"L'histoire, pas plus que la nature, ne peut nous indiquer ce qu'il faut faire. C'est nous qui y apportons un but et un sens. Les hommes ne sont pas égaux mais nous pouvons décider de combattre pour l'égalité des droits. Nos institutions sociales ne sont pas rationnelles, mais nous pouvons tenter de les rendre plus rationnelles. Nous pouvons faire un effort semblable en ce qui concerne nos réactions et notre langage, dans lesquels le sentiment l'emporte trop souvent sur la raison. Le langage doit être pour nous, avant tout, un instrument de communication rationnelle. C'est à nous qu'il revient en définitive, de choisir les buts de notre existence, d'en fixer les objectifs.
En tant que tels, les faits n'ont pas de sens, nos décisions leur en donnent un. [...]
Le dualisme des faits et des décisions commande également notre opinion quant au progrès de l'histoire. On commet la même erreur en croyant à ce progrès qu'en croyant que l'histoire a un sens. Progresser consiste à tendre vers un certain objectif, vers une fin. Cela ne peut être le fait que d'individus, seuls ils peuvent défendre et renforcer les institutions démocratiques dont dépend la liberté et, partant, le progrès. Ils le feront d'autant mieux que ce progrès résulte de leur propre vigilance, de leurs efforts, de leur claire conception des objectifs à atteindre et du réalisme de leur choix.
Lorsque nous aurons cessé d'attendre de l'histoire un jugement et une justification,'nous arriverons peut-être à exercer sur le pouvoir un contrôle efficace. En définitive, c'est ainsi que nous pourrions même par- venir à justifier l'histoire. Elle en a le plus grand besoin."
Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis (1945), tome 1, trad. J. Bernard et P. Monod, Éd. du seuil, 1979, p. 184-185.
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