourront-ils tirer parti de nos règles, comme tu pourras bientôt t'en rendre compte, et quand bien même, confiants dans leurs dispositions naturelles, ils ne réclameraient pas notre aide, nous aurions tout de même une bonne raison de vouloir fournir un secours à ceux qui sont moins bien partagés.
  Maintenant, nous parlerons de la mémoire artificielle. Elle comprend les cases et les images. Par cases, nous entendons les ouvrages de la nature ou de l'art tels que, dans un espace restreint, ils forment un tout complet et capable d'attirer l'attention, si bien que la mémoire naturelle puisse facilement les saisir et les embrasser : tels sont un palais, un entre-colonnement, un angle, une voûte et d'autres choses semblables. Les images sont des formes qui permettent de reconnaître et de représenter l'objet que nous voulons nous rappeler ; par exemple, si nous voulons évoquer le souvenir d'un cheval, d'un lion, d'un aigle, il nous faudra placer l'image de ces animaux dans des lieux déterminés.
   Maintenant quelles sont les cases à trouver ? Comment découvrir les images et les placer dans les cases ? C'est ce que nous allons montrer."

 

Rhétorique à Hérennius, 1er siècle av. J.-C., Livre III, XVII, § 28-30, tr. fr. Henri Bornecque.



  "Nous avons d'abord remarqué ce point essentiel : l'univers lui­-même peut être considéré comme un système enregistreur, doté d'une « mémoire ». En effet, si des lois aux conséquences reproductibles ne guidaient pas notre univers, si les mêmes causes ne conduisaient pas aux mêmes effets et si, en outre, les phénomènes en cours ne gardaient pas une certaine trace stable des processus par lesquels ils sont passés, l'univers serait imprévisible. Notre approche scientifique constate au contraire des invariances, une stabilité des constituants intimes de la matière, qui servent de cadre à l'évolution de l'univers, et notamment à celle de la vie.
  Nous voudrions maintenant souligner trois processus trois, trois types de mémoire qui ont conduit l'évolution de notre espèce au cœur de l'évolution cosmique. Le premier est le code génétique qui enregistre l'essentiel de la mémoire du vivant dans de longues molécules au sque­lette carboné. […]  mémoire du phénomène vivant ne se limite pas au « tout génétique », et les disciplines de l'épigénétique sont ainsi en plein développement. Des processus épigénétiques viennent moduler l'information transmise par les gènes. Plus précisément, les gènes fixent les grandes règles d'organisation, laissant la possibilité à l'environnement de « sculpter » à chaque instant les détails du mode d'être des organismes considérés. Le premier ancrage de la mémoire de l'homme est ainsi son ADN, son code génétique d'être vivant.

  La mémoire individuelle est ensuite un ensemble complexe, réunis­sant divers processus depuis des mémoires procédurales, comme l'habi­tuation, jusqu'à des mémoires cognitives, comme les mémoires déclaratives. Ainsi, nous avons préféré parler de « mémoires » au pluriel. Il reste que ces phénomènes, liés à l'apparition d'un organe original, le système nerveux, constituent un apport remarquablement nouveau dans l'enregistrement du monde, un apport caractéristique d'un groupe d'êtres vivants, mobiles, les animaux. Le deuxième ancrage mémoriel de l'homme est d'être un animal, de posséder un système nerveux, et notamment un cerveau.
  Lorsque ces mémoires atteignent des dimensions importantes, elles permettent aux êtres qui les possèdent de simuler suffisamment le monde où ils vivent pour développer des processus culturels. Il s'agit de stockage et de transmission d'une information qui se propage parallèlement à la transmission génétique. Par imitation, par enseignement entre des animaux très « intelligents », au cerveau très développé. Ces processus peuvent alors déboucher sur des aptitudes à utiliser, pour prolonger le fonctionnement naturel des organes, des éléments issus de l'environ­nement, des éléments artificiels. Les outils inventés par les animaux en sont les premiers jalons. Les communications développées par certains animaux sont les ébauches de ce que pourraient être des langages complexes codant les éléments du monde. Ces dispositions, juste amorcées chez certains animaux, vont prendre chez les hommes une amplitude jamais égalée sur Terre. En naîtront des civilisations, les arts, la connais­sance scientifique et la technologie qui s'ensuit ... Au cœur de ces réali­sations humaines, se trouvent les révolutions que sont l'aptitude culturelle et la capacité à déléguer la mémoire à des supports externes. Le troisième ancrage mémoriel de l'homme s'inscrit dans son environ­nement, il le grave lui-même sur toutes sortes de supports, par toutes sortes de sciences et de techniques, grâce à des aptitudes culturelles démesurées.
  Être vivant, animal, animal culturel... trois étapes qui mènent à la naissance de notre espèce moderne. Le cadre des trois « mémoires» qui nous sont données dans notre berceau. L'espèce humaine dotée d'un cerveau exceptionnellement puissant, auquel s'ajoute une adaptabilité juvénile extrême a transformé à sa manière ces aptitudes pour devenir « vertigineusement technologique ». En installant sa mémoire on savoir, sa musique, se images, sa littérature, ses secrets... dans quelques grammes de silicium."

 

Michel Laguës, Denis Beaudouin et Georges Chapouthier, L’Invention de la Mémoire, CNRS Éditions, 2017, p. 34-35.



  "Imaginons Homo sapiens lorsqu'il chasse, communiquant avec ses congénères par des gestes, des cris, puis par la parole ... L'information échangée est fugitive, volatile. Des éléments marquants peuvent persister dans la mémoire du chasseur, dans celle de sa tribu. Ils seront transformés pour contribuer aux récits, aux chants, aux initiations et apprentissages... Cette mémoire limitée par les capacités cérébrales, ces souvenirs, après avoir été profondément altérés, finiront le plus souvent par disparaître.
  Il y a fort longtemps, Sapiens commence à utiliser des modes de mémorisation et de communication radicalement nouveaux, des tech­niques dont la robustesse se révèle plus fiable et plus durable : il délègue une partie de sa mémoire à des supports externes, détachés de son propre corps. Il ne cessera ensuite d'avancer dans cette voie, ses capacités d'innovation étant décuplées par l'accumulation et le partage de ces nouvelles infor­mations archivées en quantités bientôt considérables. […]

  Il y a plusieurs dizaines de millénaires Sapiens apprend ainsi à peindre des « souvenirs » sur les parois de grottes. Assurer la mémoire des chemins, des abris, des terrains de chasse… est l’une des premières nécessités des communautés. […]
  Depuis des dizaines de milliers d'années, les hommes ont utilisé des représentations graphiques pour retenir, décrire, expliquer leurs chemins à travers le monde. Ces objets initialement dessinés sur la surface d'un objet –l'espace à deux dimensions d'une paroi, d'un tissu, d'une feuille de papier ... – se sont ensuite étendus à des représentations tridimension­nelles – reliefs, globes... –, puis ont été généralisés à des représentations multidimensionnelles de systèmes concrets – réseaux neuronaux par exemple – ou d'espaces abstraits – arbres généalogiques... –. De façon générale une carte est la représentation graphique d'un concept spatial, la mémoire d'une information géographique à la signification universelle : de nature analogique, elle ne nécessite aucun codage pour son écriture ou sa lecture à la différence d'un texte par exemple. Les cartes anciennes fournissent nombre d'informations sur la géographie connue et sur la vie culturelle de l'époque."

 

Michel Laguës, Denis Beaudouin et Georges Chapouthier, L’Invention de la Mémoire, CNRS Éditions, 2017, p. 23-26.

 

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Date de création : 25/09/2018 @ 13:37
Dernière modification : 21/10/2018 @ 08:29
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