"L'âme et le corps, dans la philosophie scolastique (qui est toujours celle de l'Église romaine), sont des substances. La notion de « substance » dérive de la syntaxe, et la syntaxe dérive de la métaphysique plus ou moins inconsciente des races primitives, qui ont façonné la structure de notre langage. On distingue dans les phrases le sujet et l'attribut, et l'on pense que, si certains mots peuvent être soit sujets, soit attributs, il en existe d'autres qui ne peuvent être que sujets (sans qu'on sache trop ce que cela signifie) - ces mots (dont les noms propres sont le meilleur exemple) sont censés désigner des « substances ». Le terme populaire correspondant est « chose », ou « personne » quand il s'agit d'êtres humains. La notion métaphysique de substance n'est qu'une tentative pour préciser ce que le bon sens entend par une chose ou une personne.
Prenons un exemple. Nous pouvons dire : « Socrate était sage », « Socrate était grec », « Socrate était le maître de Platon », et ainsi de suite ; dans tous ces énoncés, nous attribuons à Socrate des attributs divers. Le mot « Socrate » a exactement le même sens dans toutes ces phrases : l'individu Socrate est donc quelque chose de distinct de ses attributs, quelque chose à quoi les attributs sont dits « inhérer ». La connaissance naturelle nous permet seulement de connaître une chose par ses attributs ; si Socrate avait eu un frère jumeau ayant exactement les mêmes attributs, nous ne pourrions pas les distinguer."
Russell, Science et religion, 1935, tr. fr. P.-R. Mantoux, 1975, Folio essais, pp. 85-86.
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