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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Hors des sentiers battus
Organisation et structure sociales

  "Nous devons lever une confusion, celle qui consiste à confondre organisation et organisme. Le fait qu’une société est organisée - et il n’y a pas de société sans un minimum d’organisation - ne veut pas dire qu’elle est organique ; je dirais volontiers que l’organisation au niveau de la société est plutôt de l’ordre de l’agencement que de l’ordre de l’organisation organique, car ce qui fait l’organisme, c’est précisément que sa finalité sous forme de totalité lui est présente et est présente à toutes les parties [...]. Une société n’a pas de finalité propre ; une société, c’est un moyen ; une société est plutôt de l’ordre de la machine ou de l’outil que de l’ordre de l’organisme. [...]
  N’étant ni un individu ni une espèce, la société, être d’un genre ambigu, est machine autant que vie, et, n’étant pas sa fin en elle-même, elle représente simplement un moyen, elle est un outil. Par conséquent, n’étant pas un organisme, la société suppose et même appelle des régulations ; il n’y a pas de société sans régulation, il n’y a pas de société sans règle, mais il n’y a pas dans la société d’autorégulation. La régulation y est toujours, si je puis dire, surajoutée, et toujours précaire.
  De sorte qu’on pourrait se demander sans paradoxe si l’état normal d’une société ne serait pas plutôt le désordre et la crise que l’ordre et l’harmonie. En disant « l’état normal de la société », je veux dire l’état de la société considérée comme machine, l’état de la société considérée comme outil. C’est un outil toujours en dérangement parce qu’il est dépourvu de son appareil spécifique d’autorégulation. En disant « l’état normal », je n’ai pas voulu dire l’idéal de la vie humaine. L’idéal de la vie humaine n’est ni le désordre ni la crise. Mais c’est précisément pourquoi la régulation suprême dans la vie sociale, qui est la justice, la régulation suprême, même s’il y a dans la société des institutions de justice, ne figure pas sous la forme d'un appareil qui serait produit par la société elle-même.
 
Il faut que la justice vienne d’ailleurs, dans la société. [...]
  La justice ne peut pas être une institution sociale, elle n'est pas une régulation inhérente à la société, la justice est tout à fait autre chose."

 

 

Georges Canguilhem, "Le problème des régulations dans l'organisme et la société",1955, in Écrits sur la médecine, Éd. du Seuil, 2002, p. 120-123.


 

  "Le village circulaire de Kejara est tangent à la rive gauche du RioVermelho. Celui-ci coule dans une direction approximative est-ouest. Un diamètre du village, théoriquement parallèle au fleuve, partage la population en deux groupes : au nord, les Cera (prononcer tchéra ; je transcris tous les termes au singulier), au sud les Tugaré. Il semble – mais le point n'est pas absolument certain – que le premier terme signifie : faible, et le second : fort. Quoiqu'il en soit, la division est essentielle pour deux raisons : d'abord, un individu appartient toujours à la même moitié que sa mère, ensuite, il ne peut épouser qu'un membre de l'autre moitié. Si ma mère est cera, je le suis aussi et ma femme sera tugaré.
  Les femmes habitent et héritent les maisons où elles sont nées. Au moment de son mariage, un indigène masculin traverse donc la clairière, franchit le diamètre idéal qui sépare les moitiés et s'en va résider de l'autre côté. La maison des hommes tempère de déracinement puisque sa position centrale empiète sur le territoire des deux moitiés. Mais les règles de résidence expliquent que la porte qui donne en territoire cera s'appelle porte tugaré, et celle en territoire tugaré porte cera. En effet, leur usage est réservé aux hommes, et tous ceux qui résident dans un secteur sont originaires de l'autre et inversement.
  Dans les maisons de famille, un homme marié ne se sent donc jamais chez lui : sa maison où il est né et où s'attachent ses impressions d'enfance est située de l'autre côté : c'est la maison de sa mère et de ses sœurs, maintenant habitée par leurs maris. Néanmoins, il y retourne quand il veut : sûr d'être toujours bien accueilli. Et quand l'atmosphère du domicile conjugal lui paraît trop lourde (par exemple si ses beaux-frères y sont en visite) il peut aller dormir dans la maison des hommes où il retrouve ses souvenirs d'adolescent, la camaraderie masculine et une ambiance religieuse nullement exclusive de la poursuite d'intrigues avec des filles non mariées.
  Les moitiés ne règlent pas seulement les mariages, mais d'autres aspects de la vie sociale. Chaque fois qu'un membre d'une moitié se découvre sujet de droit ou de devoir, c'est au profit ou avec l'aide de l'autre moitié. Ainsi les funérailles d'un Cera sont conduites par les Tugaré et réciproquement. Les deux moitiés du village sont donc des partenaires, et tout acte social ou religieux implique l'assistance du vis-à-vis qui joue le rôle complémentaire de celui qui vous est dévolu. Cette collaboration n'exclut pas la rivalité : il y a un orgueil de moitié et des jalousies réciproques. Imaginons donc une vie sociale à l'exemple de deux équipes de football qui, au lieu de chercher à contrarier leurs stratégies respectives, s'appliqueraient à se servir l'une l'autre et mesureraient l'avantage au degré de perfection et de générosité qu'elles réussiraient chacune à atteindre.

Village-de-Kejara.jpg

Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, 1955, Chapitre XXII, Pocket, p. 256-257.


 

  "Rappelons rapidement la structure du village bororo. Au centre, la maison des hommes, demeure des célibataires, lieu de réunion des hommes mariés et strictement interdite aux femmes. Tout autour, une vaste friche circulaire ; au milieu, la place de danse, adjacente à la maison des hommes. C'est une aire de terre battue, libre de végétation, circonscrite par des piquets. À travers la broussaille qui couvre le reste, des petits sentiers conduisent aux huttes familiales du pourtour, distribuées en cercle à la limite de la forêt. Ces huttes sont habitées par des couples mariés et leurs enfants. La filiation est matrilinéaire, la résidence matrilocale. L'opposition entre centre et périphérie est donc aussi celle des hommes (propriétaires de la maison collective) et des femmes, propriétaires des huttes familiales du pourtour. Nous sommes en présence d'une structure concentrique, pleinement consciente à la pensée indigène, où le rapport entre le centre et la périphérie exprime deux oppositions, celle entre mâle et  femelle, comme on vient de le voir, et une autre entre sacré et profane : l'ensemble central, formé par la maison des hommes et la place de danse, sert de théâtre à la vie cérémonielle tandis que la périphérie est réservée aux activités domestiques des femmes, exclues par nature des mystères de la religion (ainsi, la fabrication et la manipulation des rhombes qui ont lieu dans la maison des hommes et sont, sous peine de mort, interdites aux regards féminins). Pourtant, cette structure concentrique coexiste avec plusieurs autres, de type diamétral. Le village bororo est d'abord divisé en deux moitiés, par un axe est-ouest qui répartit les huit clans en deux groupes de quatre, ostensiblement exogamiques. Cet axe est recoupé par un autre, qui lui est perpendiculaire dans la direction nord-sud, et qui redistribue les huit clans en deux autres groupes de quatre, dits respectivement « du haut » et « du bas », ou quand le village est en bordure de rivière – « de l'amont » et « de l'aval ». Cette disposition complexe s'impose, non seulement aux villages permanents, mais aux campements improvisés pour la nuit : dans ce dernier cas, les femmes et les enfants s'installent en cercle à la périphérie dans l'ordre de placement des clans, tandis que les jeunes hommes débroussaillent au centre un terrain tenant lieu de maison des hommes et de place de danse."

 

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, tome 1, chap. VIII, Plon, 1958, p. 156-157.

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Date de création : 07/06/2010 @ 17:14
Dernière modification : 30/01/2014 @ 16:45
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