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Texte à méditer :  L'histoire du monde est le tribunal du monde.
  
Schiller
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Hors des sentiers battus
Vérité et science
  "Ainsi, une théorie vraie, ce n'est pas une théorie qui donne, des apparences physiques, une explication conforme à la réalité ; c'est une théorie qui représente d'une manière satisfaisante un ensemble de lois expérimentales; une théorie fausse, ce n'est pas une tentative d'explication fondée sur des suppositions contraires à la réalité ; c'est un ensemble de propositions qui ne concordent pas avec les lois expérimentales. L'accord avec l'expérience est, pour une théorie physique, l'unique criterium de vérité. [...]
  La physique expérimentale nous fournit les lois toutes ensemble et, pour ainsi dire, sur un même plan, sans les répartir en groupes de lois qu'unisse entre elles une sorte de parenté. Bien souvent, ce sont des causes tout accidentelles, des analogies toutes superficielles, qui ont conduit les observateurs à rapprocher, dans leurs recherches, une loi d'une autre loi. [...].
  La théorie au contraire, en développant les ramifications nombreuses du raisonnement déductif qui relie les principes aux lois expérimentales, établit, parmi celles-ci, un ordre et une classification. [...]
  Ces connaissances classées sont des connaissances d'un emploi commode et d'un usage sûr. Dans ces cases méthodiques où gisent, côte à côte, les outils qui ont un même objet, dont les cloisons séparent rigoureusement les instruments qui ne s'accommodent pas à la même besogne, la main de l'ouvrier saisit rapidement, sans tâtonnements, sans méprise, l'outil qu'il faut. Grâce à la théorie, le physicien trouve avec certitude, sans rien omettre d'utile, sans rien employer de superflu, les lois qui lui peuvent servir à résoudre un problème donné."

 

Pierre Duhem, La Théorie physique, son objet et sa structure, 1906, 1, chap. I, § 1-3, Éd. Vrin, 1981, p. 26 et p. 31-32.



  "Un credo religieux diffère d'une théorie scientifique en ce qu'il prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s'attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d'arriver à une démonstration complète et définitive. Mais, dans une science évoluée, les changements nécessaires ne servent généralement qu'à obtenir une exactitude légèrement plus grande ; les vieilles théories restent utilisables quand il s'agit d'approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une observation plus minutieuse devient possible. En outre, les inventions techniques issues des vieilles théories continuent à témoigner que celles-ci possédaient un certain degré de vérité pratique, si l'on peut dire. La science nous incite donc à abandonner la recherche de la vérité absolue, et à y substituer ce qu'on peut appeler la vérité « technique », qui est le propre de toute théorie permettant de faire des inventions ou de prévoir l'avenir. La vérité « technique » est une affaire de degré : une théorie est d'autant plus vraie qu'elle donne naissance à un plus grand nombre d'inventions utiles et de prévisions exactes. La « connaissance » cesse d'être un miroir mental de l'univers, pour devenir un simple instrument à manipuler la matière. Mais ces implications de la méthode scientifique n'apparaissaient pas aux pionniers de la science : ceux-ci, tout en utilisant une méthode nouvelle pour rechercher la vérité, continuaient à se faire de la vérité elle-même une idée aussi absolue que leurs adversaires théologiens."

 

Bertrand Russell, Science et Religion, 1935, trad. P.-R. Mantoux, Éd

Gallimard, coll. « Folio Essais », 1990, p. 12-13.



  "Qu'elles nous paraissent souvent étranges, les voies qui menèrent à la vérité ! Que de lacets, de détours, de circonvolutions, alors que c'eût été si simple d'aller au plus court ! Un savant s'approche de la vérité, il la flaire, il « brûle », comme on dit dans les jeux enfantins ; on dirait que, l'ayant devinée, il va tendre les mains pour s'en saisir. Mais non, voilà qu'il s'en écarte, pour s'engager résolument dans la mauvaise route. Nous sommes alors tentés d'accuser son manque de perspicacité : comment a-t-il pu se méprendre sur la signification de ces faits si lumineux, si expressifs ? Mais n'oublions pas qu'ils ne le sont qu'à la clarté de tout ce que, depuis, nous avons pu apprendre. Isolés maintenant, détachés, et promus au rang de « preuves », ils étaient alors comme noyés dans l'entourage des faits adventices et contradictoires - rien ne les signalait à l'attention, rien ne marquait d'avance leur valeur privilégiée.
  Il s'en faut bien que l'enrichissement de notre savoir s'accomplisse dans un ordre tout rationnel et logique. Tant de facteurs sont en jeu dans l'entreprise : données fragmentaires qui suggèrent le faux non moins que le vrai, idées préconçues, influences philosophiques ou sociales, interaction des découvertes, retentissement mutuel des diverses disciplines, rôle des progrès techniques, du hasard, du génie personnel, tout cela s'emmêle, s'intrique pour imposer une allure plus ou moins incohérente à la démarche du progrès scientifique.
  Celui-ci, toutefois, ne laisse pas d'être continu. Chaque jour de la science profite à la vérité, car le nombre des faits connus ne cesse pas de s'accroître ; et quant aux interprétations elles-mêmes, si, sur certains points, elles s'engagent dans de mauvaises voies, elles n'en gagnent pas moins, dans l'ensemble, en justesse et en précision.
  De loin en loin, le progrès manifeste une accélération soudaine. Les découvertes se multiplient, les idées s'éclairent. C'est quand surgit une grande théorie, ou une notion toute neuve. Ainsi, dans l'histoire de la biologie, quand s'imposèrent les trois grandes théories : cellulaire (1839), transformiste (1859), mendélienne (1900). À chaque fois se produisit une rupture plus ou moins violente avec le passé."

 
Jean Rostand, Esquisse d'une histoire de la biologie, 1945, Gallimard, collection Idées, p. 228-230.


  "La nouvelle interprétation de la notion même de vérité est une autre des conséquences de cette nouvelle conception de la science [qui apparaît au XVIIe siècle].
  Si la garantie des théories scientifiques ne peut plus être cherchée dans l'assurance aprioriste de leurs principes, il est tout à fait naturel que la science renonce à considérer ces principes comme absolument et éternellement valables. Il est naturel qu'elle accepte que ses propres concepts soient transformables en fonction de la transformation des dispositifs utilisés pour observer l'univers.

  S'opposer à l'introduction de la lunette, ou du microscope, ou encore du microscope électronique parce que ce qu'ils nous font découvrir ne rentre pas dans les vieux schémas conceptuel devient – à la suite de cette transformation de la notion de vérité – tout simplement ridicule. Cela prend l'aspect d'une offense manifeste à l'esprit rationnel de l'homme. Toute vérité doit devenir provisoire, doit accepter d'être toujours soumise à de nouveaux contrôles, à des rectifications, à de profonds changements.
  La notion de vérité immuable est remplacée par celle de « vérité féconde », c'est-à-dire de principe scientifique capable de provoquer de évolutions très rapides, qui battront peut-être en brèche la validité même du principe dont elles sont issues, En d'autres termes, la vérité scientifique est intrinsèquement dialectique, incompatible ave toute prétention d'immobilité. Rester fidèle aux principe a plus de sens : à cette fidélité doit se substituer une fidélité envers l'esprit scientifique qui peut nous conduire – et elle le fait souvent – au renversement de nos théories les plus convenables."

 

Ludovico Geymonat, Galilée, 1957, tr. fr. F.-M. Rosset et S. Martin, Points Sciences, 1992, p. 305-306.


 

  "Puisqu'il est question de vérité, je tiens à préciser que notre but est de découvrir des théories vraies, ou tout au moins des théories qui se rapprochent davantage de la vérité que celles que nous connaissons jusqu'à présent. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous puissions savoir avec certitude si une seule de nos théories explicatives est vraie. Il nous arrive de pouvoir critiquer une théorie explicative et d'établir qu'elle est fausse. Mais une bonne théorie explicative est toujours une anticipation audacieuse de choses à venir. On devrait pouvoir la tester et la critiquer, mais il sera toujours impossible de montrer qu'elle est vraie ; et, pourvu que l'on prenne « probable » dans l'une des nombreuses acceptions qui satisfont aux exigences du calcul des probabilités, il sera toujours impossible de montrer qu'elle est « probable » (c'est-à-dire plus probable que sa négation)."
 

Karl Popper, L'évolution et l'arbre de la connaissance, in La connaissance objective, 1961, trad. J-J Rosat, Champs Flammarion, 1998, p. 396.



  "Peut-être le progrès scientifique n'est-il pas exactement ce que nous avions cru. Mais un certain genre de progrès caractérisera inévitablement l'entreprise scientifique, tant qu'elle survit. Et des progrès d'un autre genre ne sont pas nécessaires à la science. Pour être plus précis, disons que nous devrons peut-être abandonner la notion, explicite ou implicite, selon laquelle les changements de paradigmes amènent les scientifiques, et ceux qui s'instruisent auprès d'eux, de plus en plus près de la vérité.
  Il est temps de remarquer que, jusqu'aux toutes dernières pages de cet essai, le terme vérité n'a figuré que dans une citation de Francis Bacon. Et même dans ces pages, il n'apparaît que parce qu'il est la source de la conviction de l'homme de science que des règles incompatibles ne peuvent pas exister dans la pratique des sciences, sauf durant les révolutions où la tâche principale du groupe est de les éliminer toutes, sauf une. Le processus de développement décrit dans cet essai est un processus d'évolution à partir d'une origine primitive – processus dont les stades successifs sont caractérisés par une compréhension de plus en plus détaillée et précise de la nature. Mais rien de ce qui a été dit ou de ce qui sera dit n'en fait un processus d'évolution vers quoi que ce soit. Cette lacune aura inévitablement gêné de nombreux lecteurs. Nous sommes tous profondément habitués à voir la science comme la seule entreprise qui se rapproche toujours plus d'un certain but fixé d'avance par la nature.
  Mais ce but est-il nécessaire ? Ne pouvons-nous pas rendre compte de l'existence de la science comme de son succès en termes d'évolution, à partir de l'état des connaissances du groupe à n'importe quel moment ? Est-il vraiment utile d'imaginer qu'il y a une manière complète, objective et vraie de voir la nature, le critère approprié de la réussite scientifique étant la mesure dans laquelle elle nous rapproche de ce but ultime ? Si nous pouvions apprendre à substituer l'évolution-à-partir-de-ce-que-nous-savons à l'évolution-vers-ce-que-nous-désirons-savoir, un certain nombre de problèmes agaçants disparaîtraient chemin faisant."

 

Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, 1962, tr. Fr. L. Meyer, Champs Flammarion, 1983, p. 232-233.



  "La vérité dans la science peut être définie comme l'hypothèse de travail la mieux faite pour ouvrir la voie à l'hypothèse de travail suivante, meilleure encore. Le scientifique sait très bien qu'il approche l'ultime vérité seulement en une courbe asymptotique, sans pouvoir jamais l'atteindre. Mais en même temps il se rend compte avec fierté qu'il est effectivement capable de déterminer si telle constatation s'approche plus ou moins de la vérité. Cette capacité, il ne la tire pas de son opinion personnelle ou de l'autorité de quelque individu, mais de l'enchaînement ultérieur des recherches selon des règles universellement acceptées par des hommes appartenant à toutes les cultures et à toutes les familles politiques. Plus que tout autre produit de culture humaine, la connaissance scientifique est la propriété collective de l'humanité tout entière.
  La vérité scientifique est universelle, parce que le cerveau humain la découvre seulement ; il ne la fait pas comme il fait l'art. Même la philosophie n'est probablement pas autre chose que de la poésie, dans le sens original du mot qui vient du verbe grec poiein : faire. La vérité scientifique est abstraite d'une réalité qui existe en dehors et indépendamment du cerveau humain. Cette réalité étant la même pour tous les êtres humains, tous les résultats scientifiques corrects s'accorderont toujours entre eux, quel que soit le milieu national ou politique dans lequel ils ont été conçus. Qu'un scientifique, dans le désir conscient ou inconscient de faire concorder ses résultats avec sa doctrine politique, falsifie et déguise les résultats de son travail, ne serait-ce que très légèrement, la réalité lui opposera un veto implacable. Ainsi, il y a quelques années, existait en Union soviétique une école de généticiens qui, pour des raisons politiques (que j'espère et crois inconscientes) affirmaient avoir démontré l'hérédité des caractères acquis. Ces résultats ne pouvaient être confirmés dans aucune autre partie du monde, et cette situation était extrêmement inquiétante pour ceux qui croient en l'unité de la science et en sa mission mondiale. Aujourd'hui on ne parle plus guère de cette théorie. Les généticiens du monde entier ont de nouveau la même opinion. C'est une petite victoire, mais tout de même une victoire pour la vérité."

 

Konrad Lorenz, L'Agression, une histoire naturelle du mal, 1963, tr. fr. Vilma Fritsch, Champs sciences, 2010, p. 275.


 

  "La connaissance ainsi conçue n'est pas une série de théories cohérentes qui convergent vers une conception idéale ; ce n'est pas une marche progressive vers la vérité. C'est plutôt un océan toujours plus vaste d'alternatives mutuellement incompatibles (et peut-être même incommensurables) ; chaque théorie singulière, chaque conte de fées, chaque mythe faisant partie de la collection force les autres à une plus grande souplesse, tous contribuant, par le biais de cette rivalité, au développement de notre conscience. Rien n'est jamais fixé, aucune conception ne peut être omise d'une analyse complète. C'est Plutarque ou Diogène Laërce, et non Dirac ou von Neumann, qui sont exemplaires pour la présentation d'un savoir conçu de la sorte, dans lequel l'histoire des sciences devient inséparable de la science elle-même – ce qui est essentiel pour permettre son développement ultérieur, tout autant que pour donner un contenu aux théories qui sont les siennes à n'importe quel moment. Experts et profanes, professionnels et dilettantes, fanatiques de la vérité et menteurs – tous sont invités à participer au débat et à apporter leur contribution à l'enrichissement de notre culture."

 

Paul Feyerabend, Contre la méthode, 1975, tr. fr. de l'américain par B. Jurdant et A. Schlumberger, Paris, Le Seuil, 1979, p. 27.



  "Loin d'être un maître solennel et sévère, la vérité est un serviteur docile et obéissant. Le scientifique s'abuse lui-même quand il suppose qu'il est un esprit uniquement voué à la recherche de la vérité. Il ne s'intéresse pas aux vérités triviales qu'il pourrait ressasser sans fin, mais s'occupe de résultats d'observations irréguliers et à facettes multiples, qui ne lui fourniront pas plus que des suggestions pour des structures globales et des généralisations significatives. Il recherche le système, la simplicité et la portée ; et quand il est satisfait sur ces rubriques, il taille la vérité à leur mesure. Il décrète autant qu'il découvre les lois qu'il établit, il dessine autant qu'il discerne les modèles qu'il définit. […] Plutôt que de parler des images comme vraies ou fausses, nous ferions mieux de parler des théories comme correctes ou incorrectes ; car la vérité des lois d'une théorie n'en est qu'une caractéristique particulière et, nous l'avons vu, son importance se trouve souvent écrasée par la puissance, la concision, la portée, le caractère informatif et le pouvoir d'organisation du système global. « La vérité, toute la vérité, rien que la vérité » deviendrait ainsi une règle perverse et paralysante pour un faiseur de monde. Toute la vérité ? Ce serait trop, trop vaste, variable et chargé de banalités. La vérité toute seule ? Ce serait trop peu, car il existe des versions correctes qui ne sont pas vraies – étant soit fausses, soit ni vraies ni fausses – et, même pour des versions vraies, la correction peut importer davantage."

 

Nelson Goodman, Reconceptions en philosophie dans d'autres arts et dans d'autres sciences, 1988, Paris, PUF, 1994, p. 28-29.
 

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Date de création : 19/12/2010 @ 10:13
Dernière modification : 12/11/2023 @ 09:35
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