"Nos Beaux-Arts ont été institués, et leurs types comme leur usage fixés, dans un temps bien distinct du nôtre, par des hommes dont le pouvoir d'action sur les choses était insignifiant auprès de celui que nous possédons. Mais l'étonnant accroissement de nos moyens, la souplesse et la précision qu'ils atteignent, les idées et les habitudes qu'ils introduisent nous assurent de changements prochains et très profonds dans l'antique industrie du Beau. Il y a dans tous les arts une partie physique qui ne peut plus être regardée ni traitée comme naguère, qui ne peut pas être soustraite aux entreprises de la connaissance et de la puissance modernes. Ni la matière, ni l'espace, ni le temps ne sont depuis vingt ans ce qu'ils étaient depuis toujours. Il faut s'attendre que de si grandes nouveautés transforment toute la technique des arts, agissent par là sur l'invention elle-même, aillent peut-être jusqu'à modifier merveilleusement la notion même de l'art."
Paul Valéry, "La conquête de l'ubiquité", 1928, Pièces sur l'art, 1934, p. 103-104.
"Selon le mot d'André Breton, l'œuvre d'art n'a de valeur que dans la mesure où elle frémit des réflexes de l'avenir. Toute forme artistique pleinement développée se trouve, en effet, au croisement de trois lignes évolutives. En premier lieu, la technique tend vers une certaine forme artistique. Avant le cinéma, on a connu de petits livres composés de photos qui, sous la pression du pouce, se succédaient à toute vitesse devant les yeux, donnant la vision d'un match de boxe ou de tennis ; on trouvait dans les bazars des automates où le déroulement des images était provoqué par la rotation d'une manivelle. En second lieu, les formes d'art traditionnelles, à certains stades de leur développement, tendent péniblement vers des effets qui, plus tard, sont obtenus sans effort par la nouvelle forme d'art. Avant que le film fût en faveur, les dadaïstes, par leurs manifestations, cherchaient à susciter dans le public un mouvement que Chaplin, par la suite, devait provoquer d'une façon plus naturelle. En troisième lieu, des transformations, souvent peu apparentes, de la société tendent vers un changement du mode de réception, dont ne bénéficiera que la nouvelle forme d'art. Avant que le cinéma eût commencé à former son public, les gens se rassemblaient déjà au Panorama impérial pour voir des images (qui avaient déjà cessé d'être immobiles). Ce public se trouvait devant un paravent où étaient installés des stéréoscopes, chaque stéréoscope étant orienté vers l'un des spectateurs. Devant ces appareils apparaissaient automatiquement des images successives qui s'arrêtaient un instant, avant de laisser place à la suivante. C'est encore avec des moyens analogues qu'Edison révélait à un petit groupe de spectateurs la première bande filmée (avant qu'on eût découvert l'écran et la projection) ; le public regardait fixement un appareil dans lequel se déroulaient les images."
Walter Benjamin, "L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique", 1939, chapitre XIV, note, in Œuvres III, Folio essais, 2010, p. 306-307.
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