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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Hors des sentiers battus
Images originelles ou primordiales et archétypes chez Jung

  "Dans chaque être individuel existent, outre les réminiscences personnelles, de grandes images « originelles » [Urbilder], pour nous servir du terme pertinent par lequel Jacob Burckhardt les a un jour désignées ; ces figurations ancestrales sont constituées par les potentialités du patrimoine représentatif, tel qu'il fut depuis toujours, c'est-à-dire par les possibilités, transmises héréditairement, de la représentation humaine. Cette transmission héréditaire explique le fait, incroyable en somme, que certains thèmes de légendes, et que certains motifs de folklore se répètent sur toute la terre en des formes identiques. Cette transmission héréditaire explique en outre comment, par exemple, il peut se faire que nos aliénés puissent reproduire exactement les mêmes images et les mêmes corrélations que nous trouvons déjà dans des textes anciens. J'en ai donné quelques exemples dans mon livre Métamorphoses de l'âme, et ses symboles. Ce faisant, je n'affirme nullement la transmission héréditaire de représentations, mais uniquement la transmission héréditaire de la capacité d'évoquer tel ou tel élément du patrimoine représentatif. Il y a là une différence considérable."

 

 Carl Gustav Jung, Psychologie de l'inconscient, 1916, tr. fr. Roland Cahen, Le Livre de Poche, 1993, p. 119.


 

  "En interprétant un nouveau rêve, nous aurons l'occasion d'aborder certaines notions essentielles, comme par exemple celle de l'archétype, expression qui désigne une image originelle, existant dans l'inconscient. L'archétype est aussi une manière de complexe ; mais à l'opposé de ceux que nous avons étudiés jusqu'ici, il n'est plus le fruit de l'expérience personnelle ; c'est un complexe inné. L'archétype est un centre chargé d'énergie. Le dragon, par exemple, constitue une de ces images originelles archétypiques. Si, au cours de mon existence, je ne rencontre pas le dragon qui est en moi, si je mène une existence qui reste dénuée de cette confrontation, je finirai par me sentir mal à mon aise, un peu comme si je me nourrissais constamment d'aliments dépourvus de vitamines ou de sel. Il me faut rencontrer le dragon, car celui-ci, de même que le héros, est un centre chargé d'énergie. Si la rencontre ne se produit pas, cette carence entraînera avec l'âge une contrariété semblable à celle que fait éprouver l'omission d'un besoin naturel à l'homme. Cela peut paraître paradoxal, mais ces images originelles — dont il existe une foule — portent chacune leur charge spécifique, dont nous ne sommes pas les bénéficiaires tant que, ne nous y étant pas encore butés, nous ne les avons pas incorporées d'une façon quelconque à la trame de notre vie. La rencontre avec le dragon peut s'effectuer selon différentes modalités, l'essentiel étant qu'il y ait confrontation. Je ferai peut-être mieux comprendre ma pensée en vous disant : on ne se sent pas tout à fait à son aise tant qu'on ne s'est pas rencontré avec soi-même, tant qu'on ne s'est pas heurté à soi-même ; si l'on n'a pas été en butte à des difficultés intérieures, on demeure à sa propre surface ; lorsqu'un être entre en collision avec lui-même, il en éprouve, après coup, une impression salutaire qui lui procure du bien-être.
  Nous avons dit plus haut que les symboles du rêve sont de nature essentiellement individuelle et qu'il y a surtout intérêt à interpréter une série de rêves, ce qui confère à l'interprétation une sécurité infiniment plus grande que lorsqu'elle porte sur un rêve isolé. Je vais dans ce qui suit — du moins en apparence — me contredire et briser les règles jusqu'ici édifiées : je vais interpréter un rêve isolé, qui ne fait pas partie d'une série et dont je ne connais pas l'auteur. J'interpréterai ce rêve « arbitrairement », mais ma façon de procéder ne sera cependant pas injustifiée. Le rêve dont nous allons parler émane, en effet, de l'inconscient collectif et est fait pour l'essentiel d'une substance mythologique. Or, si un rêve est formé de matériaux personnels, son interprétation suppose que l'on connaisse les associations du rêveur, auxquelles l'analyste ne peut guère ajouter grand-chose, une personne étant précisément dans son individualité essentiellement différente de toute autre. Chaque individu n'a-t-il pas sa vie propre, ses images et ses représentations propres ? Mais cela, qui est capital au niveau de l'inconscient personnel, n'est plus vrai pour les matériaux qui émanent de l'inconscient collectif. En face d'un archétype, l'analyste peut et doit commencer à penser, car il relève d'une structure commune à l'humaine condition, au sujet de laquelle mes associations seront aussi valables que celles du rêveur. Je puis alors fournir les parallèles, les matériaux comparatifs, en bref, le contexte, à la seule condition de posséder un savoir suffisant. Dans le rêve dont nous venons de parler, mes connaissances ont pu contribuer à élucider la signification universelle du monstre. Et cela est plus ou moins vrai pour quiconque, car nous avons tous entendu parler de contes, de légendes et de mythologie."

 

Carl Gustav Jung, "Du rêve au mythe", 1934, in L'Homme à la découverte de son âme, tr. fr. Roland Cahen, Albin Michel, 1987, p. 308-310.


 

  "Nous rencontrons […] une couche psychique commune à tous les humains, faite chez tous de représentations similaires – qui se sont concrétisées au cours des âges dans les mythes – couche que j'ai appelée pour cela l'inconscient collectif. Celui-ci n'est pas le produit d'expériences individuelles ; il nous est inné, au même titre que le cerveau différencié avec lequel nous venons au monde. Cela revient simplement à affirmer que notre structure psychique, de même que notre anatomie cérébrale, porte les traces phylogénétiques de sa lente et constante édification, qui s'est étendue sur des millions d'années. Nous naissons en quelque sorte dans un édifice immémorial que nous ressuscitons et qui repose sur des fondations millénaires. Nous avons parcouru toutes les étapes de l'échelle animale ; notre corps en porte de nombreuses survivances : l'embryon humain présente, par exemple, encore des branchies ; nous avons toute une série d'organes qui ne sont que des souvenirs ancestraux; nous sommes, dans notre plan d'organisation, segmentés comme des vers, dont nous possédons aussi le système nerveux sympathique. Ainsi, nous traînons en nous dans la structure de notre corps et de notre système nerveux toute notre histoire généalogique ; cela est vrai aussi pour notre âme qui révèle également les traces de son passé et de son devenir ancestral. Théoriquement, nous pourrions reconstruire l'histoire de l'humanité en partant de notre complexion psychique, car tout ce qui exista une fois est encore présent et vivace en nous. Le sympathique est plus qu'un souvenir sentimental d'une existence paradisiaque ; c'est un système existant et vivant en nous, qui continue de vivre, de fonctionner et de travailler, comme il faisait de temps immémorial. Dans la sphère psychique, l'inconscient collectif est fait d'un ensemble de survivances."

 

 Carl Gustav Jung, "Du rêve au mythe", 1934, in L'Homme à la découverte de son âme, tr. fr. Roland Cahen, Albin Michel, 1987, p. 296-297.


 

  "Je retrouve toujours ce malentendu qui présente l'archétype comme ayant un contenu déterminé ; en d'autres termes, on en fait une sorte de « représentation » inconsciente, s'il est permis de s'exprimer ainsi ; il est donc nécessaire de préciser que les archétypes n'ont pas de contenu déterminé ; ils ne sont déterminés que dans leur forme et encore à un degré très limité. Une image primordiale [Urbild] n'a un contenu déterminé qu'à partir du moment où elle est devenue consciente et est, par conséquent, emplie du matériel de l'expérience consciente. On pourrait peut-être comparer sa forme au système axial d'un cristal qui préforme, en quelque sorte, la structure cristalline dans l'eau mère, bien que n'ayant par lui-même aucune existence matérielle. Celle-ci n'apparaît qu'à la manière dont les ions et les molécules se groupent. L'archétype en lui-même est vide ; il est un élément purement formel, rien d'autre qu'une facilitas praeformandi (une possibilité de préformation), forme de représentation donnée a priori. Les représentations elles-mêmes ne sont pas héritées : seules leurs formes le sont ; ainsi considérées, elles correspondent en tout point aux instincts qui, eux aussi, ne sont déterminés que dans leur forme. On ne peut pas plus prouver l'existence des archétypes que celle des instincts, tant qu'ils ne se manifestent pas eux-mêmes de façon concrète."

 

Carl Gustav Jung, Les Racines de la conscience, 1954, in Ma vie, Gallimard, 1973, p. 625-626.


 

  "La notion d'archétype […] dérive de l'observation, souvent répétée, que les mythes et les contes de la littérature universelle renferment les thèmes bien définis qui reparaissent partout et toujours. Nous rencontrons ces mêmes thèmes dans les fantaisies, les rêves, les idées délirantes et les illusions des individus qui vivent aujourd'hui. Ce sont ces images et ces correspondances typiques que j'appelle représentations archétypiques. Plus elles sont distinctes et plus elles s'accompagnent de tonalités affectives vives […]. Elles nous impressionnent, nous influencent, nous fascinent. Elles ont leur origine dans l'archétype qui, en lui-même, échappe à la représentation, forme préexistante et inconsciente qui semble faire partie de la structure héritée de la psyché et peut, par conséquent, se manifester spontanément partout et en tout temps. En raison de sa nature instinctuelle, l'archétype est situé en dessous des complexes affectifs et participe à leur autonomie."

 

Carl Gustav Jung, "La conscience morale dans la perspective psychologique", 1958, tr. fr. Aniela Jaffé, in Ma vie, Gallimard, 1973, p. 625.

 

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Date de création : 03/12/2024 @ 10:04
Dernière modification : 03/12/2024 @ 10:04
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