* *

Texte à méditer :   Les vraies révolutions sont lentes et elles ne sont jamais sanglantes.   Jean Anouilh
* *
Figures philosophiques

Espace élèves

Fermer Cours

Fermer Méthodologie

Fermer Classes préparatoires

Espace enseignants

Fermer Sujets de dissertation et textes

Fermer Elaboration des cours

Fermer Exercices philosophiques

Fermer Auteurs et oeuvres

Fermer Méthodologie

Fermer Ressources en ligne

Fermer Agrégation interne

Hors des sentiers battus
Les conditions de possibilité de la science

  "C'est dans les lois des phénomènes que consiste réellement la science, à laquelle les faits proprement dits, quelque exacts et nombreux qu'ils puissent être, ne fournissent jamais que d'indispensables matériaux. Or, en considérant la destination constante de ces lois, on peut dire sans aucune exagération que la véritable science, bien loin d'être formée de simples observations, tend toujours à dispenser, autant que possible, de l'exploration directe, en y substituant cette prévision rationnelle, qui constitue, à tous égards, le principal caractère de l'esprit positif, comme l'ensemble des études astronomiques nous le fera clairement sentir. Une telle prévision, suite nécessaire des relations constantes découvertes entre les phénomènes, ne permettra jamais de confondre la science réelle avec cette vaine érudition qui accumule machinalement des faits sans aspirer à les déduire les uns des autres. Ce grand attribut de toutes nos saines spéculations n'importe pas moins à leur utilité effective qu'à leur propre dignité : car, l'exploration directe des phénomènes accomplis ne pourrait suffire à nous permettre d'en modifier l'accomplissement, si elle ne nous conduisait pas à le prévoir convenablement."

Auguste Comte, Discours sur l'esprit positif, 1842, Chapitre premier, § 15.


  
    "On dit avec juste raison que, dans le domaine de la science, les convictions n'ont pas droit de cité : c'est seulement lorsqu'elles se décident à adopter modestement les formes provisoires de l'hypothèse, du point de vue expérimental, de la fiction régulatrice, qu'on peut leur concéder l'accès du domaine de la connaissance et même leur y reconnaître une certaine valeur [...]. - Mais cela ne revient-il pas, au fond, à dire que c'est uniquement lorsque la conviction cesse d'être conviction qu'elle peut acquérir droit de cité dans la science ? La discipline de l'esprit scientifique ne commencerait-elle pas seulement au refus de toute conviction ?... C'est probable ; reste à savoir si l'existence d'une conviction n'est pas déjà indispensable pour que cette discipline elle-même puisse commencer. [...] On voit par là que la science elle-même repose sur une croyance ; il n'est pas de science sans postulat."

 

Nietzsche, Le Gai Savoir, 1881-1887, § 344. 


 
    "Le savant doit ordonner; on fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison.

    Et avant tout le savant doit prévoir. Carlyle a écrit quelque part quelque chose comme ceci : « Le fait seul importe ; Jean sans Terre a passé par ici, voilà ce qui est admirable, voilà une réalité pour laquelle je donnerais toutes les théories du monde ». Carlyle était un compatriote de Bacon ; mais Bacon n'aurait pas dit cela. C'est là le langage de l'historien. Le physicien dirait plutôt : « Jean sans Terre a passé par ici ; cela m'est bien égal, puisqu'il n'y repassera plus ».

    Nous savons tous qu'il y a de bonnes expériences et qu'il y en a de mauvaises. Celles-ci s'accumuleront en vain ; qu'on en ait fait cent, qu'on en ait fait mille, un seul travail d'un vrai maître, d'un Pasteur par exemple, suffira pour les faire tomber dans l'oubli. Bacon aurait bien compris cela, c'est lui qui a inventé le mot experimentum crucis. Mais Carlyle ne devait pas le comprendre. Un fait est un fait ; un écolier a lu tel nombre sur son thermomètre, il n'avait pris aucune précaution ; n'importe, il l'a lu, et s'il n'y a que le fait qui compte, c'est là une réalité au même titre que les pérégrinations du roi Jean sans Terre. Pourquoi le fait que cet écolier a fait cette lecture est−il sans intérêt, tandis que le fait qu'un physicien habile aurait fait une autre lecture serait au contraire très important ? C'est que de la première lecture nous ne pouvons rien conclure. Qu'est−ce donc qu'une bonne expérience ? C'est celle qui nous fait connaître autre chose qu'un fait isolé ; c'est celle qui nous permet de prévoir, c'est−à−dire celle qui nous permet de généraliser.

    Car sans généralisation, la prévision est impossible. Les circonstances où l'on a opéré ne se reproduiront jamais toutes à la fois. Le fait observé ne recommencera donc jamais ; la seule chose que l'on puisse affirmer, c'est que dans des circonstances analogues, un fait analogue se produira. Pour prévoir il faut donc au moins invoquer l'analogie, c'est−à−dire déjà généraliser.

Si timide que l'on soit, il faut bien que l'on interpole ; l'expérience ne nous donne qu'un certain nombre de points isolés, il faut les réunir par un trait continu ; c'est la une véritable généralisation. Mais on fait plus, la courbe que l'on tracera passera entre les points observés et près de ces points ; elle ne passera pas par ces points eux−mêmes. Ainsi on ne se borne pas à généraliser l'expérience, on la corrige ; et le physicien qui voudrait s'abstenir de ces corrections et se contenter vraiment de l'expérience toute nue serait forcé d'énoncer des lois bien extraordinaires.

    Les faits tout nus ne sauraient donc nous suffire ; c'est pourquoi il nous faut la science ordonnée ou plutôt organisée."

Poincaré, La science et l'hypothèse, 1902, Champs Flammarion, 1989, p. 158-159.


 

"Notre intelligence, telle que l'évolu­tion de la vie l'a modelée, a pour fonction essentielle d'éclairer notre conduite, de préparer notre action sur les choses, de prévoir, pour une situation donnée, les événements favorables ou défavorables qui pourront s'ensuivre. Elle isole donc instinctivement, dans une situation, ce qui ressemble au déjà connu ; elle cherche le même, afin de pouvoir appliquer son principe que « le même pro­duit le même ». En cela consiste la prévision de l'avenir par le sens commun. La science porte cette opération au plus haut degré possible d'exactitude et de précision, mais elle n'en altère pas le caractère essentiel. Comme la connais­sance usuelle, la science ne retient des choses que l'aspect répétition. Si le tout est original, elle s'arrange pour l'analyser en éléments ou en aspects qui soient à peu près la reproduction du passé. Elle ne peut opérer que sur ce qui est censé se répéter, c'est-à-dire sur ce qui est soustrait, par hypothèse, à l'action de la durée. Ce qu'il y a d'irréductible et d'irréversible dans les moments suc­ces­sifs d'une histoire lui échappe. Il faut, pour se représenter cette irréduc­tibilité et cette irréversibilité, rompre avec des habitudes scientifiques qui répondent aux exigences fondamentales de la pensée, faire violence à l'esprit, remonter la pente naturelle de l'intelligence. Mais là est précisément le rôle de la philosophie."

 

 

Bergson, L'évolution créatrice, 1907, P.U.F., 1998, p. 29-30.


 

    "La nature de la relation entre le travail scientifique et les présuppositions qui le conditionnent varie de nouveau suivant la structure des diverses sciences. - Les sciences de la nature comme la physique, la chimie ou l'astronomie présupposent comme allant de soi qu'il vaut la peine de connaître les lois dernières du devenir cosmique, autant que la science est en mesure de les établir. Non seulement parce que ces connaissances nous permettent d'atteindre certains résultats techniques, mais surtout parce qu'elles ont une valeur « en soi » en tant qu'elles représentent précisément une « vocation ». Néanmoins personne ne pourra jamais démontrer cette présupposition. On pourra encore bien moins prouver que le monde dont elles font la description mérite d'exister, qu'il a un « sens » ou qu'il n'est pas absurde d'y vivre. Elles ne se posent tout simplement pas ce genre de questions. [...] Toutes les sciences de la nature nous donnent une réponse à la question : que devons-nous faire si nous voulons être techniquement maîtres de la vie ? Quant aux questions : cela a-t-il au fond et en fin de compte un sens ? devons-nous et voulons-nous être techniquement maîtres de la vie ? elles les laissent en suspens ou bien les présupposent en fonction de leur but. - Prenons encore une autre discipline, par exemple la science de l'art. L'esthétique présuppose l'oeuvre d'art. Elle se propose donc simplement de rechercher ce qui conditionne la genèse de l'œuvre d'art. Mais elle ne se demande point si le royaume de l'art n'est peut-être pas un royaume de la splendeur diabolique, un royaume de ce monde et donc dressé contre Dieu, mais également dressé contre la fraternité humaine en vertu de son esprit foncièrement aristocratique. Elle ne se pose donc pas la question : devrait-il y avoir des oeuvres d'art ? - Ou encore l'exemple de la science du droit. Cette discipline établit ce qui est valable d'après les règles de la doctrine juridique, ordonnée en partie par une nécessité logique, en partie par des schèmes conventionnels donnés ; elle établit par conséquent à quel moment des règles de droit déterminées et des méthodes déterminées d'interprétation sont reconnues comme obligatoires. Mais elle ne répond pas à la question : devrait-il y avoir un droit et devrait-on instituer justement ces règles-là ? Elle peut seulement indiquer que, lorsque nous voulons un certain résultat, telle règle de droit est, d'après les normes de la doctrine juridique, le moyen approprié pour l'atteindre. - Prenons enfin l'exemple des sciences historiques. Elles nous apprennent à comprendre les phénomènes politiques, artistiques, littéraires ou sociaux de la civilisation à partir des conditions de leur formation. Mais elles ne donnent pas, par elles-mêmes, de réponse à la question : ces phénomènes méritaient-ils on méritent-ils d'exister ? Elles présupposent simplement qu'il y a intérêt à participer, par la pratique de ces connaissances, à la communauté des « hommes civilisés ». Mais elles ne peuvent prouver « scientifiquement » à personne qu'il y a avantage à y participer ; et le fait qu'elles le présupposent ne prouve absolument pas que cela va de soi. En effet, rien de tout cela ne va de soi."
 

Max Weber, « Le métier et la vocation de savant », 1919, in Le savant et le politique, tr. J. Freund, coll. 10/18, p. 98-101.


    "Supposons que le soleil ne se lève pas demain (et que nous continuions néanmoins à poursuivre nos intérêts scientifiques). Si pareille chose arrivait, la science devrait essayer de l'expliquer, c'est-à-dire d'en rendre compte par des lois. Les théories en vigueur devraient probablement être révisées de fond en comble. Mais les théories révisées devraient rendre compte non seulement de la nouvelle situation mais encore de nos expériences antérieures. Du point de vue méthodologique, l'on voit que le principe de l'uniformité de la nature se trouve ici remplacé par le postulat de l'invariance de lois naturelles relativement à l'espace et au temps. Je pense donc que ce serait une erreur de prétendre que les régularités naturelles ne changent pas (ce serait là une sorte d'énoncé en faveur duquel ou contre lequel l'on ne pourrait présenter d'argument). Nous devrions plutôt dire qu'il fait partie de notre définition des lois naturelles de postuler leur invariance eu égard à l'espace et au temps comme de postuler qu'elles ne doivent pas comporter d'exceptions. Aussi la possibilité de falsifier une loi corroborée n'est-elle, d'un point de vue méthodologique, aucunement dépourvu de signification. Elle nous aide à découvrir ce que nous exigeons et attendons des lois naturelles.

 

Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, 1934, Trad. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Bibliothèque scientifique Payot, Paris, 1973, p. 258.


 

    "La science n'est pas un système d'énoncés certains ou bien établis, non plus qu'un système progressant régulièrement vers un état final. Notre science n'est pas une connaissance (épistêmê) : elle ne peut jamais prétendre avoir atteint la vérité ni même l'un de ses substituts, telle la probabilité.
    Pourtant, la science a plus qu'une valeur au titre de simple survie biologique. Elle est plus qu'un instrument utile. Bien qu'elle ne puisse atteindre ni la vérité, ni la probabilité, son effort pour atteindre la connaissance, sa quête de la vérité, sont encore les motifs les plus puissants de découverte scientifique.
    Nous ne savons pas, nous ne pouvons que conjecturer. Et des croyances non scientifiques, métaphysiques (bien que biologiquement explicables) en des lois, des régularités que nous pouvons découvrir, mettre en évidence, guident nos conjectures. Comme Bacon [1], nous pourrions décrire ainsi la science de notre temps : "la méthode de raisonnement que les hommes d'aujourd'hui ont l'habitude d'appliquer à la nature" - consistant dans un ensemble d' "anticipations, téméraires et prématurées", et de "préjugés" [2].
    Mais ces conjectures ou "anticipations", ces merveilles d'imagination et d'audace, sont contrôlées avec soin et rigueur, par des tests systématiques. Une fois avancée, aucune de nos "anticipations" n'est soutenue de manière dogmatique. Notre méthode de recherche n'est pas de les défendre, en vue de prouver combien nous avions raison, mais d'essayer, au contraire, de les ruiner. Utilisant toutes les armes de notre panoplie logique, mathématique et technique, nous essayons de prouver que nos anticipations étaient fausses, afin de mettre à leur place de nouvelles anticipations injustifiées et injustifiables, de nouveaux "préjugés téméraires et prématurés", comme Bacon les appelait par dérision."

Karl Popper, La logique de la découverte scientifique (1934), Trad. N. Thyssen-Rutten et P. Devaux, Bibliothèque scientifique Payot, Paris, 1973, p. 284-285.

[1] Francis Bacon : savant et philosophe anglais (1561-1626).[2] Bacon, Novum Organum, I, 26.

 
  "Un credo religieux diffère d'une théorie scientifique en ce qu'il prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s'attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d'arriver à une démonstration complète et définitive. Mais, dans une science évoluée, les changements nécessaires ne servent généralement qu'à obtenir une exactitude légèrement plus grande ; les vieilles théories restent utilisables quand il s'agit d'approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une observation plus minutieuse devient possible. En outre, les inventions techniques issues des vieilles théories continuent à témoigner que celles-ci possédaient un certain degré de vérité pratique, si l'on peut dire. La science nous incite donc à abandonner la recherche de la vérité absolue, et à y substituer ce qu'on peut appeler la vérité « technique », qui est le propre de toute théorie permettant de faire des inventions ou de prévoir l'avenir. La vérité « technique » est une affaire de degré : une théorie est d'autant plus vraie qu'elle donne naissance à un plus grand nombre d'inventions utiles et de prévisions exactes. La « connaissance » cesse d'être un miroir mental de l'univers, pour devenir un simple instrument à manipuler la matière. Mais ces implications de la méthode scientifique n'apparaissaient pas aux pionniers de la science : ceux-ci, tout en utilisant une méthode nouvelle pour rechercher la vérité, continuaient à se faire de la vérité elle-même une idée aussi absolue que leurs adversaires théologiens."


Bertrand Russell, Science et Religion (1935), trad. P.-R. Mantoux, Éd

Gallimard, coll. « Folio Essais », 1990, p. 12-13.



    "Galilée, dans le regard qu'il dirige sur le monde à partir de la géométrie et à partir de ce qui apparaît comme sensible et est mathématisable, fait abstraction des sujets en tant que personnes, porteuses d'une vie personnelle, abstraction de tout ce qui appartient à l'esprit en quelque sens que ce soit, abstraction de toutes les propriétés culturelles qui échoient aux choses dans la praxis humaine. De cette abstraction résultent les choses purement corporelles, mais prises cependant comme des réalités concrètes et thématisées dans leur totalité comme formant un monde. On peut bien dire que c'est seulement avec Galilée que l'idée d'une nature en tant que monde-des-corps réellement séparé et fermé sur soi vient au jour. Ce fait - concurremment avec la mathématisation devenue trop vite une évidence - produit comme conséquence une causalité naturelle close sur elle-même, dans laquelle tout événement reçoit une détermination univoque et a priori. Il est manifeste que par-là même se trouve également préparé le dualisme, qui bientôt apparaîtra chez Descartes."

Husserl, La Crise des Sciences européennes et la Phénoménologie transcendantale, 1936, Gallimard, p. 69-70.


    "La science n'est pas une collection de lois, un catalogue de faits non reliés entre eux. Elle est une création de l'esprit humain au moyen d'idées et de concepts librement inventés. Les théories physiques essaient de former une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impressions sensibles. Ainsi, nos constructions mentales se justifient seulement si, et de quelle façon, nos théories forment un tel lien. […]
    À l'aide des théories physiques nous cherchons à trouver notre chemin à travers le labyrinthe des faits observés, d'ordonner et de comprendre le monde de nos impressions sensibles. Nous désirons que les faits observés suivent logiquement de notre concept de réalité. Sans la croyance qu'il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l'harmonie interne de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique. À travers tous nos efforts, dans chaque lutte dramatique entre les conceptions anciennes et les conceptions nouvelles, nous reconnaissons l'éternelle aspiration à comprendre, la croyance toujours ferme en l'harmonie de notre monde, continuellement raffermie par les obstacles qui s'opposent à notre compréhension."


Albert Einstein et Léopold Infeld, L'Évolution des idées en physique, 1938.



Date de création : 01/06/2006 @ 13:52
Dernière modification : 16/03/2013 @ 16:12
Catégorie :
Page lue 7707 fois


Imprimer l'article Imprimer l'article

Recherche



Un peu de musique
Contact - Infos
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

^ Haut ^