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Hors des sentiers battus
Les questions de la bioéthique

    "Pour mettre mieux en évidence la difficulté de l'interprétation des études généalogiques, imaginons un Martien, très au courant des diverses techniques de la génétique des populations, mais incapable de distinguer une peau noire d'une peau blanche. Débarquant en Afrique du Sud, il décide d'étudier un caractère qui lui paraît très important pour le sort des individus, le fait d'être chômeur. Une première observation lui montre une très nette liaison entre les générations successives d'une même famille : dans certaines généalogies, les individus sont tous indemnes, dans d'autres ils sont presque systématiquement touchés par le chômage ; il en conclut que, très probablement, ce trait est gouverné par le patrimoine génétique. Il étend et précise ses observations, imagine des modèles génétiques et s'efforce de dégager le « meilleur » modèle grâce, par exemple, aux techniques de maximisation de la vraisemblance. Il y a gros à parier qu'il en conclura que le caractère « chômeur » est facilement explicable par la présence en trois ou en quatre locus d'un certain gène c. Le chômage serait-il un caractère « génétique » dans l'espèce humaine?

    En fait, ses recherches lui auront fait découvrir les gènes c qui donnent aux individus une peau plus ou moins foncée, selon leur nombre dans la dotation génétique (on sait que les individus dépourvus du gène c sont blancs et que la couleur noire est d'autant plus marquée que ces gènes sont plus nombreux). Or, la couleur, dans la société étudiée, est fortement corrélée avec le risque de chômage ; les conclusions de notre Martien sont donc parfaitement exactes ; elles permettent une prédiction correcte, elles sont efficaces. Mais elles ne donnent aucune indication sur le mécanisme en oeuvre. Il suffit de changer les règles sociales pour que le lien observé disparaisse totalement.

    L'erreur logique consiste ici, une fois de plus, à étudier un phénomène qui résulte d'interactions complexes, en isolant artificiellement et arbitrairement un des facteurs. Notre esprit est mal entraîné à penser en termes d'interactions et s'efforce de remplacer la réalité par des modèles où les diverses causes agissent indépendamment. Toutes les questions concernant l' « inné et l'acquis » sont typiques de cette démarche ; elles ne méritent aucune réponse, puisqu'elles nient la réalité quelles prétendent étudier."

Albert Jacquard, Au péril de la science? Interrogations d'un généticien, Éd. du Seuil, coll. Points Sciences, 1982.


    "La fonction originaire de la science génétique était d'être un outil pour la compréhension de l'évolution. Voici quelle est à la source de mutations imprévues.

    1988 : on travaille à la fabrication de bovins - les culards - dans le but d'accroître démesurément les parties arrière de leurs corps, précieuses pièces de boucherie. Mais alourdies par cet arrière-train monstrueux, les pauvres bêtes ne pourront ni se déplacer, ni se reproduire seules. Déjà, des vaches donnent du lait maternisé. Des souris fabriquent de l'hémoglobine humaine. Obtenus par manipulations génétiques, ces nouveaux caractères seront héréditaires. Recouvertes par un discours fonctionnel et utilitariste, de telles manipulations masquent mal, cependant, l'irruption des fantasmes de dédifférenciation [1] dans la réalité, l'abolition des différences de catégories dans la vie psychique.

    Ces travaux préliminaires, ou d'autres, demeureront-ils des préludes avant les roulements de timbales de la grande symphonie génétique ? La condition humaine est bien une maladie héréditaire. La modification du patrimoine génétique serait l'expression la plus achevée, et irréversible, du refus de l'héritage, un « bras d'honneur » illusoire adressé à la castration [2]. L'homme silencieux identifié à sa cellule demanderait à l'ADN et le secret de son origine et l'énigme de son destin.

[...]

    Sans cesse, je me demande comment il se peut qu'à travers le monde occidental, une génération de médecins et de chercheurs, nés pour la plupart pendant la guerre et dans l'immédiat après-guerre, militants antifascistes pour un grand nombre, soient en train de donner au monde, comme malgré eux et au rebours de leurs idéaux les plus pré- cieux, les moyens de l'eugénisme au-delà des rêves les plus fous du IIIe Reich. L'exigence de « qualité » de plus en plus raffinée du produit- enfant et la question fondamentale de la biologisation croissante de la paternité évoquent par exemple les souvenirs des Lebensborn qui hantent la mémoire collective.

    Les Lebensborn ? Des camps expérimentaux où les nazis prétendaient fabriquer une race enfin pure. Dans ces haras humains, on croisait de fortes femmes blondes avec des aryens aux yeux bleus. Des enfants naquirent et grandirent, avant que de se perdre, dans l'après-guerre, enfants de rien ni de personne puisqu'ils étaient des enfants expérimentaux. Une question lancinante se pose à moi : pourquoi est-ce à notre génération que « ça » arrive? Comment en est-on venu là ? Pourquoi la stérilité, pour laquelle la société avait inventé des recours, est-elle devenue, si brutalement, un scandale ? La fécondation in vitro s'est dissociée en quelques années de ce pour quoi elle avait été inventée (le contournement des stérilités tubaires [3]). Le concept d'infertilité se prêtant à toutes les inflations, le champ des indications ne cesse de s'accroître et, succès médiatique aidant, rencontre une faveur insoupçonnée sous la forme de demandes où s'exprime le fantasme de donner la vie sans rapport sexuel."


Monette Vacquin, Frankenstein ou les délires de la raison, Éd. François Bourin, 1989, p. 197-199.

[1] Annulation des différences naturelles.

[2] C'est-à-dire ici, symboliquement, à l'impuissance sexuelle ou à la stérilité.

[3] Stérilité féminine liée aux trompes.



    "L
e diagnostic pré-implantatoire (technique qui consiste à la création d'embryons par fécondation in vitro puis la sélection des embryons sains en vue d'une réimplantation des embryons sélectionnés) est utilisé lorsqu'il existe un risque de transmission d'une affection génétique. Une équipe américaine vient de réaliser une étude afin d'utiliser cette même technique pour obtenir des bébés compatibles au niveau des tissus (HLA) avec son « aîné » atteint d'une affection justifiant une greffe de moelle.
    L'étude a porté sur 9 couples dont l'un des enfants devait être traité par greffe de moelle. A la suite d'une fécondation in vitro, 199 embryons ont été testés. Parmi eux, 45 embryons ont été déclarés compatibles avec le grand frère ou la grande soeur et 28 d'entre eux ont été transférés. Au final 5 grossesses ont donné naissance à 5 bébés « HLA compatibles" avec leur frère ou soeur malade.
    Pour les chercheurs ce travail « suggère qu'il est désormais possible d'obtenir une grossesse dont les caractéristiques génétiques peuvent être bénéfiques aux individus touchés dans une famille ».
    Cet exemple de ce qui nous attend avec la pratique du bébé médicament, illustre l'un des points du débat législatif en cours au Parlement français : autoriser ou non le DPI/bébé médicament dans les lois de bioéthique ?"

Dr Guy Benzadon, Le Quotidien du Médecin (05/05/04), repris dans Le Monde (07/05/04)


Date de création : 22/06/2006 @ 10:57
Dernière modification : 17/01/2007 @ 16:32
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