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Texte à méditer :  La raison du plus fort est toujours la meilleure.
  
La Fontaine
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Hors des sentiers battus
Être citoyen du monde : le cosmopolitisme

  "Cet animal si prévoyant, si pénétrant, si composé, doué de sagacité, de mémoire, de raison, de conseil, et que l'on appelle l'homme, a été engendré par le Dieu suprême avec une noble destinée : seul de tant d'espèces et de natures d'animaux, il est participant de la raison et de la pensée, tandis que les autres en sont tous dépourvus. Or, qu'y a-t-il, je ne dis pas dans l'homme, mais dans tout le ciel et la terre, de plus divin que la raison ? la raison, qui, lorsqu'elle a pris sa croissance et son perfectionnement, se nomme proprement la sagesse. Il y a donc, puisque rien n'est meilleur que la raison, et que la raison est dans Dieu et dans l'homme, il y a une première société de raison de l'homme avec Dieu. Or, là où la raison est commune, la droite raison l'est aussi ; et comme celle-ci est la loi, nous devons, par la loi, nous regarder, nous autres hommes, comme en société avec les dieux. Certainement, là où il y a communauté de loi, il y a communauté de droit, et ceux que lie une telle communauté doivent être regardés comme de la même cité ; bien plus encore, s'ils obéissent aux mêmes volontés et aux mêmes puissances. Or, ils obéissent à cette céleste ordonnance, au divin esprit, au Dieu tout-puissant ; de sorte que tout cet univers doit être considéré comme une cité commune aux dieux et aux hommes : et tandis que dans nos cités, pour une raison dont il sera parlé en son lieu, il y a des distinctions d'état entre les familles d'une même race, dans la nature un ordre plus relevé et plus beau lie les hommes aux dieux et par la race et par la famille. […]   Celui qui se connaîtra lui-même, sentira d'abord qu'il possède quelque chose de divin; cet esprit qui est en lui et qui est à lui, il le regardera comme une image sacrée, comme le dieu du temple; toutes ses actions, toutes ses pensées seront dignes d'un si grand présent des dieux; et lorsqu'il se sera examiné, et pour ainsi dire essayé tout entier, il comprendra comment il est venu à la vie, paré des mains de la nature, et comme prédestiné par elle à obtenir et à conserver la sagesse; lui qui, dès l'origine, a reçu dans son âme, dans son entendement, les premiers linéaments de toutes choses, afin qu'à leur lumière il put distinguer que c'est en prenant la sagesse pour guide qu'il trouvera la vertu, et par la vertu le bonheur.   En effet, lorsque l'âme, après avoir connu et compris les vertus, se sera dégagée de toute complaisance envers le corps, et qu'elle aura étouffé la volupté comme la souillure du beau, qu'elle se sera affranchie de toute crainte de la mort et de la douleur, qu'elle se sera associée à ses semblables par le lien de la charité, qu'elle aura regardé les hommes comme ses alliés naturels ; lorsque enfin, ayant embrassé le culte des dieux et une religion pure, elle aura exercé cette vue de l'esprit, qui se forme, ainsi que celle des yeux, à discerner ce qui est beau et à repousser ce qui ne l'est pas, vertu qui a pris le nom des prudence, du mot prévoir : alors, je le demande, peut-on connaître, peut-on imaginer un sort plus heureux que le sien ?   La même âme, lorsqu'elle aura bien observé le ciel, la terre, l'océan, toute la nature ; lorsqu'elle aura vu d'où toutes les choses ont été engendrées, où elles retournent, quand, comment elles se détruiront, ce qu'il y a en elles de mortel et de périssable, ce qu'il y a de divin et d'éternel ; lorsqu'elle aura saisi, peu s'en faut, celui qui les modère et les régit ; lorsqu'elle reconnaîtra qu'elle n'est point un habitant d'une enceinte fermée par des murailles, mais un citoyen du monde, de la cité unique ; alors, au magnifique spectacle de l'univers, à cette révélation de la nature, grands dieux ! comme elle se connaîtra elle-même, selon le précepte d'Apollon Pythien comme elle méprisera, comme elle dédaignera, comme elle traitera à l'égal du néant toutes ces choses que le vulgaire appelle grandes !"
 

  Cicéron, Des lois, Livre I, 7 et 22-23, tr. fr. M. Nisard (dir.), Firmin Didot Frères, Fils et Cie.



  "Si ce que les philosophes ont dit de la parenté de Dieu et des hommes est vrai, que nous reste-t-il quand on nous demande « De quel pays es-tu ? » si ce n'est de répondre, non pas, « Je suis d'Athènes ou de Corinthe, » mais, comme Socrate, « Je suis du monde. » Pourquoi dirais-tu, en effet, que tu es d'Athènes, et non de ce petit coin seulement où ton misérable corps a été jeté quand il est né ? N'est-il pas clair que si tu t'appelles Athénien ou Corinthien, c'est que tu tires ton nom d'un milieu plus important, qui contient non-seulement ce petit coin et toute ta maison, mais encore cet espace plus large d'où est sortie toute ta famille, jusqu'à toi ?   Pourquoi donc celui qui comprend le gouvernement du monde, celui qui sait que de toutes les familles il n'en est point de plus grande, de plus importante, de plus étendue que celle qui se compose des hommes et de Dieu, et que Dieu a laissé tomber sa semence non-seulement dans mon père et dans mon grand-père, mais dans tous les êtres qui naissent et croissent sur la terre, et en particulier dans les êtres raisonnables (parce que seuls ils sont de nature à entrer en relations avec Dieu, à qui ils sont unis par la raison), pourquoi celui-là ne dirait-il pas : « Je suis du monde ? » Pourquoi ne dirait-il pas : « Je suis fils de Dieu ? » Et pourquoi craindrait-il rien de ce qui arrive parmi les hommes ? La parenté de César, ou de quelqu'un des puissants de Rome, suffit pour nous faire vivre en sûreté, pour nous préserver du mépris, pour nous affranchir de toute crainte ; et avoir Dieu pour auteur, pour père et pour protecteur, ne nous affranchirait pas de toute inquiétude et de toute appréhension ?"

 

Épictète, Entretiens, Livre I, chapitre IX, § 1-6, tr. fr. Vincent Courdaveaux, Librairie académique Perrin, 1908, p. 25.

 

  "S'il est vrai qu'il y a une parenté entre Dieu et les hommes, comme le prétendent les philosophes, que reste-t-il à faire aux hommes, sinon d'imiter Socrate, c'est-à-dire de ne jamais répondre à qui leur demande quel est leur pays : « Je suis citoyen d'Athènes ou citoyen de Corinthe, mais je suis citoyen du monde ? » Pourquoi se dire, en effet, Athénien, plutôt que simplement de ce coin de terre où ton pauvre corps a été jeté à sa naissance ? N'est-il pas clair que tu dois ton nom à une origine plus importante, qui embrasse non seulement ce coin de terre, mais encore ta maison tout entière, et, en un mot, le pays où tes ancêtres se sont perpétués jusqu'à toi, d'où vient que tu peux t'appeler Athénien ou Corinthien ? Si l'on s'est donc rendu compte de l'organisation de l'univers, si l'on a compris que, « de toutes les choses, la principale, la plus importante, la plus universelle, c'est le système composé de Dieu et des hommes, que de là proviennent les semences génératrices non seulement de mon père ou de mon grand-père, mais de tout ce qui sur terre a vie et croissance, spécialement des êtres raisonnables, car seuls, par nature, ils participent à la société divine, liés qu'ils sont à Dieu par la raison », - pourquoi ne se dirait-on pas citoyen du monde ?"

 

Épictète, Entretiens, Livre I, chapitre IX, § 1-6, tr. fr. Joseph Souilhé, Les Belles Lettres, 1969.


 

  "Si l'intelligence nous est commune, la raison qui fait de nous des êtres qui raisonnent, nous est commune aussi. Si cela est, la raison qui commande ce qu'il faut faire ou non, doit être commune. Si cela est, la loi aussi nous est également commune. Si cela est, nous sommes concitoyens. Si cela est, nous participons à une certaine administration commune. Si cela est, le monde entier est comme une cité. Et de quelle autre administration commune pourrait-on dire, en effet, que le genre humain tout entier participe ? C'est de là-haut, de cette cité commune, que nous viennent l'intelligence elle-même, la raison et la loi ; sinon, d'où viendraient-elles ?"

 

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, Livre IV, § IV, tr. fr. Mario Meunier, GF, 1964, p. 59.


 

  "L'hospitalité […] signifie le droit pour l'étranger, à son arrivée sur le territoire d'un autre, de ne pas être traité par lui en ennemi. On peut le renvoyer, si cela n'implique pas sa perte, mais aussi longtemps qu'il se tient paisiblement à sa place, on ne peut pas l'aborder en ennemi. L'étranger ne peut pas prétendre à un droit de résidence (cela exigerait un traité particulier de bienfaisance qui ferait de lui, pour un certain temps, un habitant du foyer) mais à un droit de visite : ce droit, dû à tous les hommes, est celui de se proposer à la société, en vertu du droit de la commune possession de la surface de la terre, sur laquelle, puisqu'elle est sphérique, ils ne peuvent se disperser à l'infini, mais doivent finalement se supporter les uns à côté des autres et dont personne à l'origine n'a plus qu'un autre le droit d'occuper tel endroit."

 

Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle, 1795, tr. fr. Françoise Proust, GF, 1991, p. 93-94.

 

  "Le monde a mis deux cents ans à atteindre les limites d'une tendance qui le guidait depuis le début des temps modernes – tendance que Kant, l'ayant soumise à un examen philosophique, trouva, en avance, contraire à « was die Natur zur höchsten Absicht hat » (le dessein suprême de la Nature). Kant faisait remarquer que la planète que nous habitons est une sphère – et il considéra en détail les conséquences de ce fait somme toute banal. Et ces conséquences étaient que nous nous trouvons à la surface de cette sphère, que nous n'avons nul autre endroit où aller et que nous devrons donc vivre pour toujours dans le voisinage et la compagnie les uns des autres. Dès lors, « die vollkommene bürgerliche Vereinigung der Menschengattung », « l'unification parfaite de l'espèce humaine par la citoyenneté commune », est le destin qu'a choisi pour elle la Nature – l'horizon ultime de notre histoire universelle que, poussés et guidés par la raison et l'instinct de conservation, nous allons devoir poursuivre et, avec le temps, atteindre. Telle fut la découverte de Kant, mais le monde mit deux siècles de plus à en apprécier toute la justesse.   Tôt ou tard, nous prévenait Kant, il ne restera plus d'espaces vides dans lesquels pourraient s'aventurer ceux d'entre nous qui trouvaient les endroits déjà peuplés trop exigus ou trop inconfortables. Ainsi la Nature nous commande-t-elle de tenir l'hospitalité (réciproque) pour le précepte suprême qu'il nous faut – et que nous devrons au final – embrasser afin de chercher à mettre un terme la longue suite des tâtonnements, des catastrophes causées par ceux-ci, et des ruines que ces catastrophes laissent après elles. Comme Jacques Derrida devait le faire remarquer deux cents ans plus tard, les propositions de Kant montreraient facilement que les expressions aujourd'hui à la mode, comme « culture de l'hospitalité » et « éthique de l'hospitalité », ne sont que de simples tautologies : « L'hospitalité, c'est la culture même et ce n'est pas une éthique parmi d'autres... l'éthique est hospitalité. » En effet, si, comme le souhaitait Kant, l'éthique est une œuvre de la raison, l'hospitalité est – doit être ou devenir tôt ou tard – la première règle de conduite, éthiquement guidée, de l'humanité."

 

Zygmunt Bauman, La Société assiégée, 2002, tr. fr. Christophe Rosson, Hachette Littératures, Pluriel, 2007, p. 153-154.

 

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Date de création : 02/03/2023 @ 09:42
Dernière modification : 02/03/2023 @ 09:49
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