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Texte à méditer :  Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger.   Terence
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Hors des sentiers battus
L'Etat et la liberté

    "[...] [le fondement et la fin de la Démocratie n'est autre] que de soustraire les hommes à la domination absurde de l'Appétit et à les maintenir, autant qu'il est possible, dans les limites de la Raison, pour qu'ils vivent dans la concorde et dans la paix ; ôté ce fondement, tout l'édifice s'écroule. Au seul souverain donc il appartient d'y pourvoir ; aux sujets, [...], d'exécuter ses commandements et de ne reconnaître comme droit que ce que le souverain déclare être le droit.
  Peut-être pensera t-on, que, par ce principe, nous faisons des sujets des esclaves ; on pense en effet que l'esclave est celui qui agit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir. Cela cependant n'est pas absolument vrai, car en réalité être captif de son plaisir et incapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire des esclavages, et la liberté n'est que celle qu'a celui qui de son entier consentement vit sous la seule conduite de la Raison. Quant à l'action par commandement, c'est-à-dire l'obéissance, elle ôte bien en quelque manière la liberté, elle ne fait cependant pas sur-le-champ un esclave, c'est la raison déterminante [1] de l'action qui le fait. Si la fin de l'action n'est pas l'utilité de l'agent lui-même, mais de celui qui la commande, alors l'agent est un esclave, inutile à lui-même ; au contraire, dans un État et sous un commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout le peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave, inutile en tout à lui-même, mais un sujet. Ainsi, cet État est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet État, chacun, dès qu'il le veut, peut être libre, c'est-à-dire vivre son entier consentement sous la conduite de la Raison. De même encore les enfants, bien que tenus d'obéir aux commandements de leurs parents, ne sont cependant pas des esclaves ; car les commandements des parents ont très grandement égard à l'utilité des enfants. Nous reconnaissons donc une grande différence entre un esclave, un fils et un sujet, qui se définissent ainsi : est esclave qui est tenu d'obéir à des commandements n'ayant égard qu'à l'utilité du maître commandant ; fils, qui fait ce qui lui est utile par le commandement de ses parents ; sujet enfin, qui fait par le commandement du souverain ce qui est utile au bien commun et par conséquent aussi à lui-même".
 

Spinoza, Traité théologico-politique (1670), chapitre XVI, trad. Ch. Appuhn, Éd. Flammarion, coll. GF, 1965, pp. 267-268.

 

[1] La raison déterminante de l'action : la cause de l'action.


 

    "Des fondements de l'État tels que nous les avons expliqués ci-dessus, il résulte avec la dernière évidence que sa fin dernière n'est pas la domination ; ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre que l'État est institué ; au contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte pour qu'il vive autant que possible en sécurité c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le répète, la fin de l'État n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'État est donc en réalité la liberté."

 

Spinoza, Traité théologico-politique, 1670, ch. XX, Trad. Ch. Appuhn, Garnier-Flammarion, p. 329.



   "Pour former l'État, une seule chose est nécessaire : que tout le Pouvoir de décréter appartienne soit à tous collectivement, soit à quelques-uns, soit à un seul. Puisque, en effet, le libre jugement des hommes est extrêmement divers, que chacun pense être seul à tout savoir et qu'il est impossible que tous opinent pareillement et parlent d'une seule bouche, ils ne pourraient vivre en paix si l'individu n'avait renoncé à son droit d'agir suivant le seul décret de sa pensée. C'est donc seulement au droit d'agir par son propre décret qu'il a renoncé, non au droit de raisonner et de juger ; par suite nul à la vérité ne peut, sans danger pour le droit du souverain, agir contre son décret, mais il peut avec une entière liberté opiner et juger et en conséquence aussi parler, pourvu qu'il n'aille pas au-delà de la simple parole ou de l'enseignement, et qu'il défende son opinion par la Raison seule, non par la ruse, la colère ou la haine, ni dans l'intention de changer quoi que ce soit dans l'État de l'autorité de son propre décret."

Spinoza, Traité théologico-politique (1670), chapitre XX, trad. Ch. Appuhn, Éd. Flammarion, coll. GF, 1965, pp. 329-330.


 

    "Plus on prendra de soin pour ravir aux hommes la liberté de la parole, plus obstinément ils résisteront, non pas les avides, les flatteurs et les autres hommes sans force morale, pour qui le salut suprême consiste à contempler des écus dans une cassette et à avoir le ventre trop rempli, mais ceux à qui une bonne éducation, la pureté des moeurs et la vertu donnent un peu de liberté. Les hommes sont ainsi faits qu'ils ne supportent rien plus malaisément que de voir les opinions qu'ils croient vraies tenues pour criminelles [...] ; par où il arrive qu'ils en viennent à détester les lois, à tout oser contre les magistrats, à juger non pas honteux, mais très beau, d'émouvoir des séditionspour une telle cause et de tenter n'importe quelle entreprise violente. Puis donc quetelle est la nature humaine, il est évident que les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant, qu'elles sont faites moins pour contenirles méchants que pour irriter les plus honnêtes, et qu'elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans grand danger pour l'État."
 

Spinoza, Traité théologico-politique (1670), chapitre XX, trad. Ch. Appuhn, Éd. Flammarion, coll. GF, 1965, p. 332.


 

    "Ceux qui [...] se persuadent qu'il est possible d'amener la multitude ou les hommes occupés des affaires publiques à vivre selon les préceptes de la raison, rêvent de l'âge d'or des poètes, c'est-à-dire se complaisent dans la fiction.
    Un État dont le salut dépend de la loyauté de quelques personnes, et dont les affaires, pour être bien dirigées, exigent que ceux qui les mènent veuillent agir loyalement, n'aura aucune stabilité. Pour qu'il puisse subsister, il faudra ordonner les choses de telle sorte que ceux qui administrent l'Etat, qu'ils soient guidés par la raison ou mus par une affection, ne puissent être amenés à agir d'une façon déloyale ou contraire à l'intérêt général. Et peu importe à la sécurité de l'État quel motif intérieur ont les hommes de bien administrer les affaires, pourvu qu'en fait ils les administrent bien : la liberté de l'âme, en effet, c'est-à-dire le courage, est une vertu privée, la vertu nécessaire à l'État est la sécurité."

 

Spinoza, Traité politique (1675-1677), I, § 6.


 

    "Demander, dans un État libre, des gens hardis dans la guerre et timides dans la paix, c'est vouloir des choses impossibles, et, pour règle générale, toutes les fois qu'on verra tout le monde tranquille dans un État qui se donne le nom de république [2], on peut être assuré que la liberté n'y est pas.
    Ce qu'on appelle union dans un corps politique est une chose très équivoque : la vraie est une union d'harmonie, qui fait que toutes les parties, quelque opposées qu'elles nous paraissent, concourent au bien général de la Société, comme des dissonances dans la musique concourent à l'accord total il peut y avoir de l'union dans un État où l'on ne croit voir que du trouble, c'est-à-dire une harmonie d'où résulte le bonheur, qui seul est la vraie paix. Il en est comme des parties de cet Univers, éternellement liées par l'action des unes et la réaction des autres.
  Mais, dans l'accord du despotisme [3] [...], c'est-à-dire de tout gouvernement qui n'est pas modéré, il y a toujours une division réelle : le laboureur, l'homme de guerre, le négociant, le magistrat, le noble, ne sont joints que parce que les uns oppriment les autres sans résistance, et, si l'on y voit de l'union, ce ne sont pas des citoyens qui sont unis, mais des corps morts, ensevelis les uns auprès des autres."

 

Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et leur décadence (1721), Chapitre IX : Deux causes de la perte de Rome.

[2] République, ici au sens d'Etat pas nécessairement démocratique.
[3] Despotisme : gouvernement caractérisée par l'absolutisme du pouvoir et par le fait que la volonté du despote a force de loi.

 

  "Tout système qui cherche ou, par des encouragements extraordinaires, à attirer vers une espèce particulière d'industrie une plus forte portion du capital de la société que celle qui s'y porterait naturellement, ou, par des entraves extraordinaires, à détourner forcément une partie de ce capital d'une espèce particulière d'industrie vers laquelle elle irait sans cela chercher un emploi, est un système réellement subversif de l'objet même qu'il se propose comme son principal et dernier terme. Bien loin de les accélérer, il retarde les progrès de la société vers l'opulence et l'agrandissement réels, bien loin de l'accroître, il diminue la valeur réelle du produit annuel des terres et du travail de la société. […]
  Tout système, soit de préférence, soit de restriction, étant complètement écarté, le système évident et simple de liberté naturelle s'établit de son propre accord. Chaque homme, aussi longtemps qu'il ne viole pas les lois de justice, est laissé parfaitement libre de poursuivre son propre intérêt sur son propre chemin et d'apporter à la fois son activité et son capital dans la concurrence avec ceux de n'importe quel autre homme ou groupe d'hommes.
 
Le souverain a seulement trois devoirs à remplir : 1. le devoir de protéger la société de la violence et de l'invasion ; 2. le devoir de protéger chaque membre de la société de l’injustice et de l’oppression ; 3. le devoir d’ériger et de maintenir certains travaux publics qu'il ne peut jamais être de l'intérêt d'un individu ou d'un petit groupe d'individus d'ériger et de maintenir."

 

Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Livre I, chapitre 2.

 


 

  "J'ai défendu quarante ans le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie, en littérature, en industrie, en politique : et par liberté, j'entends le triomphe de l'individualité, tant sur l'autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d'asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n'a aucun droit. La majorité a celui de contraindre la minorité à respecter l'ordre : mais tout ce qui ne trouble pas l'ordre, tout ce qui n'est qu'intérieur, comme l'opinion ; tout ce qui, dans la manifestation de l'opinion, ne nuit pas à autrui, soit en provoquant des violences matérielles, soit en s'opposant à une manifestation contraire ; tout ce qui, en fait d'industrie, laisse l'industrie rivale s'exercer librement, est individuel, et ne saurait être légitimement soumis au pouvoir social."

 

Benjamin Constant, Mélanges de littérature et de politique, 1829, Préface, in Écrits politiques, Folio essais, 1997, pp. 623-624.

 


 

   

  "L'État laisse autant que possible les individus jouer librement, pourvu qu'ils ne prennent pas leur jeu au sérieux, et ne le perdent pas de vue, lui, l'État. Il ne peut s'établir d'homme à homme de relations qui ne soient inquiétées sans surveillance d'une intervention supérieure. Je ne puis pas faire tout ce dont je serais capable, mais seulement ce que l'État me permet de faire ; je ne puis faire valoir ni mes pensées, ni mon travail, ni en général rien de ce qui est à moi.

 L'État ne poursuit jamais qu'un but : limiter, enchaîner, assujettir l'individu, le subordonner à une généralité quelconque. Il ne peut subsister qu'à condition que l'individu ne soit pas pour soi-même dans le tout ; il implique de toute nécessité la limitation du moi, ma mutilation et mon esclavage. Jamais l'État ne propose de stimuler la libre activité de l'individu : la seule activité qu'il encourage est celle qui se rattache au but que lui-même poursuit. [...]

  L'État cherche par sa censure, sa surveillance et sa police, à enrayer toute activité libre ; en jouant ce rôle de bâton dans les roues, il croit (avec raison d'ailleurs, car sa conservation est à ce prix) remplir son devoir. L'État veut faire de l'homme quelque chose, il veut le façonner ; aussi l'homme, en tant que vivant dans l'État, n'est-il qu'un homme factice ; quiconque veut être soi-même est adversaire de l'État et n'est rien. « Il n'est rien » signifie : l'État ne l'utilise pas, ne lui accorde aucun titre, aucune commission, etc."

 

Max Stirner, L'unique et sa propriété, 1845.


   

  "[…] l'État apparaissant comme une force de contrainte, il semble aux esprits légers que le socialisme, en développant le rôle de l'État, achèvera la servitude des hommes. Ils ne songent pas que l'État socialiste, ayant par hypothèse aboli les classes par la justice complète et absorbé les antagonismes dans l'unité reconstituée de la nation, n'aura plus besoin de l'armée pour assurer l'ordre intérieur ; l'armée ne sera plus la nation au service d'un ordre factice et violent ; elle sera, si elle subsiste encore, la nation libre et forte tournée vers la frontière pour repousser l'agresseur. Qu'on raille, si l'on veut, notre hypothèse : nous ne l'avons pas justifiée encore ; qu'on prétende que jamais une suffisante harmonie entre tous les intérêts ne sera établie pour que pour l'intervention de l'armée devienne inutile : et alors c'est la possibilité même de l'État socialiste que l'on conteste ; mais, ou bien l'État socialiste ne sera pas, ou il n'aura pas besoin de s'armer du fusil Lebel contre des revendications intérieures. C'est un étrange sophisme, ou plutôt c'est un enfantillage que de s'écrier : Vous voulez renforcer l'État ! vous trouvez donc que nous ne sommes pas assez caporalisés, assez hiérarchisés ! Comme si l'État socialiste devait être l'aggravation de l'État capitaliste, dont il sera la négation ! Comme si nous nous bornions à projeter sur un écran l'image amplifiée de l'État actuel, tout embarrassé et surchargé de son harnais de guerre sociale ! Mais encore une fois ou bien nous manquerons notre entreprise ou l'État nouveau sera délivré de cet esprit de lutte et de cet attirail de guerre civile. Il n'aura pas le caractère de la contrainte."

 

Jean Jaurès, Plutôt l'anarchie que le despotisme, 1895, in Rallumer tous les soleils, p. 272.

 

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Date de création : 05/05/2006 @ 16:41
Dernière modification : 22/09/2016 @ 14:37
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