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Texte à méditer :  Aucune philosophie n'a jamais pu mettre fin à la philosophie et pourtant c'est là le voeu secret de toute philosophie.   Georges Gusdorf
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La définition du droit

  "L'objet de nos études [= le droit] est la prédiction – la prédiction des conséquences résultant de l'intervention des autorités publiques, telle qu'elle se réalise par le truchement des cours et tribunaux.
  Les moyens utilisés pour réaliser cette étude sont un corpus de jurisprudence, de doctrine et de législation remontant, ici [aux États-Unis] comme au Royaume-Uni, à six siècles, et s'accroissant chaque année de manière exponentielle. Dans ces textes sibyllins se trouvent rassemblés les restes des prophéties du passé, et des cas que celles-ci ont tranchés. Ensemble, ils constituent ce qu'il faut nommer de leur nom propre : les oracles du droit. Le plus important, de loin, et – si l'on veut – la signification véritable de tout nouvel effort dans le domaine de la pensée juridique, consiste à tenter de préciser ces prophéties, puis de les généraliser sous la forme d'un système articulé de manière étroite. Il s'agit là d'un seul mouvement, partant de la présentation du cas opérée par un juriste, lequel en aura éliminé tous les éléments de drame dont son client l'aura paré pour n'en retenir que les faits à caractère juridique, et aboutissant aux analyses finales et aux universaux abstraits de la théorie du droit. La raison pour laquelle un juriste ne mentionne pas que son client portait un chapeau blanc lorsqu'il signa son contrat, bien que Mme Quickly soit certaine qu'il jura dessus, de même que sur un gobelet à figures dorées et un feu de charbon – est qu'il prévoit que les autorités publiques agiront d'une façon identique, quoi que son client se soit mis sur la tête. C'est en vue de faciliter la mémorisation et la compréhension des prophéties du passé que les leçons des décisions anciennes sont transformées en propositions générales et rassemblées dans des traités ; et les lois édictées sous une forme dite générale et abstraite. Répétons-le : les droits et obligations fondamentaux dont s'occupe la doctrine ne sont rien d'autre que des prophéties. Un des nombreux effets pervers de la confusion entre les idées juridiques et morales […] que la théorie se retrouve à placer la charrue avant les bœufs, et imaginer que les droits et obligations existeraient de manière indépendante des conséquences de leur violation, à laquelle certaines sanctions ne seraient ajoutées que dans un second temps. Pourtant, ainsi que je vais tenter de le démontrer, une obligation juridique n'est – pour ainsi dire – rien d'autre que la prédiction de ce que, si un être humain commet ou omet certaines choses, il devra subir de telle ou telle manière le jugement tribunal – et il en va de même des droits.
  Une fois généralisées et systématisées, le nombre de ces prédictions n'est pas important au point d'en devenir impossible à appréhender. Elles se présentent comme un ensemble fermé de dogmes pouvant être maîtrisés en un temps raisonnable. C'est une grave erreur de s'effrayer du nombre toujours croissant des décisions de jurisprudence. Les arrêts d'une juridiction donnée couvrent à chaque fois la quasi-totalité du corpus du droit, et n'en constituent guère que la reformulation pour le présent. Si jamais toutes les traces des décisions passées partaient en fumée, il serait possible, sans la moindre difficulté, d'en reconstituer le corpus à partir de ceux-ci."

 

Oliver Wendell Holmes, La Voie du droit, 1897, tr. fr. Laurent de Sutter, tr. fr. Laurent de Sutter, Dalloz, 2014, p. 2-4.

 

  "The object of our study, then, is prediction, the prediction of the incidence of the public force through the instrumentality of the courts.
  The means of the study are a body of reports, of treatises, and of statutes, in this country and in England, extending back for six hundred years, and now increasing annually by hundreds. In these sibylline leaves are gathered the scattered prophecies of the past upon the cases in which the axe will fall. These are what properly have been called the oracles of the law. Far the most important and pretty nearly the whole meaning of every new effort of legal thought is to make these prophecies more precise, and to generalize them into a thoroughly connected system. The process is one, from a lawyer’s statement of a case, eliminating as it does all the dramatic elements with which his client’s story has clothed it, and retaining only the facts of legal import, up to the final analyses and abstract universals of theoretic jurisprudence. The reason why a lawyer does not mention that his client wore a white hat when he made a contract, while Mrs. Quickly would be sure to dwell upon it along with the parcel gilt goblet and the sea-coal fire, is that he foresees that the public force will act in the same way whatever his client had upon his head. It is to make the prophecies easier to be remembered and to be understood that the teachings of the decisions of the past are put into general propositions and gathered into textbooks, or that statutes are passed in a general form. The primary rights and du- ties with which jurisprudence busies itself again are nothing but prophecies. One of the many evil effects of the confusion between legal and moral ideas […] is that theory is apt to get the cart before the horse, and consider the right or the duty as something existing apart from and independent of the consequences of its breach, to which certain sanctions are added afterward. But, as I shall try to show, a legal duty so called is nothing but a prediction that if a man does or omits certain things he will be made to suffer in this or that way by judgment of the court; and so of a legal right.

  The number of our predictions when generalized and reduced to a system is not unmanageably large. They present themselves as a finite body of dogma which may be mastered within a reasonable time. It is a great mistake to be frightened by the ever-increasing number of reports. The reports of a given jurisdiction in the course of a generation take up pretty much the whole body of the law, and restate it from the present point of view. We could reconstruct the corpus from them if all that went before were burned."

 

Oliver Wendell Holmes, The Path of the Law,1897, 10 Harvard Law Review 457.


 

  "Le droit est ce qui est reconnu comme droit. Reconnu, c'est-à-dire approuvé ou prononcé par un pouvoir arbitral, et toutes portes ouvertes. Faute de quoi il n’y a jamais qu’un état de fait, devant lequel le droit reste suspendu. Posséder une montre, l’avoir dans sa poche, y trouver l’heure, ce n’est qu’un état de fait. Avoir droit de propriété sur la montre, c’est tout à fait autre chose ; revendiquer ce droit c’est s’adresser à l’arbitre dans un débat public ; c’est plaider et tenter de persuader. Le fait que le voleur possède la montre ne décide nullement de la propriété. Pareillement pour une maison. L’occuper, faire acte de possesseur, ce n’est nullement fonder un droit. On sait qu’il y a présomption de droit si j’occupe trente ans sans opposition ; mais cela même doit être décidé par arbitre et publiquement. Tant que le droit n’est pas dit de cette manière solennelle et impartiale, il n’y a jamais que possession, c'est-à-dire simple fait.

Exposer ces notions c’est rappeler le sens des mots ; avoir ces notions présentes, c’est simplement savoir ce qu’on dit. Cela est bien ancien, et de sens commun. Nul ne plaidera jamais qu’il est propriétaire d’une chose attendu qu’il l’a prise à quelqu’un de plus faible. Ce qui est nouveau, c’est que les hommes essaient présentement de transférer la notion de droit dans une société des nations. Ici encore il faudra un tribunal arbitral et une opinion publique. Le tribunal seul est capable de transformer le fait en droit ; il réalise cette transformation par un jugement public, et il n’y a point d’autre moyen. Mais aussi ce moyen étant mis en œuvre, il ne manque plus rien au droit. Le droit est dit, le droit est reconnu. Si le fait ne s’y conforme, le fait n’a aucun pouvoir de droit. C’est encore le tribunal arbitral qui jugera si un fait de cinquante ou cent ans d’âge sera transformé en droit et proclamé tel. Le bon sensa ici une maxime, qui dit que nul n’est juge en sa propre cause.

Beaucoup estiment que le tribunal arbitral doit être en outre muni de pouvoir d’exécution, et, comme on dit, de gendarmes. Mais un tel pouvoir n’est point dans la notion de droit. Quand un tribunal arbitral, soit le juge civil, avec tous les recours, a prononcé, le droit est dit et reconnu. Il n’y manque rien. Il se peut qu’on ne puisse point transformer le droit en fait, par exemple si le débiteur est mort sans laisser un sou. Mais le tribunal n’en a pas moins dit le droit. Et la chose due ou volée, si jamais on la retrouve, on saura à qui elle appartient en droit, même si ce légitime propriétaire, étant mort lui aussi, ne peut être mis en possession. Au reste il suffit qu’un voleur coure pour garder en sa possession la chose volée ; elle n’en est pas moins dite volée ; et on peut avertir par mille moyens ceux qui seraient tentés de l’acheter, que celui qui la possède n’a pas le droit de la vendre. Ainsi le droit peut n’être jamais réalisé dans le fait sans cesser d’être un droit.

Aussi appelle-t-on droit, dans tous les pays, un système de formes et de précautions, à la fois d’usage et de bon sens, selon lesquelles un droit doit être dit et proclamé si l’on veut qu’il ait valeur de droit. Le fait peut être hors de l’action des pouvoirs, par exemple une fortune au fond de la mer ; cela n’empêche pas qu’on puisse dire, selon les formes du droit, à qui elle appartient légitimement.

Le conflit se trouve donc entre ceux qui souhaitent un règne du droit entre les nations, et ceux qui repoussent le droit et prétendent se borner au fait. La vieille et agréable coutume de juger en sa propre cause n'est pas encore oubliée des souverains. Aussi les voit-on naïvement tantôt se rallier au tribunal, s’il leur donne raison, tantôt récuser le tribunal, s’ils le soupçonnent seulement de pouvoir leur donner tort. C’est tantôt choisir le droit et la vie selon le droit, tantôt refuser tout droit et revenir à l’exercice de la force nue. Il est seulement plus difficile qu’autrefois de déguiser la force en droit. Pourquoi ? Parce que le tribunal arbitral existe.

Là-dessus on dit : « Oui, des représentants de petites nations, cela ne compte pas. » De tels juges n’en sont que plus évidemment impartiaux.

Ce qui brouille les notions, c’est qu’on aperçoit que de tels juges n’ont point de force, et qu’on essaie de les mépriser. Mais dire le droit cela ne suppose pas qu’on ait la force de réaliser le droit. Cet autre problème est réservé, et peut-être vaut-il mieux qu’il le soit. On comprendra mieux que l’essentielle fonction du juge est de dire le droit. « Et qu’en résultera-t-il ? » demandez-vous. Simplement que chacun saura redresser ses propres discours, s’il le veut. Cela revient à dire que le tribunal des nations n’a qu’un pouvoir moral. Et ceux qui disent que c’est peu ne connaissent l’homme. Car les usurpateurs ne cessent jamais de plaider et d’argumenter. Je cherche seulement à rédiger un article de dictionnaire qui permette de décrire correctement les conflits actuels. D’abord savoir ce qu’on dit."

 

Alain, Propos, 28 mars 1936.


 

    "Vous trouvez normal qu'une partie de ballon rond ou ovale se déroule selon des règles, et sous le contrôle d'un arbitre qui sanctionne les fautes commises, que le conducteur d'une automobile respecte le code de la route, à l'application duquel veillent les agents de la circulation et les tribunaux ; en y réfléchissant un peu plus, vous constatez que ces deux activités humaines sont encadrées par de multiples dispositions qui limitent la liberté des acteurs : le joueur de football, de rugby, de basket appartient à un club, association de la loi de 1901, il évolue sur un terrain construit selon certaines normes, devant un public qui, le plus souvent, est muni d'un ticket d'entrée ; l'automobiliste possède une carte grise, un permis, une assurance, une vignette, le prix du carburant qu'il consomme comporte une part d'impôt…
    On dira de tous deux qu'ils relèvent du droit, celui-ci régissant les rapports de chacun d'eux avec ses partenaires (le sportif avec ses coéquipiers et adversaires, le conducteur d'un véhicule avec les autres usagers de la route), et tous les deux avec la société sous ses différentes formes (pour le premier : l'association placée sous la tutelle de l'État, et qui fera partie d'une ligue et d'une fédération, pour le second : le fisc, le service des mines, le maire qui, par arrêté, réglemente la circulation et le stationnement dans la ville, etc.).

    Le droit – dont il existe des définitions très complexes – n'est autre chose que l'ensemble des règles du jeu qui encadrent les activités des personnes et des groupes, de la plus modeste manifestation sportive aux fonctions exercées par le président de la République."
 

J. L. Cosperec, Guide du citoyen, Éditions Roudil.


  

Droit objectif et droits subjectifs

 

    "Le droit objectif est constitué par l'ensemble des règles juridiques applicables à tous. C'est donc l'ensemble des règles de droit en vigueur dans un pays à un moment donné. L'expression droit positif est également utilisée dans un sens voisin.
    Toutefois, pour qu'une personne devienne titulaire d'un droit, il faut qu'un événement survienne. M. Le Gwen a, par exemple, un droit de propriété sur un terrain situé en Bretagne depuis qu'il a acheté à M. Le Du, par contrat passé devant Me Saint-Quante, notaire. La passation du contrat est l'événement qui a créé le droit de propriété de M. Le Gwen. Les droits dont deviennent ainsi titulaires les individus sont appelés droits subjectifs.
    Les droits subjectifs sont donc les prérogatives [1] dont peut se prévaloir une personne, un sujet (subjectif)".

Remarque : LAW et RIGHT : en anglais, il existe deux termes distincts pour désigner :

le droit objectif = LAW

et un droit subjectif = RIGHT. La distinction de l'un et de l'autre pose donc moins de problèmes qu'en français…

Manuel de droit, Première STT, édition Bertrand-Lacoste, p. 4.


[1] Prérogatives : autorité, avantage attaché à certaines fonctions, à certaines dignités, etc.

  "Prenons […] le mot « droit ». Il ne vient pas du mot latin qui signifie « droit », et qui est le mot jus (au génitif : juris). Le mot « droit » vient du latin directum, qui a aussi donné « direct » et « direction », et qui signifie à l'origine « droit » dans le sens de « tout droit », le contraire de « tordu » – qui se dit en latin tortum. Mais tortum a aussi donné « tort » : a tort celui qui n'est pas « dans son droit » (en anglais, le mot tort est un terme juridique qui signifie « dommage »). L'italien diritto et l'espagnol derecho proviennent aussi de directum ; de façon très remarquable, l'anglais right et l'allemand recht dérivent de la même racine indo-européenne R-K qui se retrouve aussi dans directum, et signifient également « droit » dans les deux sens : le droit, et ce qui est droit. Mais cette même racine R-K se retrouve dans le mot latin regula, qui signifie règle : une règle, c'est droit. Si les substantifs européens qui désignent le droit ne dérivent pas du mot jus, ce terme est en revanche à l'origine d'une série d'adjectifs qui appartiennent au même champ : à commencer par « juridique », qui s'applique à tout ce qui concerne le droit en général. Mais aussi « judiciaire », qui désigne de façon plus étroite ce qui concerne la justice : on parle de l'organisation judiciaire, du droit judiciaire (le droit du procès), etc. La juridiction […] c'est le fait de dire (dictio) le droit (juris) : c'est l'acte propre du juge (le judex : « diseur » de droit). Enfin, le mot « justice » dérive évidemment de jus, ce qui marque bien le rapport des deux termes."

 

Jean-Marie Carbasse, Introduction historique au droit, 2e édition, 1999, PUF, p. 13.


 

  "Le droit n'est pas le seul système normatif, c'est-à-dire prescrivant aux individus une certaine façon d'agir sous peine de sanction. Le pluralisme moderne a cependant pour conséquence le rejet hors de la sphère publique de tous les autres systèmes de normes et de valeurs ; il en résulte, paradoxalement, une juridicisation excessive de celle-ci, puisque le droit devient la seule réponse possible à tout dysfonctionnement social. On s'éloigne ainsi des vœux de Jean Charbonnier qui faisait « l'hypothèse du non-droit » pour insister sur le nécessaire relâchement de la pression du droit dans certains espaces de temps et/ou de lieu.
  La morale dont l'objet est de dire ce qui est bien et ce qui est mal, dicte également des normes de comportement. À la différence du droit, la morale relève du for intérieur, c'est-a-dire des consciences individuelles. Cela ne signifie pas pour « autant que les deux systèmes ne puissent avoir de règles communes : si certaines règles de droit n'ont rien à voir avec le bien et le mal (par exemple conduire à droite), la plupart expriment les valeurs présentes dans une société donnée à un moment donné. Certaines motions juridiques renvoient même explicitement au consensus social existant à un moment donné sur ce qu'il convient de faire : ainsi la notion de bonnes mœurs, qui explicite la morale sociale sur le plan de la décence ou de la sexualité ; de même la notion d'obligation naturelle qui permet, lorsqu'une personne a volontairement payé une dette dont elle se sentait moralement (mais dont elle n'était pas juridiquement) tenue, de valider juridiquement ce paiement et de lui interdire d'en réclamer le remboursement (par exemple lorsqu'une personne a spontanément aidé son frère ou sa sœur, ou alors a payé une dette tout en sachant celle-ci prescrite). Le fait que les règles morales ne soient pas juridiques signifie qu'on ne peut requérir ni les tribunaux ni la force publique pour les faire respecter, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'elles soient dénuées de sanctions. Ainsi, dans des sociétés où la contrainte sociale est forte, les comportements jugés immoraux par un groupe peuvent être tout aussi sévèrement sanctionnés, voire plus, par des sanctions sociales de type « mises à l'index » ou exclusions.

  Il existe également des règles de politesse ou de bienséance, prescrivant certains us et coutumes de comportement dans la vie sociale courante (arriver à l'heure, être courtois, ne pas parler la bouche pleine). Contrairement à la morale, il s'agit ici de règles relevant du for extérieur, plus précisément du savoir-vivre en société. Il pourra là encore y avoir des sanctions sociales.
  La religion est aussi un système normatif, avec des règles et des sanctions propres, différentes d'une religion à une autre. En France, le principe de séparation des Églises et de l'État est posé par une loi de 1905. Qui n'emploie cependant pas encore le mot de « laïcité » ; en revanche l'article 1er de la Constitution de 1958 affirme que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L'État n'apportera donc pas le concours de la force publique pour l'application d'une règle religieuse. Il ne peut pas non plus donner, même indirectement, valeur juridique à une règle religieuse qui serait contraire aux principes fondamentaux du droit français : c'est ainsi que, comme l'a justement jugé la Cour d'appel de Douai le 17 novembre 2008, les juridictions françaises n'ont pas à cautionner la demande d'un mari se plaignant de la non-virginité de son épouse en prononçant le divorce pour ce motif. De la même façon, la Cour de cassation avait à bon droit jugé, dans un arrêt du 17 avril 1991 (affaire du sacristain homosexuel), qu'une association religieuse ne pouvait licencier un salarié au seul motif de son homosexualité qui serait contraire aux principes de l'Église catholique, alors qu'il n'en était résulté aucun trouble particulier dans la vie de l'association. Cela ne signifie pas pour autant que le droit n'a pas parfois à prendre en considération la religion, par exemple pour sanctionner les discriminations qui seraient faites sur ce fondement. En aucun cas cependant, cette religion ne peut devenir un élément de l'identité juridique de la personne, et elle n'a pas à être révélée, car elle relève de la vie privée.
  Le droit peut déléguer une fonction normative à d'autres règles. Il accorde ainsi une valeur aux règles déontologiques de certaines professions (médecins, avocats, etc.). En matière sportive, les règles du jeu ont un certain pouvoir normatif, avec des points d'intersection avec les règles juridiques : ainsi lorsqu'il y a lieu de réparer des dommages causés au cours d'activités sportives.
  C'est aujourd'hui l'éthique qui est à la mode. Le mot a la même étymologie que la morale, les deux mots renvoyant aux mœurs (mores en latin, ethos en grec). Pourtant, la valorisation actuelle de l'éthique n'a d'équivalent que la disqualification de la morale. L'éthique étant un concept mou et doux, les « Codes » ou les « espaces » d'éthique fleurissent dans les entreprises ou les hôpitaux : on peut ainsi créer ses propres règles et ne les appliquer que si on veut. Cependant, les tribunaux pourraient trouver des moyens pour faire assumer leurs responsabilités à ceux qui se vantent abusivement de leur comportement éthique, ce qui rendrait alors possible une réelle amélioration des pratiques sociales.
  D'autres normativités peuvent opérer de façon plus insidieuse, comme la publicité ou la mode qui prescrivent certaines apparences et certains comportements, avec là encore des sanctions, souvent perceptibles dès le plus jeune âge."

 

Muriel Fabre-Magnan, Introduction au droit, 2012, PUF, Que sais-je ?, p. 12-15.

 



Date de création : 13/10/2006 @ 19:39
Dernière modification : 07/11/2025 @ 09:07
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