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Texte à méditer :  L'histoire du monde est le tribunal du monde.
  
Schiller
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La cosmologie comme science du monde (cosmologie, cosmogonie, cosmographie)

  "Cosmogonie, Cosmographie, Cosmologie.

  La cosmogonie est la science de la formation de l'univers. La cosmographie est la science qui enseigne la construction, la figure, la disposition, et le rapport de toutes les parties qui composent l'univers. La cosmologie est proprement une physique générale et raisonnée, qui, sans entrer dans les détails trop circonstanciés des faits, examine du côté métaphysique les résultats de ces faits mêmes, fait voir l'analogie et l'union qu'ils ont entre eux, et tâche par-là de découvrir une partie des lois générales par lesquelles l'univers est gouverné[1].
  La cosmogonie raisonne sur l'état variable du monde dans le temps de sa formation ; la cosmographie expose dans toutes ses parties et ses relations l'étal actuel de l'univers tout formé ; et la cosmologie raisonne sur cet état actuel et permanent. La première est conjecturale ; la seconde, purement historique ; et la troisième, expérimentale.

  De quelque manière qu'on imagine la formation du monde, on ne doit jamais s'écarter de deux grands principes : 1° celui de la création ; car il est clair que la matière ne pouvant se donner l'existence à elle-même, il faut qu'elle l'ait reçue ; 2° celui d'une intelligence suprême qui a présidé non seulement à la création, mais encore à l'arrangement des parties de la matière en vertu duquel ce monde s'est formé. Ces deux principes une fois posés, on peut donner carrière aux conjectures philosophiques, avec cette attention pourtant de ne point s'écarter, dans le système de cosmogonie qu'on suivra, de celui que la Genèse nous indique que Dieu a suivi dans la formation des différentes parties du monde.
  La cosmographie dans sa définition générale embrasse, comme on le voit, tout ce qui est l'objet de la physique. Cependant on a restreint ce mot dans l'usage à désigner la partie de la physique qui s'occupe du système général du monde. En ce sens la cosmographie a deux parties : l'astronomie, qui fait connaître la structure des cieux et la disposition des astres ; et la géographie, qui a pour objet la description de la terre.
  La cosmologie est la science du monde ou de l'univers considéré en général, en tant qu'il est un être composé, et pourtant simple par l'union et l'harmonie de ses parties ; un tout qui est gouverné par une intelligence suprême, et dont les ressorts sont combinés, mis en jeu, et modifiés par cette intelligence. L'utilité principale que nous devons retirer de la cosmologie, c'est de nous élever, par les lois générales de la nature, à la connaissance de son auteur, dont la sagesse a établi ces lois, nous en a laissé voir ce qu'il nous était nécessaire d'en connaître pour notre utilité ou pour notre amusement, et nous a caché le reste pour nous apprendre à douter. (Encycl., IV, 272, 293, 294.)"

 

François Guizot, Nouveau dictionnaire universel des synonymes de la langue française, 1809, 1ère partie, Maradan, p. 229-230.


[1] Ces trois mots ont pour racine commune le nom grec kosmos, monde : ajoutez-y gónos, génération, pour le premier ; graphia, je décris, pour le second ; et logos, discours, raisonnement, pour le troisième ; voilà les trois étymologies complètes.


 

  "Il faut d'abord rappeler que le mot de « cosmologie » a pris, à l'époque contemporaine, un sens plus précis et plus restreint que dans le vocabulaire traditionnel de la philosophie ; on peut maintenant caractériser la cosmologie, sans équivoque ni excessive restriction, comme la science des phé­nomènes naturels pris dans leur totalité ; science de la totalité ne veut pas dire science de tout ce qui existe (ce qui serait une entreprise à la fois chi­mérique et insignifiante), mais science de ce qui, dans les phénomènes naturels, les rassemble et les ordonne en une totalité ; cette idée de tota­lité est essentielle à la définition de la cosmologie ; c'est elle qui permet de la distinguer des disciplines auxquelles elle est le plus étroitement asso­ciée, l'astronomie et l'astrophysique ; car ce lien étroit ne résulte pas de ce que les astres sont eux-mêmes plus intéressants pour la cosmologie, mais de ce qu'ils occupent dans l'Univers une place incomparablement plus grande que les objets observables sur terre ; n'importe quel ensemble de phé­nomènes physiques peut intéresser la cosmologie dans la mesure où leur exis­tence, leur mode de production, leurs lois, etc., sont significatifs des propriétés du Tout. C'est ainsi que dans l'état actuel des connaissances et des hypothèses, les recherches des physiciens sur les particules élémentaires ont un intérêt très direct pour la cosmologie alors qu'une foule de phénomènes très intéressants pour l'astrophysique n'ont pas de signification cosmolo­gique directe (bien qu'ils puissent, le jour venu, en prendre une).
  L'autre idée essentielle pour la définition de la cosmologie est celle d'existence physique ou naturelle. Pour le philosophe ou le logicien, le mot « Univers» peut désigner quelque chose de plus large, comprenant tout ce qui peut faire l'objet d'un discours conforme aux lois de la logique, comme les nombres, les êtres imaginaires, les lois civiles, Les phénomènes de conscience, toutes choses qui ont certes des supports physiques, mais qui n' « existent » pas au même sens que ces supports. La cosmologie ne s'oc­cupe donc que des choses qui ont une existence physique ou matérielle, ce qui lui impose tout naturellement de s'appuyer sur les sciences physiques. Mais la notion de totalité, qui lui est essentielle, est beaucoup moins familière à ces sciences, non seulement parce que la spécialisation y est de règle, mais aussi parce que la logique même de leurs recherches tend plu­tôt à les éloigner d'une perspective totalisante."

 

Jacques Merleau-Ponty, "La cosmologie. Le point de vue du philosophe", 1984, Sur la science cosmologique, EDP Sciences, 2003, p. 189-190.

 


 

  "Je distingue donc cosmographie, cosmogonie et cosmologie. Les deux premiers mots sont attestés en grec ancien, et le premier a été conservé sans solution de continuité dans le latin médiéval. Le troisième est un terme tardif de la langue savante, un de ces mots d'apparence purement grecque que jamais les anciens Grecs ne se sont risqués à forger.
  Par cosmographie, j'entends le dessin ou la description (graphein) du monde tel qu'il se présente actuellement, en sa structure, sa division éventuelle en niveaux, régions, etc. Cette description peut, voire doit rendre compte des rapports statiques ou dynamiques entre les différents éléments dont se compose monde : distances, proportions, etc., mais aussi influences, réactions, etc. Elle implique la tentative de dégager des lois régissant ces rapports. Il s'agit ainsi d'une géographie généralisée qui, au mépris de l'étymologie, ne porterait pas que sur la terre mais sur l'ensemble de l'univers visible.

  Par cosmogonie, j'entends le récit de l'apparition des choses ou, si l'on veut, le récit de la cosmogenèse. Il explique comment les choses en sont venues (gignesthai) à former le monde tel que nous le connaissons, dans la structure qui est la sienne aujourd'hui. La façon dont une culture donnée conçoit le monde entraîne évi­demment pour elle une certaine façon de s'en représenter la venue à l'être : une cosmogonie sert à expliquer le monde tel qu'il est imaginé ou conçu à un moment donné par un groupe donné. Par suite, on possède des cosmogonies de styles très variés, aussi variés que des cosmographies. Une cosmogonie peut être mythique. C'est le cas dans les récits d'émergence que connaissent la plupart des cultures dites « primitives ». Cela n'empêche pas ces mythes d'être lourds de pensée, voire d'une réflexion d'allure préphilosophique, comme dans la Théogonie d'Hésiode. Les récits sur la genèse peuvent aussi consister en la reprise partiellement critique de mythes plus anciens, corrigés, voire rendus méconnaissables par leur absorption dans un autre récit, au service d'une autre doctrine. C'est le cas du récit de la création au début du livre de la Genèse. Un mythe peut enfin être sciemment forgé, afin d'illustrer une théorie philosophique antérieure, comme dans le Timée de Platon. Une cosmogonie peut être égale­ment scientifique. Elle cherche alors à reconstituer à la suite de quels processus le monde, tel que nous le connaissons actuellement, aurait pu venir à se former. C'est le cas dès Galilée, puis dans le Traité du monde Descartes (1633), enfin dans les cosmogonies d'après Newton, comme par exemple la théorie du ciel de Kant (1775). C'est enfin le cas dans l'astrophysique actuelle et ce, quelle que soit la part d'hypothèse qu'elle comporte nécessairement.
  Il convient de remarquer que les contenus de ces concepts se sont rapprochés avec le temps, au point de presque coïncider. Les théories contempo­raines conçoivent en effet le monde comme en évolution. ­Avec cette dimension supplémentaire du temps, décrire le monde et en raconter la formation – l'histoire et la géographie de l'univers, si l'on veut – ne s'oppo­sent plus. Autrefois s'opposaient, d'une part, la description d'un état fixe et constatable, d'autre part, la reconstitution purement hypothétique de sa genèse, laquelle n'avait qu'une valeur heuristique. La fabrication du monde par un divin artisan (démiurge) dans le Timée était, selon toute vraisemblance, une façon d'expliciter, en les étalant dans la succession d'opérations de fabrication, des états de choses éternels. C'est ainsi que l'avait comprise la majorité des exégètes antiques de Platon, dès l'ancienne Académie, interprétation qui restera traditionnelle. En revanche, les sciences modernes prétendent bien raconter une histoire réellement advenue : la paléontologie le fait pour le vivant, la géologie pour les matériaux qui forment notre globe, l'astrophysique, enfin, pour l'ensemble de l'univers.
  À la différence du sens dans lequel je prenais les deux concepts qui précèdent, ce que j'entends ici par cosmologie est un peu différent de ce que ce mot véhicule à l'accoutumée. On entend par là, en effet, ce mixte de cosmographie et de cosmogonie dont j'ai dit que les théories récentes le rendaient nécessaire. Je préfère réserver le terme de cosmologie à un usage particulier. J'entends par là, comme l'implique d'ailleurs mot de logos, non un simple discours, mais une façon de rendre raison du monde dans laquelle doit s'exprimer une réflexion sur la nature du monde comme monde. Est cosmologique un discours, exprimé ou non (dans ce dernier cas, on pourrait parler d'une « expérience »), dans lequel ce qui fait que le monde est monde – ce que l'on pourrait appeler la « mondanité» – n'est pas présupposé, mais, au contraire, devient implicitement ou explicitement un problème. Il faut donc que le monde soit explicitement posé et, déjà, nommé. La présence d'un mot n'implique certes pas présence d'un concept, mais son absence indique à tout le moins que ce concept n'a pas été thématisé. […]

  Ainsi, un élément réflexif est nécessairement présent toute cosmologie, alors que son absence n'a rien de gênant dans une cosmographie ou dans une cosmogonie­, où il serait même déplacé. Une cosmologie doit rendre compte de sa possibilité, et, déjà, de la première condition de son existence, à savoir la présence dans le monde d'un sujet capable d'en faire l'expérience comme tel – l'homme. Une cosmologie doit donc nécessairement impliquer quelque chose comme une anthropologie. Celle-ci n'est pas seulement l'ensemble des considérations que l'on peut faire sur certaines dimensions de l'existence humaine – dimension sociale, économique, anatomique, etc, Elle ne se limite pas non plus à la théorie qui cherche à dégager l'essence ­de l'homme ; elle englobe aussi une réflexion sur la façon dont l'homme peut réaliser en plénitude ce qu'il est – une éthique, donc."

 

Rémi Brague, La Sagesse du monde, 1999, Introduction, Le Livre de Poche, 2002, p. 13-16.
 

 

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Date de création : 14/11/2022 @ 16:46
Dernière modification : 17/01/2023 @ 10:23
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