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Texte à méditer :  Avant notre venue, rien de manquait au monde ; après notre départ, rien ne lui manquera.   Omar Khayyâm
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Hors des sentiers battus
Sport et violence

  "À l'intérieur de son cadre spécifique, le sport, comme d'autres activités de loisir, peut susciter une tension particu­lière, une excitation agréable, permettant aux sentiments de se libérer plus facilement. Il peut aider à relâcher, peut-être à libérer, les tensions et le stress. Le sport, comme beaucoup d'autres activités de loisir, a pour but de faire naître des émot­ions, de les éveiller, de provoquer des tensions sous la forme d'une excitation contrôlée et modérée – et ce sans les risques et les tensions habituellement liés à l'excitation qui accompagnent d'autres situations de la vie –, sous la forme d'une excitation « mimétique » appréciable, celle-ci pouvant avoir un effet libérateur, cathartique, même si la résonance émotionnelle au cadre imaginaire contient, comme c'est en général le cas, des éléments d'anxiété – ou de désespoir.
  Le sport partage donc avec d'autres activités de loisir ce caractère mimétique, cette capacité à susciter des émotions qui s'apparentent à celles dont on fait l'expérience dans d'autres situations, voire une possibilité de catharsis. Mais il se démarque d'elles, et surtout des arts, par le rôle majeur qu'y jouent les affrontements in toto entre des êtres humains vivants. Dans toutes les formes de sport, des êtres humains s'affrontent les uns aux autres directement ou indirectement. Certains sports, qui ressemblent fort à un véritable combat entre des groupes hostiles, sont clairement de nature à sus­citer des émotions ou à provoquer une certaine excitation. Autrement dit, ils représentent un exemple particulièrement frappant de l'un des problèmes essentiels concernant le sport, à savoir comment réconcilier deux fonctions contra­dictoires: d'une part, le relâchement agréable du contrôle exercé sur les sentiments humains, la manifestation d'une excitation agréable, et, d'autre part, le maintien d'un ensemble de codifications pour garder la maîtrise des émo­tions agréablement dé-contrôlées.

  Le problème des sports centrés sur des simulacres d'af­frontement apparaîtra plus nettement si l'on rappelle que le sport, comme d'autres loisirs de notre époque, a pour fonction de permettre un relâchement agréable du contrôle des sentiments. […]
  Dans un match de football, le mouvement et l'émotion sont intimement liés, du moins chez les joueurs. Même les spectateurs bénéficient d'un champ d'action bien plus grand pour communiquer leurs sentiments entre eux ou pour les communiquer aux joueurs, et ce par des mouvements, par exemple de la langue, des lèvres et des cordes vocales. Mais le football ainsi que les sports en général ont la caractéristique d'une bataille mimétique contrôlée et non violente. Une phase d'affrontement, de tension et d'excitation, qui peut être éprouvante sur le plan de l'effort physique et de l'adresse, mais stimulante parce qu'elle apporte une libéra­tion par rapport aux actions quotidiennes et aux tensions, au stress de la vie de non-loisir, est habituellement suivie par une phase de décision et de relâchement de la tension pro­voquée par la bataille, soit avec le triomphe de la victoire, soit avec la déception de la défaite.
  Le sport peut consister en un affrontement entre des humains luttant individuellement ou en équipe. Il peut s'agir d'un combat entre des hommes et des femmes à cheval, derrière des chiens et poursuivant un renard qui s'échappe, ou d'une compétition de ski, sur une piste allant des som­mets d'une montagne jusqu'au fond de la vallée, c'est-à-dire d'un affrontement non seulement entre des hommes mais aussi entre des hommes et les versants enneigés de la montagne. Il en va de même de l'alpinisme, où les hommes peuvent être vaincus par la montagne ou bien, après beaucoup d'efforts, atteindre le sommet et goûter leur victoire. Dans toutes ces situations, que l'adversaire soit une montagne, la mer, un renard ou un être humain, le sport consiste toujours à livrer un combat contrôlé sur un champ de bataille imaginaire.
  Prenons l'exemple du football. C'est l'imagination de l'homme qui fait du déplacement d'un ballon de cuir – avec le pied seulement – l'objet d'une lutte passionnée, mais contrôlée, entre deux groupes. La difficulté, dans le football comme dans d'autres jeux sportifs, est de savoir maintenir le risque de blessures à un niveau relativement bas, tout en préservant l'excitation agréable de l'affrontement à un niveau élevé. Si, en pratique, l'ensemble des règles et des techniques qui met en place le cadre imaginaire d'un sport est en mesure de maintenir ces deux niveaux en équilibre, ainsi qu'un certain nombre d'autres niveaux s'y rapportant, on peut dire de ce sport qu'il est arrivé à maturité. Les diverses variétés de football anglais y sont parvenues après une période de crois­sance et d'ajustement ; sous cette forme, ils donnent à tous les joueurs l'occasion d'éprouver la tension d'une bataille violente, suffisamment longue pour qu'ils l'apprécient, ainsi que l'occasion de connaître le point culminant et le relâchement de la tension par la victoire ou la défaite. Si un trop grand nombre de parties se terminent par un match nul, c'est-à-dire sans que la victoire permette la résolution de la tension, le règlement du jeu a besoin d'être modifié. De même, un jeu sportif peut ne plus remplir sa fonction si, trop souvent, la victoire est rapide. Dans ce cas, l'excitation agréable fait défaut ou elle est trop courte. Comme d'autres activités de loisir, le football se trouve en position instable entre deux dangers fatals, l'ennui et la violence."

 

Norbert Elias, Sport et civilisation. La violence maîtrisée, 1986, Introduction, tr. fr Josette Chicheportiche et Fabienne Duvigneau, Fayard, 1994, p. 62-64 et p. 67-68.

 

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Date de création : 31/01/2024 @ 17:38
Dernière modification : 08/02/2024 @ 09:43
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