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Texte à méditer :  Avant notre venue, rien de manquait au monde ; après notre départ, rien ne lui manquera.   Omar Khayyâm
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Hors des sentiers battus
L'image de soi

  "Enjoy Phoenix, maintenant jeune adulte, compte presque 3,6 millions d'abonnés sur YouTube. Précisons que cette YouTubeuse a commencé à publier des vidéos, adolescente, étant victime de harcèlement dans son école ; « on me traitait de gothique, de lesbienne, j'étais la fille à ne pas approcher. Le matin quand j'arrivais et longeais le mur, je les entendais critiquer. C'était un peu comme la scène du « Shame, shame » de Cersei Lannister dans Game of Throne », explique-t-elle lors d'une interview. Elle changea d'établissement et créa sa chaîne YouTube afin d'avoir une communauté, groupe d'appartenance hors du groupe scolaire, indispensable dans le processus pubertaire. Sur cette chaîne, elle évoque les difficultés qu'elle a connues à l'école, à l'instar de près de 15 % de élèves scolarisés, ce qui facilite les identifications d'autres adolescents. Elle publie chaque semaine de beaux portraits d'elle-même, selfies apprêtés, maquillés, séduisants. Enjoy Phoenix a cherché dans cette valorisation par l'image à quitter son statut de victime (annoncé par le signifiant « Phoenix » : celui qui renaît de ses cendres). Les abonnés et le nombre de vues sur YouTube montent mais des messages de haine sont aussi apparu sur les réseaux sociaux. Enjoy Phoenix se retrouve dans une répétition, une fois encore malmenée, comme précédemment dans son établissement scolaire : « Je voudrais tellement remettre les gens à leur place. Parfois, j'ai envie d'exploser, de prouver par A + B que c'est faux, et je ne le fais pas parce que je sais que ça va se retourner contre moi. »
  Toutefois, nombreuses sont les adolescentes à 'identifier aux images esthétiques de cette jeune fille, qui cachent sa souffrance, identifications à l'enveloppe, au paraître, à l'image. Comme l'évoquent Vlachopoulou et Missonnier (2015), le numérique peut prendre là apparence de pharmakon. Entre remède et poison, ce terme résume bien l'usage passionnel des images de corps sur les réseaux sociaux, entre esthétique et souffrance. En effet, les images transformées des réseaux sociaux nécessitent d'être décryptées pour en saisir, au-delà du manifeste, le contenu latent.
  Prenons un autre exemple avec Essena O'Neill. Cette ancienne star d'Instagram, aux 500 000 abonnés, a décidé en 2015 de quitter le réseau social en mettant en avant ses dérives. Cette adolescente séduisante, au corps de rêve, mettait en ligne des photos paradisiaques la mettant en scène de façon toujours valorisante. Depuis ses 12 ans, environ 2 000 photos publiées au rythme de plus de dix photos par semaine, générant plus de 50 000 interactions hebdomadaires. Essena raconte, dans une interview pour Le Monde en novembre 2015, son quotidien, à lire au réveil les commentaires de ses photos, comparant le nombre de likes récoltés afin de comprendre pourquoi telle photo plaît davantage qu'une autre. La jeune fille déclara plus tard être dans une attente insatiable de likes et commentaires, lui permettant par retour et introjection de s'apprécier et se reconnaître. « Les seuls moments où je me suis sentie bien étaient quand j'avais plus de followers, plus de likes, plu de vues, ce n'était jamais assez.» Se notent ici des enjeux d'addiction aux commentaires d'autrui, l'engageant sans cesse à recommencer à publier de nouvelles images toujours plus belles (et de fait, toujours plus contraignantes, comme elle l'expliquera.
  Quand la jeune femme quitte les réseaux, elle analyse son rapport aux images et sa détresse de jeune adolescente. Elle expliquera avoir voulu ressembler aux YouTubeuses, souhaitant devenir elle­-même populaire. Essena a avoué qu'elle passait des heures à vouloir faire la photo parfaite afin de paraître comme un véritable mannequin. La jeune femme faisait attention à son poids pour avoir un ventre plat et bien dessiné sur les photos, mais elle faisait aussi attention au ni eau de luminosité jusqu'à attendre plusieurs heures la lumière parfaite pour une photo. Elle opérait également, dans l'après-coup, de nombreuses retouches sur ces photos afin de cacher ses boutons ou de gommer son grain de peau. L'image ainsi diffusée est image trafiquée n'ayant jamais eu aucune existence dans l'environnement matériel. Mais c'est cette image qui devient support d'identification et d'idéal pour l'influenceuse et ses fans. « C'était ma seule identité. C'était si limitant. Cela m'a rendue si peu sûre de moi », se confie la jeune femme sur une vidéo postée sur YouTube. « Je ne vivais pas dans le monde réel, je vivais à travers les écrans. Et j'ai créé un personnage de célébrité, une construction de moi-même, pensant que cela me rendrait heureuse. Je ne pouvais pas être plu loin de la vérité » déclare-t-elle.
  Beaucoup d'adolescentes sont fascinées par les photographies parfaites de ces Instagrameuses ou Youtubeuses détaillant leurs tenues, leurs poses, leur morphologie, pour trouver une identification possible et une réassurance narcissique, un regard en miroir, un amour à travers ces images. Dans la clinique, il est facile de remarquer que les jeunes filles en détresse sont manifestement plus avides de ces images inatteignables que d'autres. Pourtant, les histoire dramatiques d'Enjoy Phoenix et d'Essena O'Neill sont dissimulées derrière ces belles images de corps sculptés et idéalisés, témoins d'une quête narcissico-objectale infinie et insatiable. Se crée ici un rapport de dépendance à ces images qui ne peuvent qu'être parfaites, tant pour l'influenceuse que pour ses millions d'abonnés à ce modèle identificatoire. La chute de ces Instagrameuses ou YouTubeuses est souvent douloureuse révélant, comme toute addiction, une souffrance bien présente, reléguée derrière des images esthétiques démultipliées et aimées par d'autres. Ici, dans ces exemples, nous percevons encore la nécessité de l'image mais la rupture entre le fond et la forme, la perte de sens entre l'être et le paraître, comme si l'image n'était plus accompagnée de son histoire. Le traumatisme ne peut alors être longtemps refoulé derrière ces images foisonnantes sur les réseaux sociaux numériques. Ainsi, […] la mise en sens et la déviation du regard sont nécessaires, afin d'éviter une répétition morbide sans fin d'images brutes."

 

Marion Haza, "De la nécessité à l'addiction aux images", in Penser l'image, revue EMPAN, N° 119, septembre 2020, p. 46-48.

 

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Date de création : 07/09/2024 @ 07:20
Dernière modification : 08/09/2024 @ 08:41
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