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Il faut distinguer le droit de la justice
 "Il faut distinguer la notion de justice de celle du droit. La norme de justice prescrit de quelle manière le droit, c'est-à-dire un système de normes qui règlent le comportement humain, qui sont créées par des actes humains et qui ont une certaine efficacité, c'est-à-dire le droit positif, doit être élaboré quant à son contenu. Comme la norme de justice prescrit un traitement déterminé à appliquer à des hommes, elle se rapporte, comme nous l'avons montré plus haut, à l'acte par lequel le droit est créé. Si cet acte est conforme à la norme de justice, c'est-à-dire si la norme qu'il crée possède le contenu déterminé par la norme de justice, la norme ainsi créée est jugée juste ; si l'acte n'est pas conforme à la norme de justice, c'est-à-dire si la norme qu'il crée ne possède pas le contenu déterminé par la norme de justice, la norme ainsi créée est jugée injuste. En ce sens seulement la norme de justice sert de critère de valeur pour juger le droit positif. Aussi la justice ne peut-elle être identique au droit.
Le rapport qu’on admet entre justice et droit joue un rôle décisif dans la question de savoir si le droit est valable, c'est-à-dire si ses normes doivent être appliquées et observées. Sur ce point il existe deux conceptions qui s'opposent diamétralement. Selon la première, un droit positif ne peut être considéré comme valable que dans le cas et dans la mesure où droit ne peut signifier qu'ordre valable. C'est-à-dire que la validité de la norme de justice est le fondement de la validité du droit positif. Selon la seconde conception, la validité du droit positif ne dépend pas de la validité de la norme de justice. Un droit positif est valable, même s'il est injuste. Cela signifie, comme nous l'avons déjà constaté, qu'on ne peut pas présupposer une norme de justice comme valable si l'on considère comme valable une norme du droit positif dont la création ne correspond pas à la norme de justice."
 
Hans Kelsen (1881-1973), Justice et droit naturel, in Droit naturel, ouvrage collectif, tr. E. Mazingue, Paris, PUF, 1959, p. 647.


 "Il faut distinguer la notion de justice de celle du droit. La norme de justice prescrit de quelle manière le droit, c'est-à-dire un système de normes qui règlent le comportement humain, qui sont créées par des actes humains et qui ont une certaine efficacité, c'est-à-dire le droit positif, doit être élaboré quant à son contenu. Comme la norme de justice prescrit un traitement déterminé à appliquer à des hommes, elle se rapporte, comme nous l'avons montré plus haut, à l'acte par lequel le droit est créé. Si cet acte est conforme à la norme de justice, c’est-à-dire si la norme qu’il crée possède le contenu déterminé par la norme de justice, la norme ainsi créée est jugée juste ; si l’acte n’est pas conforme à la norme de justice, c’est-à-dire si la norme qu’il crée ne possède pas le contenu déterminé par la norme de justice, la norme ainsi créée est jugée injuste. En ce sens seulement la norme de justice sert de critère de valeur pour juger le droit positif. Aussi la justice ne peut-elle être identique au droit.
Le rapport qu’on admet entre justice et droit joue un rôle décisif dans la question de savoir si le droit est valable, c’est-à-dire si ses normes doivent être appliquées et observées. Sur ce point il existe deux conceptions qui s’opposent diamétralement. Selon la première, un droit positif ne peut être considéré comme valable que dans le cas et dans la mesure où droit ne peut signifier qu’ordre valable. C’est-à-dire que la validité de la norme de justice est le fondement de la validité du droit positif. Selon la seconde conception, la validité du droit positif ne dépend pas de la validité de la norme de justice. Un droit positif est valable, même s’il est injuste. Cela signifie, comme nous l’avons déjà constaté, qu’on ne peut pas présupposer une norme de justice comme valable si l’on considère comme valable une norme du droit positif dont la création ne correspond pas à la norme de justice. C’est la conséquence du positivisme juridique, c’est-à-dire d’une théorie du droit positiviste ou réaliste, par opposition à une théorie idéaliste.
Cette opposition est en rapport étroit avec l’opposition de la justice relative et de la justice absolue.
La norme de justice, qui prescrit un traitement déterminé à appliquer à des hommes, constitue une valeur absolue si elle prétend être la seule norme de justice possible, c’est-à-dire si elle exclut la possibilité d’une autre norme de justice qui prescrit un autre traitement à appliquer à des hommes. Cela signifie qu’on ne peut présupposer que cette norme de justice, et point d’autre. Une telle norme de justice constituant une valeur absolue ne peut, comme nous venons d’y insister, émaner que d’une autorité transcendante et comme telle elle est confrontée au droit positif, système de normes qui sont créées par des actes humains dans la réalité empirique.
On aboutit alors à un dualisme caractéristique : d’une part un ordre idéal transcendant, non créé par des hommes et supérieur à tout autre et d’autre part un ordre réel, créé par des hommes, c’est-à-dire positif. C’est le dualisme typique de toute métaphysique : sphère empirique et sphère transcendante, dont la forme classique est la théorie des idées de Platon, et qui constitue le fondement de la théologie chrétienne comme dualisme de ce monde et de l’au-delà, de l’homme et de Dieu. La théorie idéaliste du droit possède, au contraire de la théorie réaliste du droit, un caractère dualiste. Celle-ci est moniste, car elle ignore, à la différence de l’autre, la coexistence d’un droit idéal, non créé par des hommes et émanant d’une autorité transcendante, et d’un droit réel, créé par des hommes ; au contraire elle ne connaît qu’un droit : le droit positif créé par des hommes.
Le positivisme juridique
Si, du point de vue de la connaissance scientifique, on se refuse à admettre l’existence d’un être transcendant par-delà toute expérience humaine possible, c’est-à-dire l’existence d’un absolu en général et de valeurs absolues en particulier, du point de vue d’une théorie scientifique du droit, la validité du droit positif ne peut dépendre de son rapport avec la justice. Car une telle dépendance ne peut exister que si la justice est une valeur absolue, si on suppose la validité d’une norme de justice qui exclut la validité de toute norme qui ne lui est pas conforme. Si on concède qu’il peut exister une pluralité de normes de justice différentes et éventuellement contradictoires, en ce sens qu’on peut présupposer l’une ou l’autre de ces normes de justice comme valable, et si par conséquent la valeur de justice n’est que relative, tout ordre juridique positif va fatalement entrer en contradiction avec l’une ou l’autre de ces normes de justice et il ne pourrait y avoir d’ordre juridique positif qui, vu qu’il contredirait l’une quelconque de ces normes de justice, ne devrait être considéré comme non valable. Mais d’autre part, tout ordre juridique positif peut être conforme à l’une quelconque des nombreuses normes de justice qui ne constituent que des valeurs relatives, sans que cette conformité soit considérée comme fondement de sa validité.
Une théorie positiviste, et cela veut dire réaliste, du droit ne prétend pas – il faut toujours y insister – qu’il n’y a pas de justice, mais qu’en fait un grand nombre de normes de justice différentes et contradictoires sont présupposées. Elle ne nie pas que l’élaboration d’un ordre juridique positif peut être déterminée et est en fait généralement déterminée par la représentation de l’une quelconque des normes de justice. En particulier elle ne nie pas que tout ordre juridique positif, c’est-à-dire les actes par lesquels ses normes sont créées, peut être évalué selon l’une de ces nombreuses normes de justice, c’est-à-dire jugé juste ou injuste. Mais elle maintient que ces critères de valeur n’ont qu’un caractère relatif et que par conséquent les actes par lesquels un ordre juridique positif est créé peuvent, si on les mesure avec tel critère, être légitimés comme justes, et si on les mesure avec tel autre, condamnés comme injustes, et qu’un ordre juridique positif est, dans sa validité, indépendant de la norme de justice d’après laquelle sont évalués les actes par lesquels ses normes sont créées. Car pour une théorie positiviste du droit, le fondement de validité d’un ordre juridique positif ne réside pas dans l’une des nombreuses normes de justice, vu qu’elle ne peut accorder à aucune d’elles l’avantage sur les autres ; il réside au contraire dans une norme fondamentale hypothétique, c’est-à-dire supposée dans la pensée juridique, selon laquelle on doit se comporter et traiter les hommes conformément à une constitution primitive qui a une certaine efficacité, sans s’inquiéter de savoir si l’ordre juridique édifié conformément à cette constitution est ou non conforme à une norme de justice quelconque. Dans la mesure où on met en question la validité du droit positif, aucune autre norme n’entre en ligne de compte que la norme fondamentale, et en particulier aucune norme de justice."
 
Hans Kelsen, Justice et droit naturel, in Droit naturel, ouvrage collectif, tr. E. Mazingue, Paris, PUF, 1959, p. 647.

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Date de création : 08/07/2011 @ 10:00
Dernière modification : 01/11/2011 @ 15:00
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