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Hors des sentiers battus
La diversité du vivant et son étude

  "L'un des aspects fondamentaux du règne vivant est sa diversité presque infinie. Il n'y a pas deux individus identiques au sein d'une population se reproduisant sexuellement, pas deux populations au sein d'une espèce, pas deux espèces au sein d'un taxon d'ordre supérieur, pas deux associations d'espèces au sein d'un écosystème, et ainsi de suite à l'infini. Où que l'on regarde, on trouve la singularité, et la singularité signifie la diversité.
  La diversité dans le monde vivant existe à tous les niveaux hiérarchiques. Il y a au moins 10000 types différents de macromolécules dans un organisme supérieur (certaines estimations en donnent beaucoup plus). Si l'on tient compte des différents états de répression et de dérépression de tous les gènes dans un noyau, ce sont des millions, voire des milliards de cellules différentes, qui peuvent être dénombrées chez un organisme supérieur. Il y a des milliers d'organes, glandes, muscles, neurocentres, tissus etc., différents. Deux individus quelconques au sein d'une espèce se reproduisant sexuellement sont différents non seulement parce qu'ils sont génétiquement uniques, mais aussi parce qu'ils ont pu accumuler des informations différentes dans la mémoire de leurs systèmes nerveux et immunitaire. Cette diversité est à la base des écosystèmes et la cause des phénomènes de concurrence et de symbiose ; c'est elle aussi qui rend possible la sélection naturelle. Tout organisme doit, pour survivre, avoir une certaine connaissance de la diversité biologique existant dans son environnement, ou du moins être capable d'y faire face. En réalité­, on trouvera difficilement un fait ou un processus biologique où le phénomène de la diversité ne soit pas impliqué.

  Ce qui est particulièrement significatif, c'est que l'on peut se poser à chaque niveau de hiérarchie des questions très semblables à propos de la diversité : son ampleur ou sa variance, sa valeur moyenne, son origine, son rôle fonctionnel, et son importance du point de vue de la sélection naturelle. Comme cela est caractéristique de beaucoup de domaines de la biologie, la plupart des réponses sont de nature qualitative plutôt que quantitative. Quel que soit le niveau de diversité envisagé, la première tâche est d'en faire l'inventaire. Il s'agit de découvrir et de décrire les diffé­rentes « sortes » de 1'« objet » biologique que l'on étudie, qu'il s'agisse de tissus ou d'organes dans le domaine de l'anatomie, de cellules normales ou anormales, d'organites cellulaires en cytologie, d'associations ou de biocénoses en écologie et biogéographie, d'espèces et de taxa d'ordre supérieur dans le domaine de la systématique. Ce travail de description et d'inventaire forme pour chaque discipline la base sur laquelle pourront s'appuyer ultérieurement toutes les recherches visant à approfondir les connaissances. [...]
  Mais ce n’est pas tout ! La diversité du monde vivant actuel est largement surpassée par celle du monde des organismes éteints de la préhistoire, telle qu'on peut l'observer dans les restes fossiles. L'estimation la plus élevé du nombre des espèces d'animaux et de plantes vivant actuellement est d'environ 10 millions. Considérant que la vie sur terre a commencé il y a 3,5 milliards d'années, que la faune et la flore ont atteint une certaine richesse ces 500 derniers millions d'années, et en admettant un taux raisonnable de renouvellement des espèces au sein de la biosphère, on peut estimer que le chiffre d'un milliard d'espèces éteintes est probablement la limite inférieure que l'on peut envisager. On est peut-être arrivé au terme des grandes découvertes spectaculaires en paléontologie, telles celles d'Archaeopteryx, l'étape intermédiaire entre les reptiles et les oiseaux, ou Ichtyostega, l'étape intermédiaire entre les poissons et les amphibiens ; mais aujourd'hui encore on continue de découvrir occasionnellement un nouveau phylum d'invertébrés fossiles, et il semble que les découvertes de nouveaux ordres, familles, genres, n'aient pas de fin."

 

Ernst Mayr, Histoire de la biologie, 1982, tr. fr. Marcel Blanc, Le Livre de Poche, 1995, p. 193-194 et p. 201-202.


 

  "Les termes « taxinomie » et « systématique » ont été considérés comme synonymes durant la première moitié de ce siècle. Si on lui demandait ce qu'étaient les tâches de la systématique, le taxinomiste répondait : « décrire la diversité de la nature (c'est-à-dire décrire les espèces qui constituent la diversité du monde vivant) et en faire la classification ». Cependant, dès Leeuwenhoek et Swammerdam, au XVIIe siècle, l'étude de la diversité du monde vivant consistait en davantage de choses. Déjà à cette époque (et en fait, depuis Aristote), elle n'était pas épuisée par les préoccupations élémentaires du taxinomiste. Dès l'origine, l'étude de la diversité comprenait l'analyse des stades des cycles vitaux et du dimorphisme sexuel. Lorsque les animaux vivants furent étudiés dans la nature, on s'aperçut que différentes espèces occupant différents habitats préfèrent des aliments différents, et ont différents comportements. Mais il fallut attendre le milieu de ce siècle pour comprendre l'importance de l'étude de la diversité, dans la foulée de la nouvelle systématique et de la synthèse évolutive. La définition traditionnelle de la fonction de la systématique était alors trop limitée, et ne reflétait pas du tout la situation.
  En conséquence, Simpson (1961) fit une claire distinction terminologique entre « taxinomie » et «systématique ». Il maintint le sens traditionnel de « taxinomie » nais donna à « systématique» une portée beaucoup plus large, la définissant comme « l'étude scientifique des différentes sortes d'organismes, et de toutes leurs interactions ». La systématique était ainsi présentée comme science de la diversité, et cette conception élargie a été adoptée. […]

  La taxinomie, dans sa définition étroite, demeure la pierre de touche de toute la systématique. Dresser un inventaire complet des espèces existantes d'animaux et de plantes, et les ordonner au sein d'une classification semble une tâche sans fin. Un spécialiste de la taxinomie des acariens, des nématodes, des araignées, ou de quelque autre groupe négligé d'insectes ou d'invertébrés marins peut encore de nos jours passer toute sa vie à ne rien faire d'autre que décrire de nouvelles espèces et les assigner aux genres appropriés. La diversité de la nature organique  semble être virtuellement illimitée. Actuellement, environ 10000 nouvelles espèces d'animaux sont annuellement décrites, et même si l'on ne retient que l'estimation la plus basse du nombre d'espèces non décrites, on ne viendra à bout de la tâche que dans deux cents ans !
[…]
  Le plus grand apport dû à l'étude de la diversité a prob­ablement été qu'elle a dégagé de nouvelles démarches en philosophie. L'étude de la diversité mit un terme à l'essent­ialisme, la plus insidieuse de toutes les philosophies. En soulignant que tout individu est unique, les chercheurs dans le domaine de la diversité concentrèrent l'attention sur le rôle de l'individu ; cela conduisit à son tour à la « pensée populationnelle », de la plus grande importance pour ce qui concerne l'interaction des sous-groupes humains, des sociétés et des races humaines. En montrant que chaque espèce est unique et irremplaçable, l'étude de la diversité nous a appris qu'il fallait respecter chaque pro­duit de l'évolution, ce qui est à la base de la conservation de la nature. En soulignant l'importance de l'individu, en élaborant et mettant en place la pensée populationnelle, en nous faisant respecter la diversité de la nature, la systémat­ique a apporté une nouvelle dimension à la pensée humaine, ignorée sinon déniée par les sciences physiques ; c'est pourtant une composante philosophique cruciale pour le bien-être de la société humaine et pour l'aménagement futur de l'humanité."

 

Ernst Mayr, Histoire de la biologie, 1982, tr. fr. Marcel Blanc, Le Livre de Poche, 1995, p. 342-344 et p. 348.



  "La diversité d'une flore ou d'une faune dépend de l'équilibre entre les phénomènes de spéciation et d'extinction. L'accumulation des connaissances sur les biota fossiles nous a permis, ces dernières années, de retracer l'histoire de la diversité des espèces au long des temps géologiques. Ces études ont montré qu'il y a des périodes d'accroissement exponentiel de la diversité, comme cela s'est produit au début du Cambrien et de l'Ordovicien ; des périodes de régime constant durant lesquelles la diversité resta à peu près la même des millions, voire des centaines de millions d'années ; et des périodes d'extinction massive. Le plus intéressant est peut-être que certaines associations écologiques paraissent avoir eu une extraordinaire stabilité. Au lieu que les faunes se soient graduellement enrichies, leur diversité en espèces est restée la même pendant des périodes géologiques entières, chaque espèce éteinte étant remplacée par une espèce nouvellement apparue. L'« explosion en espèces » de l'Ordovicien pourrait être attribuée au remplacement des espèces généralistes par des spécialistes ; les changements plus récents, particulièrement dans les océans, pourraient être attribués à des mouvements des plaques, à l'extension des mers de faible profondeur et à des événements climatiques (y compris des âges glaciaires). […]
  Il y a eu de nombreuses périodes d'extinctions de masse comme à la fin du Permien ou à la fin du Crétacé. En fait, la fin du paléozoïque et celle du mésozoïque sont justement définies par des extinctions de masse. On a suggéré des causes extra-terrestres aux extinctions, comme le passage de la terre à travers un nuage de poussière cosmique. D'autres les ont expliquées par les changements de climat radicaux provoqués par la tectonique des plaques. Alvar et ses collègues (1980), ayant découvert qu'il existe une frontière enrichie en dépôt d'iridium entre les couches géologiques du Crétacé et celles du tertiaire, ont émis l'hypothèse que la terre avait été heurtée par un astéroïde, le nuage de poussière en résultant ayant obscurci la planète pendant de nombreuses années. Pour séduisante que soit cette théorie au premier abord, elle soulève des questions insolubles, comme par exemple: comment expliquer que les mammifères, les oiseaux, les angiospermes, les reptiles et non les dinosauriens, etc., aient survécu ?"

 

Ernst Mayr, Histoire de la biologie, 1982, tr. fr. Marcel Blanc, Le Livre de Poche, 1995, p. 816-817.


 

  "Les biologistes utilisent le terme vernaculaire « diversité » dans de nombreux sens tech­niques différents. Ils peuvent parler de « diversité » à propos du nombre d'espèces distinctes au sein d'un groupe : chez les mammifères, la diversité au sein des rongeurs est élevée, puisque ceux-ci comprennent plus de 1 500 espèces distinctes ; la diversité des Equidés est faible, puisque les zèbres, les ânes et les chevaux représentent à eux tous moins d'une dizaine d'espèces. Mais les biologistes parlent également de « diver­sité » à propos des différences d'organisation anatomique. On ne peut dire d'une faune comprenant trois espèces distinctes de taupes qu'elle présente de la diversité ; mais une faune compre­nant un éléphant, un escargot et une fourmi en présente incon­testablement – et pourtant, il n'y a dans chaque cas que trois espèces. […]
  Nombreux sont ceux qui ne se rendent pas vraiment compte du caractère stéréotypé des formes vivantes actuelles. Nous apprenons au lycée ou au cours des premières années d'université des listes entières d'embranchements peu courants, et débit­ons nos kinorhynques, priapuliens, gnasthostomuliens et pogo­nophores […]. Faisant grand cas de des groupes excentriques, nous oublions à quel point les formes vivantes sont peu variées. Près de 80 des espèces animales sont des arthropodes (surtout des insectes). Au fond des mers, une fois que vous avez passé en revue les vers polychètes, les oursins, les crabes et les mollusques, il ne reste pas beaucoup d'autres invertébrés cœlomates. Le trait le plus important de la faune moderne est son caractère stéréotypé, de sorte que la grande majorité des espèces ne relève que d'un petit nombre de plans anatomiques […].

  Plusieurs de mes collègues (Jaanusson, 1981; Runnegar, 1987) ont suggéré de dissiper la confusion régnant autour du mot diversité en restreignant ce terme vernaculaire à son pre­mier sens : le nombre des espèces. Dans le second sens – relatif aux différences dans les plans d'organisation – il faudrait dire : « disparité ». Utilisant cette terminologie, nous pouvons alors définir comme suit l'un des faits les plus importants et surprenants de l'histoire de la vie : une réduction marquée de la disparité, suivie d'un remarquable accroissement de la diversité, étant donné le petit nombre des modèles survivants."

 

Stephen Jay Gould, La Vie est belle, 1989, tr. fr. Marcel Blanc, Points Science, 1998, p. 54-55.



  "Considérez un arbre généalogique quelconque, se terminant par un petit nombre de survivants bien différenciés, tous assez distants les uns autres. Le tableau des êtres vivants actuels se présente manifestement de cette façon. Les embranchements modernes sont caractérisés par des plans d'organisation tout à fait distincts, et il n'y a pas d'organismes intermédiaires entre les éponges, les coraux, les insectes, les escargots, les oursins et les poissons (pour prendre des représentants classiques des embranchements les plus importants). Dans un lointain passé, de nombreuses formes de transition ont dû exister, qui sont maintenant éteintes. Celle-ci ne ressemblaient nullement à de fantastiques hybrides entre des organismes vivants d'aujourd'hui (un chat-chien ou une vache-cheval), parce que les lignées actuelles sont séparées depuis longtemps. C'était plutôt des animaux d'allure étrange, dont certaines caractéristiques peu apparentes laissaient présager les différentes lignées à venir, et de nombreux autres traits, uniques en leur genre, leur étaient propres (ce type de mélange peut réellement s'observer, par exemple, chez des mammifères tels que Hyracotherium, l'ancêtre commun du cheval et du rhinocéros, qui vivait il y a 50 millions d'années. […]
  Ainsi, un phénomène tel que l'explosion cambrienne[1] a dû nécessairement engendrer un grand nombre de lignées, dont la majorité semblaient d'allure très particulière, par comparaison avec les survivants actuels – car elles représentaient la série des intermédiaires qui devaient obligatoirement s'éteindre pour que puisse émerger une gamme limité de descendants au plan d'organisation très distinct.

 

Stephen Jay Gould, Comme les huit doigts de la main, 1993, tr. fr. Marcel Blanc, Points Science, 2000, p. 419-421.


[1] L'explosion cambrienne (il y a entre −541 et −530 millions d'années) désigne l'apparition soudaine – à l'échelle géologique – de la plupart des grands embranchements actuels de métazoaires (animaux pluricellulaires) ainsi que de quelques autres, disparus entre-temps, initiant ainsi une grande diversification des classes et des espèces animales, végétales et bactériennes.

 

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Date de création : 25/09/2020 @ 14:50
Dernière modification : 29/09/2020 @ 09:46
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