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Hors des sentiers battus
Le crime

  "Les critères de définition des déviances changent avec les époques. Les jurisconsultes de l'Ancien Régime définissent le crime comme un comportement contraire à la loi révélée par Dieu, une loi que tout être humain peut retrouver en lui-même grâce aux lumières naturelles de la raison, et cela même si tous les péchés des hommes ne constituent pas des crimes sujets à punition temporel (c'est le cas de la simple fornication, par exemple) et si certains de ces actes offrent beaucoup moins de gravité que les autres. À ces prohibitions de droit naturel, ils ajoutent celles du droit positif (ou droit arbitraire), issues de la volonté des princes, mais qui sont moins importantes à leurs yeux que les premières. Il s'agit donc d`une conception de nature éminemment religieuse, à laquelle se juxtaposent des considérations d'ordre social. Cette conception tend à se laïciser au cours du XVIIIe siècle sous l'influence des Lumières, qui présentent le crime comme une violation de la volonté générale, par conséquent comme une rupture du contrat social ; cette définition s'impose au XIXe siècle. La pensée marxiste voit ensuite dans la justice un moyen pour les classes dirigeantes d'opprimer les classes populaires ; dans cette optique, les définitions juridiques sont présentées comme des productions étatiques mises au service de la classe sociale dominante. Puis, au début du XXe siècle, Émile Durkheim définit le crime comme « un acte qui offense les états forts et définis de la conscience collective », ajoutant qu'« il ne faut pas dire qu'un acte froisse la conscience commune parce qu'il est criminel, mais qu'il est criminel parce qu'il froisse la conscience commune ». Nous ne le réprouvons pas parce qu'il est un crime, mais il est un crime parce que nous le réprouvons : la criminalité apparaît alors comme le produit d'entreprises de moralisation, de normalisation, de sorte que ce n'est pas tant l'infraction qui, en elle-même, est constitutive du fait criminel, que les réactions sociales qu'elle est susceptible d'entraîner ou d'induire, ainsi que l'activité des institutions de police et de justice qui en découle. Poussée jusqu'à son terme, cette théorie mène à nier l'existence même des déviances hors de toute institution de contrôle. En réalité, la définition des infractions et des litiges est le fruit de constructions sociohistoriques datées, imparfaitement traduites par un droit et par une législation qui évoluent au fil du temps sous la pression de l'opinion publique."

 

Benoît Garnot, Histoire de la justice. France, XVIe – XXIe siècle, 2009, Folio histoire, p. 43-44.


 

  "Dans la mesure où la mesure criminelle est obligatoire et est engagée même lorsque la victime préfère oublier et pardonner, elle repose sur des lois dont l' « essence » est que « le crime n'est pas seulement commis contre la victime mais d'abord contre la communauté dont la loi a été violée » - selon un article de Telford Taylor publié dans le New York Times Magazine. Le malfaiteur comparaît en justice parce que son acte a perturbé et gravement mis en danger la communauté dans son ensemble et non, comme dans les affaires civiles, parce qu'il a lésé certains individus qui ont droit à un dédommagement. Dans les affaires criminelles, le dédommagement est d'une tout autre nature ; c'est le corps politique lui-même qui doit être « dédommagé » et c'est l'ordre public dans son ensemble qui a été perturbé et doit être en quelque sorte rétabli. En d'autres termes, c'est la loi, et non le plaignant, qui doit prévaloir."

 

Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, 1963, Épilogue, tr. fr. Anne Guérin, revue par M.-I. Brudny de Launay, Gallimard, Quarto, 2005, p. 1270.



  "Les comportements punissables peuvent être minimisés en créant des circonstances dans lesquelles il est peu probable qu'ils se produisent. Le modèle archétypal est le cloître. Dans un monde dans lequel seuls des aliments simples sont disponibles et en quantité modérée, personne n'est soumis à la sanction naturelle de trop manger, ou à la sanction sociale de désapprobation, ou à la sanction religieuse de la gourmandise comme péché véniel. Le comportement hétérosexuel est impossible lorsque les sexes sont séparés, et le comportement sexuel indirect évoqué par la pornographie est impossible en l'absence de matériel pornographique."

 

B. F. Skinner, Par-delà la liberté et la dignité, 1971, tr. fr. M. Richelle, Robert Laffont, 1973, p. 82.

 

  "Punishable behaviour can be minimized by creating circumstances in which it is not likely to occur. The archetypal pattern is the cloister. In a world in which only simple foods are available, and in moderate supply, no one is subject to the natural punishment of overeating, or the social punishment of disapproval, or the religious punishment of gluttony as a venial sin. Heterosexual behaviour is impossible when the sexes are segregated, and the vicarious sexual behaviour evoked by pornography is impossible in the absence of pornographic material."

 

B. F. Skinner, Beyond freedom and dignity, 1971, Pelican Books, 1973, p. 67.



  "Le crime est la transposition juridique de ce qui, avant la loi, est vécu comme offense (entre individus, groupes ou dans, peu importe). L'offensé ne l'est pas en vertu du caractère criminel de l'acte, mais en vertu simplement de la violence qu'il subit. De là la disproportion de la riposte, que ne fonde aucune mesure commune. C'est au contraire cette mesure commune que le crime, sitôt introduit dans le monde, substitue à l'offensé : le crime est crime devant la loi des hommes ou des dieux, mais non pas crime devant quelqu'un seulement. L'offense n'est que relativement mauvaise, au sens où elle n'existe qu'en relation ; le crime l'est absolument sitôt que la loi le pose. La notion de crime relève d'un codage institutionnel des rapports de forces entre familles, clans, tribus, et il contient un degré d'abstraction supplémentaire par rapport à l'offense, qui elle-même était déjà une abstraction : ce n'est pas la douleur de la gifle qui la rend offensante, mais l'événement immatériel qu'elle constitue. Le crime fait donc exister l'offense sans l'offensé, dont il n'a plus besoin, et qu'il prive ainsi de la possibilité de se venger. Le crime devant la loi ôte à l'offense le caractère arbitraire, passionnel, démesuré qu'elle avait dans la sphère de la vengeance. Elle pose et fixe les termes d'une offense en général."

 

Cédric Lagandré, La Société intégrale, 2009, Flammarion Climats, p. 33-34.
 

 


Date de création : 09/04/2007 @ 11:40
Dernière modification : 13/12/2025 @ 07:51
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