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Texte à méditer :   De l'amibe à Einstein, il n'y a qu'un pas.   Karl Popper
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Hors des sentiers battus
Le temps de travail ; le rythme du travail

  "Chacun est libre d'occuper à sa guise les heures comprises entre le travail, le sommeil et les repas, non pour les gâcher dans les excès et la paresse, mais afin que tous, libérés de leur métier, puissent s'adonner à quelque bonne occupation de leur choix. La plupart consacrent ces heures de loisir à l'étude. Chaque jour en effet des leçons accessibles à tous ont lieu avant le début du jour, obligatoires pour ceux-là seulement qui ont été personnellement destinés aux lettres. Mais, venus de toutes les professions, hommes et femmes y affluent librement, chacun choisissant la branche d'enseignement qui convient le mieux à sa forme d'esprit. Si quelqu'un préfère consacrer ces heures libres, de surcroît, à son métier, comme c'est le cas pour beaucoup d'hommes qui ne sont tentés par aucune science, par aucune spéculation, on ne l'en détourne pas. Bien au contraire, on le félicite de son zèle à servir l'État.
  Après le repas du soir, on passe une heure à jouer, l'été dans les jardins, l'hiver dans les salles communes qui servent aussi de réfectoire on y fait de la musique, on se distrait en causant. Les Utopiens ignorent complètement les dés et tous les jeux de ce genre, absurdes et dangereux. Mais ils pratiquent deux divertissements qui ne sont pas sans ressembler avec les échecs. L'un est une bataille de nombres où la somme la plus élevée est victorieuse ; dans l'autre, les vices et les vertus s'affrontent en ordre de bataille.[... ]
  Arrivés à ce point il nous faut, pour nous épargner une erreur, considérer attentivement une objection. Si chacun ne travaille que six heures, penserez-vous, ne risque-t-on pas inévitablement de voir une pénurie d'objets de première nécessité ?
  Bien loin de là, il arrive souvent que cette courte journée de travail produise non seulement en abondance, mais même en excès, tout ce qui est indispensable à l'entretien et au confort de la vie. Vous me comprendrez aisément si vous voulez bien penser à l'importante fraction de la population qui reste inactive chez les autres peuples, la presque totalité des femmes d'abord, la moitié de l'humanité; ou bien, là où les femmes travaillent, ce sont les hommes qui ronflent à leur place. Ajoutez à cela la troupe des prêtres et de ceux qu'on appelle les religieux, combien nombreuse et combien oisive ! Ajoutez-y tous les riches, et surtout les propriétaires terriens, ceux qu'on appelle les nobles. Ajoutez-y leur valetaille[1], cette lie de faquins[2] en armes et les mendiants robustes et bien portants qui inventent une infirmité pour couvrir leur paresse. Et vous trouverez, bien moins nombreux que vous ne l'aviez cru, ceux dont le travail procure ce dont les hommes ont besoin.
  Demandez-vous maintenant combien il y en a parmi eux dont l'activité a une fin véritablement utile. Nous évaluons toutes choses en argent, ce qui nous amène à pratiquer quantité d'industries totalement inutiles et superflues, qui sont simplement au service du luxe et du plaisir. Cette multitude des ouvriers d'aujourd'hui, si elle était répartie entre les quelques branches qui utilisent vraiment les produits de la nature pour le bien de tous, elle créerait de tels surplus que l'avilissement des prix empêcherait les ouvriers de gagner leur vie. Mais que l'on affecte à un travail utile tous ceux qui ne produisent que des objets superflus et, en plus, toute cette masse qui s'engourdit dans l'oisiveté et la fainéantise, gens qui gaspillent chaque jour, du travail des autres, le double de ce que le producteur lui-même consomme pour son propre compte : vous verrez alors combien il faut peu de temps pour produire en quantité nécessaire les choses indispensables ou simplement utiles, sans même négliger ce qui peut contribuer au plaisir, pourvu que celui-ci soit sain et naturel."

 

Thomas More, L'Utopie, 1516, tr. fr. Marie Delcourt, GF, 1987, p. 149-151.


[1] Terme péjoratif pour désigner les domestiques.
[2] Hommes méprisables et impertinents.


 

  "À mesure que la grande production se développe, la création de richesses dépend de moins en moins du temps de travail et de la quantité de travail fourni, et de plus en plus de la puissance des agents mécaniques qui sont mis en mouvement pendant la durée du travail. L'énorme efficience de ces agents est à son tour, sans aucun rapport avec le temps de travail immédiat que coûte leur production. Elle dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie ou de l'application de cette science à la production. (Le développement de cette science - en particulier de la science de la nature ainsi que de toutes les autres sciences - est bien sûr fonction du développement de la production matérielle.) L'agriculture, par exemple, devient une simple application de la science du métabolisme matériel, et de sa régulation optimale pour l'ensemble du corps social. La richesse réelle se développe maintenant, d'une part, grâce à l'énorme disproportion entre le temps de travail fourni et son produit et, d'autre part, grâce à la disproportion qualitative entre le travail, réduit à une pure abstraction, et la puissance du procès de production qu'il surveille : c'est ce que nous révèle la grande industrie. Le travail ne se présente pas tellement comme une partie constitutive du procès de production. L'homme se comporte bien plutôt comme un surveillant et un régulateur vis-à-vis du procès de production. (Cela vaut non seulement pour la machinerie, mais encore pour la combinaison des activités humaines et pour le développement de la circulation entre les individus.) Le travailleur n'insère plus comme intermédiaire entre le matériau et lui l'objet naturel transformé en outil ; il insère à présent le procès naturel qu'il transforme en un procès industriel, comme intermédiaire entre lui et toute la nature dont il s'est rendu maître. Mais lui-même trouve place à côté du procès de production au lieu d'en être l'agent principal. Avec ce bouleversement, ce n'est ni le temps de travail fourni, ni le travail immédiat effectué par l'homme qui apparaissent comme le fondement principal de la production de richesses ; c'est l'appropriation de sa force productive générale, son intelligence de la nature et sa faculté de la dominer, dès lors qu'il s'est constitué en corps social ; en un mot le développement de l'individu social représente le fondement essentiel de la production de la richesse [...]
  La production fondée sur la valeur d'échange s'effondre de ce fait, et le procès de production matériel immédiat se voit lui-même dépouillé de sa forme mesquine, misérable et antagonique. C'est alors le libre développement des individualités."

 

Karl Marx, Fondements de la critique de l'économie politique, 1857-1858. Trad R. Dangeville, éd. Anthropos, 1968, p. 221-222.



    "Le journaliste : « - S'il faut une direction à l'usine, est-il indispensable que ce directeur en absorbe à lui seul tous les bénéfices ?

H. Schneider : - ça c'est autre chose! Pensez-vous qu'il ne faut pas de l'argent pour faire marcher une « boîte » comme celle-ci ? A côté du directeur, de la tête, il y a le capitaliste ! qui aboule la forte somme […]. Le capital qui alimente tous les jours les usines avec des outillages perfectionnés, le capital sans lequel rien n'est possible, qui nourrit l'ouvrier lui-même ! Ne représente-t-il donc pas une force qui doit avoir sa part de bénéfices, n'est-il pas une collaboration indispensable qu'il faut intéresser ? [...] Si vous supprimez au capital son intérêt, vous n'en trouverez plus quand vous en aurez besoin ! Ceux qui l'auront le conserveront, c'est tout simple. […]

- L'intervention de l'État ?

- Très mauvaise ! très mauvaise ! Je n'admets pas un préfet dans les grèves ; c'est comme la réglementation du travail des femmes et des enfants ; on met des entraves inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu'on veut défendre, on décourage les patrons de les employer et ça porte presque toujours à côté.

- La journée de 8 heures ?

- Oh ! Je veux bien ! dit M. Schneider, affectant un grand désintéressement, si tout le monde est d'accord ; je serai le premier à en profiter, car je travaille souvent moi-même plus de dix heures par jour... Seulement les salaires diminueront ou le prix des produits augmentera, c'est tout comme ! Au fond, voyez-vous, la journée de huit heures, c'est encore un dada [...]. Pour moi, la vérité, c'est qu'un ouvrier bien portant peut très bien faire ses dix heures par jour et qu'on doit le laisser libre de travailler davantage si cela lui fait plaisir."


Jules Huret, Enquête sur la question sociale : interview de Henri Schneider, Perrin, Paris, 1897.


 

"[…] la rationalisation de Ford consiste non pas à travailler mieux, mais à faire travailler plus. En somme, le patronat a fait cette découverte qu’il y a une meilleure manière d’exploiter la force ouvrière que d’allonger la journée de travail.
  En effet, il y a une limite à la journée de travail, non seulement parce que la journée proprement dite n’est que de vingt-quatre heures, sur lesquelles il faut prendre aussi le temps de manger et de dormir, mais aussi parce que, au bout d’un certain nombre d’heures de travail, la production ne progresse plus. Par exemple, un ouvrier ne produit pas plus en dix-sept heures qu’en quinze heures, parce que son organisme est plus fatigué et qu’automatiquement il va moins vite.
  Il y a donc une limite de la production qu’on atteint assez facilement par l’augmentation de la journée de travail, tandis qu’on ne l’atteint pas en augmentant son intensité.
  C’est une découverte sensationnelle du patronat. Les ouvriers ne l’ont peut-être pas encore bien comprise, les patrons n’en ont peut-être pas absolument conscience ; mais ils se conduisent comme s’ils la comprenaient très bien.
  C’est une chose qui ne vient pas immédiatement à l’esprit, parce que l’intensité du travail n’est pas mesurable comme sa durée.
  Au mois de juin, les paysans ont pensé que les ouvriers étaient des paresseux parce qu’ils ne voulaient travailler que quarante heures par semaine ; parce qu’on a l’habitude de mesurer le travail par la quantité d’heures et que cela se chiffre, tandis que le reste ne se chiffre pas.
  Mais l’intensité du travail peut varier. Pensez, par exemple, à la course à pied et rappelez-vous le coureur de Marathon tombé mort en arrivant au but pour avoir couru trop vite. On peut considérer cela comme une intensité-limite de l’effort. Il en est de même dans le travail. La mort, évidemment, c’est l’extrême limite à ne pas atteindre, mais tant qu’on n’est pas mort au bout d’une heure de travail, c’est, aux yeux des patrons, qu’on pouvait travailler encore plus. C’est ainsi également qu’on bat tous les jours de nouveaux records sans que personne ait l’idée que la limite soit encore atteinte. On attend toujours le coureur qui battra le dernier record. […]
  Il n’y a donc aucune limite à l’augmentation de la production en intensité."

 

Simone Weil, La Condition ouvrière, 1937, Idées Gallimard, 1976, p. 305-307.



  "Mon maître, Oskar Heinroth, avait l'habitude de dire en plaisantant : « À côté des plumes du faisan argus, le produit le plus stupide de la sélection uniquement intra espèce est, en Occident, le rythme de travail de l'homme civilisé. » L'existence sans répit dans laquelle s'est précipitée notre humanité industrialisée et commercialisé fournit, en effet, un excellent exemple d'une évolution, œuvre exclusive de la concurrence entre congénères et qui manque son but. Les hommes d'aujourd'hui souffrent de la maladie des managers, d'hypertension artérielle, d'atrophie rénale et d'ulcères d'estomac ; ils sont torturés par des névroses, ils retombent à l'état de barbarie parce qu'il ne leur reste plus de temps pour des intérêts d'ordre culturel. Et tout cela peut être évité ; rien ne les empêche en fait, de s'arranger entre eux pour travailler dorénavant un peu plus lentement. Théoriquement au moins car, dans la pratique, ils ne s'en passent pas plus facilement que les faisans argus de leurs longues plumes."

 

Konrad Lorenz, L'Agression, une histoire naturelle du mal, 1963, tr. fr. Vilma Fritsch, Champs sciences, 2010, p. 47.



  "Il est à peu près certain que la tendance naturelle de l'homme, telle qu'elle se manifeste dans les sociétés primi­tives, est de travailler jusqu'à ce qu'un volume donné de consommation soit atteint. Ensuite, il se détend, se livre au sport, à la chasse, à des cérémonies orgiaques ou propitia­toires ou à d'autres formes de divertissement physique ou de perfectionnement spirituel. Cette tendance de l'homme primi­tif à combler ses désirs a fait, et fait encore de nos jours, le désespoir de ceux qui se considèrent comme des agents de la civilisation. Ce que l'on appelle le développement économique consiste, et très largement, à imaginer une stratégie qui per­mettra de vaincre la tendance des hommes fi imposer des limites à leurs objectifs en ce qui touche leurs revenus, donc des limites à leurs efforts. Certains produits impliquant une accoutumance physique, ont été tenus pendant longtemps pour particulièrement utiles à cet égard : c'est ce qui explique la valeur que l'on a attaché, dans les premières phases de la civilisation moderne, au tabac, à l'alcool, au coca et à l'opium, prix qu'ils n'ont pas entièrement perdu à l'heure actuelle. Néanmoins, il paraît plus normal aujourd'hui de rechercher des biens qui, par leur nouveauté, mettent en œuvre la vanité, l'émulation et la compétition, comme c'est le cas des articles dont on peut se parer ou faire étalage. Si les besoins ali­mentaires et le logement sont assez vite satisfaits, surtout sous d'heureux climats, on ne sait jamais où prend fin la pression de l'émulation et de la compétition dès qu'il s'agit de faire parade de ce que l'on possède. Il n'y a pas si longtemps, les fermiers californiens et les professionnels de l'embauchage incitaient les ouvriers philippins à dépenser des sommes folles pour s'habiller. La pression des dettes, jointe à l'émulation - chacun tentant de surclasser les congénères les plus extra­vagants - transforma rapidement cette race heureuse et nonchalante en une force de travail moderne sur laquelle on pouvait faire fond."

 

John Kenneth Galbraith, Le Nouvel État industriel, 1967, tr. fr. J.-L. Crémieux-Brilhac et Maurice Le Nan, Gallimard, coll. ''Bibliothèque des Sciences Humaines", 1968, p. 276-277.


 
  "Il y a là un préjugé tenace, curieusement coextensif à l'idée contradictoire et non moins courante que le Sauvage est paresseux. Si dans notre langage populaire on dit « tra­vailler comme un nègre », en Amérique du Sud en revanche on dit « fainéant comme un Indien ». Alors, de deux choses l'une ou bien l'homme des sociétés primitives, américaines et autres, vit en économie de subsistance et passe le plus clair de son temps dans la recherche de la nourriture ; ou bien il ne vit pas en économie de subsistance et peut donc se permettre des loisirs prolongés en fumant dans son hamac. C'est ce qui frappa, sans ambiguïté, les premiers observateurs européens des Indiens du Brésil. Grande était leur réprobation à constater que des gaillards pleins de santé préféraient s'attifer comme des femmes de peintures et de plumes au lieu de transpirer sur leurs jardins. Gens donc qui ignoraient délibérément qu'il faut gagner son pain à la sueur de son front. C'en était trop, et cela ne dura pas : on mit rapidement les Indiens au travail, et ils en périrent. Deux axiomes en effet paraissent guider la marche de la civilisation occidentale, dès son aurore le premier pose que la vraie société se déploie à l'ombre protectrice de l'État ; le second énonce un impératif catégorique : il faut travailler. Les Indiens ne consacraient effectivement que peu de temps à ce que l'on appelle le travail. Et ils ne mouraient pas de faim néanmoins. Les chroniques de l'époque sont una­nimes à décrire la belle apparence des adultes, la bonne santé des nombreux enfants, l'abondance et la variété des ressources alimentaires. Par conséquent, l'économie de sub­sistance qui était celle des tribus indiennes n'impliquait nullement la recherche angoissée, à temps complet, de la nourriture. Donc une économie de subsistance est compatible avec une considérable limitation du temps consacré aux activités productives. Soit le cas des tribus sud-américaines d'agriculteurs, les Tupi-Guarani par exemple, dont la fai­néantise irritait tant les Français et les Portugais. La vie économique de ces Indiens se fondait principalement sur l'agriculture, accessoirement sur la chasse, la pêche et la collecte. Un même jardin était utilisé pendant quatre à six années consécutives. Après quoi on l'abandonnait, en raison de l'épuisement du sol ou, plus vraisemblablement, de l'in­vasion de l'espace dégagé par une végétation parasitaire difficile à éliminer. Le gros du travail, effectué par les hommes, consistait à défricher, à la hache de pierre et par le feu, la superficie nécessaire. Cette tâche, accomplie à la fin de la saison des pluies, mobilisait les hommes pendant un ou deux mois. Presque tout le reste du processus agricole — planter, sarcler, récolter —, conformément à la division sexuelle du travail, était pris en charge par les femmes. Il en résulte donc cette conclusion joyeuse : les hommes, c'est-à-dire la moitié de la population, travaillaient environ deux mois tous les quatre ans ! Quant au reste du temps, ils le vouaient à des occupations éprouvées non comme peine mais comme plaisir : chasse, pêche ; fêtes et beuveries ; à satisfaire enfin leur goût passionné pour la guerre.
  Or ces données massives, qualitatives, impressionnistes trouvent une confirmation éclatante en des recherches récen­tes, certaines en cours, de caractère rigoureusement démons­tratif, puisqu'elles mesurent le temps de travail dans les sociétés à économie de subsistance. Qu'il s'agisse de chasseurs-nomades du désert du Kalahari ou d'agriculteurs sédentaires amérindiens, les chiffres obtenus révèlent une répartition moyenne du temps quotidien de travail inférieure à quatre heures par jour. J. Lizot, installé depuis plusieurs années chez les Indiens Yanomami d'Amazonie vénézuélienne, a chronométriquement établi que la durée moyenne du temps consacré chaque jour au travail par les adultes, toutes acti­vités comprises, dépasse à peine trois heures. Nous n'avons point nous-mêmes effectué de mesures analogues chez les Guayaki, chasseurs nomades de la forêt paraguayenne. Mais on peut assurer que les Indiens, hommes et femmes, passaient au moins la moitié de la journée dans une oisiveté presque complète, puisque chasse et collecte prenaient place, et non chaque jour, entre 6 heures et 11 heures du matin environ. Il est probable que des études semblables, menées chez les dernières populations primitives, aboutiraient, compte tenu des différences écologiques, à des résultats voisins."
 
Pierre Clastres, La Société contre l'État, 1974, chapitre 11 : la société contre l'État, Éditions de minuit, 1974, p. 164-166.


 

 "Autour de la question du temps, l'organisation du travail peut agir sur l'économie psychosomatique : l'accélération du rythme de travail donne au salarié le sentiment de perdre le contrôle de ce rythme, au travail comme dans sa vie personnelle.
 L'accélération du rythme de travail a un impact considérable en terme de charge physiologique et mentale : flux tendu, 35 heures, disparition des temps de pause, accélération des cadences. Les cadres, entre téléphone cellulaire, mails, ordinateur portable, ont parfois bien du mal à savoir s'ils « travaillent » ou ne travaillent pas, y compris dans un avion ou un TGV. Et même dans la sphère privée, puisqu'il est de plus en plus fréquent qu'il y ait un coin bureau dans l'appartement ou à la maison.
On aboutit ainsi à la perte complète de la maîtrise du temps. Si autrefois, les salariés n'étaient pas maîtres du temps passé dans l'entreprise, ils l'étaient du temps « hors travail », les soirs, les week-ends, les congés, la retraite. Plus généralement encore, ils pouvaient anticiper le cours de leur vie. Situés clairement dans une grille de qualification, ils savaient à quoi s'attendre en matière d'augmentation de salaire, de promotion. Avec le chômage de masse, mais aussi avec la multiplication des types de contrats de travail atypiques, la généralisation de la sous-traitance et de l'intérim, les remises en question de l'âge de la retraite à travers le nombre requis d'annuités, la situation a profondément changé.
La séparation entre le temps du travail et le temps hors travail est poreuse. Où et quand est-on vraiment dans le « hors travail » ?"
 
Marie Pezé, Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés, 2008, Champs actuel, 2010, p. 143-144.

 

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Date de création : 20/10/2007 @ 14:40
Dernière modification : 12/11/2023 @ 10:16
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