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Texte à méditer :  Je vois le bien, je l'approuve, et je fais le mal.  Ovide
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Hors des sentiers battus
L'art de la mémoire

  "Au cours d'un banquet donné par un noble de Thessalie qui s'appelait Scopas, le poète Simonide de Céos chanta un poème lyrique en l'honneur de son hôte, mais il y inclut un passage à la gloire de Castor et Pollux. Mesquinement, Scopas dit au poète qu'il ne lui paierait que la moitié de la somme convenue pour le panégyrique et qu'il devait demander la différence aux Dieux jumeaux auxquels il avait dédié le poème.
  Un peu plus tard, on avertit Simonide que deux jeunes gens l'attendaient à l'extérieur et désirait le voir. Il quitta le banquet et sortit, mais il ne put trouver personne. Pendant son absence, le toit de la salle du banquet s'écroula, écrasant Scopas et tous ses invités sous les décombres ; les cadavres étaient à ce point broyés que les parents venus pour les emporter et leur faire des funérailles étaient incapables de les identifier. Mais Simonide se rappelait les places qu'ils occupaient à table et il put ainsi indiquer aux parents quels étaient leurs morts.

  Castor et Pollux, les jeunes gens invisibles qui avaient appelé Simonide, avaient généreusement payé leur part du panégyrique en attirant Simonide hors du banquet juste avant l'effondrement du toit. Et cette aventure suggéra au poète les principes de l'art de la mémoire, dont on dit qu'il fut l'inventeur. Remarquant que s'était grâce au souvenir des places où les invités s'étaient installés qu'il avait pu identifier les corps, il comprit qu'une disposition ordonnée est essentielle à une bonne mémoire."

 

 Frances A. Yates, L'Art de la mémoire, 1966, tr. Fr. Daniel Arasse, Gallimard nrf, 1975, p. 65.


 

  "Pour en revenir à notre objet, je n'ai pas le vaste génie de Thémistocle ; je n'en suis pas comme lui à préférer l'art d'oublier à celui de se souvenir, et je rends grâce à Simonide de Céos, qui fut, dit-on, l'inventeur de la mémoire artificielle. On raconte que soupant un jour à Cranon, en Thessalie, chez Scopas, homme riche et noble, il récita une ode composée en l'honneur de son hôte, et dans laquelle, pour embellir son sujet, à la manière des poètes, il s'était longuement étendu sur Castor et Pollux. Scopas, n'écoutant que sa basse avarice, dit à Simonide qu'il ne lui donnerait que la moitié du prix convenu pour ses vers, ajoutant qu'il pouvait, si bon lui semblait, aller demander le reste aux deux fils de Tyndare, qui avaient eu une égale part à l'éloge. Quelques instants après, on vint prier Simonide de sortir : deux jeunes gens l'attendaient à la porte, et demandaient avec instance à lui parler. Il se leva, sortit, et ne trouva personne ; mais pendant ce moment la salle où Scopas était à table s'écroula, et l'écrasa sous les ruines avec tous les convives. Les parents de ces infortunés voulurent les ensevelir ; mais ils ne pouvaient reconnaître leurs cadavres au milieu des décombres, tant ils étaient défigurés. Simonide, en se rappelant la place que chacun avait occupée, parvint à faire retrouver à chaque famille les restes qu'elle cherchait. Ce fut, dit-on, cette circonstance qui lui fit juger que l'ordre est ce qui peut le plus sûrement guider la mémoire. Pour exercer cette faculté, il faut donc, selon Simonide, imaginer dans sa tête des emplacements distincts, et y attacher l'image des objets dont on veut garder le souvenir. L'ordre des emplacements conserve l'ordre des idées ; les images rappellent les idées elles-mêmes : les emplacements sont la tablette de cire, et les images, les lettres qu'on y trace.
  Qu'ai-je besoin de rappeler les avantages que la mémoire procure à l'orateur, son utilité et son pouvoir ? N'est-ce point avec son secours que nous retenons tout ce que nous avons recueilli sur la cause en nous en chargeant, tout ce que nos propres réflexions nous ont suggéré ? N'est-ce pas elle qui grave toutes les pensées dans notre esprit, qui reproduit dans un ordre régulier tous les termes qui les expriment ? Grâce à elle, les renseignements utiles qui nous éclairent, les raisonnements auxquels il faut répondre, ne frappent pas seulement notre oreille, mais laissent dans notre esprit des traces profondes. Aussi n'y a-t-il que ceux dont la mémoire est vive et forte qui sachent ce qu'ils diront, dans quelle mesure et dans quels termes ; qui se rappellent, et ce qu'ils ont réfuté, et ce qui leur reste à réfuter encore ; qui se souviennent de tous les arguments dont ils se sont servis eux-mêmes dans d'autres causes, et de tous ceux qu'ils ont entendu développer à d'autres. J'avoue qu'il en est de la mémoire comme de toutes les autres facultés, dont j'ai parlé précédemment : c'est à la nature d'abord que nous en sommes redevables. Sans doute cet art de l'éloquence, ou si l'on veut, cette image, ce simulacre d'art, n'a pas le pouvoir de créer dans nos âmes des facultés que la nature n'y a pas mises; mais il peut du moins développer, et fortifier celles dont nous avons reçu le germe et le principe. Au surplus, s'il n'est pas de mémoire assez heureuse pour embrasser une longue suite d'expressions et de pensées à moins de s'aider d'un certain arrangement, de certains signes, il n'en est pas non plus d'assez ingrate pour ne tirer aucun avantage de cette habitude et de cet exercice.

  Simonide, ou l'inventeur, quel qu'il soit, de cet art, vit bien que les impressions qui nous sont communiquées par les sens, sont celles qui se gravent le plus profondément dans notre esprit, et que la vue est le plus pénétrant de tous les sens. Il en conclut qu'il nous serait facile de conserver le souvenir des idées que l'ouïe nous transmet, ou que l'imagination conçoit, si le secours de la vue venait rendre l'impression plus vive: qu'alors des objets invisibles, insaisissables à nos regards, sembleraient prendre un corps, une forme, une figure, et que ce que la pensée ne pourrait embrasser, la vue nous le ferait saisir. Ces formes, ces corps, ainsi que tous les objets qui tombent sous nos regards, avertissent la mémoire, et la tiennent en éveil. Mais il leur faut des places ; car on ne peut se former l'idée d'un corps, sans y joindre celle de l'espace qu'il occupe. Pour ne pas m'étendre outre mesure sur une matière simple et connue de tout le monde, je me bornerai à dire qu'on doit se servir d'emplacements nombreux, remarquables, vastes, séparés par des intervalles peu considérables; employer des images frappantes, fortes, bien caractérisées, qui se présentent d'elles-mêmes et fassent une impression vive et prompte. C'est ce que vous apprendrez par l'exercice, qui amènera bientôt l'habitude. Attachez au mot que vous voulez retenir, l'image d'une chose dont le nom soit à peu près semblable, ou n'en diffère que par la terminaison ; rappelez-vous le genre par l'espèce, une idée tout entière par l'image d'un seul mot, comme un peintre habile fait ressortir les objets par la variété des formes.
  La mémoire des mots, moins nécessaire à l'orateur, exige une plus grande variété d'images ; car il y a une foule de mots, qui, semblables aux articulations, lient entre eux les membres du discours, et qu'on ne peut figurer par aucune forme sensible : il faut imaginer pour ces mots des figures particulières, pour s'en servir habituellement. L'orateur a surtout besoin de la mémoire des choses : nous pouvons la fixer par des tableaux bien faits, de manière que les pensées nous sont rappelées par les images, et leur ordre par l'emplacement que ces images occupent. Il n'est pas vrai, comme le prétendent des paresseux, que cette abondance d'images étouffe la mémoire, ni qu'elle répande de l'obscurité sur des choses dont nous aurions naturellement gardé le souvenir. J'ai vu des hommes d'un grand mérite, et d'une mémoire prodigieuse, Charmadas à Athènes, en Asie Métrodore de Scepsis, qu'on dit encore vivant ; et tous deux m'ont assuré qu'ils gravaient par des images, dans des emplacements distincts, les objets dont ils voulaient conserver le souvenir, comme on trace des caractères sur des tablettes. Sans doute cet exercice ne produira pas en nous la mémoire, si la nature nous l'a refusée, mais si nous en avons le germe, il le dégagera de l'enveloppe qui le couvrait."

 

Cicéron, De l'orateur, Livre second, LXXXVI-LXXXVIII, tr.fr. A. Th. Gaillard.


 

  "La nature nous enseigne elle-même ce, qu'il faut faire ; car, si dans le cours ordinaire de la vie nous voyons des choses peu importantes, communes et journalières, nous n'avons pas coutume d'en garder le souvenir, parce que l'esprit n'est ému que par les objets nouveaux ou singuliers. Mais si nous voyons ou si l'on nous raconte quelque chose qui présente un caractère marqué d'infamie ou de probité, de bizarrerie ou de grandeur, qui soit étonnant ou sublime, nous nous le rappelons longtemps. Le plus souvent encore nous oublions ce que nous voyons ou ce que nous entendons chaque jour, tandis que les souvenirs de l'enfance restent souvent inaltérables. Il n'en est peut-être ainsi qu'à cause de la facilité avec laquelle les choses ordinaires s'échappent de notre mémoire, qui retient plus longtemps ce qui est remarquable ou nouveau. Personne n'admire le lever, la marche, le coucher du soleil, parce que c'est un spectacle de tous les jours ; mais les éclipses de soleil font une plus grande impression, parce qu'elles arrivent plus rarement, et se remarquent davantage que les éclipses de lune, qui sont plus fréquentes. La nature nous apprend donc elle-même que les choses vulgaires et communes ne la touchent pas, et qu'il faut, pour l'émouvoir, quelque objet remarquable ou nouveau Que l'art imite donc la nature ; qu'il invente ce qui doit lui plaire, et qu'il suive la route qu'elle lui montre: car la nature n'est jamais en arrière, ni l'art le premier en avant. Les éléments de toute chose sont dus au génie ; l'étude les met ensuite en œuvre et les mène au but. Nous devrons donc choisir le genre d'images qui puisse rester le plus longtemps dans la mémoire ; nous y réussirons, en nous attachant à des ressemblances qui nous soient très familières, à des représentations qui ne soient ni muettes ni vagues ; en leur attribuant une beauté remarquable, ou une insigne laideur ; en les parant de quelque ornement, tel qu'une couronne, une robe de pourpre, qui nous les fasse reconnaître plus aisément ; ou en les défigurant par du sang, de la fange, du vermillon, pour qu'elles nous frappent davantage ; ou encore en leur donnant quelque chose de ridicule, car ce caractère aussi facilitera la mémoire. Les choses que nous aurions aisément retenues, si elles existaient réellement, imaginées et distinguées avec soin, se retiendront facilement. Il nous sera nécessaire de repasser de temps en temps dans notre esprit les cases établies une première fois, afin de rappeler les images qu'elles contiennent."

 

Rhétorique à Hérennius, III, XXII, tr. fr. M. Thibaut, in Œuvres complètes de Cicéron, Firmin Didot Frères, fils et Cie, 1869.

 

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Date de création : 26/02/2019 @ 15:51
Dernière modification : 26/02/2019 @ 15:51
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