"Je désire que vous considériez, après cela, que toutes les fonctions que j'ai attribuées à cette machine, comme la digestion des viandes, le battement du coeur et des artères, la nourriture et la croissance des membres, la respiration, la veille et le sommeil ; la réception de la lumière, des sons, des odeurs, des goûts, de la chaleur et de telles autres qualités, dans les organes des sens extérieurs ; l'impression de leurs idées dans l'organe du sens commun et de l'imagination, la rétention ou l'empreinte de ces idées dans la mémoire, les mouvements intérieurs des appétits et des passions ; et enfin les mouvements extérieurs de tous les membres, qui suivent si à propos, tant des actions des objets qui se présentent aux sens, que des passions, et des impressions qui se rencontrent dans la mémoire, qu'ils imitent le plus parfaitement possible ceux d'un vrai homme : je désire, dis-je, que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ni plus ni moins que font les mouvements d'une horloge, ou autre automate, de celle de ses contrepoids et de ses roues ; en sorte qu'il ne faut point à leur occasion concevoir en elle aucune autre âme végétative, ni sensitive, ni aucun autre principe de mouvement et de vie, que son sang et ses esprits, agités par la chaleur du feu qui brûle continuellement dans son coeur, et qui n'est point d'autre nature que tous les feux qui sont dans les corps inanimés".
Descartes, Traité de l'homme, 1634, Édition de la Pléïade, p. 873.
"Et véritablement l'on peut fort bien comparer les nerfs de la machine que je vous décris, aux tuyaux des machines de ces fontaines ; ses muscles et ses tendons, aux autres divers engins et ressorts qui servent à les mouvoir; ses esprits animaux , à l'eau qui les remue, dont le coeur est la source, et les concavités du cerveau sont les regards . De plus, la respiration, et autres telles actions qui lui sont naturelles et ordinaires, et qui dépendent du cours des esprits, sont comme les mouvements d'une horloge, ou d'un moulin, que le cours ordinaire de l'eau peut rendre continus. Les objets extérieurs, qui par leur seule présence agissent contre les organes de ses sens, et qui par ce moyen la déterminent à se mouvoir en plusieurs diverses façons, selon que les parties de son cerveau sont disposées, sont comme des étrangers qui, entrant dans quelques-unes des grottes de ces fontaines, causent eux-mêmes sans y penser les mouvements qui s'y font en leur présence - car ils n'y peuvent entrer qu'en marchant sur certains carreaux tellement disposés, que, par exemple, s'ils approchent d'une Diane qui se baigne, ils la feront cacher dans des roseaux; et s'ils passent plus outre pour la poursuivre, ils feront venir vers eux un Neptune qui les menacera de son trident; ou s'ils vont de quelque autre côté, ils en feront sortir un monstre marin qui leur vomira de l'eau contre la face ; ou choses semblables, selon le caprice des ingénieurs qui les ont faites. Et enfin quand l'âme raisonnable sera en cette machine, elle y aura son siège principal dans le cerveau, et sera là comme le fontainiers qui doit être dans les regards où se vont rendre tous les tuyaux de ces machines, quand il veut exciter, ou empêcher, ou changer en quelque façon leurs mouvements."
Descartes, Traité de l'homme, in Oeuvres t. 1, Garnier, 1963, pp. 390-391.
Parties très petites, et très mobiles, qui meuvent les corps.
[2] Réservoirs d'eau pour les fontaines, où l'on place les robinets.
"J'avais [...] montré quelle doit être la fabrique des nerfs et des muscles du corps humain, pour faire que les esprits animaux étant dedans aient la force de mouvoir ses membres, ainsi qu'on voit que les têtes, un peu après être coupées, se remuent encore et mordent la terre nonobstant qu'elles ne soient plus animées ; quels changements se doivent faire dans le cerveau pour causer la veille, et le sommeil, et les songes ; comment la lumière, les sons, les odeurs, les goûts, la chaleur, et toutes les autres qualités des objets extérieurs y peuvent imprimer diverses idées, par l'entremise des sens ; comment la faim, la soif, et les autres passions intérieures y peuvent aussi envoyer les leurs [...]
Ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes.
Et je m'étais ici particulièrement arrêté à faire voir que s'il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieure d'un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n'aurions aucun moyen pour reconnaître qu'elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux; au lieu que s'il y en avait qui eussent 1a ressemblance de nos corps, et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très certains pour reconnaître qu'elles ne seraient point pour cela de vrais hommes : dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles ni d'autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées : car on peut bien concevoir qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même qu'elle en profère quelques-unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes, comme, si on la touche en quelque endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire ; si en un autre, qu'elle crie qu'on lui fait mal, et choses semblables ; mais non pas qu'elle les arrange diversement pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire.
Et le second est que, bien qu'elles fissent plusieurs choses aussi bien ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu'elles n'agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes : car, au lieu que la raison est un instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière ; d'où vient qu'il est moralement impossible qu'il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie de même façon que notre raison nous fait agir."
Descartes, Discours de la Méthode, 1637, Ve partie.
Matière subtile qui peut se traduire de nos jours par la notion d'influx nerveux.
"Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l'agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens. Et il est certain que toutes les règles des mécaniques appartiennent à la physique, en sorte que toutes les choses qui sont artificielles, sont avec cela naturelles. Car, par exemple, lorsqu'une montre marque les heures par le moyen des roues dont elle est faite, cela ne lui est pas moins naturel qu'il est à un arbre de produire des fruits. C'est pourquoi, en même façon qu'un horloger, en voyant une montre qu'il n'a point faite, peut ordinairement juger, de quelques-unes de ses parties qu'il regarde, quelles sont toutes les autres qu'il ne voit pas : ainsi, en considérant les effets et les parties sensibles des corps naturels, j'ai tâché de connaître quelles doivent être celles de leurs parties qui sont insensibles".
Descartes, Principes de philosophie, 1644, IV, 203.
"Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne pas ; car cela même sert à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu'une horloge, laquelle montre bien mieux l'heure qu'il est, que notre jugement ne nous l'enseigne. Et sans doute que, lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges. Tout ce que font les mouches à miel est de même nature, et l'ordre que tiennent les grues en volant, et celui qu'observent les singes en se battant, s'il est vrai qu'ils en observent quelqu'un, et enfin l'instinct d'ensevelir leurs morts, n'est pas plus étrange que celui des chiens et des chats, qui grattent la terre pour ensevelir leurs excréments bien qu'ils ne les ensevelissent presque jamais : ce qui montre qu'ils ne le font que par instinct, et sans y penser. On peut seulement dire que, bien que les bêtes ne fassent aucune action qui nous assure qu'elles pensent, toutefois, à cause que les organes de leurs corps ne sont pas fort différents des nôtres, on peut conjecturer qu'il y a quelque pensée jointe à ces organes, ainsi que nous expérimentons en nous, bien que la leur soit beaucoup moins parfaite. À quoi je n'ai rien à répondre, sinon que, si elles pensaient ainsi que nous, elles auraient une âme immortelle aussi bien que nous ; ce qui n'est pas vraisemblable, à cause qu'il n'y a point de raison pour le croire de quelques animaux, sans le croire de tous, et qu'il y en a plusieurs trop imparfaits pour pouvoir croire cela d'eux, comme sont les huîtres, les éponges, etc."
Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle, 23 novembre 1646.
"Nous devons croire que toute la chaleur et tous les mouvements qui sont en nous, en tant qu'ils ne dépendent point de la pensée, n'appartiennent qu'au corps.
Au moyen de quoi nous éviterons une erreur très considérable en laquelle plusieurs sont tombés [...]. Elle consiste en ce que, voyant que tous les corps morts sont privés de chaleur et ensuite de mouvement, on s'est imaginé que c'était l'absence de l'âme qui faisait cesser ces mouvements et cette chaleur. Et ainsi on a cru sans raison que notre chaleur naturelle et tous les mouvements de nos corps dépendent de l'âme, au lieu qu'on devait penser au contraire que l'âme ne s'absente, lorsqu'on meurt, qu'à cause que cette chaleur cesse, et que les organes qui servent à mouvoir le corps se corrompent.
Afin donc que nous évitions cette erreur, considérons que la mort n'arrive jamais par la faute de l'âme, mais seulement parce que quelqu'une des principales parties du corps se corrompt ; et jugeons que le corps d'un homme vivant diffère autant de celui d'un homme mort que fait une montre, ou autre automate (c'est-à-dire autre machine qui se meut de soi-même), lorsqu'elle est montée [remontée] et qu'elle a en soi le principe corporel des mouvements pour lesquels elle est instituée, avec tout ce qui est requis pour son action, et la même montre, ou autre machine, lorsqu'elle est rompue et que le principe de son mouvement cesse d'agir".
Descartes, Les Passions de l'âme, 1649, I, articles 4 à 6. AT XI, 329-331.
"Y a-t-il dans les animaux quelque substance incorporelle qu'on puisse appeler âme sensitive ? On doit le rechercher expérimentalement, car c'est une question de fait. Il est certain cependant, si je ne me trompe, que Dieu aurait pu créer quelque machine semblable à un animal, faisant agir sans conscience toutes les fonctions, ou certainement, plusieurs de celles que nous voyons chez les animaux. Ce qu'il aura fait, nul ne peut l'affirmer avec certitude sans révélation. Mais qu'au contraire il y ait une âme sensitive chez les animaux, on ne peut l'assurer non plus que si l'on cite des phénomènes inexplicables mécaniquement. Sans aucun doute, si l'on me présente un singe qui joue de ruses et fait une guerre de voleur ou le jeu des sacs, et même contre un homme et avec succès, je suis forcé d'avouer qu'il y a en lui quelque chose de plus qu'une machine. Mais à partir de ce moment aussi, je commencerai à devenir pythagoricien et je condamnerai avec Porphyre la nourriture carnivore et la tyrannie exercée par les hommes sur les animaux. Mais je ferai aussi des prévisions à l'égard des animaux sur l'endroit où ils seront après la mort, car aucune substance incorporelle ne peut être détruite."
Leibniz, Lettre à Conring, mars 1678, Oeuvres choisies éditées par Lucy Prenant, Aubier-Montaigne, 1972, p. 126.
Selon Aristote, l'âme sensitive est le principe de vie des animaux et des hommes.
Les pythagoriciens croyaient à l'incarnation successive des âmes (métempsychose).
"64. Ainsi chaque corps organique d'un vivant est une espèce de machine divine, ou d'un automate naturel, qui surpasse infiniment tous les automates artificiels. Parce qu'une machine faite par l'art de l'homme n'est pas une machine dans chacune de ses parties. Par exemple, la dent d'une roue de laiton a des parties ou fragments qui ne nous sont plus quelque chose d'artificiel et n'ont plus rien qui marque de la machine par rapport à l'usage où la roue était destinée. Mais les machines de la nature, c'est-à- dire les corps vivants, sont encore machines dans leurs moindres parties, jusqu'à l'infini. C'est ce qui fait la différence entre la nature et l'art, c'est-à-dire entre l'art divin et le nôtre.
65. Et l'auteur de la nature a pu pratiquer cet artifice divin et infiniment merveilleux, parce que chaque portion de la matière n'est pas seulement divisible à l'infini, comme les anciens ont reconnu, mais encore sous-divisée actuellement sans fin, chaque partie en parties dont chacune a quelque mouvement propre, autrement il serait impossible que chaque portion de la matière pût exprimer tout l'univers.
66. Par où l'on voit qu'il y a un monde de créatures, de vivants, d'animaux […], d'âmes dans la moindre portion de la matière.
67. Chaque portion de la matière peut être conçue comme un jardin plein de plantes et comme un étang plein de poissons. Mais chaque rameau de la plante, chaque membre de l'animal, chaque goutte de ses humeurs est encore un tel jardin ou un tel étang."
Leibniz, Monadologie, 1714, Delagrave, 1975, p. 178-180.
"[…] je croirais que les animaux ont un degré de raison supérieur, plutôt que de m'imaginer que ce ne sont que de simples machines. Aussi les Brutes font elles plusieurs choses qu'on ne saurait guère attribuer qu'à la raison : par exemple, un chien courant devant son maître, s'arrête lorsqu'il trouve un chemin fourchu, comme pour voir lequel il enfilera. Et lorsqu'il a fait une proie qu'il craint que son maître ne lui ôte, il s'enfuit pour la cacher et y retourne ensuite. Quelle raison peut-on donner aussi de ce qu'un chien qui veut sauter sur une table, qu'il trouve trop haute pour le faire en un saut, s'élève premièrement sur une chaise, lorsqu'il en rencontre une, et saute de là sur la table ? Cependant, si ce chien n'était qu'une machine, et que ce mouvement ne fût que l'effet d'un ressort, je ne saurais comprendre pourquoi ce ressort ne pousserait pas la machine en droite ligne, vers l'objet de son mouvement, soit que la table fût haute ou basse. J'ai même souvent observé que le premier saut de cette Créature sur la chaise ne s'est pas fait directement vers la table, mais en ligne oblique, à côté de l'objet qui l'agite, ou de la partie de la table sur laquelle il est posé.
On pourrait rapporter plusieurs autres actions de la même nature auxquelles je ne m'arrêterai pas. Je me contenterai de dire, que, si les Bêtes n'étaient que des Machines ou des Automates, elles n'auraient aucun sentiment ni aucune perception de plaisir ni de peine, et qu'on ne pourrait commettre aucun acte de cruauté envers elles. Cependant on voit tous les jours le contraire par les douloureux accents qu'elles forment lorsqu'on les bat ou qu'on les tourmente. Ce sentiment est même opposé à l'opinion générale des hommes, qui les plaignent naturellement, persuadés qu'elles sont sensibles à la douleur & à la misère comme eux : Et l'on ne voit personne qui soit touché de voir déchirer, couper, fouler aux pieds, ou démembrer une Plante."
John Ray, L'Existence et la sagesse de Dieu manifestées dans les oeuvres de la création, 1692, Première partie, tr. fr. G. Broedelet, Utrecht, 1714, p. 51-52.
"This opinion, I say, I can hardly digest. I should rather think animals to be endued with a lower degree of reason, than that they are mere Machines. I could instance in many Actions of Brutes that are hardly to be accounted for without Reason and Argumentation; as that commonly noted of Dogs, that running before their Masters, they will stop at a Divarication of the way, till they see which Hand their Masters will take; and that when they have gotten a Prey, which they fear their Masters will take from them, they will run away and hide it, and afterwards turn to it. What account can be given why a Dog, being to leap upon a Table which he sees to be too high for him to reach at once, if a Stool Chair happens to stand near it, doth first mount up that, and from thence the Table? If he were a Machine or Piece of Clockwork, and this Motion caused by the striking of a Spring, there is no Reason imaginable why the Spring being set on Work, should not carry the machine in a right Line toward the Object that put it in Motion, as well when the Table is high as when it is low: Whereas I have often observed the first Leap the Creature hath taken up the Stool, not to be directly toward the Table, but in a Line oblique and much declining from the Object that moved it, or that part of the Table on which it Stood.
Many the like Actions there are, which I shall not spend time to relate. Should this true, that Beasts were Automata or Machines, they could have no Sense or Perception of Pleasure or Pain, and consequently no Cruelty could be exercised towards them; which is contrary to the doleful Significations they make when beaten or tormented, and contrary to the common Sense of Mankind, all Men naturally pitying them, as apprehending them to have such Sense and Feeling of Pain and Misery as themselves have; whereas no Man is troubled to see a Plant torn, or cut, or stampted, or mangled how you please"
John Ray, The Wisdom of God Manifested in the Works of the Creation, 1692, First part, London, D. Williams, 1752, pp. 27-28.
"Qu'on m'accorde seulement que la matière organisée est douée d'un principe moteur, qui seul la différencie de celle qui ne l'est pas [...] et que tout dépend dans les animaux de la diversité de cette organisation, comme je l'ai assez prouvé ; c'en est assez pour deviner l'énigme des substances et celle de l'homme. On voit qu'il n'y en a qu'une dans l'univers, et que l'homme est la plus parfait. Il est au singe, aux animaux les plus spirituels, ce que la pendule planétaire de Huygens, est à une montre de Julien le Roi. S'il a fallu plus d'instruments, plus de rouages, plus de ressorts pour marquer les mouvements des planètes, que pour marquer les heures ou les répéter; s'il a fallu plus d'art à Vaucanson pour faire son flûteur, que pour son canard, il eût dû en employer encore davantage pour faire un parleur: machine qui ne peut plus être regardée comme impossible, surtout entre les mains d'un nouveau Prométhée. Il était donc de même nécessaire que la Nature employât plus d'art et d'appareil pour faire et entretenir une machine, qui pendant un siècle entier pût marquer tous les battements du cœur et de l'esprit; car si on n'en voit pas au pouls les heures, c'est du moins le baromètre de la chaleur et de la vivacité, par laquelle on peut juger de la nature de l'âme. Je ne me trompe point; le corps humain est une horloge, mais immense, et construite avec tant d'artifice et d'habileté, que si la roue qui sert à marquer les secondes, vient à s'arrêter, celle des minutes tourne et va toujours son train; comme la roue des quarts continue de se mouvoir, et ainsi des autres, quand les premières, rouillées, ou dérangées par quelque cause que ce soit, ont interrompu leur marche [...] Phénomènes qui ne surprennent point les médecins éclairés. Ils savent à quoi s'en tenir sur la nature de l'homme, et pour le dire en passant, de deux médecins, le meilleur, celui qui mérité le plus de confiance, c'est toujours, à mon avis, celui qui est le plus versé dans la physique, ou la mécanique du corps humain, et qui laissant l'âme, et toutes les inquiétudes que cette chimère donne aux sots et aux ignorants, n'est occupé sérieusement que du pur naturalisme [...]
Je crois que Descartes serait un Homme respectable à tous égards, si né dans un siècle qu'il n'eût pas dû éclairer, il eût connu le prix de l'expérience et de l'observation, et le danger de s'en écarter [...]
Il est vrai que ce célèbre philosophe s'est beaucoup trompé, et personne n'en disconvient. Mais enfin il a connu la nature animale; il a le premier parfaitement démontre que les animaux étaient de pures machines. Or après une découverte de cette importance, et qui suppose autant de sagacité, le moyen sans ingratitude, de ne pas faire grâce à toutes ses erreurs !
Elles sont à mes yeux toutes réparées par ce grand aveu. Car enfin, quoi qu'il chante sur la distinction des deux substances, il est visible que ce n'est qu'un tour d'adresse, une ruse de style, pour faire avaler aux théologiens un poison caché à l'ombre d'une analogie qui frappe tout le monde, et qu'eux seuls ne voient pas. Car c'est elle, c'est cette forte analogie, qui force tous les savants et les vrais juges d'avouer que ces êtres fiers et vains, plus distingués par leur orgueil, que par le nom d'hommes, quelque envie qu'ils aient de s'élever, ne sont au fond que des animaux, et des machines perpendiculairement rampantes.
Être Machine, sentir, penser savoir distinguer le bien du mal, comme le bleu du jaune, en un mot être né avec de l'intelligence, et un instinct sûr de morale, et n'être qu'un animal, sont donc des choses qui ne sont pas plus contradictoires, qu'être un singe, ou un perroquet, et savoir se donner du plaisir."
Julien Offray De La Mettrie, L'homme-Machine, 1747, Folio essais, 1999, p. 203-207.
"Les hommes peuvent tuer les animaux, puisque Dieu leur a permis expressément de s'en nourrir : mais cette permission même prouve que dans l'état naturel ils ne le devraient pas faire et la même révélation dans plusieurs autres endroits impose certains devoirs envers les bêtes, qui font voir que Dieu ne les a pas abandonnées au caprice et à la cruauté des hommes. Je ne parle pas ici des animaux nuisibles : le droit que nous avons sur eux n'est pas douteux, nous pouvons les traiter comme des assassins et des voleurs. Mais tuer les animaux de sang froid, sans aucune nécessité, et par une espèce de plaisir, cela est-il permis ?
Des Auteurs célèbres, qui ont écrit de gros commentaires sur le droit naturel et sur la morale, ont traité cette question : c'est une chose plaisante de voir comment ils l'ont envisagée ; et l'adresse avec laquelle il semble qu'ils aient évité tout ce qu'il y avait de raisonnable à dire.
Les Pythagoriciens et quelques Philosophes de l'antiquité, qui paraissent avoir mieux raisonné sur cette matière, ne semblent cependant s'être fait au scrupule de tuer les bêtes qu'à cause de l'opinion où ils étaient sur la métempsycose : l'âme de leur père ou de leur fils se trouvait peut-être actuellement dans le corps de la bête qu'ils auraient égorgée. Sénèque, cet homme si raisonnable et si subtil, nous apprend qu'il avait été longtemps attaché à cette opinion, sans vouloir se nourrir de la chair des animaux[1]. II ajoute sur cela un dilemme singulier, qu'un grand homme de nos jours a transporté à une matière beaucoup plus importante. Dans le doute, dit-il, où l'on est, le plus sûr est toujours de s'abstenir de cette nourriture: si la métempsycose a lieu, c'est devoir, fi elle ne l'a pas, c'est sobriété.
Mais il me semble qu'on a une raison plus décisive pour ne point croire permis de tuer ou de tourmenter les bêtes : il suffit de croire, comme on ne peut guère s'en empêcher, qu'elles sont capables de sentiment. Faut-il qu'une âme soit précisément celle de tel ou tel homme, ou celle d'un homme en général, pour qu'il ne faille pas l'affliger d'un sentiment douloureux ? Ceux qui raisonneraient de la sorte ne pourraient-ils pas par degrés aller jusqu'à tuer ou tourmenter sans scrupule tout ce qui ne serait pas de leurs parents ou de leurs amis?
Si les bêtes étaient de pures machines, les tuer serait un acte moralement indifférent, mais ridicule : ce serait briser une montre.
Si elles ont, je ne dis pas une âme fort raisonnable, capable d'un grand nombre d'idées, mais le moindre sentiment ; leur causer sans nécessité de la douleur, est une cruauté et une injustice. C'est peut-être l'exemple le plus fort de ce que peuvent sur nous l'habitude et la coutume, que, dans la plupart des hommes, elles aient sur cela étouffé tout remords.
Maupertuis, Lettres philosophiques, Lettre VI : Du droit sur les bêtes, 1752, in Œuvres de Mr. Maupertuis, Volume 2, Lyon, Jean-Marie Bruyset, 1756, p. 221-224.
[1] Lettre à Lucilius, n° 108.
"Je ne vois dans tout animal qu'une machine ingénieuse, à qui la nature a donné des sens pour se remonter elle-même, et pour se garantir, jusqu'à un certain point, de tout ce qui tend à la détruire, ou à la déranger. J'aperçois précisément les mêmes choses dans la machine humaine, avec cette différence que la Nature seule fait tout dans les opérations de la bête, au lieu que l'homme concourt aux siennes, en qualité d'agent libre.
L'une choisit ou rejette par instinct, et l'autre par un acte de liberté ; ce qui fait que la bête ne peut s'écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire, et que l'homme s'en écarte souvent à son préjudice. C'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim près d'un bassin rempli des meilleures viandes, et un chat sur un tas de fruits, ou de grain quoique l'un et l'autre put très bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'en essayer ; c'est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la mort ; parce que l'Esprit déprave les sens, et que la volonté parle encore quand la Nature se tait.
[...] La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L'homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d'acquiescer, ou de résister; et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme."
Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1755, Première partie, § 16, Le livre de poche, 1996, p. 87.
"Quelle pitié, quelle pauvreté, d'avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n'apprennent ni ne se perfectionnent en rien Quoi ! cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l'attache à un mur, qui bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur un arbre ; cet oiseau fait tout de la même façon ? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois n'en sait-il pas plus au bout de ce temps qu'il n'en savait avant tes leçons ? Le serin à qui tu apprends un air le répète-t-il dans l'instant ? n'emploies-tu pas un temps considérable à l'enseigner ? n'as-tu pas vu qu'il se méprend et qu'il se corrige ?(...] Porte le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l'a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet son maître qu'il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses. Des barbares saisissent ce chien, qui l'emporte si prodigieusement sur l'homme en amitié,- ils le clouent sur une table, et ils le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraïques. Tu découvres dans lui tous les mêmes organes du sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste, la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment dans cet animal, afin qu'il ne sente pas ? a-t-il des nerfs pour être impassible ? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature."
Voltaire, Dictionnaire philosophique, Article « Bêtes », 1764.
"C'est le besoin qui fait l'instinct inexplicable que nous voyons dans les animaux, que l'on a sans raison privés d'une âme, tandis qu'ils sont susceptibles d’une infinité d’actions, qui prouvent qu'ils pensent, qu'ils jugent, qu'ils ont de la mémoire, qu'ils sont susceptibles d'expérience, qu'ils combinent des idées, qu’ils les appliquent avec plus ou moins de facilité pour satisfaire les besoins que leur organisation particulière leur donne, enfin qu'ils ont des passions et qu'ils sont capables d'être modifiés.
On sait les embarras que les animaux ont donnés aux partisans de la spiritualité : en effet en leur accordant une âme spirituelle ils ont craint de les élever à la condition humaine ; d'un autre côté en la leur refusant ils autorisaient leurs adversaires à la refuser pareillement à l’homme qui se trouvait ainsi ravalé à la condition de l'animal. Les théologiens n'ont jamais su se tirer de cette difficulté : Descartes a cru la trancher en disant que les bêtes n'ont point d'âmes et sont de pures machines. Il est aisé de sentir l'absurdité de ce principe. Quiconque envisagera la nature sans préjugé reconnaîtra facilement qu'il n'y a d'autre différence entre l'homme et la bête que celle qui est due à la diversité de leur organisation."
Paul-Henri Thiry D'Holbach, Système de la nature, 1770, 1ère partie, Chapitre X, in Œuvres philosophiques complètes, tome II, Éditions Alive, 1999, p. 268.
"Quiconque veut s'en tenir à la conviction que les êtres vivants ne sont que des machines, abandonne l'espoir de jamais porter le regard dans leur monde vécu.
Mais celui qui n'a pas souscrit sans retour à la conception mécaniste des êtres vivants pourra réfléchir à ce qui suit. Tous nos objets usuels et nos machines ne sont rien d'autre que des moyens de l'homme. Il y a ainsi des moyens qui servent l'action – ce que l'on nomme des outils, des « choses-pour-agir » – auxquels appartiennent les grandes machines qui servent dans nos usines à transformer les produits naturels, les chemins de fer, les autos, les avions. Il existe aussi des moyens qui affinent notre perception, des « choses-pour-percevoir », comme les télescopes, les lunettes, les microphones, les appareils radio, etc.
Dans ce sens, on pourrait supposer qu'un animal ne serait rien d'autre qu'un assemblage de « choses-pour-agir » et de « choses-pour-percevoir », reliées en un ensemble qui resterait une machine, mais serait cependant susceptible d'exercer les fonctions vitales d'un animal.
Telle est en fait la conception de tous les théoriciens du mécanisme en biologie, l'infléchissant, selon les cas, tantôt vers un mécanisme rigide, tantôt vers un dynamisme plastique. Les animaux ne seraient ainsi que de simples choses. On oublie alors que l'on a supprimé dès le début ce qui est le plus important, à savoir le sujet, qui se sert des moyens, qui les utilise dans sa perception et son action.
[…] celui qui conçoit encore nos organes sensoriels comme servant à notre perception et nos organes de mouvement à notre action, ne regardera pas non plus les animaux comme de simples ensembles mécaniques, mais découvrira aussi le mécanicien, qui existedans les organes comme nous dans notre propre corps. Alors il ne verra pas seulement les animaux comme des choses mais des sujets, dont l'activité essentielle réside dans l'action et la perception.
[…]
Pour le physiologiste, tout être vivant est un objet, une chose, qui se trouve dans son propre monde humain. Il examine les organes de l'être vivant et la combinaison de leurs actions, comme un technicien examinerait une machine qui lui serait inconnue. Le biologiste en revanche se rend compte que cet être vivant est un sujet qui vit dans son monde propre dont il forme le centre. On ne peut donc pas le comparer à une machine, mais au mécanicien qui dirige la machine".
Jakob von Uexküll, Mondes animaux et monde humain, 1956, Denoël, p. 13-15 et 25.
"Si l'animal n'était qu'une machine, comme le pensent les cartésiens, la question de ses droits ne se serait jamais posée. Ce qui peut éveiller à son propos le sentiment d'une obligation, au-delà même de la compassion et de la pitié qui relèvent de la simple sympathie, c'est le caractère non mécanique du vivant qu'il incarne. Non qu'il s'agisse de disqualifier totalement l'approche sentimentale de la question des droits, mais plutôt d'en rechercher, au-delà de la simple description phénoménologique, les éventuels principes de légitimité. Car la sympathie n'est qu'un fait qui se heurte à d'autres faits et, comme tel, ne justifie rien : il y a ceux qui aiment la corrida de facto, ceux qui la réprouvent de facto et si l'on veut trancher de jure, il faut s'élever au-dessus de la seule sphère de la factualité pour rechercher des arguments. L'un d'entre eux, que j'ai évoqué tout à la fois contre les cartésiens et les utilitaristes pour justifier l'idée d'un certain respect de l'animal, est qu'il nous apparaît relever d'un ordre du réel qui n'est ni celui de la pierre, ni celui des plantes, bien qu'il n'appartienne pas non plus à l'humanité proprement dite. Quoique mû par le code de l'instinct, et non par liberté, il est, dans la nature, le seul être qui semble capable d'agir d'après la représentation de fins, donc de façon consciente et intentionnelle. Et c'est à ce titre qu'il s'éloigne du règne du mécanisme pour se rapprocher, par analogie, de celui de la liberté. Il n'est pas un simple automate et sa souffrance, à laquelle nous pouvons et même devons ne pas rester indifférents, en est l'un des signes visibles —parmi d'autres qu'on pourrait évoquer, tels que le dévouement, l'affection ou l'intelligence dont il peut parfois témoigner. Bref, tout se passe comme si la nature, dans l'animal, tendait en certaines circonstances à se faire humaine, comme si elle s'accordait d'elle-même avec des idées auxquelles nous attachons un prix lorsqu'elles se manifestent dans l'humanité.
[...] Car c'est bien la nature elle-même qui fait signe vers des idées qui nous sont chères, et non pas nous qui les projetons en elle : à l'encontre de ce que pensent les cartésiens, il semble raisonnable d'admettre que les cris des animaux qui souffrent n'ont pas la même signification que les sons égrenés par le timbre de l'horloge, que la fidélité du chien n'est pas celle de la montre. De là le sentiment que la nature possède bien cette fameuse valeur intrinsèque sur laquelle s'appuient les deep ecologists pour légitimer leur antihumanisme. Mais d'un autre côté, et c'est là ce qu'ils manquent, ce sont les idées évoquées par la nature qui lui donnent tout son prix. Sans elles, nous n'accorderions pas la moindre valeur au monde objectif. Bien plus : c'est parce que la nature, souvent, va à l'encontre de telles idées, parce qu'elle est aussi génératrice de violence et de mort, que nous lui ôtons aussitôt la valeur que nous lui attribuions l'instant d'avant, lorsqu'elle nous semblait belle, harmonieuse, ou même, dans l'animal, intelligente et affectueuse."
Luc Ferry, Le Nouvel Ordre écologique, 1992, Grasset, p. 258-260.
"Toute tentative pour associer ce qui se passe dans un organisme vivant complexe et ce qui se produit dans une machine fabriquée par des ingénieurs, par exemple un Boeing 777, est téméraire. Il est vrai que les ordinateurs de bord d'un avion sophistiqué comprennent des cartes qui surveillent diverses fonctions à tout moment : l'état de déploiement des parties mobiles des ailes, du stabilisateur horizontal du gouvernail ; les divers paramètres liés au fonctionnement des moteurs ; la consommation de carburant. Des variables d'ambiance sont surveillées, comme la température, la vitesse du vent, l'altitude, et ainsi de suite. Certains ordinateurs mettent continuellement en relation les informations ainsi obtenues de sorte que des corrections intelligentes puissent être effectuées dans le comportement en cours de l'avion. La similitude avec les mécanismes homéostatiques[1] est évidente. Les différences sont pourtant importantes entre la nature des cartes cérébrales d'un organisme vivant et le cockpit d'un Boeing 777. Examinons-les.
Premièrement, on trouve le niveau de détail des structures et des opérations représentées. Les procédés de monitoring du cockpit ne sont qu'une pâle copie de ceux qu'on observe dans le système nerveux central d'un organisme vivant complexe. Ils sont grossièrement comparables dans notre corps au fait d'indiquer si nous avons ou non les jambes croisées ; à la mesure de notre pouls et de la température de notre corps ; et au fait de nous dire combien d'heures il reste avant le prochain repas. C'est très utile, mais pas assez pour survivre. Sa « survie » est liée aux pilotes vivants qui le conduisent et sans lesquels tout l'exercice n'aurait pas de sens. Incidemment, la même chose vaut pour les drones inhabités que nous faisons voler partout autour du monde. Leur « vie » dépend du contrôle de leur mission.
Certains composants de l'avion sont « animés » - ailerons et volets, gouvernail, freins, soute -, mais aucun n'est « vivant » au sens biologique. Aucun de ces composants n'est fait de cellules dont l'intégrité dépend de la fourniture d'oxygène et de nutriments à chacune. Au contraire, chaque partie élémentaire de notre organisme, chaque cellule de notre corps n'est pas seulement animée ; elle est vivante. Plus frappant encore, chaque cellule est un organisme vivant individuel – une créature individuelle ayant une date de naissance, un cycle de vie et une date de mort. Chaque cellule est une créature qui doit veiller à sa vie dont l'existence dépend des instructions données par son génome et des circonstances de son environnement. Les procédés de régulation vitale innée […] sont présents en bas de l'échelle biologique dans chaque système de notre organisme, dans chaque organe, dans chaque tissu, dans chaque cellule. Le bon candidat au titre de « particule » élémentaire essentielle pour notre organisme vivant est une cellule vivante, pas un atome.
Il n'y a rien d'équivalent à cette cellule vivante dans les tonnes d'aluminium, d'alliages, de plastique, de caoutchouc et de silicone qui forment le grand oiseau Boeing. On trouve des kilomètres de câblages électriques, des centaines de mètres carrés d'alliages, des milliers d'écrous, de boulons et de rivets sous la peau de l'avion. Et il est vrai que tout cela est fait de matière, laquelle est composée d'atomes. Et de même notre chair humaine au niveau de ses microstructures. Cependant, la matière physique de l'avion n'est pas vivante ; ses parties ne sont pas faites de cellules vivantes dotés d'un patrimoine génétique, d'un destin biologique et d'un risque de vie. Même si on argue que l'avion possède un système de protection permettant d'empêcher les mauvaises manœuvres d'un pilote distrait, la différence est flagrante. Les ordinateurs intégrés de l'avion se préoccupent de l'exécution de ses fonctions de vol. Notre cerveau et notre esprit se soucient globalement de l'intégrité de notre domaine vivant, de chacun de ses coins et de ses recoins et, en dessous, chaque coin et recoin se soucie localement et de façon automatique de lui".
Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison : Joie et tristesse, le cerveau des émotions, 2003, tr. J.-L Fidel, Odile Jacob, 2005, p. 136-138.
[1] Homéostatique : relatif à l'homéostasie (tendance des êtres vivants à maintenir constants et en équilibre leur milieu interne et leurs paramètres physiologiques).
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Date de création : 19/05/2011 @ 13:48
Dernière modification : 13/09/2020 @ 11:22
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