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Texte à méditer :   Un peuple civilisé ne mange pas les cadavres. Il mange les hommes vivants.   Curzio Malaparte
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Hors des sentiers battus
La notion de norme
  "Quand nous disons qu'une norme est « créée » par un acte, nous nous servons d'une métaphore destinée à exprimer l'idée que cet acte a un sens normatif. Une norme créée par un acte accompli dans l'espace et dans le temps est dite positive et elle se distingue de toutes les normes qui n'ont pas été créées de cette manière, qui n'ont pas été « posées », mais seulement « supposées » par un acte purement intellectuel. Le droit et la morale sont des ordres normatifs positifs si, et dans la mesure où, leurs normes ont été « posées » ou créées par des actes accomplis dans l'espace et dans le temps : coutumes suivies par les membres d'un groupe social, commandements d'un prophète, actes d'un législateur, etc. Une science du droit ou une éthique scientifique ne peuvent avoir pour objet que le droit positif ou une morale positive. Elles ont à décrire des normes positives prescrivant ou autorisant un comportement déterminé et elles peuvent ainsi affirmer que dans telles conditions tel individu doit se comporter de cette manière.
 Toute norme est l'expression d'une valeur : d'une valeur morale s'il s'agit d'une norme de la morale, d'une valeur juridique s'il s'agit d'une norme de droit. Si l'on constate que le comportement d'un individu correspond ou ne correspond pas à une norme positive, on émet un jugement de valeur, mais un tel jugement ne diffère pas essentiellement d'une constatation de fait (ou jugement de réalité), car il se rapporte à une norme positive et par elle à l'acte qui l'a créée. En revanche une norme qui n'a pas été « posée », mais seulement « supposée », n'appartient pas au domaine de la réalité. Un jugement qu'un comportement correspond ou ne correspond pas à une telle norme non positive est un jugement de valeur essentiellement différent du précédent."
 
Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 1953, Ad. Henri Thévenaz, Éd. De La Baconnière, p. 28-29.

    

 "Dans la mesure où le mot de « norme » désigne une prescription ou un ordre la « norme» signifie que quelque chose doit être ou avoir lieu. Son expression linguistique est un impératif ou une proposition normative. L'acte, dont la signification est que quelque chose est ordonné ou prescrit, est un acte de volonté. Ce qui est ordonné ou prescrit est en premier lieu un comportement humain déterminé. Celui qui ordonne ou prescrit quelque chose, veut que quelque chose doit avoir lieu. Le devoir-être, la norme est la signification d'une volonté, d'un acte de volonté et - quand la norme est une prescription ou un commandement -, la signification d'un acte, qui est dirigé vers le comportement d'autrui, d'un acte dont la signification est qu'une autre personne (ou d'autres personnes) doit se comporter d'une manière déterminée."
 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre I, § 3, 1979, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 2.

 

 "Toute norme générale, qui unit une certaine conséquence à une certaine condition, représente une relation entre deux faits qui peut être décrite par l'énoncé d'après lequel une condition déterminée étant réalisée, une conséquence déterminée doit intervenir. Dans la règle, par laquelle la science de la nature décrit le rapport qui existe entre la chaleur et la dilatation d'un corps métallique : « Si on chauffe un corps métallique, il se dilate », la connexion est de condition à conséquence, de cause à effet ; c'est une connexion causale ; la nécessité du rapport est un falloir-être. Il n'est pas possible, dans l'état actuel de nos connaissances, de chauffer un corps métallique sans que celui-ci se dilate, tout en considérant bien entendu que notre expérience peut changer et qu'il faut alors changer aussi notre description de la connexion causale. Cela est aussi exact quand - comme cela arrive souvent dans la physique moderne - la nécessité de la connexion causale vaut non pas comme une nécessité absolue, mais seulement comme une nécessité relative, c'est-à-dire comme une simple probabilité. Il s'agit donc de la chose suivante. : la connexion de cause à effet est décrite dans l'énoncé : si A existe, alors B existe (ou existera).
 Lorsque l'éthique décrit une norme morale générale dans la proposition : « Si quelqu'un est dans le besoin, on doit le secourir », ou si la science du droit décrit une norme juridique générale dans la proposition : « Si quelqu'un a reçu un prêt, il doit le remboursera, alors la connexion de condition à conséquence n'a manifestement pas le caractère d'une nécessité causale. Elle est exprimée par un « devoir-être » et non par un « falloir-être ». C'est une nécessité normative, et non causale. Il est possible que quelqu'un dans le besoin ne soit pas secouru et que quelqu'un ayant reçu un prêt ne le rembourse pas."
 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre 6, § 1,1979, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 27-28.

 

 "On ne peut poser une […] norme que si l'on suppose possible non seulement un être lui correspondant, mais également un être ne lui correspondant pas. Car il est dénué de sens de poser comme obligatoire dans une norme un comportement qui doit avoir lieu nécessairement, sans même qu'on pose une norme, ou qui ne peut pas avoir lieu bien qu'une norme ait été posée, de telle sorte que, dans le premier cas, la violation de la norme est impossible et que dans le second, l'observance de la norme est impossible.Car le but qu'on vise en posant une norme statuant comme obligatoire un certain comportement humain est de provoquer un comportement conforme à la norme par le fait que la représentation mentale qu'on a de la norme devient le motif du comportement qui y est conforme."
 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre 16, 1979, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 72.

 

    "La fonction spécifique d'une norme est le commandement d'un certain comportement. "Commander" est équivalent à "prescrire", à la différence de "décrire". Décrire est la signification d'un acte de connaissance ; "commander" ou "prescrire" est la signification d'un acte de volonté. On décrit quelque chose en énonçant ce qu'il est, et on prescrit quelque chose – en particulier un certain comportement – en exprimant ce qu'il doit être."

 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre 25, § 1, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 125.

 

  "Alors qu'une norme n'est ni vraie ni fausse, l'énoncé sur la validité d'une norme est vrai ou faux. L'énoncé : « En droit autrichien, tout voleur doit être puni d'une peine de prison » est vrai si une telle norme est effectivement valide. La proposition : « En droit autrichien, tout voleur doit être puni d'une peine de prison » est fausse si une telle norme n'est pas valide. La norme morale : « On ne doit pas mentir» n'est ni vraie ni fausse ; mais le jugement de valeur, « mentir est moralement mal » ou « il n'est pas bien de mentir » est vrai, et le jugement de valeur « mentir est normalement bien » ou « il est juste de mentir » est faux, si la norme morale « on ne doit mentir » est valide. « Bien » et « juste » sont des qualités d'un comportement conforme à une norme valide ; « mal » et « incorrect » sont des qualités d'un comportement qui est l'opposé du comportement qui est posé comme obligatoire par la norme ; ce ne sont pas des qualités immédiatement perceptibles par les sens comme le sont le « chaud » et le « froid », mais des qualités d'un comportement que l'on reconnaît en comparant le comportement en question avec le comportement posé comme obligatoire par une norme de droit positif."
 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre 41, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 219.

 

 "Par exemple : Paul rentre de l'école à la maison et dit à son père : « Mon camarade de classe Hugo est mon ennemi, je le déteste. » Là-dessus, le père de Paul lui adresse la norme individuelle suivante : «Tu ne dois pas détester ton ennemi Hugo, mais au contraire l'aimer. » Paul demande alors à son père. « Pourquoi dois-je aimer mon ennemi ? » Autrement dit, il demande pourquoi la signification subjective de l'acte de volonté de son père, qui est aussi sa signification objective, est pour lui une norme obligatoire ou - ce qui signifie la même chose - il demande : quel est le fondement de la validité de cette norme ? À cela, son père répond : « Parce que Jésus a commandé : "Aimez vos ennemis !" » Paul demande alors : « Pourquoi doit-on obéir aux commandements de Jésus ? », c'est-à-dire qu'il demande pourquoi la signification subjective de l'acte de volonté de Jésus est aussi sa signification objective, (c'est-à-dire une norme valide) ou - ce qui signifie la même chose - il demande : quel est le fondement de la validité de cette norme ? La seule réponse possible à cela est : parce qu'en tant que chrétien, on présuppose que l'on doit obéir aux commandements de Jésus. C'est l'énoncé sur cette validité d'une norme, qui doit nécessairement être présupposée dans la pensée d'un chrétien, afin de fonder la validité des normes de la morale chrétienne. C'est la norme fondamentale de la morale chrétienne qui fonde toutes les normes de la morale chrétienne, une norme « fondamentale » parce qu'on ne peut plus poser la question de son fondement de sa validité. Ce n'est pas une norme positive, c'est-à-dire posée par un acte de volonté réel, mais une norme présupposée dans la pensée d'un chrétien, c'est-à-dire une norme fictive."
 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre 59, § 1, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 342.

    

  "On a pu nier qu'un conflit puisse survenir entre deux normes d'ordres normatifs différents - tels un ordre moral et un ordre juridique - en soutenant - comme je l'ai soutenu - que, du point de vue d'un certain ordre normatif, seules sont valides les normes de cet ordre. Dès lors, en cas de conflit entre deux normes appartenant à des ordres normatifs différents (par exemple, l'ordre moral et l'ordre juridique) - du point de vue de l'un des deux ordres - la norme de l'autre ordre qui est en conflit avec une norme de cet ordre n'est pas valide ou l'on ne tient pas compte de sa validité, et vice versa. Mais il n'est pas possible de soutenir une telle thèse. L'ordre moral se rapporte à l'ordre juridique dans la mesure où certaines normes de la morale sont adressées à des individus qui posent le droit en leur prescrivant de poser des normes juridiques ayant un certain contenu ou de s'abstenir de les poser. Un ordre juridique, selon lequel l'homicide volontaire d'un enfant par son père demeure impuni, est, d'un point de vue de la morale moderne en vigueur dans les pays occidentaux, contraire à la morale, moralement mauvais. Il en va de même, du point de vue de la morale qui interdit le meurtre en toutes circonstances, pour un ordre juridique qui prescrit la peine de mort pour un comportement donné. Le droit ne prescrit certes pas une morale d'un certain contenu ; mais en application d'un ordre juridique déterminé, un comportement conforme à une morale déterminée peut être jugé illicite et un comportement contraire à un morale déterminée peut être jugé licite. Le droit et la morale peuvent se rapporter à un seul et même comportement.
  Quand un acte posant une norme juridique (ou l'abstention de cet acte) est une violation d'un ordre moral, la réaction que celui-ci prescrit pour sa violation consiste dans la désapprobation de l'ordre juridique, et non pas dans la suppression de la validité de la norme juridique qui viole l'ordre moral, ou dans la création d'une norme juridique valide conforme à l'ordre moral. La morale ne peut pas plus supprimer la validité d'une norme juridique qu'elle ne peut en poser une qui soit valide. Une des erreurs de la doctrine du prétendu droit naturel - c'est-à-dire des normes d'une morale s'adressant aux individus qui posent le droit - tient à ce qu'elle admet que le droit naturel supprimerait la validité d'une norme d'un ordre juridique positif qui est en conflit avec lui. Il ne peut pas plus le faire que le droit positif ne peut supprimer la validité d'un droit naturel qui est en conflit avec lui. On ne peut pas nier - ni du point de vue de l'ordre moral, ni du point de vue de l'ordre juridique - qu'il peut exister un conflit de normes entre une norme morale et une norme juridique.
  La réaction qu'un ordre juridique prescrit pour le cas où un comportement est conforme à un ordre moral qui est en conflit avec lui, mais qui est illicite, consiste dans la transformation de ce comportement par l'ordre juridique en condition d'une réaction juridique spécifique (peine ou exécution civile) - et un comportement est illicite dans la mesure où il est transformé en condition d'une telle sanction. Mais elle ne consiste pas dans la suppression de la validité de l'ordre moral qui est en conflit avec l'ordre juridique. Le droit ne peut pas supprimer la validité d'une norme morale qui est en conflit avec lui, pas plus que la morale ne peut supprimer la validité d'une norme juridique qui est en conflit avec elle. Du point de vue d'un ordre juridique déterminé, on ne peut pas affirmer qu'une morale qui est en conflit avec une certaine norme de cet ordre ne serait pas valide ou que sa validité n'entrerait pas en considération. Si la norme suivante d'une morale positive. « Les êtres humains ne doivent, en aucune circonstance, tuer d'autres êtres humains » est valide pour les personnes soumises à un ordre juridique positif ; on ne peut pas affirmer que cette norme morale, « du point de vue de l'ordre juridiques qui prescrit la peine de mort, n'est pas valide. La signification de la norme juridique générale qui prescrit la peine de mort est que, sous certaines conditions (par exemple, le meurtre), la peine de mort doit être prononcée, sans tenir compte du fait qu'une norme morale valide interdit de tuer des êtres humains en toutes circonstances. L'absence de prise en considération d'une norme morale valide ne se distingue pas fondamentalement de la dis- position qui impose de prononcer la peine de mort, sans tenir compte du fait que le meurtre a été commis par un homme ou une femme (par opposition à l'ordre juridique qui ne prescrit pour les femmes que des peines de prison et qui excluent pour elles la peine de mort). Poser une norme juridique qui prescrit la peine de mort sans tenir compte de ce qu'une norme morale exclut de tuer des êtres humains en toutes circonstances, est contraire à la morale, doit être moralement désapprouvé et est effectivement désapprouvé. Les efforts existants pour abolir la peine de mort et pour la remplacer par la réclusion en fournissent la preuve.
  Un ordre juridique positif prescrit aux organes d'application du droit, en particulier au juge, d'appliquer seulement les normes de cet ordre juridique, et d'appliquer des normes morales seulement si elles sont déléguées par l'ordre juridique. Il leur est ainsi prescrit, en cas de conflit entre une norme juridique et une norme morale valide, de ne pas appliquer cette norme morale valide. Que la norme morale est néanmoins valide, est illustré par le fait qu'une décision judiciaire en conflit avec une norme morale est moralement désapprouvée."
 
Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Chapitre 57, § 5, tr. fr. Olivier Béaud et Fabrice Malkani, PUF, 1996, p. 289-291.

 

  "Apparaît, à travers les disciplines, le pouvoir de la Norme. Nouvelle loi de la société moderne ? Disons plutôt que depuis le XVIIe siècle, il est venu s’ajouter à d’autres pouvoirs en les obligeant à de nouvelles délimitations ; celui de la Loi, celui de la Parole et du Texte, celui de la Tradition. Le Normal s’établit comme principe de coercition dans l’enseignement avec l’instauration d’une éducation standardisée et l’établissement des écoles normales ; il s’établit dans l’effort pour organiser un corps médical et un encadrement hospitalier de la nation susceptibles de faire fonctionner des normes générales de santé ; il s’établit dans la régularisation des procédés et des produits industriels. Comme la surveillance et avec elle, la normalisation devient un des grands instruments de pouvoir à la fin de l’âge classique. Aux marques qui traduisent des statuts, des privilèges, des appartenances, on tend à substituer ou du moins à ajouter tout un jeu de degrés de normalité, qui sont des signes d’appartenance à un corps social homogène, mais qui sont en eux-mêmes un rôle de classification, de hiérarchisation et de distribution des rangs. En un sens le pouvoir de normalisation contraint à l’homogénéité ; mais il individualise en permettant de mesurer les écarts, de déterminer les niveaux, de fixer les spécialités et de rendre les différences utiles en les ajustant les unes aux autres. On comprend que le pouvoir de la norme fonctionne facilement à l’intérieur d’un système de l’égalité formelle, puisque à l’intérieur d’une homogénéité qui est la règle, il introduit, comme un impératif utile le résultat d’une mesure, tout le dégradé des différences individuelles."
 
Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975, Paris, Gallimard. p.186.
 

Date de création : 10/05/2011 @ 17:52
Dernière modification : 12/01/2014 @ 10:56
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