"Dans [la conception mécaniste du monde], l'Homme, à peineassuré de son existence terrestre, ne peut avoir pour but que de passer le moins désagréablement possible les quelques années qui lui sont dévolues par sa structure ; c'est un animal grégaire, mais autrement que les Fourmis et les Abeilles, car il n'a pas l'espritde la ruche et de la fourmilière ; il reste individu en société. Aussi, pour vivre en paix avec ses semblables, pratique-t-il une morale minima, imposée par l'expérience, qui maintient tant bien que mal l'accord dans le clan et la cité, d'où une pédagogie appropriée pour faire passer dans les moeurs des habitudes socialement utiles de discipline, de solidarité, de devoir, et l'établissement de sanctions afflictives pour quienfreint les règles ; la sécurité est au prix d'une contrainte relative et d'une hypocrisie normale. Un vague humanitarisme qui n'est guère qu'une forme d'égoïsme, comme le précepte d'Hillel (Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît), conçoit bien un progrès vers un mieux-être universel, mais celui-ci est constamment remis en question par les passions destructives, les vices sociaux, l'intérêt personnel, l'inégalité foncière des individus, la folie des mystiques.
Quant aux relations avec les voisins, elles se règlent d'ordinaire par la loi de la jungle, chaque clan gardant jalousement son terrain de chasse ; l'Histoire est le récit des luttes économiques et des poussées déterminées par les différences de natalité, les peuples dominants se succédant su la Terre comme les groupes animaux dans la Nature."
Lucien Cuénot, Invention et finalité en biologie, 1940, Paris, Flammarion, p. 117-118.