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Hors des sentiers battus
L'origine sociale du langage

 

"§. 1. L'homme a des organes propres à former des sons articulés.
  Dieu ayant fait l'homme pour être une créature sociable, non seulement lui a inspiré le désir, et l'a mis dans la nécessité de vivre avec ceux de son espèce, mais de plus lui a donné la faculté de parler, pour que ce fût le grand instrument et le lien commun de cette manière qu'ils sont propres à former des sons articulés que nous appelons des mots. Mais cela ne suffisait pas pour faire le langage ; car on peut dresser les perroquets et plusieurs autres oiseaux à former des sons articulés et assez distincts, cependant ces animaux ne sont nullement capables de langage.
  §. 2. Afin de se servir de ces sons pour être signes de ces idées.
   Il était donc nécessaire qu'outre les sons articulés, l'homme fût capable de se servir de ces sons comme de signes de conceptions intérieures, et de les établir comme autant de marques des idées que nous avons dans l'esprit, afin que par là les hommes pussent s'entre-communiquer les pensées qu'ils ont dans l'esprit."

 

John Locke, Essai sur l'entendement humain, 1689, Livre III, chapitre 1, § 1-2, tr. fr. Pierre Coste, Le Livre de Poche, 2009, p. 611.


 

 "PHILALETHE. Dieu, ayant fait l'homme pour être une créature sociable, lui a non seulement inspiré le désir et l'a mis dans la nécessité de vivre avec ceux de son espèce, mais lui a donné aussi la faculté de parler, qui devait être le grand instrument et le lien commun de cette société. C'est de cela que viennent les mots, qui servent à représenter ; et même à expliquer les idées.
 THÉOPHILE. Je suis réjoui de vous voir éloigné du sentiment de M. Hobbes, qui n'accordait pas que l'homme était fait pour la société, concevant qu'on y a été seulement forcé par la nécessité et par la méchanceté de ceux de son espèce. Mais il ne considérait point que les meilleurs hommes, exempts de toute méchanceté, s'uniraient pour mieux obtenir leur but, comme les oiseaux s'attroupent pour mieux voyager en compagnie, et comme les castors se joignent par centaines pour faire des grandes digues, où un petit nombre de ces animaux ne pourrait réussir ; et ces digues leur sont nécessaires, pour faire par ce moyen des réservoirs d'eau ou de petits lacs, dans lesquels ils bâtissent leurs cabanes et pêchent des poissons, dont ils se nourrissent. C'est là le fondement de la société des animaux qui y sont propres, et nullement la crainte de leurs semblables, qui ne se trouve guère chez les bêtes.
 PHILALETHE. Fort bien, et c'est pour mieux cultiver cette société que l'homme a naturellement ses organes façonnés en sorte qu'ils sont propres à former des sons articulés, que nous appelons des mots."
 
Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain, 1703, Livre III, Chapitre 1, GF, p. 213.


 "Quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une communication en vue d'une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate, dans le second, c'est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. Mais, dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. Les choses que le langage décrit ont été découpées dans le réel par la perception humaine en vue du travail humain. Les propriétés qu'il signale sont les appels de la chose à une activité humaine. Le mot sera donc le même, comme nous le disions, quand la démarche suggérée sera la même, et notre esprit attribuera à des choses diverses la même propriété, se les représentera de la même manière, les groupera enfin sous la même idée, partout où la suggestion du même parti à tirer, de la même action à faire, suscitera le même mot."
 
Henri BergsonLa pensée et le mouvant, 1903-1923 , II, éd. Alcan, pp. 99-100, PUF, 1998, p. 86-87.

 


  "Par nature, tout individu vient au monde normalement avec un appareil phonique qui lui permet de s'exprimer et qu'il contrôle lui-même. À cet égard aussi l'homme a par nature non seulement la capacité de s'adapter à la communication avec ses semblables, mais aussi - et toujours par nature - le besoin, il a besoin de la communication sociale pour devenir « homme » au plein sens du terme. La commande de cette forme de relation que constitue le langage et la commande de ses appareils ne sont pas réduites chez l'homme à une étroite gamme de modes d'expression comme ils le sont chez les autres créatures du monde animal ; elle n'est pas aussi étroitement liée au patrimoine héréditaire. Ce qui est fixé héréditairement - par exemple la tonalité ou l'intensité de la voix - sert seulement de cadre à une multitude infinie de possibilités d'expression.
On peut discuter pour savoir dans quelle mesure les possibilités d'expression sont limitées par certaines caractéristiques héréditaires, par exemple l'histoire de la société ancestrale. Seules des expériences précises permettraient de déterminer par exemple si dans la formation des sons chez un Africain il reste encore un écho de celle de ses ancêtres, même s'il est élevé dès le premier jour de sa vie sans autre contact avec les membres de sa société d'origine, au sein d'une société qui a une langue complètement différente et si toutes ses relations instinctives, levier principal du modelage de la personnalité dans la toute petite enfance, sont des relations avec des membres de la société parlant une autre langue et qui lui apportent en outre une satisfaction normale.
  Mais que ces limites d'adaptabilité soient plus ou moins étroites, le fond reste le même : la langue que fait sienne progressivement l'appareil phonique d'un individu dépend de la société dans laquelle il grandit. Et les tournures personnelles, le style de discours plus ou moins individuel que la personne peut avoir en tant qu'adulte sont une variante du médium que constitue la langue dans laquelle elle a été élevée ; elles sont fonction de l'histoire individuelle à l'intérieur du groupe social et de l'histoire de ce groupe."

 

Norbert Elias, La société des individus, 1939, in La société des invididus, tr. Fr. Jeanne Étoré, Pocket, 1997, p. 79.


 

 
 "[…] le langage est construit, il y a un vocabulaire délimité, une syntaxe, des locutions, une orthographe… Il est donc à la fois normatif, et fonction de normes que le parlant n'a pas établies. On apprend à parler. Quelqu'un, un, des adultes nous apprennent le langage. Donc on nous cadre. On nous modèle. On nous enferme. Dès que j'apprends une langue, je suis privé de ma liberté. Ma liberté de quoi ? Eh bien de créer ex nihilo ma propre langue. Et c'est une privation inacceptable, une violation du plus sacré de mes droits, celui de me faire moi-même.
On me fait entrer dans un schéma déjà préparé, on m'apprend à parler selon un certain modèle. Scandale. Je hais cette parole simplement parce que moi adulte je me retourne vers mon enfance, et je m'aperçois que je ne peux plus revenir au stade de l'ingénuité absolue, où rien n'était préfixé, où tous les possibles, absolument tous étaient ouverts. On m'a enlevé ces possibles. J'ai été mis par le langage dans une conduite forcée. J'ai été frustré. Je suis frustré de la création de mon propre langage. On a exercé un pouvoir sur moi alors que j'étais innocent et sans défense. Langage instrument de pouvoir. Dans cette sublime protestation, on néglige seulement une chose : c'est que la parole ne consiste pas à pousser des hurlements inarticulés, dans le vent de la mer, mais elle est, elle n'est que véhicule de l'un à l'autre, relation d'un homme à un homme, et s'il y a relation, il faut bien qu'il y ait un code, une entente sur la valeur des sons et des signes. Sans quoi aucune relation, aucune communication, aucun rapport ne sont possibles. Et il n'y a pas du tout langage sans cela. La frénésie de nous situer au degré zéro est une simple imbécillité. Le langage puisqu'il est langage est forcément un déjà-là. Exactement comme le Contrat social de Rousseau n'est jamais le pacte initial, il est toujours un déjà-là. Et si nous refusons le déjà-là, eh bien, il n'y a pas de langage."
 
Jacques Ellul, La parole humiliée, 1981, Éditions du Seuil, p. 192-193.

 

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Date de création : 29/01/2010 @ 16:00
Dernière modification : 05/10/2016 @ 13:10
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