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Texte à méditer :  Avant notre venue, rien de manquait au monde ; après notre départ, rien ne lui manquera.   Omar Khayyâm
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Figures philosophiques

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Hors des sentiers battus
L'existence de la matière

    "Autrefois, Dieu, incorporel et sans contours, n'était absolument pas représenté. Mais aujourd'hui, puisque Dieu a été vu dans la chair et qu'il a vécu parmi les hommes, je représente ce qui est visible de Dieu.
    La sainteté du corps matériel du Fils de Dieu.
    Ce n'est pas devant la matière que je me prosterne, mais devant le créateur de la matière, qui est devenu matière pour moi, qui a accepté de vivre dans la matière et qui a fait mon salut par la matière. Je ne cesserai pas de respecter la matière, par laquelle mon salut a été fait. Mais je ne la vénère pas comme un dieu allons donc ! Comment, en effet, ce qui a reçu l'existence du néant pourrait-il être dieu ? même si le corps de Dieu est Dieu, étant devenu par l'union selon l'hypostase, sans changement, ce qui lui a donné l'onction, mais tout en demeurant tel qu'il était par nature, une chair animée d'une âme raisonnable et intellectuelle, faite et non pas incréée.
La matière sanctifiée par le contact avec le Christ.
    Je vénère aussi et je respecte les autres parties de la matière par lesquelles est advenu mon salut, en tant qu'elles sont remplies d'énergie divine et de grâce. N'est-ce pas matière que le bois de la croix, trois fois béni et trois fois heureux ? N'est-ce pas matière que la montagne sainte et vénérée, le lieu du Calvaire ? N'est-ce pas matière que la pierre nourricière et porteuse de vie, le Saint-Sépulcre, la source de notre résurrection ? N'est-ce pas matière que l'encre noire et le très saint livre des Évangiles ? N'est-ce pas matière que la table porteuse de vie qui nous offre le pain de la vie ? N'est-ce pas matière que l'or et l'argent dont sont faits les croix, les patènes et les calices ? Et surtout, n'est-ce pas matière que le corps de mon Seigneur et son sang ? Supprime le culte et la prosternation devant tout cela, ou bien obéis à la tradition de l'Église et admets que l'on se prosterne devant les images sanctifiées par le nom de Dieu et des amis de Dieu, et qui sont pour cette raison recouvertes de la grâce de l'Esprit Saint.
    La matière n'est pas indigne.
    N'insulte pas la matière, car elle n'est pas indigne. Rien en effet n'est indigne, qui vient de Dieu. C'est là l'opinion des Manichéens. N'est indigne que ce qui ne tient pas sa cause de Dieu, mais que nous avons inventé en glissant volontairement de ce qui est conforme à la nature vers ce qui est contre nature, et en laissant dévier notre volonté : c'est-à-dire le péché."

 

Damascène, Discours apologétique de notre père saint Jean Damascène contre ceux qui rejettent les images, I, 16 sqq, Migne p. 46 sqq.


  "Que ni nos pensées, ni nos passions, ni les idées formées par l'imagination n'existent hors de l'esprit, c'est ce que chacun accordera. Pour moi, il n'est pas moins évident que les diverses sensations ou idées imprimées sur les sens, quelque mêlées ou combinées qu'elles soient (c'est-à-dire quelques objets qu'elles composent par leurs assemblages), ne peuvent pas exister autrement qu'en un esprit qui les perçoit. Je crois que chacun peut s'assurer de cela intuitivement, si seulement il fait attention à ce que le mot exister signifie, quand il s'applique aux choses sensibles. La table sur laquelle j'écris, je dis qu'elle existe : c'est-à-dire, je la vois, je la sens ; et si j'étais hors de mon cabinet, je dirais qu'elle existe, entendant par là que si j'étais dans mon cabinet, je pourrais la percevoir, ou que quelque autre esprit la perçoit réellement. « Il y a eu une odeur », cela veut dire : une odeur a été perçue ; « il y a eu un son » : il a été entendu ; « une couleur, une figure » : elles ont été perçues par la vue ou le toucher. C'est là tout ce que je puis comprendre par ces expressions et autres semblables. Car pour ce qu'on dit de l'existence absolue des choses qui ne pensent point, existence qui serait sans relation avec ce fait qu'elles sont perçues, c'est ce qui m'est parfaitement inintelligible. Leur esse consiste dans le percipi, et il n'est pas possible qu'elles aient une existence quelconque, hors des esprits ou choses pensantes qui les perçoivent.
  C'est, il est vrai, une opinion étrangement dominante parmi les hommes, que les maisons, les montagnes, les rivières, tous les objets sensibles en un mot, ont une existence naturelle, ou réelle, distincte du fait qu'ils sont perçus par l'entendement. Mais quelque grande que soit l'assurance qu'on a dans ce principe, et quelle que soit l'étendue de l'assentiment que lui donne le monde, toute personne qui aura le courage de le mettre en question pourra, si je ne me trompe, reconnaître qu'il implique une contradiction manifeste. Que sont, en effet, les objets qu'on vient de mentionner, si ce n'est des choses que nous percevons par les sens ? Et que percevons-nous par les sens, si ce n'est nos propres idées ou sensations ? Et ne répugne-t-il pas évidemment que l'une quelconque d'entre elles, ou quelqu'une de leurs combinaisons existent non perçues ?

  Si nous examinons cette opinion à fond, nous trouverons peut-être qu'elle dépend de la doctrine des idées abstraites. Car peut-il y avoir un procédé d'abstraction plus subtil que de distinguer l'existence des objets sensibles d'avec le fait d'être perçus, de manière à les concevoir existants non perçus ? La lumière et les couleurs, la chaleur et le froid, l'étendue et les figures, en un mot les choses que nous voyons et sentons, que sont-elles, qu'autant de sensations, notions, idées, ou impressions sur les sens ? Et est-il possible de séparer, même par la pensée, aucune de ces choses d'avec la perception ? Pour ma part, je pourrais tout aussi aisément séparer une chose d'avec elle-même. Je peux, il est vrai, dans mes pensées, séparer ou concevoir à part les unes des autres des choses que peut-être je n'ai jamais perçues par mes sens ainsi divisées. J'imagine le tronc d'un corps humain sans les membres, ou je conçois l'odeur d'une rose sans penser à la rose elle-même. Jusque-là, je ne nierai pas que je ne puisse abstraire, s'il est permis d'user de ce mot abstraction en ne l'étendant qu'à la conception, par des actes séparés, d'objets tels qu'il soit possible qu'ils existent réellement ou soient effectivement perçus à part. Mais mon pouvoir d'imaginer ou de concevoir ne va pas au delà de la possibilité de la réelle existence ou perception. Ainsi, comme il m'est impossible de voir ou sentir quelque chose sans en avoir une sensation effective, il m'est pareillement impossible de concevoir dans mes pensées une chose sensible ou un objet, distinct de la sensation ou perception que j'en ai. En réalité, l'objet et la sensation sont la même chose et ne peuvent par conséquent s'abstraire l'un de l'autre. […]
  D'après ce qui a été dit, il est évident qu'il n'y a pas d'autre substance que l'Esprit (Spirit) ou ce qui perçoit. […]
  Mais examinons un peu l'opinion reçue. On dit que l'étendue est un mode ou accident de la Matière, et que la Matière est le substratum qui la supporte. Mais je voudrais qu'on m'expliquât ce qu'on entend par ce support de l'étendue par la Matière. Je n'ai pas, me direz-vous, l'idée de la Matière, et par conséquent je ne puis l'expliquer. Je réponds qu'encore que vous n'en ayez pas une idée positive, si vous attachez un sens quelconque à ce que vous dites, vous devez au moins en avoir une idée relative ; si vous ignorez ce qu'elle est, il faut supposer que vous savez quelle relation elle soutient avec ses accidents, et ce que vous entendez quand vous dites qu'elle les supporte. Il est évident que « support » ne peut point être pris dans le sens usuel ou littéral, comme quand nous parlons de piliers qui supportent une bâtisse. Comment donc faut-il comprendre ce mot ? [Pour ma part je suis incapable de découvrir aucun sens qui lui soit applicable.]
  Si nous nous enquérons de ce que les philosophes les plus exacts ont eux-mêmes déclaré qu'ils entendaient par substance matérielle, nous trouverons qu'ils reconnaissent eux-mêmes n'attacher d'autre sens à ces mots que celui d'Être en général, en y joignant la notion relative de support des accidents. L'idée générale de l'Être me paraît à moi plus abstraite et plus incompréhensible qu'aucune autre, et, pour ce qui est de sa propriété de supporter les accidents, elle ne peut, je l'ai déjà remarqué, se comprendre avec la signification commune des mots ; il faut donc qu'on les entende autrement ; mais de quelle manière, ils ne nous l'expliquent pas. Aussi, quand je considère ces deux parties ou faces du sens composé des termes de substance matérielle, je suis convaincu qu'aucune signification distincte ne leur est attachée."

 

George Berkeley, Principes de la connaissance humaine, 1710, 1ère partie, tr. fr. Charles Renouvier, Armand Colin, 1920, p. 23-24, p. 25 et p. 29-30.


 

  "HYLAS - Non seulement nous sommes ignorants de la nature vraie et réelle des choses, mais même de leur existence. Comment nier que nous perc­evons telles ou telles apparences ou idées ? Mais on ne peut en conclure que des corps existent réellement. Bien mieux, maintenant que j'y pense, je dois, conformément à mes concessions antérieures, aller plus loin et accorder qu'il est impossible qu'aucune chose corporelle réelle existe dans la nature. […] La substance matérielle n'était rien de plus qu'une hypothèse ; et, qui plus est, une hypothèse fausse et sans fondement que je ne perdrai pas davantage de salive à défendre. Mais quelque hypothèse que vous avanciez, ou quelque conception du monde que vous produisiez à sa place, je ne doute pas qu'elle vous apparaîtra en tous points aussi fausse: laissez-moi seulement vous interroger à on propos. Autrement dit, souffrez que je vous traite à votre façon, et je vous garantis que vous serez conduit, à travers tout autant de perplexités et de contradictions, à ce même état de scepticisme où me voilà maintenant.
  PHILONOUS - Je vous en assure, Hylas, je ne prétends former aucune hypothèse du tout. Je suis de la trempe ordi­naire, assez simple pour croire mes sens et laisser les choses comme je les trouve. À parler franc, je suis de l'avis que les choses réelles sont les choses mêmes que je vois et que je touche, celles que je perçois par mes sens. Ces choses-là, je les connais, et trouvant qu'elles répondent à toutes les nécessités et tous les desseins de la vie, je n'ai aucune raison de m'inquiéter d'autres êtres inconnus. Un morceau de pain sensible, par exemple, me garnira l'estomac bien mieux que dix mille morceaux de ce pain réel, insensible, inintellgible dont vous parlez. De même je pense que les cou­leurs et les autres qualités sensibles sont sur les objets. Jamais de la vie je ne pourrais m'empêcher de penser que la neige est blanche ou que le feu est chaud. Vous, certes, qui par neige et par feu entendez certaines substances extérieures, ni perçues ni perce­vantes, vous êtes en droit de nier que blancheur et chaleur soient des affections inhérentes à ces subs­tances. Mais moi qui entends par ces mots les choses que je vois et que je touche, je suis obligé de penser comme les autres hommes. Et tout comme je ne suis pas sceptique concernant la nature des choses, je ne le suis pas non plus quant à leur existence. Qu'une chose puisse être réellement perçue par mes sens et en même temps ne pas exister réellement, c'est pour moi une contradiction manifeste, puisque je ne peux sépa­rer ou abstraire, même en pensée, l'existence d'une chose de la perception qu'on en a. Le bois, les pierres, le feu, l'eau, la chair, le fer et autre choses semblables, que je nomme et dont je parle, sont des choses que je connais. Et je ne les aurais pas connues si je ne les avais perçues par mes sens ; les choses perçues par les sens sont immédiatement perçues ; les choses immédiatement perçues sont des idées ; et les idées ne peuvent pas exister en dehors de l'esprit ; leur existence consiste donc à être perçues ; quand donc elles sont effectivement perçues, il ne peut y avoir doute sur leur existence. Loin de nous donc tout ce scepticisme et tous ces doutes philosophiques ridi­cules! Quelle plaisanterie, pour un philosophe, que de mettre en question l'existence des choses sensibles jus­qu'à ce qu'il soit venu à bout de la prouver par la véracité divine ! Ou de prétendre que, sur ce point, notre connaissance n'atteint pas la valeur de l'intuition ou de la démonstration ! Je pourrais tout aussi bien douter de ma propre existence que de l'existence de ces choses que je vois et touche effectivement.

  HYLAS - Pas si vite, Philonous : vous dites que vous ne pou­vez comprendre comment les choses sensibles pourr­aient exister hors de l'esprit, n'est-ce pas ?
  PHILONOUS - En effet.
  HYLAS - Supposons que vous soyez anéanti, ne pouvez-vous concevoir comme possible que les choses perceptibles par les sens puissent encore exister ?
  PHILONOUS - Je le peux ; mais alors, il faut que ce soit dans un nitre esprit. Quand je refuse aux choses sensibles une existence hors de l'esprit, je n'entends pas parler de mon seul esprit en particulier, mais de tous les esprits. Or, il est clair que les choses ont une exis­tence extérieure à mon esprit, puisque l'expérience me fait reconnaître qu'elles en sont indépendantes. Il y a donc quelque autre esprit où elles existent dans les intervalles qui séparent les moments où je les perçois, c'est ainsi qu'elles étaient avant ma naissance et qu'elles seront encore après ma supposée annihila­tion. Et comme ce que je dis est également vrai de tous les autres esprits finis et créés, il s'ensuit néces­sairement qu'il y a un esprit (mind) omniprésent et éter­nel, qui connaît et comprend toutes choses, et qui les expose à notre vue de la manière et conformément aux règles qu'il a lui-même prescrites, et que nous appe­lons les lois de la nature. […]
  Je dis, en premier lieu, que je dénie l'existence de substance matérielle, non pas seulement parce que n'en ai pas de notion, mais parce qu'une telle notion est incohérente, ou en d'autres termes, parce qu'il répugne que nous en ayons une notion. Pour autant que je sache, bien des choses peuvent exister dont ni moi, ni aucun homme n'avons ni ne pouvo­ns avoir la moindre idée ou notion. Mais alors il faut du moins que ces choses soient possibles, autre­ment dit, il faut que rien de contradictoire ne soit inclus dans leur définition. Je dis, en second lieu, que bien que nous croyions à l'existence de choses que nous ne percevons pas, cependant, nous ne pou­vons pas croire à l'existence d'aucune chose en partic­ulier sans quelque raison pour cette croyance. Mais je n'ai aucune raison de croire en l'existence de la matière; je n'en ai aucune intuition immédiate ; ne peux pas non plus, à partir de mes sensations, idées, notions, actions et passions, inférer médiate­ment l'existence d'une substance inactive, non pensa­nte et non percevante ; je ne le puis ni par déduc­tion probable, ni par conséquence nécessaire. Alors que de moi-même, c'est-à-dire de mon âme ou esprit ou principe pensant, je connais l'existence avec évidence, par réflexion."

 

George Berkeley, Trois dialogues entre Hylas et Philonous, 1713, Troisième dialogue, tr. fr. Geneviève Brykman et Roselyne Dégremont, GF, 1998, p. 174-179 et p. 182-183.


 

  "Une importante raison qui nous incite à postuler l’existence d’un objet physique en plus des témoignages sensoriels est que nous voulons qu’il y ait un même objet pour différentes personnes. Quand dix personnes sont assises autour d’une table pour dîner, il paraît absurde de soutenir qu’elles ne voient pas la même nappe, les mêmes couverts, les mêmes verres. Toutefois, chaque personne a son témoignage sensoriel particulier : ce qui apparaît immédiatement aux yeux de l’un n’est pas immédiatement perçu par l’autre; chacun voit les objets sous un angle un peu différent et par conséquent les voit de façons variées. S’il doit donc exister des objets qui soient les mêmes pour tous, qui puissent en un certain sens être connus de personnes diverses et nombreuses, il doit bien y avoir quelque chose dont l’existence est indépendante des témoignages sensoriels particuliers qui apparaissent aux diverses personnes. Quelle raison avons-nous alors de croire en l’existence de tels objets ?

  La première réponse qui vient naturellement à l’esprit est la suivante : bien que les diverses personnes présentes voient la table de façon légèrement différente, elles voient quand même des choses plus ou moins pareilles, et les variations qui peuvent exister dans leur façons de voir obéissent aux lois de la perspective et de la réflexion de la lumière, si bien qu’il est facile de déterminer l’objet qui cause les diverses réactions sensorielles des diverses personnes présentes. J’ai acheté ma table au précédent locataire de ma chambre ; il n’était pas en mon pouvoir d’acheter aussi les témoignages sensoriels de mon prédécesseur qui s’évanouirent à son départ, mais j’ai pu acheter (et je l’ai fait) la perspective à peu près certaine de réactions sensorielles plus ou moins pareilles aux siennes. Des individus différents éprouvent donc des sensations semblables, et un individu donné en un endroit donné, mais à des moments variés recueille les mêmes témoignages sensoriels ; ce sont ces faits qui nous font supposer qu’au delà des témoignages de nos sens se trouve un objet physique, le même pour tous et permanent, qui cause les réactions sensorielles d’individus différents, à des moments différents."


Russell, Problèmes de philosophie, 1912, Chapitre 2, § 28-29.

 
 

Date de création : 21/01/2007 @ 10:58
Dernière modification : 17/01/2023 @ 14:38
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