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Texte à méditer :  Ceux qui brûlent des livres finissent tôt ou tard par brûler des hommes.  Heinrich Heine
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Hors des sentiers battus
L'origine et la nature du langage

    "Le premier langage de l'homme, le langage le plus universel, le plus énergique, et le seul dont il eut besoin, avant qu'il fallût persuader des hommes assemblés, est le cri de la nature. Comme ce cri n'était arraché que par une sorte d'instinct dans les occasions pressantes, pour implorer du secours dans les grands dangers, ou du soulagement dans les maux violents, il n'était pas d'un grand usage dans le cours ordinaire de la vie, où règnent des sentiments plus modérés. Quand les idées des hommes commencèrent à s'étendre et à se multiplier, et qu'il s'établit entre eux une communication plus étroite, ils cherchèrent des signes plus nombreux et un langage plus étendu ; ils multiplièrent les inflexions de la voix, et y joignirent les gestes, qui, par leur nature, sont plus expressifs, et dont le sens dépend moins d'une détermination antérieure. Ils exprimaient donc les objets visibles et mobiles par des gestes, et ceux qui frappent l'ouïe, par des sons imitatifs : mais comme le geste n'indique guère que les objets présents, ou faciles à décrire, et les actions visibles ; qu'il n'est pas d'un usage universel, puisque l'obscurité, ou l'interposition d'un corps le rendent inutile, et qu'il exige l'attention plutôt qu'il ne l'excite, on s'avisa enfin de lui substituer les articulations de la voix, qui, sans avoir le même rapport avec certaines idées, sont plus propres à les représenter toutes, comme signes institués ; substitution qui ne put se faire que d'un commun consentement, et d'une manière assez difficile à pratiquer pour les hommes dont les organes grossiers n'avaient encore aucun exercice, et plus difficile encore à concevoir en elle-même, puisque cet accord unanime dut être motivé, et que la parole paraît avoir été fort nécessaire, pour établir l'usage de la parole."
 

Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1754, Première partie, Le livre de poche, 1996, p. 93.


 

  "La faculté symbolique chez l'homme atteint sa réalisation suprême dans le langage, qui est l'expression symbolique par excellence ; tous les autres systèmes de communication, graphiques, gestuels, visuels, etc., en sont dérivés et le supposent.
  Mais le langage est un système symbolique particulier, organisé sur deux plans. D'une part, il est un fait physique : il emprunte le truchement de l'appareil vocal pour se produire, de l'appareil auditif pour être perçu. Sous cet aspect matériel, il se prête à l'observation, à la description et à l'enregistrement. D'autre part il est structure immatérielle, communication de signifiés, remplaçant les événements ou les expériences par leur « évocation ». Tel est le langage, une entité à double face.

  C'est pourquoi le symbole linguistique est médiatisant. Il organise la pensée et il se réalise en une forme spécifique, il rend l'expérience intérieure d'un sujet accessible à un autre dans une expression articulée et représentative, et non par un signal tel qu'un cri modulé ; il se réalise dans une langue déterminée, propre à une société distincte, non dans une émission vocale commune à l'espèce entière.
  Le langage offre le modèle d'une structure relationnelle, au sens le plus littéral et le plus compréhensif en même temps. Il met en relation dans le discours des mots et des concepts, et il produit ainsi, en représentation d'objets et de situations, des signes, distincts de leurs référents matériels. Il institue ces transferts analogiques de dénominations que nous appelons métaphores, facteur si puissant de l'enrichissement conceptuel. Il enchaîne les propositions dans le raisonnement et devient l'outil de la pensée discursive.
  Enfin le langage est le symbolisme le plus économique. À la différence d'autres systèmes représentatifs, il ne demande aucun effort musculaire, il n'entraîne pas de déplacement corporel, il n'impose pas de manipulation laborieuse. Imaginons ce que serait la tâche de représenter aux yeux une « création du monde » s'il était possible de la figurer en images peintes, sculptées ou autres au prix d'un labeur insensé; puis, voyons ce que devient la même histoire quand elle se réalise dans le récit, suite de petits bruits vocaux qui s'évanouissent sitôt émis, sitôt perçus; mais toute l'âme s'en exalte, et les générations les répètent, et chaque fois que la parole déploie l'événement, chaque fois le monde recommence. Aucun pouvoir n'égalera jamais celui-là, qui fait tant avec si peu qu'un pareil système de symboles existe nous dévoile une des données essentielles, la plus profonde peut-être, de la condition humaine: c'est qu'il n'y a pas de relation naturelle, immédiate et directe entre l'homme et le monde, ni entre l'homme et l'homme. Il y faut un intermédiaire, cet appareil symbolique, qui a rendu possibles la pensée et le langage. Hors de la sphère biologique, la capacité symbolique est la capacité la plus spécifique de l'être humain."

 

Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 1966, Gallimard, t. 1, p. 28.

 

 


Date de création : 01/03/2006 @ 17:23
Dernière modification : 08/10/2016 @ 16:10
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