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Le temps du monde |
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"Lorsqu'on contemple l'Univers qui nous entoure aujourd'hui, on voit une organisation biologique, chimique et physique considérable. Or l'Univers pourrait tout à fait être un fouillis complètement désorganisé, mais ce n'est pas le cas. Pourquoi cela ? D'où provient cet ordre ? […]
L'ultime source d'ordre, de faible entropie[1], serait le big bang lui-même. Dans ses premiers instants, l'univers n'était pas un gigantesque conteneur d'entropie comme peuvent l'être les trous noirs, et comme nous le laissent à penser nos considérations statistiques, mais il était rempli d'un mélange gazeux d'hydrogène et d'hélium, chaud et uniforme. Bien que cette configuration ait une entropie élevée lorsque les densités sont si faibles que l'on peut ignorer les effets de la gravitation, la situation est différente lorsque La gravitation a un rôle à jouer : dans ce cas, un tel gaz a une entropie extrêmement basse. Par comparaison avec les trous noirs, ce gaz diffus et presque uniforme représente un état d'entropie extraordinairement bas. Depuis lors, en accord avec la seconde loi de la thermodynamique[2], l'entropie globale de l'Univers n'a cessé d'augmenter. Après plus d'un milliard d'années environ, la gravitation fit que le gaz s'est concentré en nombreux amas. Ces amas formèrent par la suite étoiles, galaxies et planètes, pour les plus légers. Au moins une de ces planètes se trouvait à proximité d'une étoile qui lui fournit une source d'énergie d'entropie relativement faible. Cela permit l'apparition de formes de vie de basse entropie. Parmi celles-ci, finalement, une poule pondit un œuf. Chose contrariante, l'œuf, dont les turpitudes l'ont mené jusqu'au plan de travail de la cuisine, a malencontreusement poursuivi son chemin vers un état de plus haute entropie en tombant du plan de travail pour s'écraser au sol. L'œuf s'écrase, mais ne se reforme pas, parce qu'il suit le mouvement vers une entropie toujours supérieure initié par l'état d'entropie extraordinairement faible des premiers instants de l'Univers. C'est l'ordre incroyable des premiers instants qui a amorcé tout cela et, depuis lors, nous vivons le déroulement graduel vers un désordre toujours croissant.
Voilà le résultat étonnant qui était le but de tout ce chapitre. Un œuf qui s'écrase au sol a beaucoup à nous enseigner sur le big bang. Il nous apprend que big bang a donné lieu à un univers naissant extraordinairement ordonné. […]
La révélation à laquelle nous sommes parvenus est que nous pouvons croire en nos souvenirs d'un passé d'entropie inférieure – et non pas supérieure – pourvu qu'avec le big bang (le processus, le phénomène ou l'événement qui a donné naissance à l'univers) notre Univers ait commencé dans un état très spécial, extraordinairement ordonné et donc d'entropie extrêmement faible. Sans cette condition sine qua non, ce que nous avons compris plus haut, c'est-à-dire que l'entropie devrait augmenter aussi bien vers le passé que vers le futur à partir de tout instant donné, nous amènerait à la conclusion que l'ordre observé autour de nous proviendrait d'une situation aléatoire dans un état désordonné ordinaire de haute entropie. Or, […] cette conclusion anéantit le raisonnement même dont elle est issue. Mais si nous introduisons dans notre analyse l'improbable point de départ d'un état de très basse entropie pour l'Univers, nous parvenons alors à la conclusion correcte selon laquelle l'entropie augmente vers le futur. En effet, le raisonnement probabiliste peut opérer sans entraves dans cette direction. Mais l'entropie n'augmente pas en direction du passé, puisque cette application-ci du raisonnement probabiliste entre en conflit avec notre condition initiale, selon laquelle l'Univers serait né d'un état de très basse (et non pas haute) entropie. Ainsi, les conditions à la naissance de l'Univers sont déterminantes pour l'orientation de la flèche du temps[3]. Le futur est effectivement la direction de l'augmentation d'entropie. La flèche du temps (le fait que les choses commencent comme ceci et finissent comme cela, mais ne commencent jamais comme cela pour finir comme ceci) a pris son envol dans l'état hautement ordonné, de très basse entropie, de l'Univers des premiers instants."
Brian Greene, La Magie du cosmos, 2004, tr. fr. Céline Laroche, Folio Essais, 2007, p. 286 et p. 297-300.
[1] L'entropie est une mesure du désordre d'un système physique.
[2] La seconde loi de la thermodynamique stipule qu'en moyenne l'entropie d'un système physique tendra toujours à croître.
[3] Flèche du temps : direction dans laquelle le temps semble s'écouler – depuis le passé vers le futur.
"Pourquoi peut-on voir des œufs qui se cassent, mais pas des œufs qui se reforment ? D'où vient la flèche du temps dont nous faisons tous quotidiennement l'expérience ? Voici l'état actuel de notre compréhension. Dans un état primordial chaotique très ordinaire, doté d'une très haute entropie, une fluctuation statistique favorable, liée au hasard mais à laquelle on peut s'attendre de temps à autres permit à une petite portion d'espace de dix kilos de réunir toutes les conditions requises pour donner lieu à une explosion inflationnaire fulgurante. Cette incommensurable expansion eut pour effet d'étirer l'espace jusqu'à une taille gigantesque et avec une très faible courbure. Vers la fin de l'expansion, l'inflaton céda toute son énergie, grandement amplifiée, à de la matière et à du rayonnement, qui remplirent alors tout l'espace de manière quasi uniforme. La gravitation répulsive émanant de l'inflaton diminuant, la gravitation attractive ordinaire redevint dominante et […] exploita les petites « inhomogénéités» dues à l'agitation quantique en y accumulant suffisamment de matière pour former les galaxies, les étoiles et finalement le Soleil, la Terre, le reste du système solaire et tous les autres astres de notre Univers observable. ([…] quelque sept milliards d'années ATB [After The Bang], la gravitation répulsive reprit le dessus, mais cela n'eut d'influence qu'aux plus grandes échelles cosmiques, et pas sur des entités plus petites comme les galaxies prises individuellement ou notre système solaire, où l'attraction gravitationnelle ordinaire est toujours en vigueur.) L'énergie de notre Soleil, d'entropie relativement basse, fut utilisée par les plantes et les premières formes de vie animale de faible entropie, pour produire davantage de formes de vie de faible entropie, contribuant à l'augmentation progressive de l'entropie totale en générant chaleur et déchets. Au dernier maillon de cette chaîne fut finalement produite une poule qui pondit un œuf... et nous connaissons maintenant la suite de l'histoire : l'œuf tomba du plan de travail la cuisine pour venir s'écraser au sol, s'inscrivant ainsi dans le cadre de l'inéluctable augmentation d'entropie de l'Univers. C'est la nature uniforme, hautement ordonnée et faiblement entropique de la structure spatio-temporelle induite par l'expansion inflationnaire qui est le pendant du fait de trouver les pages de Guerre et Paix dans le bon ordre ; c'est cet état initial hautement ordonné – l'absence de distorsions trop importantes ou de trous noirs gargantuesques – qui amorça l'évolution ultérieure de l'Univers vers une entropie toujours supérieure, et qui fournit donc la flèche du temps dont nous faisons tous l'expérience. Dans l'état actuel de nos connaissances, c'est là l'explication la plus complète que l'on ait jamais donnée de la flèche du temps."
Brian Greene, La Magie du cosmos, 2004, tr. fr. Céline Laroche, Folio Essais, 2007, p. 536-538.
Date de création : 20/12/2022 @ 11:06
Dernière modification : 20/12/2022 @ 11:10
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