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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Figures philosophiques

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La mathématisation de la nature / du monde / du réel

  "Je suis très occupé par la recherche des causes physiques, mon but dans ce domaine est de montrer que la machine céleste ne doit pas être comparée à un organisme divin, mais plutôt à un mouvement d'horlogerie […], pour autant que presque tous ses multiples mouvements sont accomplis grâce à une force magnétique unique et assez simple ; ainsi, dans le cas du mouvement d'horlogerie, tous les mouvements sont causés par un simple poids. De plus, je démontre comment cette conception physique de l'Univers doit être exprimée sous forme mathématique et géométrique."

 

Johannes Kepler, Lettre à Ilerwart von Hohenburg du 10 février 1605.

 

  "Il est évident pour tous que le monde a été créé, et créé quantitativement. Par conséquent, les figures géométriques (qui sont quantitatives) sont des êtres de raison, d'une raison éternelle. Les figures géométriques sont donc éternelles et il est vrai de toute éternité dans l'esprit de Dieu que le carré d'un côté d'un tétragone (par exemple) est la moitié du carré du diamètre. En somme, les quantités sont les archétypes du monde. Si Dieu a procédé géométriquement pendant la création et si les facultés animales sont des copies de Dieu, il en résulte que la moindre herbe montre la présence de Dieu. Donc les facultés animales procèdent géométriquement ; elles continuent, en effet, cette œuvre dont la création fut le début."

 

Johannes Kepler, Lettre à Christoph Heydon, octobre 1605.


 

  "Je crois, en outre, déceler chez Sarsi[1] la ferme conviction qu'en philosophie il est nécessaire de s'appuyer sur l'opinion d'un auteur célèbre et que notre pensée, si elle n'épouse pas le discours d'un autre, doit rester inféconde et stérile. Peut-être croit-il que la philosophie est l'œuvre de la fantaisie d'un homme, comme L'Iliade et le Roland furieux[2], où la vérité de ce qui y est écrit est la chose la moins importante. Il n'en est pas ainsi, Signor Sarsi. La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l'Univers, mais on ne peut le comprendre si l'on ne s'applique d'abord à en comprendre la langue et à connaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit dans la langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d'en comprendre un mot. Sans eux, c'est une errance vaine dans un labyrinthe obscur."

 

Galilée, L'Essayeur, 1623, tr. fr. Christiane Chauvirey, Les Belles-Lettres, Paris, 1980, p. 141.

 

   "La filosofia è scritta in questo grandissimo libro che continuamente ci sta aperto innanzi a gli occhi (io dico l’universo), ma non si può intendere se prima non s’impara a intender la lingua, e conoscer i caratteri, ne’ quali è scritto.
  Egli è scritto in lingua matematica, e i caratteri son triangoli, cerchi, ed altre figure geometriche, senza i quali mezzi è impossibile a intenderne umanamente parola ; senza questi è un aggirarsi vanamente per un oscuro laberinto."

 

Galilée, Il Saggiatore, 1623.

 


[1] Sarsi est le pseudonyme du jésuite Orazio Grassi, qui écrivit une dissertation contre le Discours sur les comètes écrit par l'élève de Galilée, Mario Guidicci (1619), dissertation à laquelle Galilée répond dans L'Essayeur (Il Saggiatore).
[2] Orlando Furioso (ou Roland furieux) est un poème épique comptant plus de 38 000 vers composé par Ludovico Ariosto, dit « l'Arioste ». L'ouvrage, dont la rédaction a commencé en 1503, a connu une première publication en 1516, puis a été repris et développé en 1521 et achevé en 1532.


 

  "Que je ne reçois point de principes en physique, qui ne soient aussi reçus en mathématique, afin de pouvoir prouver par démonstration tout ce que j'en déduirai ; et que ces principes suffisent, d'autant que tous les phénomènes de la nature peuvent être expliqués par leur moyen. […] Car j'avoue franchement ici que je ne connais point d'autre matière des choses corporelles, que celle qui peut être divisée, figurée et mue en toutes sortes de façons, c'est-à-dire celle que les géomètres nomment la quantité, et qu'ils prennent pour l'objet de leurs démonstrations, et que je ne considère, en cette matière, que ses divisions, ses figures et ses mouvements ; et enfin que, touchant cela, je ne veux rien recevoir pour vrai, sinon ce qui en sera déduit avec tant d'évidence, qu'il pourra tenir lieu d'une démonstration mathématique. Et parce qu'on peut rendre raison, en cette sorte, de tous les phénomènes de la nature, comme on pourra juger par ce qui suit, je ne pense pas qu'on doive recevoir d'autres principes en la Physique, ni même qu'on ait raison d'en souhaiter d'autres, que ceux qui sont ici expliqués."

 

René Descartes, Principes de la philosophie, 1644, Deuxième partie, § 64.



  "La science de la Nature nous offre, jusqu'au XVIIe siècle, fort peu de parties qui aient progressé au point de constituer des théories exprimées en langage mathématique, et dont les prévisions, numériquement évaluées, puissent être comparées aux mesures fournies par des observations précises. La Statique que l'on nomme alors Scientia de ponderibus, la Catoptrique que l'on range dans ce que l'on appelle la Perspective et qui est notre moderne Optique, ont à peine atteint ce degré de développement. Si nous laissons de côté ces deux chapitres restreints, nous ne rencontrons devant nos yeux qu'une science dont la forme, déjà fort achevée, fasse prévoir l'allure de nos modernes théories de Physique mathématique ; cette science, c'est l'Astronomie. Là donc où nous disons : La théorie physique, les sages hellènes ou musulmans, les savants du Moyen-Age et de la Renaissance disaient : L'Astronomie.
Les autres parties de l'étude de la Nature n'avaient pas encore atteint ce degré de perfectionnement où le langage mathématique sert à exprimer les lois découvertes par des expériences précises ; la Physique positive, science à la fois mathématique et expérimentale, ne s'était pas encore séparée de l'étude métaphysique du Monde matériel, de la Cosmologie. Nous parlerions donc aujourd'hui de Métaphysique en une foule de circonstances où les anciens prononçaient le mot Physique."

 

Pierre Duhem, Sauver les phénomènes. Essai sur la notion de Théorie physique de Platon à Galilée, 1908, Avant-propos, Libraire Scientifique A. Herrmann, p. 1-2.


 

  "[…] c'est la pensée, la pensée pure et sans mélange, et non l'expérience et la perception des sens, qui est à la base de la « nouvelle science » de Galileo Galilée.
  Galilée le dit très clairement. Ainsi, en discutant le fameux exemple de la balle tombant du haut du mât d'un navire en mouvement, Galilée explique longuement le principe de la relativité physique du mouvement, la différence entre le mouvement du corps par rapport à la Terre et son mouvement par rapport au navire ; puis, sans faire aucune mention de l'expérience, il conclut que le mouvement de la balle par rapport au navire ne change pas avec le mouvement de ce dernier. De plus, quand son adversaire aristotélicien, imbu d'esprit empiriste, lui pose la question : « Avez-vous fait une expérience ? » Galilée déclare avec fierté : « Non, et je n'ai pas besoin de la faire, et je peux affirmer sans aucune expérience qu'il car il ne peut en être autrement[3]. ».
  Ainsi necesse détermine l'esse. La bonne physique est faite a priori. La théorie précède le fait. L'expérience est inutile parce qu'avant toute expérience nous possédons déjà la connaissance que nous cherchons. Les lois fondamentales du mouvement (et du repos), lois qui déterminent le comportement spatio-temporel des corps matériels, sont lois de nature mathématique. De la même nature que celles qui gouvernent les relations et les lois des figures et des nombres. Nous les trouvons et les découvrons non pas dans la nature, mais en nous-mêmes, dans notre esprit, dans notre mémoire, comme Platon nous l'a enseigné autrefois.
  Et c'est pour cela, comme, à la grande consternation de son interlocuteur aristotélicien, le proclame Galilée, que nous sommes capables de donner des preuves purement et strictement mathématiques des propositions qui décrivent les « symptômes » du mouvement, et de développer le langage de la science naturelle, de questionner la nature par des expériments construits de manière mathématique e de lire le grand livre de la Nature qui est écrit en « caractères géométriques[4] ».
  Le livre de la Nature est écrit en caractères géométriques ; la physique nouvelle, celle de Galilée ; est une géométrie du mouvement, de même que la physique de son vrai maître, le divus Archimedes, était une physique du repos. La géométrie du mouvement a priori, la science mathématique de la nature..., comment est-ce possible ? Les vieilles objections aristotéliciennes contre la mathématisation de la nature par Platon ont-elles été enfin réfutées ? Pas tout à fait. Certes, il n'y a pas de qualité dans le royaume des nombres et c'est pour cela que Galilée – de même que Descartes – est obligé d'y renoncer, de renoncer au monde qualitatif de la perception sensible et de l'expérience quotidienne et d'y substituer le monde abstrait et incolore d'Archimède. Quant au mouvement..., il n'y en certainement pas dans les nombres. Et pourtant le mouvement, – du moins le mouvement des corps archimédiens dans l'espace infini et homogène de la science nouvelle – est régi par les nombres. Par les leges et rationes numerorum.
  Le mouvement est subordonné aux nombres ; même le plus grande des anciens platoniciens, Archimède, le surhomme, l'ignorait et c'est à Galileo Galilée, ce « merveilleux investigateur de la Nature », comme l'avait surnommé son élève et ami Cavalieri, qu'il fut donné de le découvrir."

 

Alexandre Koyré, "Galilée et la révolution scientifique", 1955, in Études d'histoire de la pensée scientifique, tel Gallimard, 1985, p. 210-212.


 

  "La manière dont Galilée conçoit une méthode scientifique correcte implique une prédominance de la raison sur la simple expérience, la substitution de modèles idéaux (mathématiques) à une réalité empiriquement connue, la primauté de la théorie sur les faits. C'est seulement ainsi que les limitations de l'empirisme aristotélicien ont pu être surmontées et qu'une véritable méthode expérimentale a pu être élaborée ; une méthode dans laquelle la théorie mathématique détermine la structure même de la recherche expérimentale, ou, pour reprendre les termes propres de Galilée, une méthode qui utilise le langage mathématique (géométrique) pour formuler ses questions à la nature et pour interpréter les réponses de celle-ci ; qui, substituant l'Univers rationnel de la précision au monde de l'à-peu-près connu empiriquement, adopte la mensuration comme principe expérimental fondamental et le plus important. C'est cette méthode qui, fondée sur la mathématisation de la nature, a été conçue et développée – sinon par Galilée lui-même, dont le travail expérimental est pratiquement sans valeur, et qui doit sa renommée d'expérimentateur aux efforts infatigables des historiens positivistes – du moins par ses disciples et ses successeurs."

 

Alexandre Koyré, "Les origines de la science moderne", 1956, in Études d'histoire de la pensée scientifique, Gallimard, tel, 1985, p. 83.


[3] En fait, cette expérience, constamment invoquée dans les discussions entre partisans et adversaires de Copernic, n'a jamais été faite. Plus exactement, elle n'a été faite que par Gassendi, en 1642, à Marseille, et peut-être aussi par Thomas Digges, quelque soixante-six ans plus tôt.
[4] Un expériment est une question que nous posons à la nature et qui doit être formulée dans un langage approprié. La révolution galiléenne peut être résumée dans le lait de la découverte de ce langage, de la découverte que les mathématiques sont la grammaire de la science physique. C'est cette découverte de la structure rationnelle de la nature qui a fourni la base a priori de la science expérimentale moderne et a rendu sa constitution possible.

 


 

  "La Géométrie, comme son nom le dit, est une science métrique, et l'un des aspects les plus importants de la géométrisation de la Physique, de la promotion de la Géomé­trie au rang de science fondamentale dans la connaissance de la nature est que la Physique devient elle-même une science métrique ; connaître l'Univers, c'est d'abord mesurer des grandeurs et mettre ces mesures en rapport les unes avec les autres par des relations mathématiques propres à les recevoir. La Science classique postule que le monde dans lequel s'enracine une physique de la mesure est ainsi fait que cette entre­prise métrique est possible pour la connaissance rationnelle. Certes, les Astronomes grecs avaient déjà appliqué cette maxime à l'étude des phénomènes célestes, mais cette pre­mière mathématisation de la Nature restait partielle, elle n'atteignait pas la Terre ; elle restait, d'autre part, descriptive et ne concernait pas la causalité des mouvements ; dans la Science classique, au contraire, la mathématisation est, en droit, totale, elle s'étend à tout l'Univers et elle intéresse l'explication des phénomènes aussi bien que leur description ; les rapports de causalité doivent, eux aussi, être mathématisés dans cette forme que l'on appelle loi".

 

Jacques Merleau Ponty, Les Trois étapes de la cosmologie, 1971, 1ère partie, III, Robert Laffont, Science nouvelle, p. 91-92.



  "La première Physique, à proprement parler, ne connaissait pas les lois, ne s'exprimait pas par les lois, pas même dans le domaine où régnaient déjà la méthode et l'esprit scientifique, l'Astronomie : il n'y a pas de « lois » d'Eudoxe ou de Ptolémée, et Archimède est sans doute le seul physicien de l'Antiquité dont certaines propositions méritent, aux yeux des modernes, le nom de « lois » ou de « principes » […].
  La Physique classique, au contraire, se présente comme un système de lois.

  Qu'est-ce à dire ? […] la mise en forme de l'expérience par les lois est inséparable du caractère métrique et, partant, mathématique de la Physique classique pour laquelle un phénomène se caractérise par un ensemble de grandeurs dont la mesure permet de le décrire et de l'identifier ; si la mesure directe n'est pas possible, le calcul peut la remplacer. Une loi est donc une relation fonctionnelle (au sens mathématique du mot) entre ces grandeurs, relation qui se maintient entre elles et que l'on retrouve dans tous les phénomènes de même nature.
  Pour exprimer convenablement ces lois et les rendre propres à décrire et à prévoir mathématiquement les phénomènes, il avait fallu inventer une théorie mathématique adéquate, le Calcul différentiel et intégral, grâce auquel devient pratique­ment utilisable une idée pourtant peu claire, en apparence : celle d'effets ponctuels et instantanés, se modifiant d'instant en instant et produits par des causes elles-mêmes variables, en général, mais agissant continûment. Les lois prennent alors la forme d'équations différentielles (par exemple, la Loi fondamentale de la Dynamique) ou d'équations aux dérivées partielles (par exemple, les équations de Maxwell de l'Électromagnétisme)."

 

Jacques Merleau-Ponty, Les Trois étapes de la cosmologie, Robert Laffont, coll. Science nouvelle, 1971, p. 97-98.
 

 

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Date de création : 04/10/2022 @ 07:24
Dernière modification : 05/02/2024 @ 08:05
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