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Texte à méditer :  

Il est vrai qu'un peu de philosophie incline l'esprit de l'homme à l'athéisme ; mais que davantage de philosophie le ramène à la religion.   Francis Bacon


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Langue et perception

"L'examen des oeuvres produites par la langue ne confirme pas davantage la thèse selon laquelle la représentation ne ferait que dénoter les objets déjà reconnus par la perception. Il serait impossible de rendre par là pleine justice à la richesse profonde de la langue. Celle-ci ôtée, c'en est fini du concept, mais c'en est fini aussi de l'objet pour l'âme, puisque l'objet extérieur ne peut accéder qu'au moyendu concept à l'essentialité capable de la faire reconnaître par l'âme. Car le mot s'enracine précisément dans une telle perception ; plutôt qu'une réplique de l'objet en soi, il l'est de l'image que cet objet a produite dans l'âme. La subjectivité étant inévitablement entrelacée à toute perception objective, il est permis, indépendamment même du langage, de considérer que chaque noyau d'individualité humaine est un centre original de perspective projeté sur le monde. Il en est à plus forte raison ainsi avec la langue, car le mot s'érige en objet, face à l'âme, le fait, comme nous verrons plus loin, en se lestant d'auto-signification et en important une manière d'être originale. [...]
    L'homme s'entoure d'un univers sonore, afin de recueillir et d'élaborer en lui l'univers des objets. De telles expressions n'outrepassent nullement la plus élémentaire vérité. Les rapports que l'homme entretient avec les objets sont fondamentalement et, osons le dire, puisque aussi bien l'affectivité et l'activité dont il est le théâtre dépendent de ses représentations, exclusivement réglés par la manière dont le langage les lui transmet. C'est par un seul et même acte qu'il tisse autour de lui la trame de la langue et qu'il se tisse en elle ; chacune décrit autour du peuple dont elle relève un cercle dont il n'est possible de s'échapper que pour pénétrer, au même instant, dans un autre. Il faudrait donc voir dans l'apprentissage d'une langue étrangère la conquête d'une perspective nouvelle et le renouvellement de la vision du monde qui dominait jusque-là ; [...]
    La langue est, dès ses premiers pas, entièrement humaine et a des ressources pour s'avancer, hors de toute préméditation, à la rencontre de tous les objets, qu'ils soient donnés fortuitement par la perception sensible ou qu'ils soient élaborés par l'activité intérieure."

Wilhelm von Humboldt, Introduction à l'oeuvre sur le kavi (posthume, 1906), trad. P.Caussat, Éd. du Seuil, 1974, pp. 199-201.

  "Enfin, pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. Cette ten­dance, issue du besoin, s'est encore accentuée sous l'influence du langage. Car les mots (à l'exception des noms propres) désignent des genres. Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s'insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d'âme qui se dérobent à nous dans ce qu'ils ont d'intime, de personnel, d'originalement vécu. Quand nous éprouvons de l'amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font quelque chose d'absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, nous n'apercevons de notre état d'âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu'il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l'individualité nous échappe. Nous nous mouvons parmi des généralités et des symboles, comme en un champ clos où notre force se mesure utilement avec d'autres forces ; et fascinés par l'action, attirés par elle, pour notre plus grand bien, sur le terrain qu'elle s'est choisi, nous vivons dans une zone mitoyenne entre les choses et nous, extérieurement aux choses, extérieurement aussi à nous-mêmes."

Bergson, Le rire, 1900, PUF, p.117-118.



  "Il est vraisemblable que l'intérêt porté à certaines questions ou à certains objets engendre un vocabulaire permettant de traiter de ces questions ou objets de façon adéquate ; mais il est également vraisemblable qu'un individu né dans un milieu d'une culture spécifique pensera dans des termes en usage dans sa société, et que, par conséquent, la nature de sa pensée en sera affectée. [...]
    On dit que la langue arabe contient environ six mille mots se reportant plus ou moins directement au chameau [1], y compris les mots dérivés du chameau et les attributs qui lui sont associés - catégories de chameaux selon leurs fonctions, les noms de différentes races, états de grossesse, etc. Il est à peine nécessaire de rappeler que ceci reflète l'importance exceptionnelle du chameau dans la civilisation arabe. De même [...] il y a une grande variété de mots utilisés par les Esquimaux pour établir une différenciation entre les aspects multiples de la neige, ce qui pour nous constitue un phénomène unique. Exemple analogue, les Tchouktchees de la Sibérie du Nord-Est ont un grand choix de mots pour désigner le renne.
    Cela veut-il dire que nous voyons le monde (dans ce cas les chameaux ou la neige) autrement que ceux qui parlent arabe ou esquimau ? Il faut répondre négativement à cette question, si nous la comprenons comme se rapportant à la capacité de voir. Nous, qui parlons toujours français ou anglais, pouvons apprendre à distinguer des variétés de neige ou des catégories de chameaux, si nous savons ce qu'il faut chercher comme critères de différenciation. Il paraît très probable, cependant, que nous pourrons plus facilement faire de telles distinctions si notre vocabulaire contient des termes spécifiques pour les nommer.

Otto Klineberg, "Langage, pensée, culture", Bulletin de Psychologie, janvier 1966, pp. 656-657.


Date de création : 19/09/2006 @ 09:40
Dernière modification : 30/09/2011 @ 12:31
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