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Texte à méditer :  Une vie sans examen ne mérite pas d'être vécue.  Socrate
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Hors des sentiers battus
Les critiques de la notion d'identité personnelle

    "Il est des philosophes qui imaginent que nous sommes à chaque instant intimement conscients de ce que nous appelons notre MOI, que nous en sentons l'existence et la continuité d'existence, et que nous sommes certains, avec une évidence qui dépasse celle d’une démonstration, de son identité et de sa simplicité parfaites. […]

    Pour moi, quand je pénètre le plus intimement dans ce que j'appelle moi-même, je tombe toujours sur une perception particulière ou sur une autre, de chaleur, de froid, de lumière ou d'ombre, d'amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne parviens jamais, a aucun moment, à me saisir moi-même sans une perception et je ne peux jamais rien observer d'autre que la perception. Quand mes perceptions sont absentes pour quelque temps, quand je dors profondément, par exemple, je suis, pendant tout ce temps, sans conscience de moi-même et on peut dire à juste titre que je n'existe pas. Et si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort, si je ne pouvais plus penser, ni éprouver, ni voir, aimer ou haïr après la destruction de mon corps, je serais entièrement anéanti et je ne conçois pas du tout ce qu'il faudrait de plus pour faire de moi une parfaite non-entité."

 


Hume, Traité de la nature humaine, 1740, Livre I, IV, 6, tr. fr. Philippe Baranger et Philippe Saltel, GF, 1995, p. 342-343.



  "Alice ramassa les gants et l'éventail, et, comme il faisait très-chaud dans cette salle, elle s'éventa tout en se faisant la conversation : « Que tout est étrange, aujourd'hui ! Hier les choses se passaient comme à l'ordinaire. Peut-être m'a-t-on changée cette nuit ! Voyons, étais-je la même petite fille ce matin en me levant ? — Je crois bien me rappeler que je me suis trouvée un peu différente. — Mais si je ne suis pas la même, qui suis-je donc, je vous prie ? Voilà l'embarras. » Elle se mit à passer en revue dans son esprit toutes les petites filles de son âge qu'elle connaissait, pour voir si elle avait été transformée en l'une d'elles.
  « Bien sûr, je ne suis pas Ada, » dit-elle. « Elle a de longs cheveux bouclés et les miens ne frisent pas du tout. — Assurément je ne suis pas Mabel, car je sais tout plein de choses et Mabel ne sait presque rien ; et puis, du reste, Mabel, c'est Mabel ; Alice c'est Alice ! — Oh ! mais quelle énigme que cela ! — Voyons si je me souviendrai de tout ce que je savais : quatre fois cinq font douze, quatre fois six font treize, quatre fois sept font — je n'arriverai jamais à vingt de ce train-là. Mais peu importe la table de multiplication. Essayons de la Géographie : Londres est la capitale de Paris, Paris la capitale de Rome, et Rome la capitale de — Mais non, ce n'est pas cela, j'en suis bien sûre ! Je dois être changée en Mabel ! — Je vais tâcher de réciter Maître Corbeau. » Elle croisa les mains sur ses genoux comme quand elle disait ses leçons, et se mit à répéter la fable, d'une voix rauque et étrange, et les mots ne se présentaient plus comme autrefois :

« Maître Corbeau sur un arbre perché,
Faisait son nid entre des branches ;
Il avait relevé ses manches,
Car il était très-affairé.
Maître Renard, par là passant,
Lui dit : « Descendez donc, compère ;
Venez embrasser votre frère. »
Le Corbeau, le reconnaissant,
Lui répondit en son ramage :
« Fromage. » »
  « Je suis bien sûre que ce n'est pas ça du tout, » s'écria la pauvre Alice, et ses yeux se remplirent de larmes. « Ah ! je le vois bien, je ne suis plus Alice, je suis Mabel, et il me faudra aller vivre dans cette vilaine petite maison, où je n'aurai presque pas de jouets pour m'amuser. — Oh ! que de leçons on me fera apprendre ! — Oui, certes, j'y suis bien résolue, si je suis Mabel je resterai ici. Ils auront beau passer la tête là-haut et me crier, « Reviens auprès de nous, ma chérie ! » Je me contenterai de regarder en l'air et de dire, « Dites-moi d'abord qui je suis, et, s'il me plaît d'être cette personne-là, j'irai vous trouver ; sinon, je resterai ici jusqu'à ce que je devienne une autre petite fille. »"


Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, 1865, Chapitre II : La Mare aux larmes.
 

    "La Chenille et Alice se regardèrent pendant un bout de temps. Enfin la chenille retira le calumet de sa bouche et demanda d'une voix languissante et ensommeillée :

"Qui êtes-vous ?" dit la chenille.

Ce n'était pas très encourageant. Alice répondit timidement : "Je... je ne sais pas trop, madame, pour le moment, ... en tout cas, je sais qui j'étais quand je me suis levée ce matin, mais je crois avoir changé plusieurs fois depuis.

- Que voulez-vous dire ? demanda sévèrement la Chenille. Expliquez-vous !

- Je ne peux pas m'expliquer moi-même, voyez-vous, dit Alice, parce que je ne suis plus moi-même.

- Je ne comprends pas, dit la Chenille.

- Je regrette de ne pas pouvoir m'expliquer plus clairement, répondit Alice très poliment, car je ne comprends pas moi même, et changer si souvent de taille en une seule journée, il y a vraiment de quoi vous troubler les idées.

- Il n'y a pas de quoi, dit la Chenille.

- Vous ne savez peut-être pas encore, dit Alice, mais quand vous serez changée en chrysalide -- et cela vous arrivera un jour, vous savez -- et puis en suite quand vous deviendrez un papillon, vous trouverez ça plutôt bizarre, ne croyez-vous pas ?

- Pas du tout, répliqua la Chenille.

- C'est possible, vous changerez peut-être d'avis. Tout ce que je sais c'est qu'à moi, cela paraîtrait bizarre.

- Vous !, dit la Chenille avec mépris. Qui êtes-vous ?

Ce qui les ramena au commencement de leur conversation."
 

Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, 1865, Chapitre V : Le conseil d'une chenille.



    "Mon sentiment, s'il m'arrivait de pousser à l'extrême l'analyse de cette affaire, serait de chercher à éliminer la notion, ou la notation trop simple : "moi". Le moi n'est relativement précis qu'en tant qu'il est une notation d'usage externe. Je dis identiquement : "mes" idées... "mon" chapeau... "mon" médecin... "ma" main.

    Mais changeons la mise au point, rentrons en nous-même. On trouve alors, ou il se trouve, que mes idées me viennent je ne sais comment et je ne sais d'où... Il en est de même de mes impulsions et de mes énergies. Mes idées peuvent me tourmenter comme se combattre entre elles. Moi lutte avec moi. Mais dire mes, mon, ma quand d'autres par ces interventions ou ces présences se comportent comme des phénomènes, ceci montre la nature purement négative de la notation. Je puis renoncer à mon opinion en faveur de la vôtre. Ma douleur, ma sensation la plus intime et la plus vive peut cesser, et, abolie, j'en parlerai encore comme mienne. Elle est cependant devenue un souvenir fonctionnellement identique au souvenir d'une perception quelconque.

    Donc, la notation moi ne désigne rien de déterminé que dans la circonstance et par elle ; et s'il demeure quelque chose, ce n'est que la notion pure de présence, de la capacité d'une infinité de modifications. Finalement, ego se réduit à quoi que ce soit.

    Cette formule paraîtra sans doute moins extraordinaire si l'on observe que ce que nous appelons notre personne et notre personnalité n'est qu'un système de souvenirs et d'habitudes qui peuvent s'effacer de notre mémoire comme on le constate dans certains cas d'aliénation : le malade oublie ce qu'il est, et il ne se reconnaît même plus son propre corps. Mais il n'a pas perdu la notation moi, il dira je, il opposera ce je et ce moi au reste des choses : en d'autres termes, cette notation a gardé sa fonction dans la pensée du sujet".
 

Paul Valéry, Regards sur le monde actuel, 1931, folio, p. 63-64.


 

  "Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s'applique à enchaîner ses mouvements comme s'ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café. Il n'y a rien là qui puisse nous surprendre : le jeu est une sorte de repérage et d'investigation. L'enfant joue avec son corps pour l'explorer, pour en dresser l'inventaire ; le garçon de café joue avec sa condition pour la réaliser.
  Cette obligation ne diffère pas de celle qui s'impose à tous les commerçants : leur condition est toute de cérémonie, le public réclame d'eux qu'ils la réalisent comme une cérémonie, il y a la danse de l'épicier, du tailleur, du commissaire priseur, par quoi ils s'efforcent de persuader à leur clientèle qu'ils ne sont rien d'autre qu'un épicier, qu'un commissaire priseur, qu'un tailleur. Un épicier qui rêve est offensant pour l'acheteur, parce qu'il n'est plus tout à fait un épicier. La politesse exige qu'il se contienne dans sa fonction d'épicier, comme le soldat au garde-à-vous se fait chose-soldat avec un regard direct mais qui ne voit point, qui n'est plus fait pour voir, puisque c'est le règlement et non l'intérêt du moment qui détermine le point qu'il doit fixer (le regard « fixé à dix pas »).
  Voilà bien des précautions pour emprisonner l'homme dans ce qu'il est. Comme si nous vivions dans la crainte perpétuelle qu'il n'y échappe, qu'il ne déborde et n'élude tout à coup sa condition. Mais c'est que, parallèlement, du dedans le garçon de café ne peut être immédiatement garçon de café, au sens où cet encrier est encrier, où le, verre est verre. Ce n'est point qu'il ne puisse former des jugements réflexifs ou des concepts sur sa condition. Il sait bien ce qu'elle « signifie » : l'obligation de se lever à cinq heures, de balayer le sol du débit, avant l'ouverture des salles, de mettre le percolateur en train, etc.
  Il connaît les droits qu'elle comporte : le droit au pourboire, les droits syndicaux, etc. Mais tous ces concepts, tous ces jugements renvoient au transcendant. Il s'agit de possibilités abstraites, de droits et de devoirs conférés à un « sujet de droit ». Et c'est précisément ce sujet que j'ai à être et que je ne suis point. Ce n'est pas que je ne veuille pas l'être ni qu'il soit un autre. Mais plutôt il n'y a pas de commune mesure entre son être et le mien. Il est une « représentation » pour les autres et pour moi-même, cela signifie que je ne puis l'être qu'en représentation.
  Mais précisément si je me le représente, je ne le suis point, j'en suis séparé, comme l'objet du sujet, séparé par rien, mais ce rien m'isole de lui, je ne puis l'être, je ne puis que jouer à l'être, c'est-à-dire m'imaginer que je le suis. Et, par là même, je l'affecte de néant. J'ai beau accomplir les fonctions de garçon de café, je ne puis l'être que sur le mode neutralisé, comme l'acteur est Hamlet, en faisant mécaniquement les gestes typiques de mon état et en me visant comme garçon de café imaginaire à travers ces gestes... Ce que je tente de réaliser c'est un être-en-soi du garçon de café, comme s'il n'était pas justement en mon pouvoir de conférer leur valeur et leur urgence à mes devoirs d'état, comme s'il n'était pas de mon libre choix de me lever chaque matin à cinq heures ou de rester au lit quitte à me faire renvoyer."

 

Sartre, L'être et le néant, 1943, éd. Gallimard, coll. Tel, 2003, p. 94-95.


 

  "La destruction de la logique par la reconstitution de sa généalogie emporte avec elle les catégories psychologiques fondées sur cette même logique. Toutes les catégories psychologiques (le moi, l'individu, la personne) viennent de l'illusion de l'identité de substance. Or à la base, cette illusion renvoie à une superstition qui trompe non seulement le sens commun mais aussi les philosophes : c'est la croyance aveugle dans le langage, et plus précisément, dans la vérité des catégories grammaticales. C'est la grammaire (la structure sujet-prédicat) qui a inspiré à Descartes la certitude que le « je » était le sujet de « penser », alors que ce sont plutôt les pensées qui viennent à « moi » : au fond, la foi dans la grammaire exprime tout simplement la volonté d'être la « cause » de ses pensées. Le sujet, le soi, l'individu sont autant de concepts fallacieux, puisqu'ils transforment en substances des unités fictives qui, au départ, n'ont qu'une réalité linguistique."
 
Michel Haar, "Nietzsche and Metaphysical Language", in David Allison (éd.) The New Nietzsche : Contemporary Styles of Interpretation, Delta, New York, 1977, p. 17-18.

 

 

 

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Date de création : 10/02/2007 @ 14:04
Dernière modification : 05/05/2014 @ 17:09
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