"L'individualisme est une expression récente qu'une idée nouvelle a fait naître. Nos pères ne connaissaient que l'égoïsme.
L'égoïsme est un amour passionné et exagéré de soi-même, qui porte l'homme à ne rien apporter qu'à lui seul et à se préférer à tout.
L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis ; de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même. [...]
L'égoïsme est un vice aussi ancien que le monde. Il n'appartient guère plus à une forme de société qu'à une autre. L'individualisme est d'origine démocratique, et il menace de se développer à mesure que les conditions s'égalisent. [...]
Chaque classe venant à se rapprocher des autres et à s'y mêler, ses membres deviennent indifférents et comme étrangers entre eux. L'aristocratie avait fait de tous les citoyens une longue chaîne qui remontait du paysan au roi ; la démocratie brise la chaîne et met chaque anneau à part.
À mesure que les conditions s'égalisent, il se rencontre un plus grand nombre d'individus qui, n'étant plus assez riches ni assez puissants pour exercer une grande influence sur le sort de leurs semblables, ont acquis cependant ou ont conservé assez de lumières et de biens pour pouvoir se suffire à eux-mêmes. Ceux-là ne doivent rien à personne, ils n'attendent pour ainsi dire rien de personne ; ils s'habituent à se considérer toujours isolément, ils se figurent volontiers que leur destinée toute entière est entre leurs mains.
Ainsi, non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre cœur."
Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome II, deuxième partie, chap. II, Gallimard, Folio-Histoire, Paris, 1999, p.143-145, GF, 1981, p. 125 et 126-127.
"Bien loin qu'on puisse faire dater de l'institution d'un pouvoir despotique l'effacement de l'individu, il faut au contraire y voir le premier pas qui ait été fait dans la voie de l'individualisme. Les chefs sont, en effet, les premières personnalités individuelles qui se soient dégagées de la masse sociale. Leur situation exceptionnelle, les mettant hors de pair, leur crée une physionomie distincte et leur confère par suite une individualité. Dominant la société, ils ne sont plus astreints à en suivre tous les mouvements. Sans doute, c'est du groupe qu'ils tirent leur force ; mais une fois que celle-ci est organisée, elle devient autonome et les rend capables d'une activité personnelle. Une source d'initiative se trouve donc ouverte, qui n'existait pas jusque-là. Il y a désormais quelqu'un qui peut produire du nouveau et même, dans une certaine mesure, déroger aux usages collectifs. L'équilibre est rompu."
Durkheim, De la division du travail social, 1893, Livre I, Chapitre 6, § 4.
"Une des « idées » principales du libéralisme, on le sait, c'est celle de l'« individu », non pas l'individu comme cet être de chair et d'os, non pas comme Pierre distinct de Paul, mais comme cet être qui, parce qu'il est homme, est naturellement titulaire de « droits » dont on peut dresser la liste, droits qui lui sont attachés indépendamment de sa fonction ou de sa place dans la société, et qui le font l'égal de tout autre homme. Aussi familière, ou allant de soi, que cette idée nous apparaisse, un moment d'attention nous convainc qu'en vérité elle devrait nous saisir par son étrangeté. Comment attacher les droits à l'individu en tant qu'individu, puisque le droit règle les relations entre plusieurs individus, puisque l'idée même du droit présuppose une communauté ou une société déjà instituée? Comment fonder la légitimité politique sur les droits de l'individu, puisque celui-ci n'existe jamais comme tel, que dans son existence sociale et politique, il est toujours nécessairement lié à d'autres individus, à une famille, à une classe, à une profession, à une nation? Or, il n'est pas douteux que c'est bien sur cette idée si évidemment « asociale » et « apolitique » que le corps politique libéral a été progressivement construit .Qu'est-ce qu'une élection au suffrage universel en effet, sinon ce moment où chacun se dépouille de ses caractéristiques sociales ou naturelles - revenus, profession, sexe même -, pour n'être plus qu'un « simple individu », où le corps politique se décompose pacifiquement, se fait « état de nature » pour se reconstruire aussitôt à nouveaux frais? Il n'est pas douteux non plus que cet être si évidemment « imaginaire » a tendu de plus en plus à devenir réalité et expérience : les habitants de nos régimes sont devenus de plus en plus autonomes, de plus en plus égaux, se sont sentis de moins en moins définis par leur appartenance familiale ou sociale."
Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, 1987, Hachette littératures, Pluriel, 2008, p. 9-10.
"Un individualisme créateur
Le modèle de référence est plus celui de l'artiste ou du créateur que celui de l'entrepreneur. Il ne faut pas se méprendre sur le ternie « artiste ». Tout individu doit faire de sa vie une « œuvre.» (N. Bourriaud, 2003 ; J.-C. Kaufmann, 2001), en référence non pas à une légitimité culturelle (ce qui reviendrait à réintroduire l'inégalité sociale et culturelle au sein du processus), mais en fonction d'un projet personnel. Autrement dit, l'indépendance acquise par l'émancipation doit être associée à l'autonomie, à la capacité d'avoir son propre 'monde. La rupture avec les autorités, les appartenances, ne doit déboucher ni sur le vide, ni sur l'hétéronomie. Elle doit se traduire par la construction d'un monde personnel, ayant ses propres règles. Cet individualisme créateur n'est pas spontané ; il demande une socialisation apprenant les règles de l'autonomie et la culture civique de l'individualité (M. Walser, 2003). Pour bien construire sa maison, un maçon peut avoir appris auparavant à repérer les différents styles de maisons, les contraintes propres à l'édification des murs, afin de pouvoir choisir en connaissance de cause le modèle qui lui convient et les adaptations nécessaires.
L'individualisme ne se confond pas avec les affirmations gratuites de soi, avec une indépendance vide de tout projet. Cette dernière peut exister, elle est une « déviation » de l'individualisme (G. Lasch, 2000 ; G. Lipovetsky, 1983) si elle n'est pas associée à un horizon de signification. L'indépendance doit servir à l'édification d'un monde personnel, autonome, mettant en œuvre des normes que l'individu se donne. […]
Un individualisme reposant sur la reconnaissance et sur la justice
Au contraire, l'individu singulier acceptera certaines limites à sa propre liberté si et seulement si celles-ci soutiennent son autonomie. Il tente d'équilibrer indépendance et autonomie. Autrement dit, il ne suffit pas à l'individu de dire « je veux », « je suis libre » pour exister en tant que tel, il doit aussi donner un contenu à cette libre volonté. C'est un défi car de nombreux contenus proposés par la société de consommation le rendent trop hétéronome, trop , dépendant - c'est ce que veulent nous dire les hobos modernes. En effet, toutes les traductions en actes de l'individu libre ou indépendant ne sont pas équivalentes, jugées en référence à une certaine conception de l'humain. Reprenons le passage célèbre de l’Oratio de de hominis dignitate de Jean Pic de la Mirandole : « Nous ne t'avons fait céleste ni terrestre, immortel ni mortel, pour que tel un statuaire qui reçoit la charge et l'honneur de sculpter ta propre personne, tu te donnes, toi-même, la forme que tu auras préférée. Tu pourras dégénérer en un de ces êtres inférieurs que sont les bêtes, tu pourras selon les vœux de ton cœur être régénéré en un de ces êtres supérieurs que l'on qualifie de divins3.» Au-delà de l'usage de certains termes contestables, on peut retenir deux idées de affirmation : toute personne est le sculpteur de sa vie, sans disposer de modèle faisant autorité ; et elle jugée selon, son œuvre, réussie ou non. Ainsi entendue, la valorisation de soi n'implique pas l’absence de jugement, le relativisme absolu. Toutes les statues ne se valent pas. Cependant lorsque le langage académique a été mis à mal, comment les évaluer ? La disparition de ces critères traditionnels laisse place plus grande aux publics dans l'estimation des œuvres. D'où le succès, par exemple, des « blogs », marqueurs d'une demande de reconnaissance extérieure. L'expression extérieure de son intimité n'est pas nécessairement une maladie de la modernité, elle signifie avant tout le fait que l’individu, sauf exception a besoin d'être reconnu […].
L'individu n'existe que par les liens sociaux. La différence entre les sociétés individualistes et les sociétés non individualistes ne tient donc pas à la diminution des liens sociaux. Elle réside dans l'importance accordée aux liens plus personnels, plus électifs, plus contractuels. La reconnaissance interpersonnelle est centrale. Toutefois, les autres formes de reconnaissance - juridique, et plus largement statutaire - sont nécessaires à la construction de l'individu contemporain. Idéalement, l'individualisme est une forme de vie en société permettant à chacune, chacun, d'avoir les reconnaissances dont il a besoin pour écrire sa vie, d'avoir les moyens de réaliser, sur le temps de travail pu de loisir, ce qu'il veut produire. L'individualisme est créateur. Une politique de justice doit redistribuer les ressources de telle sorte que chacun puisse composer, recomposer son identité personnelle à travers ses comportements et ses liens. Très concrètement, par exemple, des femmes, responsables de « familles monoparentales » de milieu populaire, souvent en banlieue lointaine, doivent avoir accès à des transports et. des services publics leur permettant de sortir pour reconstruire (si elles le souhaitent) une vie à deux, rencontrer des amies, pour se rendre à un cours de gymnastique ou de musique. Le rêve d'expression et d'épanouissement personnels ne peut pas être réalisé dans le cadre d'une société libérale avancée (au sens économique) pour tous. L'individualisme est, devrait être, aussi, un horizon politique.
La reconnaissance - expression de la liberté et d'une identité émancipée - et la redistribution - expression de l'égalité - sont, ou devraient être sœurs jumelles. Différentes donc, et idéalement inséparables.
Cette opposition, permet d'organiser les formes historiques de l'individualisme. D'un côté, un individualisme qui considère chez tous les .êtres humains ce qui les réunit, ce qui leur est commun, à savoir la raison et 'la commune humanité. C'est pourquoi je nomme cet individualisme « abstrait ». Il est universel. De l'autre côté, un individualisme qui recherche ce qui différencie chacun, son originalité, son caractère unique qui demande un. traitement différencié. On le nommera « individualisme concret »,
Il ne s'agit pas de hiérarchiser ; l'envers les deux manières de voir les individus. L'individualisme « abstrait » et l'individualisme « concret » sont complémentaires. L'individualisme concret, peut très bien conduire, s'il n'est pas tempéré par de l'individualisme abstrait, à des limites, la sollicitude ne s'étendant seulement qu'aux proches. L'individualisme abstrait mérite, lui aussi, d'être tempéré par de l'individualisme concret, sinon il conduit à des impératifs généraux tels qu'il interdit, toute expression personnelle et donc limite considérablement les formes de reconnaissance. L'individualisme est un humanisme si et seulement si il parvient à concilier abstrait et concret, universel et particulier, ce qui réunit tous les êtres humains et ce qui les sépare.
Avant de tracer à grands traits le portrait de ces individualismes, trois remarques :
Historiquement dans la construction de la pensée individualiste, la plupart des auteurs prennent une option l'une ou l'autre de ces orientations. L'individualisme « abstrait » relève surtout de la sphère publique, le « reste » relève de la sphère privée. Longtemps pensées comme dépourvues de la raison, les femmes sont reléguées dans cette sphère (G. Fraisse, 2000). Les ouvrages qu'elles apprécient vantant l'amour et l'attention à autrui - n'ont statut, ni théorique, ni moral, les grands romans d'amour étant à l'index jusqu'à la fin de la première modernité. L'individualisme concret: est invisible à tel point qu'il n'est même pas pensé comme « individualisme », il est rangé ailleurs avec les livres de moindre importance, avec non pas les « essais », mais les « livres de fiction » sur les rayons de l'imaginaire. La pensée abstraite est plus « sérieuse », plus politique que la pensée concrète. La première voit les choses de haut, la seconde prête attention aux « petites » choses. Les termes qui opposent les deux individualismes sont bien ceux qui servent aussi à caractériser le monde masculin et le monde féminin, tels qu'ils ont continué à exister la modernité occidentale. Ce livre rompt avec une telle hiérarchisation pour tendre à une réhabilitation de l'individualisme concret, ne serait-ce qu'en le mettant sur le même plan que l'individualisme abstrait, tout en souhaitant la fin d'une telle association entre le genre et les visions du monde et de l'individu."
François de Singly, L’individualisme est un humanisme, 2005, Ed. de l'Aube, p. 18-21 et 26.
"L'individu a une histoire. Et cette histoire pourrait débuter aux XIVe et XVe siècles. Avec la Renaissance émerge une nouvelle manière de vivre et de concevoir sa destinée dans ce monde. L'individu commence à s'affranchir des tutelles traditionnelles qui pèsent sur son destin. Il ose dire « je ». Le monde social change de centre de gravité : des lois supérieures (le service de Dieu, de l'État, de la famille...), il se tourne vers l'individu et le culte de soi. L'individu devient le but et la norme de toute chose.
Dans les siècles qui vont suivre, l'individualisme ne cessera de s'affirmer. Beaucoup d'analyses convergent pour dire que nos sociétés sont en train de vivre une sorte d'accomplissement de cet individualisme. S'étant de plus en plus affranchi des normes de la religion, de la tutelle de l'Etat, du travail, de la famille, l'individu est désormais seul face à lui-même. Mais il paye cette autonomie au prix fort. L'individu serait en effet déraciné, désocialisé, et dans une perpétuelle et éprouvante quête de soi.
Telle est du moins l'histoire que nous racontent nombre d'auteurs - philosophes, sociologues, anthropologues - qui se sont penchés depuis quelques années sur l'histoire de l'individu.
Introduction : L'individualisme, une invention moderne ?
L'anthropologue Louis Dumont fut le premier à esquisser une généalogie de « l'idéologie individualiste moderne ». Son approche s'appuie sur l'opposition entre « holisme » et « individualisme ». Dans les sociétés « holistes » - il faut entendre par là les sociétés primitives, antiques, médiévales (l'Inde classique lui sert de modèle de référence) -, l'individu n'existe pas. Ou plus exactement, l'individu n'est pas la valeur centrale de l'existence. Dès sa naissance, il est absorbé dans un tissu de liens et de relations de dépendances : la famille, le clan, la caste, l'ethnie... qui vont présider à sa destinée. Qu'il naisse esclave ou noble, intouchable ou membre des hautes castes, l'individu est soumis à des finalités qui le dépassent.
En Inde, une première marque de l'individualisme apparaît avec la figure du « renonçant ». Ce dernier quitte sa famille et sa caste, s'écarte du monde et se consacre à son élévation spirituelle. Dans le christianisme primitif, de tels engagements « hors du monde » existent et expriment aussi cette nouvelle attitude face à la vie. C'est pour L. Dumont une première phase de l'individualisme, un premier détachement par rapport au monde. Après une longue phase de gestation dans le « système de pensée » chrétien, c'est aux XVIIe et XIIIe siècles que l'idéologie individualiste va s'épanouir. À travers les penseurs de la philosophie politique (Thomas Hobbes, John Locke), puis à travers l'esprit des Lumières, les droits de l'individu sont d'affirmer le droit à la sécurité et à la protection (T. Hobbes), et le droit à la propriété (J. Locke).
À travers de multiples vicissitudes, l'individualisme va continuer à se déployer. Même les mouvements totalitaires (le fascisme, le communisme), qui veulent imposer la restauration de la communauté contre l'individualisme, ne sont pour L. Dumont que des « pseudo-holismes » qui continuent à sécréter à leur insu le message individualiste.
Nous serions donc les héritiers d'un mouvement séculaire, qui n'a cessé d'arracher l'individu à l'emprise de la communauté. Alexis de Tocqueville avait donné une description brillante de ce mouvement dans De la démocratie en Amérique (1835-1840).
En 1989, le philosophe canadien Charles Taylor prolonge à sa manière l'étude de la généalogie de l'individu moderne avec Les Sources du moi […]. Son but est de comprendre la formation de « l'intériorité moderne, le sentiment Que nous avons de nous-mêmes en tant qu'êtres dotés de profondeurs intérieures, et la notion qui s'y rattache et selon laquelle nous sommes des "moi" ». Comme L. Dumont, C. Taylor voit dans la Renaissance un moment essentiel de la constitution de l'individualité. La littérature est témoin de cette évolution. Avec ses Confessions, saint Augustin (354-430) avait été un précurseur en explorant les tourments de son « moi intime ». Montaigne (1533-1592) prendra la plume pour oser faire de lui-même l'objet de son étude. Dans ses Essais, il écrit : « Chacun regarde devant soi ; moi, je regarde dedans moi ; je n'ai affaire qu'à moi. » La philosophie de René Descartes marque un autre moment essentiel. Sa pensée repose sur l'affirmation de l'autonomie du moi : Cogito. « Je pense, donc je suis. »
La construction de l'intimité
Les siècles suivants, l'individualisme continue à s'affirmer et à se modifier : « Au tournant du XVIIIe siècle, quelque chose qui ressemble au moi moderne est en train de se former, du moins chez les élites sociales et spirituelles du nord de l'Europe occidentale et de son prolongement américain » note C. Taylor. L'histoire de l'individu passe par l'étude de l'intériorité, de l'intimité, dont C. Taylor cherche à suivre les linéaments à travers les textes de la philosophie classique.
Pour le sociologue Robert Castel, il faut, pour comprendre la « construction de l'individu moderne », se rapporter aussi aux mutations économiques, juridiques et sociales qui l'ont permise. L'avènement de l'individu ne peut être dissocié d'un mouvement plus général, qui passe par la propriété privée et la « propriété de soi » sur le plan juridique. Cette notion de « propriété de soi » a été développée par J. Locke, « l'un des premiers, si ce n'est le premier à développer une théorie de l'individu moderne ». Par « propriété de soi », J. Locke entend le fait qu'en devenant propriétaire, l'individu devient maître de lui-même, qu'il s'approprie son travail et ses moyens d'existence. En outre, à l'époque, les droits de l'individu sont en train de se constituer en Angleterre et se diffuseront ensuite dans toute l'Europe.
La subjectivité ne peut généralement prendre racine qu'à partir d'une base sociale telle que la propriété et les droits politiques. Sans la liberté de mouvement, la liberté de se marier librement, de disposer de son corps, de choisir son métier, la maîtrise de sa vie est impossible: l'individualisme ne peut exister sans « support social » (R. Castel). Ce que Emmanuel Kant nomme « l'autonomie de la volonté » n'existerait pas sans une longue histoire des conquêtes sociales et juridiques.
Les études de L. Dumont, C. Taylor, Michel Foucault, Marcel Gauchet et R. Castel nous enseignent une leçon principale. L'individualisme a une histoire. Le fait d'ériger sa propre vie en tant que norme suprême n'est pas une préoccupation naturelle et universelle. C'est une « construction sociale », une invention liée à des formes sociales particulières.
De là, il faut étudier les différentes façons dont l'individu apparaît et disparaît au gré des situations historiques et des contextes sociaux. Une démarche à mi-chemin entre l'histoire, l'anthropologie et la philosophie."
Jean-François Dortier, "Du je triomphant au moi éclaté", in X. Molenat (dir.), L'individu contemporain, regards sociologiques, Éd. Sciences Humaines, 2006.
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